Que faut-il faire pour vendre à la Chine.?(1)

CiXi

Pourquoi l’image d’une Chine empêtrée et prisonnière de son déclin immuable s’est-elle inscrite, figée et transmise jusqu’à nous ? À y regarder de près c’est plutôt notre ignorance et le paradoxe d’une Chine du XVIIIè siècle puissante et prospère basculant dans la routine et le désastre que nous devrions transmettre et analyser.

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Quel naufrage ?De quand date-t-il ? Quelles en sont les causes ?

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Considérations générales

Au tournant XIXè siècle, c’en est fini de l’isolement séculaire. Le Monde est clos comme tout le monde , la Chine ne peut plus se permettre d’avoir tort seule, la planète n’offre plus de refuge lointain où faire en paix ses expériences…ou, oublier sans dommage de les faire. De nouveaux spectateurs attentifs sont là pour en profiter, voire en abuser. C’en est fini de l’isolement protecteur. La supériorité chinoise acquise sur l’Asie avec

Chine au XVIIIè siècle

un acharnement parfois coûteux et sanglant n’est plus d’aucun secours .L’empire du Milieu est désormais confronté à une périphérie qu’il n’avait même pas imaginée et dont il se souciait comme d’une guigne.

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À la charnière des années 1800

Après une expansion quasi continue de 8 siècles ( depuis les Song) ce qui pourrait paraître comme une pause pour souffler et récupérer des efforts passés se transforme en une pernicieuse léthargie, devient un arrêt et un déclin. Oui mais.

Au même moment l’Europe développe ses sciences expérimentales et ses premières entreprises industrielles .

Bof … c’est loin l’Europe.

C’est vrai mais….Ce contraste est à l’origine du cliché d’une Chine en retard.

Pourtant la Chine du XVIIIè est un pays/continent prospère, grand exportateur de produits de luxe, aux techniques comparables sinon supérieures  en agriculture , tissage et sidérurgie, à celles de l’Europe. Alors pourquoi ce contraste avec le XIXè siècle ? On a pu estimer que sur les 400 millions de dollars d’argent d’Amérique latine importés en Europe entre 1571 et 1821 la moitié avait servi à l’achat de produits chinois ( thés, soieries, porcelaines, laques etc…)

Adam Smith nous dit dans sa « Richesse des Nations 1776  » que le marché intérieur chinois est au moins égal à celui de tous les pays d’Europe réunis. Mais….

1 Dollar 1840 ± 100 Euros actuels

Alors que des sommets ont été atteints en matière d’agriculture intensive , d’aménagements fluviaux, de creusements de canaux, de spécialisation et de division du travail à la fin du XVIIIè , les rendements de la riziculture stagnent et décroissent après 1800, incitant les populations à la mise en culture des hautes terres et à une déforestation génératrice d’inondations catastrophiques.

L’ingéniosité chinoise qui a inventé la courroie de transmission, la manivelle, le pédalier, l’excentrique , les prémices de l’automatisme se retrouve avec un main d’œuvre pléthorique qui rend superflue et inutile toute innovation. L’économie stagnante ne parvient plus à nourrir toute la population.

C’est en observant cette contradiction entre une activité économique incontestable et l’incapacité de modifier positivement ses rendements que le sinologue anglais Mark Elvin a inventé le concept de «  piège de l’équilibre à haut niveau »

Dit autrement en une formule : « Pourquoi faire mieux puisque ça nous suffit ».

Oui mais ……des joueurs nouveaux s’imposent à la table du poker économique mondial ( avec leur manières inconnues de biseauter les cartes) Ces nouveaux joueurs introduisent des bouleversements et des déchirements gigantesques L’effroyable  XIXè siècle chinois y trouvent ses racines.

Après avoir chassé la dernière dynastie chinoise les cavaliers venus du Nord installent un  Régime Sino-Mandchou ,  en 1644, avec le choix de réserver les pouvoirs militaires aux Mandchous aidés de leurs alliés et les pouvoirs civils aux Chinois. Longtemps valide et riche de succès, le système s’affaiblit et s’écroule à la fin du siècle.

Un nouveau Contexte

Un tout petit fait qui change la donne et l’époque. L’ancien monde s’écroule.

L’ambassade de Lord Mac Cartney en Chine. Par Æneas Anderson 14 septembre 1793

« En trois mots voici notre histoire : nous entrâmes à Pékin comme des mendiants, nous y séjournâmes comme des prisonniers et nous en sortîmes

Mac Cartney ambassade

comme des voleurs. »

Rien de tonitruant et pourtant, durant ces quelques heures, un cataclysme à la dimension de la chute de Constantinople fit passer l’Histoire du Monde de l’ère Moderne à l’ère Contemporaine ,comme la prise de Constantinople par les Turcs nous avait fait quitté le Moyen Âge. Le géant Chinois est importuné par la visite du moucheron britannique. Il le chasse comme un moucheron . Ils en sortiront fâchés touts deux.

