Les Julia Claudiennes. Quand on n’a que l’amour ( 3)

On l’oublie trop souvent,  Tibère n’eut pas seulement à affronter l’hostilité toujours vivace du Sénat et des Patres toujours prompts à saisir une occasion de médire  et, nous le verrons pour ses successeurs, de nuire gravement.

Dans son propre palais sur le Palatin, c’est-à-dire dans sa propre famille, il ne manquait pas de voix sournoises venues lui rappeler que :  « eux autres » , ils étaient des descendants d’Auguste. La femme de son neveu Germanicus  réussit même en suscitant, inventant et amplifiant, une rumeur assez peu fondée à faire accuser Piso, un proche du Prince, de complot contre l’Empire et d’assassinat sur la personne de son mari.
Quand Tibère accède au trône, il doit faire avec la réputation largement excessive de son neveu Germanicus. Il a dû l’adopter sur ordre d’Auguste. Il faut comprendre qu’ Rome c’est comme partout : applaudir quelqu’un c’est surtout manifester que l’on en applaudit pas un autre.
Pourquoi ?
Parce que ce neveu, fils de son frère cadet ( Drusus), a été marié avec Agrippine l’ainée fille de Julie et Agrippa, donc la petite-fille de l’Empereur Auguste. Le couple ne manque pas de se faire acclamer dès qu’il en a l’occasion. Tibère, lui, ne croule pas sous les acclamations. Le seul art qu’on lui concède est celui de « se prendre des vents »
Pour se débarrasser de la présence pesante de Germanicus, Tibère l’envoie en Orient avec une mission suffisamment  imprécise pour qu’il ne pourrisse pas la vie des représentants de Rome sur place. Pour ce faire il lui adjoint Piso, un homme en qui il a toute confiance, comme gouverneur de Syrie . C’est le contraire qui a lieu. Dès qu’il est sur place,  le couple  Germanicus/Agrippine se conduit comme un couple impérial (bis)

Au départ une querelle de préséance, une histoire de : « qui c’est la première Dame ? »

Entre M’am Pison Munatia Plancina  et M’am Germanicus ça fait des étincelles. De réflexions pincées en ricanements de l’assistance, la brouille de ces dames prend des dimensions incontrôlables. Loin, là bas, en Orient, on regrette le Forum et ses cancans. Aussi, quand on a un scandale, au lieu d’étouffer l’affaire  on la monte en épingle. Il  y a les pro-Pison, les pro- Germanicus, les plus nombreux étant les voyeurs ricaneurs qui attisent le conflit. Ce scandale mondain serait sans conséquence, Tibère mis au courant aurait peut-être pu rappeler son subordonné Pison à son devoir de réserve et la femme de son neveu, toute « petite fille d’Auguste » qu’elle ne manque pas de rappeler, à une notion plus précise de sa réelle importance dans l’empire. Piso, un peu excédé, rentre à Rome pour éclaircir l’affaire, mais quelques jours plus tard , à Antioche, Germanicus tombe gravement malade et meurt dans d’atroces souffrances. Ses derniers mots auraient été pour accuser Piso. Accusation intenable que reprendra pourtant Agrippine. Les rues de Rome sautent sur l’occasion pour amplifier la rumeur de culpabilité et d’empoisonnement . Piso l’homme de Tibère aurait a  empoisonné Germanicus. Agrippine mène un tel tapage que le Prince lui-même se trouve un peu relégué sur la touche et forcé de condamner Piso, alors qu’il n’avait rien à lui reprocher. Pour protéger sa famille des conséquences funestes d’une condamnation, il se suicide. La rumeur s’en moque bien, c’est Tibère le coupable dans l’opinion publique.
Ivre d’orgueil, Agrippine faisait tout pour être détestée de Tibère, elle y est parvenue.
Son beau-père Auguste, sa mère Livie, sa femme Julie, son neveu Germanicus, la femme du neveu Agrippine… Tibère en a un peu plus qu’assez.

