Ce sont quelques observations de Lech au bar du 23 sur l’ivrognerie légendaire des Polonais et son rapport éventuel avec leur courage qui m’ont rappelé ce texte que j’avais publié sur mon blog. Il y était question d’une « chiquenaude très bavarde »…
L’Histoire n’a pas encore tranché la question de savoir qui, des Polonais ou des Russes sont les plus grands alcooliques du monde , mais s’il y a beaucoup de pays où l’on picole, en Russie le phénomène atteint de niveaux vraiment effrayants.
Un homme russe sur trois, une femme russe sur sept sont alcooliques…
Les Russes connaissant deux formes principales d’alcoolisation.
À l’alcoolisme festif, mondain, de soirées (très) arrosées entre amis que l’on trouve partout, s’ajoute un alcoolisme spécifique et solitaire qui consiste à s’acheter la quantité de vodka nécessaire à prendre un cuite, à s’installer dans un coin, à l’écart, et de boire sans autre forme de procès jusqu’à ne pouvoir se relever. Ils sont les inventeurs du binge drinking, et il y a bien longtemps…
Des études récentes et nombreuses permettent de rendre compte de ce phénomène profondément ancré dans la tradition russe et qui a traversé l’époque communiste sans faiblir. Les riches boivent vodka et cognac, les pauvres boivent des alcools frelatés, du liquide de freins, de l’antigel, du dissolvant, de l’eau de cologne… n’importe quoi.
Mais c’est aussi dans un certain nombre de gestes ou de traditions que l’on mesure le mieux le poids de l’alcool dans la culture russe.
On pourrait citer la tradition des toasts, assortis d’un dicton qui veut que toute bouteille de vodka entamée doive être terminée ; mais c’est autre histoire, très curieuse, parce qu’elle mêle la grande Histoire et l’alcoolisme, que j’ai rapportée de Russie la première fois que j’y suis allé. Je n’en avais jamais entendu parler dans l’émigration russe en France.
Lorsque les Russes contemporains évoquent l’alcool ou l’alcoolisme sans prononcer le mot, ils font volontiers un geste bizarre qui consiste à incliner le tête sur le côté en la levant et à se donner une ou deux chiquenaudes avec l’index, sous le menton.
Interrogés sur la signification étrange de ce geste, voici l’histoire qu’ils m’ont racontée :
Sous le Tsar Pierre le Grand, celui-ci, pour récompenser un certain nombre de ses loyaux serviteurs, leur avait offert un gobelet aux armes impériales qui leur donnait le droit d’entrer dans n’importe quelle auberge de l’empire et de s’y faire servir à volonté et gratuitement de la vodka, sur présentation de ce gobelet, qui en était alors dûment rempli… Sauf, qu’évidemment, vu l’état lamentable dans lequel ils finissaient par se retrouver, ils perdaient le gobelet en question ou se le faisaient voler, bref, la tsar imagina un système plus simple.
Les serviteurs méritants se verraient désormais apposer un coup de tampon encré aux armes du tsar sur le haut du cou, sous le menton. Ainsi, les heureux récipiendaires, en pénétrant dans une auberge levaient-ils la tête et l’inclinaient de côté pour découvrir la marque et la montraient de l’index à l’aubergiste pour attirer son attention.
Et la tradition s’est maintenue depuis le XVIII e siècle. Si vous rencontrez un Russe qui, tout à coup, au cours de la conversation fait ce geste d’un œil égrillard, ne vous y trompez pas, c’est picoler, qu’il veut…
C’est tout au moins l’histoire qui m’a été racontée. Et elle m’a été confirmée par plusieurs sources.
Étonnant, non ?
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Salut Léon,
Merci pour l’histoire de la chiquenaude, parce qu’en Pologne, ce geste a la même signification (« on va boire un coup? » -ou plusieurs-, ou tout ce qui a rapport avec l’alcool en général), mais je n’en connaissais pas l’origine.
Chez nous, c’est deux trois tapes bien placées avec l’auriculaire sur le côté du cou, comme le montre cette illustration.
Par contre, tu écris « ce phénomène profondément ancré dans la tradition russe et qui a traversé l’époque communiste sans faiblir« . Moi j’écrirai plutôt « qui a été aggravé par la traversée du communisme ».
Il est clair que l’alcoolisme était un des moyens de l’asservissement du peuple, et pas à petite échelle. Quand il était plus facile de trouver un litre de vodka qu’un filet de porc, ou que la vodka était moins chère que l’eau (encore le cas aujourd’hui parfois en Ukraine, en Russie qu’en est-il ?), difficile de ne pas y voir une volonté du pouvoir alors en place.
Ah, et je me permets, pour compléter cet article, de donner 3 liens vers des articles (du dossier que j’ai mentionné dans le bar d’hier « Boissons à l’Est« )
Russie : fin de règne pour la vodka ?
L’«ivrogne russe», une image qui a la peau dure
«Tu bois, tu payes, tu LES enrichis!» : reportage dans la Pologne des années 1980
Ah, et un petit dernier. Il semble que Medvedev a décidé de prendre le probleme par les cornes : Russie : le pays se noie dans l’alcool