C’est en abandonnant la lecture d’un roman sans intérêt que je me suis fait la réflexion que, décidément l’écriture était difficile. Comment en faire prendre conscience ? Sans doute en comparant les manières de grands écrivains de traiter un même sujet.
Mais lequel choisir, dont on puisse être à peu près sûr qu’il ait été abordé par tous ? la description d’une ville, d’une belle femme, d’une maison, d’un voyage, d’un repas, d’une fête ?
J’ai finalement opté pour le coucher de soleil, thème tellement bateau qu’assurément il permettrait de mieux mettre en valeur le talent et la manière de chacun. La recherche sur Internet n’a pas été facile et n’a pas permis de trouver des textes en prose de certains auteurs qui auraient été indispensables, comme Balzac, Stendhal ou Victor Hugo.
Mais voici, malgré tout, six couchers et un lever de soleil de la littérature française.
E. Zola, (La Curée) :
« […] La nuit était presque venue ; un lent crépuscule tombait comme une cendre fine. Le lac, vu de face, dans le jour pâle qui traînait encore sur l’eau, s’arrondissait, pareil à une immense plaque d’étain ; aux deux bords, les bois d’arbres verts dont les troncs minces et droits semblent sortir de la nappe dormante, prenaient, à cette heure, des apparences de colonnades violâtres, dessinant de leur architecture régulière les courbes étudiées des rives ; puis, au fond, des massifs montaient, de grands feuillages confus, de larges taches noires fermaient l’horizon. Il y avait là, derrière ces taches, une lueur de braise, un coucher de soleil à demi-éteint qui n’enflammait qu’un bout de l’immensité grise. Au-dessus de ce lac immobile, de ces futaies basses, de ce point de vue si singulièrement plat, le creux du ciel s’ouvrait, infini, plus profond et plus large. Ce grand morceau de ciel, sur ce petit coin de nature, avait un frisson, une tristesse vague ; et il tombait de ces hauteurs pâlissantes une telle mélancolie d’automne, une nuit si douce et si navrée, que le Bois, peu à peu enveloppé dans un linceul d’ombre, perdait ses grâces mondaines, agrandi, tout plein du charme puissant des forêts. Le trot des équipages, dont les ténèbres éteignaient les couleurs vives, s’élevait, semblable à des voix lointaines de feuilles et d’eaux courantes. Tout allait en se mourant. »
Levi Strauss ( Tristes Tropiques )
« […] D’innombrables réseaux vaporeux surgirent dans le ciel; ils semblaient tendus dans tous les sens : horizontal, oblique, perpendiculaire et même spirale.
Les rayons du soleil, au fur et à mesure de leur déclin (tel un archet penché ou redressé pour effleurer des cordes différentes), en faisaient éclater successivement un, puis l’autre, dans une gamme de couleurs qu’on eût crue la propriété exclusive et arbitraire de chacun. Au moment de sa manifestation, chaque réseau offrait la netteté, la précision et la frêle rigidité du verre filé, mais peu à peu il se dissolvait, comme si sa matière surchauffée par une exposition dans un ciel tout empli de flammes, fonçant de couleur et perdant son individualité, s’étalait en nappe de plus en plus mince jusqu’à disparaître de la scène en démasquant un nouveau réseau fraîchement filé. A la fin, il n’y eut plus que des teintes confuses et se mêlant les unes aux autres; ainsi, dans une coupe, des liquides de couleurs et de densités différentes d’abord superposés, commencent lentement à se confondre malgré leur apparente stabilité. »
Céline (Voyage au bout de la nuit )
« Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux. On n’y coupait pas. Tragiques chaque fois comme d’énormes assassinats du soleil. Un immense chiqué. Seulement c’était beaucoup d’admiration pour un seul homme. Le ciel pendant une heure paradait tout giclé d’un bout à l’autre d’écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu des arbres et montait du sol en traînées tremblantes jusqu’aux premières étoiles. Après ça le gris reprenait tout l’horizon et puis le rouge encore, mais alors fatigué le rouge et pas pour longtemps. Ca se terminait ainsi. Toutes les couleurs retombaient en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux après la centième. Chaque jour sur les six heures exactement que ça se passait. »
Interligne
Jules Vernes : (Le Rayon Vert)
