À la demande d’Alta Pea Pea __ Zam Zam

ZAM ZAM,  au début j’ai cru que c’était le vent. Ce foutu khamsin, le vent chaud de juillet qui transforme Djibouti en fournaise. Trente huit degrés la tôle du blindé me brûlait les mains. A trois dans le blindé nous étouffions. Par-dessus tout la mauvaise volonté du conducteur me faisait lui hurler dessus toutes les cinq minutes !

Puis, le 4 cylindres placé à l’arrière hoqueta deux fois et se tut définitivement !

Le temps de penser : « ça empestera moins l’essence » , je me penchais vers l’australopithèque qui me servait de chauffeur.

Qu’est-ce que t’as encore foutu?

Moi rien chef,

Yep, comme d’hab, il avait rien fait , c’était d’ailleurs sa sempiternelle et unique réponse : « j’ai rien fait » .

Cessant d’écouter RFI le tireur commença à tripoter la radio pour prévenir le camp Lemonnier ou nous étions hébergés par les légionnaires de la 13è dble. La chaleur augmentant j’ouvrais les deux portières latérales quand commencèrent les embrouilles usuelles à l’Afrique. La routine. Le gendarme Djiboutien tapa deux fois la tôle du blindé et dans son plus beau français :  « ben panne en plein marché c’est pas gagné tranquillité chef ! »

J’émergeais complètement de la tourelle, une cohue indescriptible régnait autour de nous. L’ AML,  ce putain de blindé léger, venait de nous lâcher en pleine place du marché Rimbaud. Je me demandais comment j’allais convaincre le gendarme de nous tenir compagnie le temps que le gmc de dépannage se pointe .

« ZAM ZAM »

Comme le bruit d’une marée, ça venait des ruelles «les caisses ».

Ça venait de derrière la mosquée Hamoudi et de bien plus loin vers Einguéla : quartier qui nous était déconseillé depuis l’affaire du car de Loyada en février dernier.

« Zam zam » !  Je regardais le gendarme qui tergiversait..

Du coin de l’œil je voyais les marchands de tissus et de fripes décaniller fissa. Ils ont quand même pas peur de nous !

On est 3 malheureux troufions blancs et deux gendarmes Djiboutiens .

Et ce bruit « zam zam » ….

Nerveux, le gendarme djiboutien a marmonné: « les Éthiopiens ! C’est pas bon chef, c’est pas bon. »

Le rapport ? La Somalie est à 20/30 bornes de là et les Éthiopiens, à part le train journalier Addis Abéba- Djibouti, je voyais pas le rapport. Au contraire le Qat arrivant par ce train,  plus il y en avait plus les Afars se tenaient peinards.

Il y avait des mouvements sporadiques sans arrêt;  parfois une bagarre interconfessionnelle démarrait, pour une fille  ,un regard,   un emplacement du marché : Danakil, Afars, Issas, Ethiopiens s’étripaient pour un rien! En général la gendarmerie locale les mettaient d’accord en tirant indistinctement dans le tas !

Bien que les mœurs coloniales fussent en train de s’estomper à l’époque, l’évocation ou le souvenir d’une intervention de la Légion suffisait a éviter que les gendarmes locaux ne soient débordés. “Zam zam” , la sueur me coulait sur le front et dans les yeux. Puis la foule a déboulé à l’autre bout de la place,  pilant net à la vue du blindé : manifestement ils ne s’attendaient pas à voir si tôt une démonstration de force !

Yep, je me suis dis, question démonstration de force,  la marée humaine vas charrier cet îlot de métal, «  le blindé », comme un gravier. Le problème est que je suis dedans et que ça les gênera pas plus que ça !

Zam zam” ! À travers les jumelles ils avaient l’air encore plus en colère, levant le poing, un ou deux drapeaux je ne voyais pas trop quoi, sûrement un truc d’indépendance ou un autre lié à l’islam

Ça hurlait en arabe djiboutien, mais surtout en somali, des slogans où Allah revenait en boucle !!.

Le radio a sortit la tête :  « ça y est chef … ‘sont en route pour le dépannage ». Découvrant l’émeute :

« Merde on a juste nos PA »  .

« On n’a rien, a- je dit .

Surtout pas de conneries, tu bouges pas , et dis à l’autre idiot de pas noyer le moteur en essayant de redémarrer ! »

Cherchant des yeux le gendarme djiboutien, je l’aperçus bouche bée,  me montrant une jeep remontant vers nous et à laquelle nous dissimulions la foule. A son bord deux officiers de marine tout pimpants dans leur uniforme blanc.. Assise à l’arrière, bien droite, presque hiératique, une des plus belles femmes que j’ai jamais vue dans la corne de l’Afrique. Des années plus tard, Naomi Campbell au temps de sa splendeur, me la rappela. Vêtue et couverte intégralement, elle portait un Shalma vert /orange,  ce tissu dont seules les femmes de cette région savent se draper et protéger leur décence. Je pensais à une «  nounou » pour enfant d’officiers supérieurs, voire une gouvernante de maison de maître. Pas un geste,  pas un regard, pas un signe, aucune familiarité ne transparaissait entre elle et les deux officiers de la Royale. Ils continuèrent tout droit vers la foule, ralentirent puis, faisant demi tour …..

