Heureux comme les Dieux à Rome ( 4 ) L’Empereur Dieu

Le culte impérial

Depuis des millénaires l’Orient grouille d’envoyés des Dieux, de pierres des Dieux , de foudroyés par le Dieu, de messagers , de Pythie , de mages, de Rois prêtres, de Rois Dieux , de Dieux vivants. Là n’est pas la nouveauté. Vu depuis la Rome républicaine cela fait exotique , extrêmement asiatique, voire dégénéré.

Mais la très prosaïque mentalité romaine s’inscrit dans une équation très terre à terre. Le succès est la preuve de la providence divine. La Fortune ( au sens romain) est la preuve d’une destinée voulue et bâtie par les Dieux.
Le vrai responsable d’une évolution qui a marqué si profondément l’ancienne cité de bergers farouchement anti royaliste pourrait bien être un jeune gars à qui tout réussissait : Alexandre le Grand en personne.
Fortement influencé par sa mère Olympias qui lui farcissait la tête de fécondation divine le disciple d’Aristote était assez fragile de ce coté là. Ses succès répétés ne lui fournissaient-ils pas des « raisons » de se croire élu, ou , jouant à fond ce rôle là, adopter  une manœuvre politique favorisant ses entreprises ?
Discret avec ses compagnons macédoniens, il ne manquait pas de jouer au fils de Zeus en présence des foules asiatiques dont la culture goûtait ces contes et légendes. La visite à l’oasis de Siwah dont il sortit se proclamant pharaon fils d’Amon Rê est connue mais il collectionna aussi les attributs divins tout au long du couloir syro-palestinien riche en cultes et en sanctuaires.
La campagne militaire se poursuivant de fils d’Horus il devint l’élu de Mardouk à Babylone

Rome aurait pu rester à l’écart d’un mouvement fortement marqué par son caractère oriental.
Il eut fallu pour ça ne pas aller y aller , y retourner, y traîner, ne pas s’y installer. Le Prince se trouvant au sommet , il aurait fallu se défendre avec acharnement  pour ne pas refléter dans sa personne les tendances et mouvements de fond traversant la société romaine.

Les généraux romains furent les premiers à faire l’objet d’un culte que ni leur goût ni leur formation ne les avaient préparés à assumer.

La simple courtisanerie du chef glorieux à la mode romaine se voit augmenter d’un supplément de flagornerie surprenant. Un mouvement vers la divinisation se met en branle , c’est beaucoup trop commode pour ne pas en profiter.

Marius et Sylla surtout , puis Pompée et César. Les quatre ouvrent en réalité la voie au culte impérial tel que mis en place par Auguste.
Sylla, revient de ses victoires en Orient auréolé du prestige de l’homme qui a restauré les valeurs traditionnelles et aristocratiques de la Rome républicaine. Il s’attribue le surnom de Felix (choisi par Fortuna) et se dit protégé par la déesse Vénus.
Pompée, lui , de son nom complet, Cnaeus Pompeius Magnus, reprend le titre mythique d’Alexandre le Grand, Magnus.
César est celui qui ira le plus loin dans la divinisation. De son nom Caius Iulius, il fait remonter la famille Iulia à Iule, fils du Prince troyen Énée. Au-delà de celui-ci, c’est donc de Vénus qu’il provient lui aussi. Après sa mort en 42, il reçoit l’apothéose sur décision du Sénat. Auguste, après lui, devient donc Divi filius.
Si les vieux romains de « l’opposition républicaine » continuaient à être hostile à toute forme de royauté, il leur était difficile d’objecter au bon plaisir d’un Prince Dieu.
Allait-on devoir relancer encore une fois la guerre civile , les morts et les proscriptions pour s’opposer à une réussite qui à l’évidence bénéficiait de la mansuétude des Dieux ?

Le succès est divin ; rappelons nous la visite à Rome d’un certain président fraichement élu.

Signe ou non d’une lente hellénisation de la culture romaine, on distingue peu à peu à Rome une certaine tendance à associer le succès militaire à une bénédiction divine, puis à la divinité elle-même. Lorsqu’Auguste accède seul au pouvoir, il reçoit donc également cet héritage. Jusqu’alors pourtant, on ne pouvait pas réellement parler de culte . Il ne s’agissait que d’affirmer le caractère divin de leur personne, sans y associer un quelconque rituel.
Quoi de plus évidemment manifeste de la faveur divine que la réussite de vos entreprises ?