Le 14 septembre 1793, dans son campement de Jehol (aujourd’hui Chengde), aux limites de la Mandchourie, où il a coutume de passer l’été, l’empereur Qialong s’apprête à recevoir quelques ambassades de tributaires. Parmi eux des Kalmouks venus de la Volga, des Mongols ou encore des Birmans et quelques chiens puants d’occidentaux.

Malgré tous les efforts de prestance et de recherche vestimentaire des Britanniques pour donner de l’éclat et du prestige à leur ambassade elle fut reçue comme assez pitoyable par les chinois à qui on ne la faisait pas sur le terrain de la splendeur et du « bling bling » Se vêtir en habits de cérémonies avec des habits prévus à cet effet tourna même au désastre et les chinois ne se privèrent pas de le faire sentir.

Pourquoi le vénérable empereur (83 ans) aurait-il fait attention à une ambassade inédite, venue de la lointaine Angleterre et conduite par sir George Macartney ? . À la différence des autres délégations, celle-ci tint résolument à s’abstenir de la prosternation rituelle, le kotow, qui implique de se pencher plusieurs fois jusqu’à toucher le sol du front. L’Anglais est prêt à tout mais la prosternation : pas question. Mais pourquoi sont-ils là???À Rome fait comme les Romains ! Les demandes pressantes des mandarins du protocole n’y purent rien . Non c’est non pas de Kotow.

Aux mandarins qui vont chaperonner l’ambassade jusqu’au terme de la mission, Macartney présente les nombreux cadeaux destinés à l’empereur, parmi lesquels un planétaire et d’autres instruments scientifiques destinés à démontrer l’avance de l’Angleterre. Mais, faute de goût, l’ambassadeur insiste lourdement sur la valeur de ses cadeaux, au lieu d’en rabaisser l’importance pour éviter d’humilier celui à qui ils sont destinés. Pour les fils du Ciel cette faute de la part de barbares ignorant les usages raffinés d’une cour plusieurs fois millénaire , n’est rien en regard de son refus, dès le début, de procéder au fameux kotow. Tandis que la masse des courtisans et les autres ambassadeurs se prosternent aussitôt, accomplissant le kotow, les Anglais se contentent d’une génuflexion, au grand scandale de l’assemblée.

Selon les règles de la diplomatie chinoise, les envoyés étrangers ne pouvaient venir dans l’Empire du milieu que dans le seul but : celui de rendre allégeance à l’empereur. L’idée de relations diplomatiques sur un pied d’égalité était inconnue des Chinois et leur paraissait totalement incongrue . Mac Cartney refusa de se présenter devant l’empereur en faisant le salut traditionnel . Cette profonde courbette diplomatique aurait signifié pour lui un lien de subordination du roi d’Angleterre.

Et c’est bien ainsi que l’on était reçu à la cour impériale depuis toujours .

Dans un climat de froideur outragée les cadeaux diplomatiques furent méprisés de part et d’autre : les Chinois se froissèrent de la petite étendue de la Chine sur un globe terrestre et Mac Cartney traita un bijou en jade de pierre sans valeur.

L’ambassade diplomatique se soldait par un échec complet , la mission commerciale par un fiasco . On n’était pas de taille à rouler les Chinois maîtres depuis 2000 ans de toutes les astuces infinies et toutes les machiavéliques roueries L’idée que la Chine pouvait avoir besoin des marchandises anglaises provoqua des ricanements moqueurs à la cour impériale. Les honorables fils du ciel se permirent même une franche rigolade en exigeant le prompt départ de tous ces malappris.

Au retour, c’en est fini de la «Sinomania» du Siècle des Lumières. C’en est fini du forcément bon sauvage, du Persan philosophe avec qui on pouvait débattre d’égal à égal de l’ordre du monde.

Refuser la libre circulation des marchandises : quelle barbarie . Il n’y a que des Chinois ou des Corses pour avoir de telles idées !

Nous sommes à l’instant précis où l’occident invente une nouvelle catégorie psycho esthétique qui allie sa dose de mépris au goût de la découverte : l’exotisme. Nos couches aisées n’en sont pas remises à ce jour. On ne veut plus voir en dynastie qui règne à Pékin qu’une autocratie arriérée et brutale, qu’il importe de réformer, au besoin par la force.

 

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REVUE DES DEUX MONDES -132

Alain Peyrefitte,le Tocqueville du XXe siècle

En poste en Pologne, Peyrefitte avait découvert le récit de l’ambassade de Macartney en Chine (1793) – première tentative pour établir des liens commerciaux entre la petite Angleterre (huit millions d’habitants) et l’immense empire (trois cent trente millions de Chinois) de l’époque. La tentative avait tourné court, parce que
l’ambassadeur de Sa Majesté britannique avait refusé de se prosterner neuf fois face contre terre devant l’empereur. Il avait refusé le kotow – faute impardonnable ! La Chine allait le payer cher : moins d’un siècle plus tard, les Européens vont prendre à coups de canon les ports du continent, provoquant ainsi la ruine d’un empire hier tout-puissant.