Partir à Capri c’est mourir un peu

Cette incompréhension générale de : «  qui est le Maitre ? », pousse Tibère du coté où il penche de par son caractère. Il se retire de la vie publique, quitte Rome , part à Capri et laisse Séjean s’occuper des affaires, dans les années qui suivent.
La conclusion de l’histoire Piso est : Rome et le Sénat sont prêts à sauter sur la moindre occasion. On peut lire Tacite et Suétone au prisme de cette seule  explication. Séjean n’invente pas, il exploite un créneau psychologique et politique
Séjean éliminé, retour à la famille. Oui mais, on peut dire qu’il a fait un sacré dégât, il ne reste rien de la succession mâle venue d’Agrippa. Pour Tibère il reste :
•    De Drusus I son  frère mort ,  il reste  un petit neveu le jeune Caligula
•    de Drusus II son fils empoisonné par Livilla, il reste un petit fils encore plus jeune Tiberius Gemellus.
Plus de mère envahissante, plus de femme fornicatrice, plus de nièce casse pied, Tibère est seul à décider…..et… il ne décide rien.
En Mars + 37 il décide de revenir à Rome et… renonce.
Le 16,  il se décide enfin à mourir et… change encore d’avis…
Même proche de la mort, il réussit à décevoir tout le monde. Le parti des mécontents se gonfle de ceux qui craignent pour leur vie, mais c’est celui des impatients qui emporte la palme. Le préfet du prétoire, Macron, en personne ou un de ses hommes, étouffe l’empereur. Le 29 Mars Caligula est acclamé Princeps par le Sénat il n’a  pas 25 ans  Pas une seule femme de la famille ne semble impliquée dans l’affaire. Depuis la mère des Gracques on n’avait jamais vu ça. Une accession au pouvoir sans une femme dans le coup.
L’histoire officielle fait grand bruit du bref intermède  Caligula. Si on y  pense, on a bien du mal à  inscrire toutes les turpitudes attestées, ajoutées à celles qu’on lui prête, en moins de 4 ans de règne. Sans l’intervention de sa grand-mère  Antonia Minor stoppant à temps les éliminations de Séjean avec la complaisance perverse de son grand oncle, il aurait eu bien peu de chance de survivre.
La mort de Tibère, est-ce Macron au moyen d’étoffes, ou Caligula à l’aide de coussins ? Ils sont forcément complices. Les deux hommes étaient proches. Un bon courtisan se devant de satisfaire voire de précéder les désirs du Prince, on peut penser qu’il offrit en sus sa propre femme Enia au jeune Caligula

L’histoire officielle, Tacite/Suétone/Dion Cassius etc …,

L’histoire prétend que, très jeune, Caligula n’a pas manqué de partenaires sexuelles. Ses propres sœurs (les trois) ayant tour à tour assuré la fonction. C’est la version soft. La plus proche et la plus assidue aurait été la moins âgée Drusilla. Elle se marie avec Longinus à 17 ans  en parallèle avec la poursuite de ses relations avec son frère. Elle divorce et se remarie avec Marc Emile Lépide, lui- même ancien amant de son amant et frère, Caligula.
Quand je pense qu’on apprend l’histoire aux enfants….Pfffff….
Ce n’est pas fini. Drusilla mourant en 38, Caligula  lui fait des funérailles nationales et se conduit en veuf désespéré. Marcel, le mari, le vrai veuf, se rapproche alors de ses belles-sœurs, les deux sœurs ainées de son beau-frère, le tout nouvel empereur. Livilla et Agrippine la jeune ne seraient pas contre un nouveau camarade de jeu, ancien amant de leur frère de surcroit . La Romaine est très disponible dans les années 40.  Au propre comme au figuré.  Marcel y perd la tête.
À Caligula on connait une première  femme Junia Claudia  (1) , épousée à Anzio en 33 et  morte en couche, avant la mort de Tibère. Une deuxième femme en 37  Livia Orestilla (2) , enlevée à son mari Pison en pleine cérémonie de mariage, elle  est répudiée après deux mois et exilée. Une troisième en 38  Lollia Paulinia (3). En plein chagrin pour Drusilla, Caligula ayant entendu parler de la beauté de sa grand mère  fait venir Lollia Paulina de Mésie ( rive droite du bas Danube) et impose le divorce à son mari. Il ne la garde que 6 mois car elle ne peut avoir d’enfant. Il la répudie et lui interdit d’approcher les hommes.
Cette Lollia répudiée pour  stérilité faillit être choisie plus tard (vers 48/49) par Claude pour « cette » même raison. Agrippine la jeune, sœur de Caligula, dans sa volonté éperdue, à cette époque, d’imposer l’adoption de son fils Néron à Claude trouvera le moyen de la faire exiler et de la pousser au suicide en 49.
Trois femmes sans réussir à avoir d’enfant, même un furieux comme Caligula peut devenir anxieux. Il choisit alors une jeune mère de 3 enfants Cæsonia Milonia (4) . Il  la fait divorcer et l’épouse.. Suétone qui ne manque jamais de dire du mal,  prétend qu’elle accoucha de la petite Julia Drusilla un mois après le mariage. Il prétend aussi que Caligula pour complaire à des amis choisis  (ou à sa garde armée ? ) aurait, devant eux, fait défiler nue sa jeune épouse.

Pour finir, la liquidation de l’empereur fut suivie de la sienne et de leur petite fille.
Arrivé au trône à 25 ans, se croyant de la race des Auguste et des Tibère, morts à  76 et 79 ans, Caligula se voyait une éternité devant lui avant de se pencher sur les problèmes de succession, aussi ne se préoccupa-t-il pas de liquider son oncle Claude, frère de son père  ou son neveu Néron,  fils de sa sœur ainée.

