Aujourd’hui je suis fier. Je peux me regarder dans la glace sans y voir l’image d’un salaud. Oui, aujourd’hui je deviens membre du cercle des gens bien.
J’ai acheté un vélo.
Oui j’habite en ville et j’ai acheté un vélo. Mais attention, pas n’importe lequel. Non, pas un truc de grande enseigne fabriqué par des mineurs asiatiques. Un machin de marque made in France, sans cheval à l’intérieur. Double ration de félicitations. Montebourg ne devrait pas tarder à venir me décorer.
J’ai enfourché l’appareil que le vendeur a parfaitement ajusté à ma taille et je me suis senti revivre. Ah déambuler en ville avec pour seul bilan carbone ce qui sort des poumons, quelle satisfaction! On a tellement gueulé sur ces connards d’automobilistes qui veulent rouler à plus de 30 en ville et sont responsables de la disparition des neiges du Kilimandjaro, et éventuellement de quelques milliers de morts par an… Je déambule donc en mode circulation douce (c’est un néologisme pour dire tout sauf bagnole et moto, le bus ça compte pas). Et comme je suis devenu tout à coup un éco citoyen, éco responsable, je me sens libéré d’un lourd fardeau, celui du poids de la culpabilité sans doute.
Il faut dire que dans ma ville, tout est fait pour que les cyclistes soient les rois. Pistes cyclables foisonnantes, signalisation à tire larigot, parkings… Il y a même, à chaque panneau d’interdiction, un petit panonceau où il est écrit « sauf velo » qui annonce que les sens interdits et autres ne me concernent absolument plus. Le type qui a fabriqué ces éléments doit être milliardaire je pense, peut être pote avec le maire, qui sait?
Devant l’école du quartier, la peinture au sol signalant la sortie d’enfants a été remplacée par des peinturlurages signalant des files pour vélos. C’est d’ailleurs une des rares écoles où le panneau triangulaire réglementaire est placé… après l’entrée. Vos gamins on s’en tape, ce qui compte c’est que le cycliste, lui, se sente à l’aise.
Mais il faut reconnaître qu’il y a des efforts encore à faire. L’habitude de cyclotouriste de campagne ne prépare en rien à la jungle urbaine et ses codes. A vrai dire, je suis encore jeune (bon, on dit défraîchie pour une femme et dans la force de l’âge pour un homme), et je sais faire du vélo, mais il faut reconnaître que l’apprentissage est loin d’être aisé. J’imagine les personnes plus âgées, ceux aussi qui ne savent pas lâcher le guidon pour indiquer qu’ils tournent sous peine de se vautrer, ceux qui ont du mal à voir les petits pièges des rues, qui sont vissés avec les écouteurs sur les oreilles ou qui ont picolé... je me dis qu’on laisse avec une grande insouciance tout ce public atteindre des vitesses non innocentes avec des éléments mécaniques… et que la cohabitation n’est jamais sans risque.
Car il faut bien admettre qu’à vouloir favoriser les modes de circulation douce, on arrive à des trucs assez délirants. Des pistes cyclables qui passent du bitume de la route au dallage du trottoirs d’un seul coup. Des carrefours avec 6 stops, des signalisations de chaussée différentes (par clous chics dans les quartiers chics, de la peinture rouge quand ça été refait et des couloirs à contresens avec juste une flèche blanche là où une piste ne s’y prête pas du tout mais (c’est très incorrect de le faire remarquer...). Du coup le piéton ne sait plus où aller sur le trottoir. Je me souviens à Paris, lors de la géniale réfection du boulevard Magenta mis sur une seule file, ce qui permettait l’exploit quand on tentait( ahhh c’était toi?) un créneau vers République de faire bouchonner jusqu’à Barbes, que les pistes cyclables passaient là où le piéton attend pour traverser. Et que plusieurs fois j’ai failli me prendre un eco citoyen, c’est à dire 100 kilos à 40 km/h(1), en pleine tête, en plus des insultes.
Bon bah là c’est pareil. En plus certaines pistes sur le trottoir sont matérialisées par un petit décrochement avec rebord. Ce qui est un véritable nid à entorses pour les piétons (les kiné vous disent merci), et très casse gueule pour les cyclistes débutants qui les frôlent.
Mais il y a les pièges ultimes qu’on apprend que par expérience: les passages piétons blancs glissants comme une patinoire dès qu’il pleut, les rails du tramway qui sont des pièges à roues terribles, les joints des voies de tram qui vous envoient dans le décor si votre roue est trop parallèle… dur dur la nouvelle circulation urbaine…
Alors beaucoup de ces nouveaux cyclistes ont succombé à la mode du « moutain bike ». Ils vont en ville à vélo avec des suspensions et autres fourches télescopiques qui permettraient de faire des trials en montagne. Des pneus extra large avec sculpture neige (on sait jamais, malgré le réchauffement climatique, dès fois qu’il neige au mois d’Août). Bref, on connaissait la blondasse en 4×4 pour faire les courses en ville et monter les trottoirs, et bien on a les écocitoyens en vélo de compétition tout terrain pour dompter l’urbain. Tout cela ne serait pas si grave si un rapide comptage par une fin d’après midi d’hiver ne montrait que 9 vélos sur 10 n’ont strictement aucun système d’éclairage opérationnel et se trouvent donc totalement invisibles avec la nuit qui tombe et les phares des voitures (mais mon vélo Montebourien(qui presse) possède une dynamo, lui!).
Ce soir, je vais sortir honteusement du cercle des gens biens pour redevenir un indécrottable connard qui roule en diesel, histoire d’emmener sereinement les enfants au sport en traversant les giboulées. Mais promis, dès qu’il fera beau…
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(1) pour les amoureux de la physique cela fait une énergie cinétique de plus de 6000 J soit l’équivalent de l’impact d’une voiture roulant à 15km/h si mon rapide calcul est exact.
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😆 😆 😆 😆
On sent le vécu, là….
Il faut contourner les menus tracas Lapa, pense aux neiges éternelles et autres ours blancs.
C’est de tout mon coeur que je t’offre la solution.
Ah, te voilà donc membre de la grande confrérie du bobo écolo, la plus consumériste de toutes. Pour chaque moment du quotidien un bien différent et adapté dans le plus grand et strict respect de Gaïa.
Gloire à Gaïa!
La deuxième photo illustrant cet article est scandaleuse et constitue une atteinte indéniable à l’intimité d’un vénérable agrégé de philo retraité
Le juge Gentil a été saisi de l’affaire par Maître Mignard
J’aurais dit la 4è …
Car l’illustration N°2 ( soigneusement choisie pour sa pertinence symbolique et politique en accord avec le Nartic) montre le parcours précis d’ycelui dont au sujet duquel tu parles = à droite toute
Il faut reconnaître que le vélo a eu l’avantage de ne plus me faire prendre… les transports en commun, exit tram et bus. 😀
Bonjour Lapa bonjour à tous
Le vélo made in France comme une célèbre marque de clopes ! olé!
la blondasse en 4×4 🙄 c’est dans quel quartier? moi je vois surtout des hommes au volant de ces grosses bagnoles. D’ailleurs ces engins leur servent surtout pour aller à la banque, à la bijouterie ou au magasin de sport, etc.
Dans arpenter les rues de notre magnifique capitale que le monde entier nous envie rien ne vaut la marche à pieds.
la blondasse en 4×4 c’est so Parisien, so trendy pour éviter d’avoir à faire un créneau devant les magasins! les cadres branchés maintenant ils vont en scooter!