L’impensable ……!

S’arrêtant,  le conducteur fit signe à la fille de descendre, elle sembla hésiter puis très dignement, rassemblant sa tenue, elle descendit et commença à revenir vers nous. Le gendarme,  marmonnant  « ça va faire vilain », commença à s’éloigner comme pressé vers quelque tache urgente. Dehors la foule redoublait de hurlements,  j’entendais provenir du fond du blindé des « c’est la merde c’est la merde » ponctués par le claquement des portières que l’on verrouillait nerveusement. La fille, marchant dos à la foule, avait presque traversé la place quand un cri a semblé la heurter entre les omoplates.  J’entendais des mots comme » kabash »!!et « roumi » !!! Le radio qui regardait par l’épiscope me dit : « pas bon,  ils la traitent de pute ! »

Nous connaissions celles du pouf des légionnaires, y avait pas photo, c’en était pas une.  J’ai voulu lui faire signe d’accélérer le pas, déjà la jeep avait disparu dans l’autre sens. Quand soudain,  de la foule a surgi comme une farandole composée de jeunes hommes. Le tentacule humain l’a happée et, comme en la portant, l’a ramenée dans la foule

Elle eut comme un petit cri “ahaïe”!! .

Je suis sûr que j’ai vu comme un éclair argenté dans l’air au dessus de son voile.

J’ai cligné les yeux et je crois que j’ai vomi par-dessus le blindé,  malade, impuissant,  mort de honte et de peur …..

La foule était comme hystérique;  à tout instant je m’attendais à ce qu’elle tourne son attention vers nous. Mais une fumée noire s’est élevée dans la foule qui s’est écartée. Un pneu ! ils brûlent un pneu ai-je pensé ; mon poing me faisait souffrir, je cognais depuis 10 mn sur la tôle du blindé ! Un dernier coup plus fort a du faire croire au conducteur que j’ordonnais d’essayer un démarrage ! Obtempérant il fut aussi surpris que moi d’entendre le moteur vrombir et cracher de la fumée. Embrayant, il fit pivoter le blindé.  J’ai hurlé : »Tirons nous !! » Ma dernière vision de la place du marché fut un amas noir duquel dépassé un bout de tissu vert-orange.

Zam zam faisait la foule, zam zam …….

Asinus ne varietur

PS: ainsi se clôt le chapitre africain « de toute la nuit je fais la nuit »

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13 Commentaires
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Léon
Léon
25 octobre 2013 10 h 04 min

Je ne sais d’où cela vient mais ce texte m’a pris aux tripes. As-tu eu une explication, Asinus, de ce qui s’est passé ? Et que veut dire zam zam ?

Cosette
Cosette
25 octobre 2013 12 h 15 min
Reply to  Léon

Zam zam ? les cris de la foule.

Zamzam c’est aussi une source (miraculeuse) d’un puits à la Mecque (voir page wiki)

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
25 octobre 2013 12 h 39 min

Peut-être plus proche de « l’apparition » d’Asinus

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
25 octobre 2013 13 h 03 min

Un blog au hasard
N’oublions pas que Disons a fonction d’édification à l’égard des quantiques défenseurs de patrimoine.
Le genre de relations festives entre Afars et Danakils qui , selon eux, devrait être inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO
.
N’oublions jamais que dans son apostolat la Mosquée d’à coté est allée jusqu’à défendre toutes les cultures

Cosette
Cosette
25 octobre 2013 18 h 38 min
Reply to  D. Furtif

Faut pas trop traîner, surtout les messieurs, vers Awash Station… 😯 sans conteste l’un des points chauds des chasseurs de testicules

Le supplice du pneu serait né en Afrique du Sud, d’après wiki, pour punir les traîtres à l’Anc, accusés d’être impliqués dans les opérations de répression.

Le pire c’est que cette abomination se répand. Dans les années 80 il apparaît à Haïti, et au Mali dans les années 90. Au Guatemala des voleurs d’enfants et des violeurs auraient subit le « supplice du père Lebrun » appellation haïtienne.

snoopy86
Membre
snoopy86
25 octobre 2013 13 h 58 min

Dire qu’il y a des cons pour critiquer Asinus le « bac moins 5 »

Pas besoin d’être « éduqué » pour avoir du talent et savoir restituer l’émotion

Chapeau au vieux hussard !

