Novembre pour mes deux Henri
Ne pas effacer . J’ai le souvenir de cette inscription laissée au tableau par un Instit qui n’avait pas fini ….et qui souhaitait continuer à transmettre. Il avait surement tant à dire et à ne pas oublier …
Engourdi dans mon 4è age , je m’agite comme oppressé par la même exigence intérieure. Ne pas effacer . Comme un message qui n’aurait pas été délivré, pas lu , pas reconnu. Oh pas de fausse angoisse ! Ce cri n’est pas le mien , il vient de si loin et je n’en suis que le dépositaire. Il me vient de jeunes hommes qui l’ont poussé l’un il y a 92 ans et l’autre 82 ans ….peut-être. Rien n’a été plus construit que cet incertain…. Ces cris ont en commun d’avoir été enseveli dans la même chape de silence , accumulée pelletée après pelletée par tous ceux qui les avaient connus, côtoyés, entendus . On n’en parlait pas , on n’en disait rien . Bien plus tard , bien après … Comme tous les enfants j’allais bien tous les ans à cette curieuse cérémonie de salut en silence devant une pierre gravée de noms inconnus…Mais les deux , les miens, qui avaient échappé au ciseau du graveur, qui en étaient sortis vivants et qui ne viendraient jamais poser leur nom au bas de cette interminable liste .
Rien , on ne m’en dirait jamais rien

Ni ma mère ni mon père, qui pourtant ne s’entendaient sur rien . Pas un ne rompit le pacte. Combien de questions répétées , combien d’insistances accueillies par des rebuffades , des pas le temps ou des baffes…Ce fut pour une « toute particulière » une bonne occasion de distribuer des baffes . Alors ?
Alors il me restait le contournement: par les cousins les voisins . J’en découvris qui les avaient connus mais….il me fallut bien convenir qu’ils avaient reçu la consigne. Qu’avaient-ils donc fait ces deux gars pour faire l’objet de cette entreprise d’éradication collective. Auraient-ils été gangsters qu’ils n’auraient pas été plus ignorés, rejetés , désavoués! Comment rompre en la franchissant cette immense étendue de silence, cette muraille d’oubli bâtie pierre à pierre avec cet acharnement de regards vers autre chose.
Ou bien ? … Avaient-ils , imprégnés par tant de sauvagerie ,par tant de malheur? Avaient-ils déteint sur un entourage que l’entreprise collective d’effacement fut comme une œuvre de salubrité, une nécessité de survie. La mémoire aurait-elle une fonction d’hygiène ? Va savoir. Les déchirures d’âmes ça s’attrape . Et inconsciemment on se retrouve tout heureux non pas d’en être débarrassé mais,…. dans une confusion inavouable : d’y avoir échapper.
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