« Avez-vous quelquefois observé le soleil qui se couche sur un horizon de mer ? Oui ! sans doute. L’avez-vous suivi jusqu’au moment où, la partie supérieure de son disque effleurant la ligne d’eau, il va disparaître ? C’est très probable. Mais avez-vous remarqué le phénomène qui se produit à l’instant précis où l’astre radieux lance son dernier rayon, si le ciel, dégagé de brumes, est alors d’une pureté parfaite ? Non ! peut-être. Eh bien, la première fois que vous trouverez l’occasion, — elle se présente très rarement, — de faire cette observation, ce ne sera pas comme on pourrait le croire, un rayon rouge qui viendra frapper la rétine de votre œil, ce sera un rayon « vert », mais d’un vert merveilleux, d’un vert qu’aucun peintre ne peut obtenir sur sa palette, d’un vert dont la nature, ni dans la teinte si variée des végétaux, ni dans la couleur des mers les plus limpides, n’a jamais reproduit la nuance ! S’il y a du vert dans le Paradis, ce ne peut être que ce vert-là, qui est, sans doute, le vrai vert de l’Espérance ! » (Chap. III — L’article du « Morning Post. »)
Maupassant, ( Bel Ami)
« La nuit venait doucement, enveloppant d’ombre transparente, comme d’un crêpe léger, la grande campagne qui s’étendait à droite. Le train longeait la Seine, et les jeunes gens se mirent à regarder dans le fleuve, déroulé comme un large ruban de métal poli à côté de la voie, des reflets rouges, des taches tombées du ciel que le soleil en s’en allant avait frotté de pourpre et de feu. Ces lueurs s’éteignaient peu à peu, devenaient foncées, s’assombrissant tristement. Et la campagne se noyait dans le noir, avec ce frisson sinistre, ce frisson de mort que chaque crépuscule fait passer sur la terre. »
Interligne magique
Proust (Du Côté de Chez Swann)
« Là-bas, près de Balbec, près de ces lieux si sauvages, il y a une petite baie d’une douceur charmante où le coucher de soleil du pays d’Auge, le coucher de soleil rouge et or que je suis loin de dédaigner d’ailleurs, est sans caractère, insignifiant ; mais dans cette atmosphère humide et douce, s’épanouissent, le soir, de ces bouquets célestes, bleus et roses, qui sont incomparables et qui mettent souvent des heures à se faner. D’autres s’effeuillent tout de suite, et c’est alors plus beau encore de voir le ciel entier que jonche la dispersion d’innombrables pétales soufrés ou roses. Dans cette baie, dite d’opale, des plages d’or semblent plus douces encore pour être attachées, comme de blondes Andromèdes, à ces terribles rochers des côtes voisines, à ce rivage funèbre, fameux par tant de naufrages […]. »
Flaubert, (Madame Bovary)
« Les ombres du soir descendaient ; le soleil horizontal, passant entre les branches, lui éblouissait les yeux. Çà et là, tout autour d’elle, dans les feuilles ou par terre, des taches lumineuses tremblaient, comme si des colibris, en volant, eussent éparpillé leurs plumes. Le silence était partout ; quelque chose de doux semblait sortir des arbres ; elle sentait son coeur, dont les battements recommençaient, et le sang circuler dans sa chair comme un fleuve de lait. Alors, elle entendit tout au loin, au-delà du bois, sur les autres collines, un cri vague et prolongé, une voix qui se traînait, et elle l’écoutait silencieusement, se mêlant comme une musique aux dernières vibrations de ses nerfs émus. »
Lever de soleil
( Chateaubriand , Itinéraire de Paris à Jérusalem)
«J’ai vu du haut de l’Acropolis le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette. Les corneilles qui nichent autour de la citadelle, mais qui ne franchisent jamais son sommet, planaient au-dessus de nous; leurs ailes noires et lustrées étaient glacées de rose par les premiers reflets du jour; des colonnes de fumée bleue et légère montaient dans l’ombre le long des flancs de l’Hymette, et annonçaient les parcs ou les chalets des abeilles; Athènes, l’Acropolis et les débris du Parthénon se coloraient des plus belles teintes de la fleur du pêcher; les sculptures de Phidias, frappées horizontalement d’un rayon d’or, s’animaient et semblaient se mouvoir sur le marbre par la mobilité des ombres du relief; au loin, la mer et le Pirée étaient tout blancs de lumière; et la citadelle de Corinthe, renvoyant l’éclat du jour nouveau, brillait sur l’horizon du couchant, comme un rocher de pourpre et de feu.»
