Le Fruit défendu

1/Pour un pruneau

J’ai appris la terrible nouvelle une fin d’après midi, dans la cour de récréation de l’école communale, j’avais 7 ans, l’âge de raison, mais je refusais d’y croire, j’étais en colère et de toutes mes forces je criais à ma camarade de classe qui m’avait affranchie : Non, ce n’est pas possible, tu mens, ce n’est pas vrai !!!

Et puis, je suis allée voir ma mère, j’étais bouleversée, je lui ai raconté, et puis je lui ai demandé : -Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ???

-Oui, c’est vrai, c’est comme ça…

Alors j’ai éclaté en sanglots, je me sentais déchirée, vide, abandonnée et révoltée.

C’est comme cela que j’ai appris que le Père Noël n’existait pas, et pire : Il n’avait jamais existé, tout n’avait été que mensonge, mais à 7 ans, je ne songeais pas à en vouloir aux adultes, pourtant je me sentais trahie…

Il faut dire ce que ce père noël était pour moi….Non pas ce grotesque bonhomme en rouge et blanc, vu lors des goûter scolaires à l’occasion des fêtes de Noël, je savais instinctivement qu’il « n’était pas le vrai «  et, que c’était mes parents qui déposaient les jouets au pied du sapin, la notion même de récompense « pour avoir été un gentil enfant »n’avait aucun sens, mais de lui, je m’en étais fait une représentation particulière et importante : Il était « l’ invisible qui me ravissait  » , il était une prolongation de l’univers obscurs, nébuleux du monde de la « pré enfance « , une sorte de présence familière, intime et nécessaire qui n’avait pas de forme, un « surnaturel » évident pour moi et reconnu par tous qui m’accompagnerai toujours, dans mon jardin secret.

Et patatras

Jeanne d’Arc (1865)
John Everett MillaisArt Renewal Center

Mes parents m’inscrivirent, bien que pas bigots pour un sou, au catéchisme, à l’époque « ça se faisait » et c’est comme cela que Dieu prit la place du père noël que j’oubliais très vite…Ou presque : J’ai longtemps conçu une haine pour les fêtes de Noël que j’associais à une escroquerie, un mensonge fait à l’innocence.

De ces années de l’enfance, je me souviens avoir aimé les images de la vierge Marie, quelques belles histoires que la gentille sœur Marie Antoinette nous racontait, ainsi que d’un profond ennui lorsqu’il fallait se rendre tous les dimanches à l’office.

A ce propos, le rituel « debout, assis, à genoux, debout , à genoux, assis .. » apportait au moins un peu de mouvement, j’enviais tout particulièrement les enfants de chœur et leur service, je convoitais leur place et leur tenue d’apparat.

Lorsque je m’ouvris de ce vœu à mes parents, ils me répondirent que non, enfant de chœur, c’est pour les garçons !

-Pourquoi ?

-C’est comme ça

2/Cette injustice, fut mon premier schisme avec l’Église, car je conclus aussitôt et pour toujours  que Dieu n’aurait jamais vu d’inconvénient à ma requête, mais cela ne regardait que lui et moi.

J’appris au catéchisme les prières, le « je vous salue Marie » et le « notre père », il était recommandé de les réciter le soir avant de s’endormir, et je m’y appliquais avec zèle, parfois même 4 ou 5 fois d’affilé pour chaque, et cela jusqu’à mes 10 ans : Les mains jointes, je priais, tous les soirs, sans autre plaisir que la satisfaction d’avoir effectué une tâche pénible que je m’étais imposée, accomplissant ainsi un sacerdoce qui me consacra certaine satisfaction, comme celle d’aller bénir l’étang nouvellement creusé où les déchets puants d’une distillerie allaient se déverser, faisant mettre pour cela une poignée de mes camarades , que j’avais conviées à ma cérémonie improvisée, à genoux, moi-même à genoux, mains jointes et de leur faire répéter après moi les deux prières, strophe par strophe, car, bien sur, ces païennes ignoraient Dieu et les prières.

Je fis donc ma communion, j’eus ma première montre ainsi qu’une gourmette d’argent avec mon prénom, et c’est au moment de ma confirmation, j’avais 12 ans, qu’il se passa un irréparable, un événement qui allait donner définitivement la direction à toute ma vie…

Il se trouve que, j’avais pour habitude d’accompagner ma mère au marché de Sarlat, le samedi.