Y a-t-il rien de plus rationnel comme raisonnement ?
Comme le sacré commande le terrestre, inversement les plus hautes réussites terrestres sont l’expression des plus hautes intentions divines.On peut sourire en coin au regard du simplisme des romains, mais aborder une conception du monde cohérente et en tous points évidente cela nous place bien plus haut dans le monde des idées que les vieilles craintes superstitieuses et les vieux rites comiques à force d’embrouillages ridicules et de superstitions calamiteuses.
On sourirait moins si avec honnêteté on acceptait de reconnaître le même fonctionnement mental dans certains nationalismes , certaine Sainte patronne de la France, certain empereur Dieu vivant du Japon, certains América First ou « with God on our sides » Cette même mentalité se retrouve dans l’exaltation insensée de certains sauveurs, de certains hommes providentiels, certaines voix de Dieu sur terre : pape , mollah, uléma, imam, rabbin , messie cosmo-planétaire etc ….
Pas si dépassés que ça nos Romains.On comprendra pourquoi ce 4ème chapitre précède celui sur le christianisme primitif; car ce dernier trouvera ses fondements dans les mêmes évidences.

C’est le Divin, les Dieux qui le veulent. Sous entendu le chef des Dieux : Jupiter

César mort en mars 44 , les sénateurs se regardent tous en chiens de faïence et hésitent sur la conduite à tenir. Si les courages sont hésitants, la flagornerie ne manque à aucun. Alors sautant sur l’occasion d’une comète en Juillet ( enregistrée par les chinois) et d’une éruption ( déjà) de l’Etna ils donnèrent une dimension cosmique à sa disparition . C’est en confiance que le nouveau  triumvirat ( Antoine , Octave , Lépide)  fit approuver en 42 l’apothéose de l’ancien dictateur, et les triumvirs autorisèrent la construction d’un temple à Jules César divinisé,

ce qui constituait le premier cas d’adaptation à Rome d’une coutume en faveur auprès des souverains hellénistiques.

L’Orient marquait de son empreinte la Cité de Romulus.Le sénat avait certes déclaré César divus après sa mort, mais, en proclamant Octavien « auguste », le 16 janvier 27 avant J.-C., il va plus loin encore en l’élevant de son vivant, au-dessus des autres hommes . Auguste eut à se défendre contre l’empressement des peuples qui voulaient à toute force le diviniser. La conduite qu’il tint en cette occasion fut très prudente : après la victoire d’Actium, il permit à la province d’Asie et à celle de Bithynie de lui élever des temples à Pergame et à Nicomédie, mais à la condition que son culte y soit associé à celui de la déesse Rome et qu’aucun Romain n’y prenne part.
Les autres provinces profitèrent de cette permission. Le mot Auguste n’est au départ employé que comme adjectif réservé aux Dieux.

  • Wikipedia En effet, le terme est rattaché à une double étymologie : augur, le devin, et augere, faire croître naturellement. Par ce titre, on considère donc qu’Octave est doué d’une auctoritas ou autorité naturelle, et qu’il est celui qui augmente perpétuellement l’ager publicus. .

Horace nous dit qu’au tournant de l’ère , les Romains faisaient, en privé, des libations à l’empereur et qu’on le priait comme un dieu. « Nous dressons des autels, dit-il pour jurer par ton numen »— le mot numen désignait la volonté agissante du dieu, voire le dieu lui-même. Dans Rome se multiplièrent en même temps les autels aux vertus d’Auguste, à sa Concorde ou sa Justice… .

Il n’y eut plus de retenue après sa mort en + 14 .

Le sénat le déclara divus, on prétendit avoir vu un aigle survoler son bûcher funéraire ( signe de la présence Jupiter) . Dès lors, il eut son clergé un flamine fut préposé à son culte (flamen Augustalis) ; on créa même pour l’occasion une confrérie (sodales Augustales). Sa veuve Livie lui consacra, sur le Palatin, un sanctuaire dont elle fut la prêtresse. Les grandes familles l’imitèrent. Une nouvelle tradition religieuse était née.
Presque malgré lui mais n’y pouvant pas grand chose en apparence, Auguste laissa s’installer la coutume de la sacralisation de l’empereur en tant que fils du dieu César dont le numen (puissance divine) le protégeait.
Tibère poursuivit les hésitations apparentes de son père adoptif et multiplia à son tour les images du divus Augustus. Après lui, les empereurs balancèrent entre deux attitudes :

  • imiter la modération bien simulée d’Auguste,

ou

  • se laisser traiter à l’égal d’un dieu.