La démonstration est-elle concluante ?
Lectures :17971
Surpris ,je l’avais noté en Sicile au Mont Erice, puis plus tard en Afrique et plus encore au Viet Nam.
Seules nos côtes atlantiques offrent en sus de la couleur, ces plages d’attente et d’agonie lente de nos soleils couchants, les nôtres.
Plus nous allons vers le sud plus cette descente est un effondrement qui ajoute la brutalité à la gamme des émotions visuelles.
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Ceux de l’estuaire de la Gironde sont incomparables . Ils m’ont permis de partager les tourments de mon grand père qui y brûlait ses yeux à vouloir poursuivre la silhouette embrasée des clippers.
Leon vous avez oublié de citer le popol; grand auteur devant l’éternel!
imaginons un coucher de soleil avec lui:
L’astre magnifique fusionnait de son rouge chatoyant la mer humide et salée qui, par autant de contractions que de vagues, renvoyait son propre reflet à la divinité dérivant dans les cieux limpides. L’écume devenait pêche, les rehauts, comme des fils d’or purs, brodaient sur le manteau émeraude des motifs riches et intenses. Pendant ce temps, Bea fusionnait avec moi dans une jouissance intense et bruyante comme le ressac. Je lui avait parlé de notre voyage de classe annulé par les incompétents du rectorat, ruines antiques d’une administration à jamais marquée du sceau de l’infamie, tandis qu’on regardait au loin les colonnes d’Hercule se fondre à l’horizon dans un tableau du Caravage. Amène-moi donc ta colonne entre mes globes d’albâtre me disait-elle tout en poussant des jappements d’excitation. Alors le rayon vert se fit, pointant la mer nourricière comme le doigt d’un dieu de Michel Ange ensemençant la vie à la montée de l’ombre profonde qu’amène le crépuscule des coïts terminés.
Comme on reconnait là la rude et légère sobriété du maitre
Lapa : 😆 😆 😆 😆 😆
bande de jaloux !
Waachte, alors là chapeau !
C’est presque aussi beau que l’original.
En plus condensé.
Mais tu es où Buster que tu réponds pas à mes mails ?
Faudra quand même qu’on se décide à lire son chef d’oeuvre « Bea de Capri à Carnon ». Mais franchement je préférerais le voler le bouquin…
ça doit se trouver facilement d’occas’ aux éditions du pilon. 😀
Si tu le voles, tu voles surtout le libraire 8)
Léon, Aucune femme n’a décrit le coucher du soleil ?
Pas même George Sand ou Colette ?
Pur à présent décline le soir d’été
Autour de ma maison, en splendeur adoucie
Le ciel sur son front sacré ne porte pas
Un seul nuage de mélancolie –
La vieille tour, anchâssée dans la lueur d’or,
Contemple d’en haut le soleil qui descend –
Si doucement le soir se fond dans la nuit
Qu’on peut à peine dire le jour fini –
Et c’est justement l’heure joyeuse
Où nous avions coutume de nous échapper
De secouer la tyrannie du labeur
Pour aller avec entrain joeur dehors –
Alors pourquoi tout est-il si triste et seul?
Nul pas allègre dans l’escalier –
Nul rire, nul accent pour donner coeur
Mais partout un silence sans voix.
J’ai tourné sans fin dans notre jardin
Et il me semblait qu’à chaque tour
Des pas allaient et venaient à ma rencontre
Et des mots portés par les souffles
En vain – ils ne viendront pas aujourd’hui
Et le rayon du matin poindra aussi morne
Dites: sont-ils perdus à jamais, nos éclairs
De soleil dans les brumes du souci?