Sur les étals abondaient les denrées, les fruits, les légumes, et, alors que nous passions devant un étal rempli de pruneaux, gros, gras, brillants alléchants, je ne pus résister à l’envie d’en piquer un, la gourmandise et l’attrait de l’interdit étaient trop tentants, donc je le pris et lorsque nous nous fument éloignées, je le mangeais avec plaisir, sans que ma mère ne me vit.

Ma confirmation, donc…Il fallait aller à confesse, c’était la dernière étape avant d’être « confirmée » , alors je suis entrée dans le confessionnal, derrière la grille le prêtre me parlait, il me demandait si j’avais fait quelque chose de mal, de lui énumérer mes bêtises , mes péchés, et moi, je ne voyais rien à lui dire, et il insistait et je cherchais quoi…Quoi de mal ? Comment peut- on demander cela à un enfant de 12 ans ?

Mais je pensais qu’il devait être important pour lui que je lui dise quelque chose, et si je n’avais pas de notion du bien ou du mal, je savais tout de même ce qui était interdit ou non.

C’est ainsi que j’eus l’idée de lui parler de ce pruneau.

Et la foudre céleste s’abattit sur moi !

Ce n’était pas seulement mal, c’était très mal, j’avais volé et commis le péché de gourmandise, j’écoutais interloquée sa semonce, ses remontrances et la punition pour obtenir le pardon de Dieu: L’obligation de réciter le soir trois « je vous salue Marie » et trois « notre père » .

Ainsi, ces prières que je m’imposais il n’y avait pas encore si longtemps , il fallait que ce soit un étranger , auquel j’avais donné ma confiance , qui me les imposât lui ! Au nom de Dieu et par-dessus le marché pour me punir en ce même nom ?

Un étranger qui s’interposait entre Dieu et moi ?

L’Église me demandait des comptes et me jugeait, mais de quel droit ?

Car, ce pruneau, c’est bien avec Dieu que je l’avais volé, cela ne regardait que lui et moi.

Ce jour la, à 12 ans, je conçus un rejet total, absolu et définitif de l’Église, des religions, des gourous, et aussi , étrange effet collatéral, des psychiatres, enfin de toute autorité qui veuille intervenir au nom de je ne sais quelle morale , dogme et préjugé dans mon intime et me dicter pour les diriger mes actes.

Ce jour la, je confirmais ma chrétienté comme étant une affaire personnelle et exclusive entre Dieu et moi.

Ce jour la, j’ai humé le parfum de la liberté, avec un ange sur une épaule et un démon sur l’autre.

Je les ai réunis en un seul nom: L’ Ineffable

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8 Commentaires
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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
26 février 2021 16 h 07 min

Bonjour .
J’ai pris la décision arbitraire ….et tardive de ne publier qu’une part des textes que m’a confié ARTHES.
Une deuxième partie viendra très vite.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
26 février 2021 16 h 10 min

Quand les intermédiaires autoproclamés se mêlent de faire la loi . C’est en piétinant l’innocence des enfants.

ranta
ranta
28 février 2021 9 h 41 min
Reply to  arthes

Salut Arthes,

Ben, moi j’aurais pu l’être enfant de choeur mais je n’ai jamais voulu, sinon hormis ça j’aurais pu écrire exactement la même chose que ce que tu as écrit.

Finalement, ton texte m’a ramené vers une enfance que j’avais totalement oublié, ou mis de côté.

snoopy86
Membre
snoopy86
1 mars 2021 14 h 33 min

Je découvre tardivement l’article : pourquoi le webmaster ne met-il pas systématiquement les derniers articles en bandeau de haut de page ?

C’est un bon article !

Comme Ranta , il évoque pour moi des souvenirs d’enfance …

J’ai refusé comme Ranta d’être enfant de coeur

En cause la haine viscérale de l’abbé C. qui venait déjeuner un dimanche par mois chez mes grand-parents qui m’élevaient et profitait de l’occasion pour me dire comment je devais mener ma vie. Dés 4 ou 5 ans, je les ai détesté lui, sa soutane et son solex !