Il n’y avait pas que de l’orgueil mal placé chez Auguste . Ce culte nouveau à sa personne fédérait un empire en manque d’unité après les ravages de la guerre civile. L’Orient hellénisé voit dans Hadrien : Zeus Hellenios ou Zeus Olympios . À Rome il s’attache à suivre la pratique augustéenne du pouvoir : il restaura le Panthéon, fait figurer Romulus sur ses monnaies et se construit, de l’autre côté du Tibre, un mausolée semblable à celui du premier empereur. Il étend même le culte dynastique à la lignée impériale, comme en témoigne le sanctuaire de Vénus et de Rome, élevé à l’emplacement du vestibule de la Domus Aurea ( ancienne demeure de Néron près du futur Colisée). Il s’agissait de célébrer l’origine divine de la ville, à travers Vénus, mère d’Énée et ancêtre divine des Julii. L’apothéose (passage à la divinité) qu’avait connue César ou Auguste ne s’imposa toutefois comme règle qu’à partir de la fin du premier siècle, avec Nerva. Jusqu’à lui, seuls Claude, Vespasien et Titus en furent jugés dignes.
Aux dires de Suétone, avant de mourir, Vespasien aurait laissé échapper le scepticisme que lui inspirait sa future apothéose : « Malheur ! je crois que je deviens dieu ! », s’écria-t-il en son dernier instant.
Quelques impératrices eurent aussi cet honneur, comme Diva Faustina, l’épouse d’Antonin. Ces pratiques religieuses nouvelles imposèrent la création d’un clergé — à l’instar des sodales Augustales, le sénat instaura les collèges des Flaviales, des Hadrianales, des Antoniani —. Puis toute cette quincailerie de divinités pour pas cher finit par se banaliser, en dépit du faste qu’elles atteignirent au deuxième siècle.
Hérodien raconte

Une effigie en cire du mort est exposée sur un lit d’ivoire surélevé sur une estrade. Puis au palais on le couche sur des draps brodés d’or. À gauche le Sénat au complet vêtu de noir fait face aux femmes de la haute , ensemble ils se recueillent et se font voir. Le spectacle dure 7 jours. De temps en temps les médecins simulent un examen et prononcent un faux bulletin de santé. Dès que la mort est officiellement déclarée les grands enlèvent le lit et le transportent par la voie sacrée jusqu’au vieux forum . On y chante des hymnes funèbres puis on conduit la dépouille jusqu’au Champ de Mars . Là une tour en bois en forme de phare à cinq étages reçoit le défunt . On ajoute des herbes , des aromates , de l’encens et tout ce qu’on peut avoir sous la main . La foule se lance alors dans cavalcade autour de l’édifice au rythme d’une course pyrrhique . On ajoute aussi des chars . Puis , ces rites accomplis le nouvel empereur met le feu au bûcher secondé par des assistants. Placé au second des cinq étages le corps est livré aux flammes et le haut de l’ensemble semble prendre son essor tel un aigle .

Symboliquement l’âme de l’empereur défunt s’envole vers le ciel.L’ensemble des Dieux accueillent le nouveau venu. Peu à peu par une sorte d’aboutissement à ce qui était déjà contenu dans les débuts, l’idée de la divination de l’empereur mort laisse la place à celle de la divinité de l’empereur vivant. Cela pouvait rester purement symbolique comme l’assimilation de Trajan à Hercule dans ses représentations. Il n’était question que de louer ses vertus militaires. On peut le voir siégeant aux cotés de Jupiter lui confiant son foudre . L’intention de rendre hommage à sa légitimité et sa dignité est évidente. Mais pour Caligula c’était bien plus sérieux ( grave). Il faisait décapiter les statues pour y faire rajouter sa tête . Il s’offrait à l’admiration des visiteurs au milieu des autres Dieux « ses frères » Cette dérive connut son paroxysme avec Elagabal le Dieu vivant venu d’Homs .
Pas si délirant que ça , et pas si éloigné des pratiques cultuelles admises à Rome.
Il y a de l’anachronisme à partager plus que de raison les hauts cris scandalisés des sénateurs de ce temps là. Ils avaient avalé bien d’autres couleuvres. Ils n’étaient pas si opposés à une évolution vers une théorie Jovienne du pouvoir selon laquelle l’empereur représentait sur Terre le Maître des Dieux. Les sénateurs ne voyaient aucune objection à ce que l’empereur se vît de son vivant doué de pouvoirs miraculeux . Nolens Volens nos très saints rois de France se voulaient bien  thaumaturges . Alors???
Vespasien à son corps défendant rendit la vue à un aveugle et l’usage de sa jambe à un paralysé.Le deuxième , puis le troisième siècle virent l’aboutissement d’une transformation du pouvoir impérial . Les succès et triomphes militaires n’étaient-ils pas la garantie de la sollicitude divine .Le Dieu Soleil avait quitté l’Orient et était venu étendre sa protection au dessus de la cité éternelle pour en faire profiter le peuple romain et, au premier chef, la personne de l’empereur. Cet empereur , Dieu lui-même parmi les hommes offrait un objet de dévotion , une explication cohérente liant le Cosmos et les hommes en un système unifié. L’ordre du monde en était rasséréné . Il faudra toute la violente volonté totalitaire du christianisme naissant pour parvenir à l’éradication du paganisme.