Mais non, l’Espoir réprobateur assure
Qu’il est doux de pleurer les joies enfuies
Quand chaque orage voilant leur lumière
Prépare un plus divin retour.
Emily Brontë – 30 août 1839.
Attention Causette, je m’étais interdit la poésie !
Agatha Christie a sûrement écrit un coucher de soleil un peu saignant peut-être?
je suis quasi certain que Marguerite Yourcenar a mis un « soleil saignant » dans l’œuvre au noir mais chercher est une perspective un peu …un peu ….enfin vous voyez
Aria : Oh, si certainement! J’ai cherché, sans trouver (sur le net), pour Georges Sand mais pas pour Colette. Mais je suis preneur, on peut compléter .
Bras croisés, une femme attendait sur le seuil de sa porte. Réfléchissait-elle? non, elle n’aurait pas dit cela. Elle s’efforçait de saisir quelque chose, ou de le dénuder pour pouvoir l’observer et le définir. Depuis déjà quelque temps, elle essayait des idées comme on essaye des robes alignées dans la penderie.
L’été avant la nuit, Doris Lessing, traduit par Marianne Véron.
(là vous vous débrouiller pour imaginer le coucher de soleil 😉 )
Léon,
Je n’ai malheureusement pas de références en tête;-((((
Ceci dit, Flaubert est mon écrivailleur préféré et les citations que vous donnez de Zola et Maupassant sont magnifiques pour moi.
Furtif, je partage votre perplexité quant à Marguerite Yourcenar que je n’ai jamais pu lire, tout comme Green et tout ceux qui produisent ce que j’appelle de l’écriture « bruyante »…
Alors y a pas une feignasse pour relire Yourcenar = L’oeuvre au Noir?
Bande de ….bande de …euhhh ….
Va tout de même pas falloir que je fouille …Va savoir où il est ce fichu bouquin!
Stéphane Emond
Pastorales de guerre
Page 65 : Nulle part où cacher ses yeux
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…« La nuit parait tomber à toutes petites gouttes , laissant de part en part dans le ciel des trouées encore pâles »...
Je vais me faire assassiner, mais je trouve qu’il n’y a pas un seul extrait qui sauve l’autre…
Comme quoi, devant un thème devenu aussi bateau qu’un coucher de soleil, c’est mortel de voir comment des grands écrivains s’en sont (mal) sortis….
Même Céline qui semble un peu plus en dehors des clous fait du Céline… On est presque dans le « truc ».
Lapa, le roi du pastiche (car celui de Popol est tout de même le plus réussi de tous…), devrait nous faire un « à la manière de Céline » pour l’un des autres thèmes envisagés par Léon : « la description d’une ville, d’une belle femme, d’une maison, d’un voyage, d’un repas ».
Y a peut-être Proust qui tire son épingle du jeu (de massacre !)
Marrant mais une fois de plus on est d’accord, Colre, je trouve aussi parmi ces textes ceux de Proust et de Céline les plus intéressants et d’ailleurs sans doute les plus difficiles à imiter ou pasticher.
Proust est assez inimitable au risque, sinon, d’être ridicule.
Céline, ça me paraît plus facile : il faut du sang, du pourri, de la nature humanisée (l’assassinat du soleil, le ciel parade, le rouge fatigué, les couleurs avachies…). C’est agréable à lire, mais je trouve ce style assez facile (car stéréotypé).
Causette a raison : seule la poésie peut réussir une pareille mission impossible…
Pas d’acord sur Céline. Ce qui est dur chez lui c’est la construction de la phrase. Essaie tu verras.
Tu as peut-être raison : je m’attachais plus au lexique qu’à la syntaxe…
(mais j’ai toujours eu tendance à voir chez Céline les ficelles…)
Et bin, puisse que vous en parler je vais confesser que je n’avais pas osé l’écrire…. Faut comprendre : que des grands noms et moi qui aurais dit : « bof »….
Observations et croyances populaires sur les couchers de soleil
La vache ,j’ai trouvé
Vraiment content. Pouvez pas comprendre.
J’ai trouvé ce qui doit être la première occurrence du coucher de soleil dans la littérature française
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Il faut aller là . Les anciens instits c’est comme ça , ça connait des trucs