( Petit aparté: vous aurez noté la judicieuse référence à une revue à la mode)

L’ambassade ne fut donc qu’un flop , une déception mais aussi une bonne occasion idéologique pour une puissance qui avait décidé de baptiser : Liberté : la défense de ses intérêts et Tyrannie réactionnaire : tout ce qui pourrait lui faire obstacle.

L’Angleterre se trouvait justement en plein affrontement militaire avec un de ces obstacles en Europe. La Dynastie Mandchoue aurait dû se méfier et y regarder à deux fois avant de provoquer le Lion britannique. Mais tout assurée de la tranquillité de sa force et plongée dans une léthargie dangereuse elle ne voyait rien et ne se préoccupait pas de ces insectes .

La couronne britannique avait quelques détails à régler. Les guerres de la Révolution et de l’Empire napoléonien, lui permirent de se débarrasser du seul concurrent qui lui faisait de l’ombre. En même temps elle en profita pour rassembler les conditions techniques et militaires qui bientôt tout au bout du Monde feraient la différence de manière foudroyante et incontestable.

En 1815, après avoir enfermé Napoléon à Sainte Hélène, la Compagnie anglaise des Indes Orientales est revenue, toute et seule puissante, commercer en Asie : elle fonde d’abord Singapour en 1819. Elle prospère en Inde, puis vient frapper à la porte de la Chine pour vendre son textile et sa quincaille à des prix imbattables. « On vous a rien demandé »  rétorquent les Célestes.

Nous le savons déjà : la Chine, protectionniste, refuse le libre-échange. Grave problème pour les goddons : ils consomment tellement de thé  que leur balance commerciale coule à pic. Il y aurait bien la solution de vendre aux Chinois un truc sans grand avenir…… sauf que ….mais ……oui c’est bien sûr …Les couches supérieures chinoises en  semblent très friandes : l’Opium. Ça les met dans un état de léthargie béate , de totale indifférence coïncidant avec leur idéologie contemplative de gros richards revenus de tout. Insensibles et hors d’atteinte, ils deviennent peu à peu de véritables loques séniles. Qu’importe , ils ont les moyens  et sont prêts à toutes les corruptions pour s’en procurer. C’est comme ça que les élites dirigeantes chinoises partent en eau de boudin sapant le fragile édifice d’un état impérial qui n’a qu’elles pour faire régner l’ordre et faire rentrer la finance de toute cette immensité.

240 roupies la caisse en Inde => 2400 roupies en Chine .

C’est un pactole à ne pas laisser passer

Alors que la balance des échanges anglo-chinois accuse un déficit de 10 millions de liang d’argent entre 1800 et 1820 , la période de 1831 à 1833 voit les Anglais faire un bénéfice de + 10 millions.

Après l’unification du pays réalisée par la dynastie Qin ( Mandchoue ) s’imposent les pièces rondes présentant un trou central de forme carrée (« Ban Liang » dont le nom fait référence à son poids, de 7,5 grammes).

Une autre source assure que  

Ce qui attend la Chine

 Le liang correspond à un poids d’argent variable. (37 g environ) et 1 liang = 1 000 sapèque (en cuivre).

La monnaie d’argent se raréfie en Chine, la valeur augmente au détriment de la monnaie en cuivre. L’inflation monte

Avant 1820, 1 liang = 1 000 sapèques

En 1845, 1 liang = 2 200 sapèques.

 

 

Ça ne peut pas durer c’est le trésor impérial qui est touché et pas que lui. Des réseaux mafieux de fonctionnaires corrompus se multiplient dans tout l’Empire. En 1839 l’Empereur confie à un haut commissaire la responsabilité de la lutte contre cette « vulgaire saleté venue de l’étranger ».

Il a choisi la bonne personne…..

=> =>à venir la guerre de l’Opium=>

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Lapa
Administrateur
Lapa
19 février 2017 20 h 02 min

C’est Cixi Impératrice!

merci pour ce bout d’histoire ma foi fort passionnante

Dora
Membre
Dora
24 février 2017 12 h 23 min

Comment les Chinois qui avaient interdit la production du cannabis (cultivé en Inde également depuis des millénaires) après en avoir observé les effets délétères sur le peuple ont pu se laisser berner par les Anglais avec l’opium?

Dora
Membre
Dora
24 février 2017 12 h 53 min
Reply to  Dora

Histoire de l’opium

Dora
Membre
Dora
24 février 2017 12 h 35 min

Merci Furtif pour ce voyage dans un fragment de l’histoire de la Chine. Lorsque j’évoque la possibilité pour le Maroc et les Etats arabes d’en faire de même avec la France, on me rit au nez. Or aujourd’hui, les gamins de 12-13 ans proposent non seulement du cannabis mais aussi l’héroïne ou la cocaïne. Les pétages de plomb et ennuis de santé graves chez les cadres de haut niveau sont fréquents au bout d’une dizaine d’années d’usage, comme chez Jean-Luc Delarue.