La rouerie des hiérarchies chrétiennes conservera longtemps à l’empereur une place particulière lui décernant un grade de primat même pour les questions théologiques du concile de Nicée

Il fallait bien un empereur pour trancher le fameux iota

  • Le fils est de la même substance que le Père = homoousios

et

  • Le fils est de substance semblable au Père = homoiousios)
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Léon
Léon
26 septembre 2012 18 h 39 min

Article bien intéressant comme les précédents et qui m’apprend plein de choses. Que dire de plus ?

Causette
Causette
26 septembre 2012 20 h 05 min
Reply to  Léon

Ave

Tiens en fouinant un peu j’ai trouvé Roman d’Alexandre un des livre les plus répandu au Moyen Age: recueil de légendes concernant ses exploits, mais certaines traditions le présentent de manière plus négative… un cousin d’Asinus 😆

Héliogabale un marrant le Syrien (plus dispendieux que cruel et plus extravagant que vraiment méchant, ses biographes, partiaux, ayant en effet fortement exagéré ses vices). Il fut tellement dévoué à sa mère, qu’il ne fit rien dans la république sans la consulter… la présence de Semiamira au Sénat choque et horripile les vieux Romains, ah! les machos. De tous les empereurs il est le seul sous le règne duquel une femme, avec le titre de clarissime, eut accès au sénat pour tenir la place d’un homme.

Causette
Causette
27 septembre 2012 17 h 06 min

Dans le genre maman possessive bigote Monnica… n’aurait cessé toute sa vie de prier pour la conversion aussi bien de son fils et de son mari. Ce dernier attendit l’année précédant sa mort pour exaucer ses vœux. Pour son fils mission accompli! : Aurelius Augustinus, après une adolescence turbulente (menus larcins avec une troupe de vauriens, vol de poires pour les jeter aux pourceaux…) et des études à Carthage où il découvre chaud-bouillant la chaudière des amours honteuses. Après avoir vécu avec une concubine pendant 15 ans dont il aura un fils, (sa mère l’avait rejeté car il était adepte du manichéisme -des hérétiques pour les catholiques). Après sa conversion il écrit: Alors ma mère dit : « Mon fils, pour ce qui me regarde, plus rien ne me charme en cette vie. (…) Il n’y avait qu’une seule chose pour laquelle je désirasse rester un peu dans cette vie, c’était de te voir chrétien catholique avant de mourir. Mon Dieu m’a accordé cela au-delà de mes vœux; je te vois son serviteur, non content d’avoir méprisé les terrestres félicités ; que fais-je donc ici ? » Et La guerre juste (Paix Amour etc) « Les martyrs sont ceux dont le Seigneur a dit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice…Si nous voulons donc être dans le vrai, disons que la persécution exercée par les impies contre l’Église du Christ est injuste, tandis qu’il y a justice dans la persécution infligée aux impies par l’Église de Jésus-Christ. (…) L’Église persécute pour retirer de l’erreur, les impies pour y précipiter. Enfin, l’Église persécute ses ennemis et les poursuit jusqu’à ce qu’elle les ait atteints et défaits dans leur orgueil et leur vanité, afin de les faire jouir du bienfait de la vérité, les impies persécutent en rendant le mal pour le bien, et tandis que nous n’avons en vue que leur salut éternel, eux cherchent à nous enlever notre portion de bonheur sur la terre. Ils respirent tellement le meurtre qu’ils s’ôtent la vie à eux-mêmes, quand ils ne peuvent l’ôter aux autres. L’Église, dans sa charité, travaille à les délivrer de la perdition pour les préserver de la mort; eux, dans leur rage, cherchent tous les moyens de nous faire périr, et pour assouvir leur besoin de cruauté, ils se tuent eux-mêmes, comme pour ne pas perdre le droit qu’ils croient avoir de tuer les hommes. »… Lire la suite »