« La Peur », Gabriel Chevallier

Gabriel Chevallier fait partie d’une brochette d’écrivains français de l’entre-deux guerres souvent morts dans les années 60 qui ont en commun, que l’on aime ou pas leur œuvre, une extraordinaire maîtrise de la langue française. Marcel Aymé, Jean Giono, Henri Bosco, Marcel Pagnol, François Mauriac, Hervé Bazin, leur cadet Maurice Druon et j’en oublie évidemment. Pour moi c’est l’âge d’or du roman français.

Gabriel Chevallier, je l’ai découvert un peu comme tout le monde avec la série des « Clochemerle », ces aventures désopilantes des habitants d’un petit village en Beaujolais, mais j’ai une affection particulière pour « Saintes Collines » qui décrit la vie d’adolescents dans un internant religieux.

Cet écrivain spécialisé dans des histoires picaresques a pourtant écrit au début de sa carrière un livre d’une tonalité très différente et qui a eu un destin particulier.

« La Peur » est un roman autobiographique qui raconte ses années de guerre dans les tranchées de 14-18. Ce livre considéré comme très antimilitariste constitue un témoignage direct assez rare sur ce conflit. Ils sont, en effet peu nombreux les livres qui racontent ces combats : « Les croix de bois » de Roland Dorgelès, « Le Feu » d’Henri Barbusse, « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix, « La main coupée » de Blaise Cendrars, c’est à peu près tout du côté français…

Considéré comme défaitiste et antimilitariste, ce livre a eu du mal à être publié :  il faudra attendre 1930. Mais en 1939,  à la veille de la 2e guerre, il sera à nouveau interdit et ne reparaîtra qu’en 1951.  C’est, avec  « Clochemerle », l’un des rares livres de l’écrivain que l’on trouve facilement en édition de poche.

En le lisant, je me disais que chaque guerre avait des caractéristiques propres qui tenaient beaucoup à l’état d’avancement des technologie de destruction. Si l’on peut dire que la 2e guerre mondiale a fait la part belle à l’aviation et aux chars, celle de 14-18, me semble avoir été celle de l’artillerie : des canons, des canons et des canons, des millions d’obus en tous genres qui obligeaient les soldats à s’enterrer, à ce cacher dans des trous pour y échapper. Et la boucherie. L’absence totale de volonté d’essayer d’économiser les hommes, les assauts contre des lignes imprenables sous une avalanche de fer, la hommes qui deviennent fous de peur et de douleur, les millions de mutilés et de « gueules cassées »…

Assurément un livre à conseiller pour ceux que le sujet intéresse. Et admirablement écrit, évidemment.

Extrait : le héros récemment mobilisé monte vers le front et « rencontre » son premier        cadavre.

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Lapa
Administrateur
Lapa
9 septembre 2011 10 h 17 min

ça à l’air bien écrit.
On a retrouvé les carnets de notre arrière grand père, où il notait jour après jour les événements qu’il vivait dans les tranchées. ça fait bizarre. Il ne s’épanchait pas du tout; A la place de la littérature et des sentiments, des phrases courtes, couperet. et une comptabilité comme fil conducteur:
« aujourd’hui: 6 boches ».
la guerre alors devient moins lointaine. très réelle. le bon papy qu’on voit sur les photos cajolant le paternel prend une autre dimension. Comment retrouver une vie normale après ça? je suis pour l’instant la seule génération à ne pas avoir « fait la guerre ». je ne leur ai jamais demandé de raconter leurs histoires. Maintenant c’est trop tard. il nous reste les médailles et les diverses citations. Et pour certains (il faut dire qu’on a eu aucun mort lors de la première guerre, mais la seconde a été bien plus létale chez nous), juste un papier comme quoi ils sont morts « au combat ».
comme il est dit:
« la guerre fera de nous tous des cadavres ».

Tall
Tall
9 septembre 2011 11 h 27 min

Oui, quand on a vécu ça, en général, on n’aime pas en parler.
Mon père évoquait un « trou noir » dans sa mémoire … tu parles…
Mais parfois, il lâchait quelques trucs, genre :
– des chars qui écrasaient des soldats pour épargner les munitions
– des types crucifiés sur des portes avec leurs c… en bouche
– des ouvriers qui fuient un chantier pour se réfugier dans une église, mais les avions loupent leur coup : église rasée, chantier intact.
– couché à plat-ventre dans une gare sous une attaque de stukas, un officier reste debout par bravade … boum ! le type est décapité net, son uniforme est intact
– il conduit un camion, avec un type posté derrière qui tape sur le toit de la cabine si un zinc attaque … et un zinc attaque.. il saute en bas du camion, le passager de droite aussi, celui du milieu pas assez vite … boum! plus de camion
… etc …

bref, pour te sortir d’une guerre, il faut surtout de la chance, le reste est accessoire

Vox(agora)
Vox(agora)
9 septembre 2011 11 h 49 min

J’avais commande le bouquin après le 1er article il y a quelques semaines : pas déçue, bien au contraire.

Léon
Léon
9 septembre 2011 15 h 25 min

J’ai déjà parlé de ce bouquin ? Je deviens gâteux, moi…

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
9 septembre 2011 15 h 55 min
Reply to  Léon

j’ai pas fait attention.
J’ai cru que c’était une évocation sur Si nous lisions

Mais oùçadonc Vox?

.
Faut que je vas me reposer

asinus
Membre
asinus
9 septembre 2011 16 h 44 min

yep , je lirais dans le meme ordre d’idée j’ai mis un extrait de E M REMARQUE il y a quelques jours
à lire aussi orages d’acier de junger et le roman de r Vercel capitaine Conan mille fois plus terrifiant de bestialité que le film de tavernier.

Causette
Causette
10 septembre 2011 23 h 35 min

J’avais noté ce livre quand Léon l’avait signalé à Si nous lisions. Je ne l’ai pas encore lu. Parmi les auteurs cités dans l’article, j’ai lu toutes la série Folcoche d’Hervé Bazin et quelques autres. Leur façon d’écrire, leurs témoignages sans floriture m’a donné le goût de lire.

J’avais bien aimé La littérature sans estomac de Pierre Jourde. Une bonne critique de la littérature de l’épate.