Antonia Minor avait donné un frère au grand Germanicus, un enfant  assez diminué dans ce monde de m’a-tu vu, de fêtards et  de brutes, Claude un enfant bègue. Il réussit la prouesse de passer inaperçu, de voler assez bas pour ne faire de l’ombre à personne. Une attitude totalement incongrue dans la famille. Ni sa grand-mère Livie, ni son oncle Tibère,  ne lui prêtèrent une grande attention. Le petit Gemellus ayant été liquidé, il devient à la mort de son neveu le dernier homme vivant de  la famille. Il n’avait rien fait pour ça.

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asinus
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asinus
4 février 2012 10 h 22 min

pffff et voila comme casseur de reve ce bon Furtif , pour moi Rome c’est les martiales Légions la pourpre de l’imperium , l histoire de la Ulpia Victrix , les gladio et pilum croisé sur l’umbo , les phrases peremptoire
et définitive  » delanda carthago est » pff et lui vous resumes ça en chamailleries haineuses de matronnes ayant le feu au cul » pardon Colre » pffffff iconoclaste! ce Furtif yep ICONOCLASTE !

asinus : hi han

ps j’ai du temps ce matin Lech et Gustav sont bloqués avec les bahuts sur le plateau de Langres , je me fais pas de soucis
la vodka à l’herbe de bisons doit couler à flots;

Léon
Léon
4 février 2012 13 h 18 min

Asinus a raison, un vrai bordel cet empire romain. Très loin de nos humanités….

COLRE
COLRE
4 février 2012 14 h 27 min

Finalement, Fellini est encore bien en dessous de la réalité…
C’est intéressant Furtif de lire ces histoires de sexe, de pouvoir et de familles en dehors de toute empreinte de la morale judéo-chrétienne.

Le crac-crac partout tout le temps avec tout le monde n’appelle aucun châtiment divin ni clérical ! on n’est pas habitué…

Causette
Causette
4 février 2012 15 h 22 min

Vachement intéressant quelle famille! j’ai jeté un oeil sur l’arbre généalogique pour m’y retrouver un peu.
La confiance régnait
Tibère invita Agrippine à diner au palais impérial. Il lui offrit une pomme afin de tester ses sentiments envers l’empereur. Agrippine suspecta que la pomme pouvait être mortelle et refusa de goûter le fruit. Ce fut la dernière fois que Tibère invita Agrippine à sa table.

les spartiates à crampons c’est pour les jeux du cirque?

ranta
ranta
4 février 2012 17 h 54 min

Putain je comprends rien ! les visigoths ça le faisait mais là…. Les claudes, les glaudes, la denrée, qui baisent qui ? 😆

En tout cas, c’est à des années lumières de l’histoire que je connais de Rome, et j’en connais une qui va devoir s’expliquer : m’avoir laissé errer dans les images d’Epinal de Rome.

ranta
ranta
4 février 2012 20 h 23 min
Reply to  D. Furtif

Et la vie du peuple à Rome furtif ? C’était comment ?

Là, on voit la vie des puissants, leurs histoires de radada-qui selon que tu sois Strauss Kanhien ou pas tu auraient apprécié ou non – les intriques politiques. mais le peuple, il vivait comment ? est-ce qu’on le sait ?

Asinus
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Asinus
4 février 2012 23 h 49 min
Reply to  ranta

yep Ranta  » sauf contradiction de Furtif » le plus sur moyen pour le vulgus pecum de devenir proprietaire
terrien? ben la formula coloniae 9 à 15 ans de service dans les légions te donnaient droits à 20 jugeres
« de mémoire 1 jugere 15/20 are » pour le plus petit grade quand Rome decidait de faire d’une terre ou ville conquise une colonie .Ce fut le cas d Orange dont les premiers proprietaires fonciers cadastré du droit romain appartenaient à la legion II dite la Gallica .

ranta
ranta
5 février 2012 0 h 37 min
Reply to  D. Furtif

Ouais.Finalement, rien de nouveau sous le soleil. On transpose ça à travers les âges et on trouve les même modes de pensées et de fonctionnement; jusqu’à aujourd’hui, et demain aussi.

En fait, la question c’est savoir ce qui rassemble un peuple au sein d’un empire, d’un royaume, d’une république, d’une dictature. Sans doute, l’espoir que demain sera meilleur……

Asinus
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Asinus
5 février 2012 10 h 45 min

yep , pfff deneigement plus boeuf bourguignon je fus fort occupé,
merci pour le bouquin mon ainé l’empruntera
pour moi à la fac jusqu ici je ne m’etais intérréssé qu’à l’aspect militaire et technique des légions j’imagine que j’en apprendrai plus sur la sociologie et les usages comportementaux des hastati velites et principes ;;;

Causette
Causette
11 février 2012 19 h 09 min

Hello Furtif, il y a un doc intéressant ici.
Les élites romaines, elles, se préoccupent surtout de leur bonheur sur Terre. Toutefois, leurs morts veulent être vénérés, comme en témoignent d’impressionnants mausolées sur la Via Appia. Les païens romains auront beaucoup de mal à comprendre les premiers chrétiens dont les sépultures étaient enfouies et souvent anonymes – comme dans les catacombes.
Le 2e épisode s’attache aux rituels mortuaires du Moyen Âge