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
25 octobre 2013 21 h 20 min

B’soir Asinus
Pour moi cette région
C’est d’abord Rimbaud le grand échalas qu’on voit sur les photos
Un copain prof de maths qui a fait son service militaire à Djibouti ( volontairement!!! pour y faire de la plongée)
Il y a aussi l’incroyable coïncidence de la mort du comédien le 12 octobre qui jouait dans un feuilleton télévisé en y incarnant le personnage de Monfreid.
On y montrait la sauvagerie inouïe des peuples de cette région.
Cet aventurier trafiquant et ,on le découvrira plus tard ,faussaire, est venu mourir près de chez moi non sans avoir pendant des années pratiqué une agriculture « exotique »

snoopy86
Membre
snoopy86
25 octobre 2013 23 h 38 min

J’y suis passé, avant l’indépendance. Pays de merde, ville de merde où beaucoup de militaires appréciaient le complément de solde et les annuités supplémentaires …

Aujourd’hui, ils se sont jetés dans les bras des américains et des émirats …

Et nous crachent volontiers à la gueule ..

Léon
Léon
26 octobre 2013 6 h 52 min

Khoment ? Mais tous les humains sont frères et sa valent en tout (Commandement quantique n°1)

Cosette
Cosette
2 novembre 2013 0 h 11 min

DJIBOUTI. TADJOURAH

Il y a 900 ans (VIIIe siècle?) racontaient certains Danakils vers 1890 à certains voyageurs européens, le sultan Siria envoyé de Sana par le shérif de la Mecque* pour propager l’islamisme débarque avec ses troupes à Berterab, alors occupé par les Gallas. (aux VIIe et VIIIe siècles, Sanaa est devenue un important centre de propagation de l’islam). Siria et ses troupes ravagèrent la région, et ne promit d’épargner que les habitants qui se convertiraient à sa religion musulmane. Ceux qui refusèrent furent sacrifiés ou réduit à l’esclavage. Ses 3000 guerriers s’allièrent avec les Gallas convertis et formèrent la tribu qu’on appela Somalis, somali voulant dire conversion. Siria poursuivit sa mission en remontant jusqu’à Harrar, passa à Laoussa et descendit jusqu’à Beiloul. Partout où il passa il nomma des chefs qui donnèrent leurs noms à leurs tribus: les Issa, Guadiboursi, Aberouel, Medjirtine. Après le départ de Siria, les Gallas convertis envahirent les pays occupés par les Danakils.

*Shérif de la Mecque ? de 967 à 980 inconnus 🙄 j’adore cette page. Aucune référence demandée, aucun document pour étayer les données, c’est carrément surréaliste! et aucune discussion 😯 faut croire picétout.

– – – bref passons au XXe

Pour ceux que ça intéresse, ce film qui retrace l’Histoire de l’Afrique du XXe siècle. En 4 parties de 1h30. C’est pas mal.

ACTE 1 (1885 – 1944)
ACTE 2 (1945 – 1964)
ACTE 3 (1965 – 1989)
ACTE 4 (1990 – 2010)

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
6 décembre 2018 13 h 55 min
Reply to  Cosette

Les premiers visiteurs « officiels » de l’Abyssinie furent des compagnons de Muhammad qui durant la période d’exil à Médine avant reconquête de La Mecque , y trouvèrent refuge.
.
la Légende nous apprend que les liens inter Mer rouge existe depuis longtemps…
ils sont une réponse à la domination Greco Byzantine par le Nord et Perse pour toute la cote Sud de l’Arabie…
Le vrai Noeud de contact est l’île de SOCOTRA
.
.

        1. Extrait de Wiki

          Socotra partage l’histoire de l’Arabie du Sud.

          Selon Edresi, géographe arabe du XIIe siècle, Alexandre le Grand, incité par Aristote, y aurait installé une colonie ionienne après avoir conquis l’Égypte2.

          Dans Le Périple de la mer Érythrée datant du Ier siècle, l’île est nommée Dioscoride (Dioscoridis Insula, signifiant en koinè île des Dioscures). Elle est décrite comme grande, semi-déserte et marécageuse, et possédant quelques rivières. La faune est composée de serpents, de grands lézards et de tortues. Ses habitants, chrétiens nestoriens, sont un mélange d’Arabes, de Grecs et d’Indiens, pêcheurs et marins. Ils sont peu nombreux et vivent sur la côte septentrionale. Des ermites vivent dans les haghiers (creux dans le grès) du sud de l’île3.

          Vers 520, les Byzantins vont aménager un port de commerce pour faire des échanges commerciaux avec l’Inde, et ainsi contourner l’empire Perse, le grand ennemi des Byzantins depuis plusieurs siècles. Si l’archipel de Socotra était très fréquenté par les Byzantins, il ne ferra jamais parti de l’empire Byzantin, car l’archipel, majoritairement Chrétien (Nestoriens) était sous influence d’un état princier, alors majoritairement Chrétien du Yémen, et ayant des relations avec Byzance.

          Avant l’expansion de l’islam en 639, l’île est un comptoir égypto-byzantin4 qui commerce avec les chrétiens de Kerala, en Inde.

          Après 639, son histoire est celle de l’Arabie méridionale. Elle devient une escale des boutres arabes en route vers la côte orientale de l’Afrique.

On y trouve le Dragonnier

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
6 décembre 2018 14 h 42 min
Reply to  Cosette

Causette tes 4 derniers liens sont morts…
N’aurais-tu pas le moyen de les réactiver?
Ou de m’aider à le faire.