L’écrivain Sylvain Tesson a vécu une expérience de solitude durant 6 mois, seul dans une isba au bord du lac Baïkal, à 5 jours de marche du premier village. Il l’a racontée dans un livre qui a reçu le prix Médicis de 2012 2011 « Dans les forêts de Sibérie » .
Ce qui fait, me semble-t-il, l’intérêt de ce livre, c’est que, précisément, ce ne soit qu’une expérience.
Une expérience de solitude et de rupture brutale avec la vie civilisée et urbaine. Que fait-on dans ces cas-là ? Les tâches de vie quotidienne par –30, -40 ° suffisent-elles à meubler un esprit urbain ? Quelle bibliothèque emporter, quels objets dans un espace de 3m sur 3m ? Quels rapports un citadin peut-il réétablir avec une nature si énorme, si puissante ? A quoi pense-t-on, puisqu’on a du temps ?
Autant de questions que l’écrivain, à travers son expérience nous invite à nous poser. Par exemple, celle des lectures : réfléchir sérieusement aux livres à prendre avec soi pour 6 mois, va bien au-delà de la seule survie dans l’hiver sibérien… Essayez donc de vous établir une liste, surtout composée de livres que vous n’avez pas lus !
Curieusement, la nature que rencontre l’auteur est avant tout végétale et peu animale. Des traces surtout. Et ses mésanges… Mais il y a le lac et l’hiver sibérien qui en fait une sorte de personnage qui craque, se contorsionne, érige des aiguilles de glace…
Dans ce désert de froid, quelques humains se rendent visite de temps en temps. Des gardes forestiers, des scientifiques. Quelques très rares touristes. Tout ce petit monde ingurgite des litres d’alcool à 40° propices à l’apparition de mondes parallèles. Pratique éminemment russe à laquelle sacrifie abondamment l’auteur.
Un épisode particulièrement surréaliste de son séjour est le message de rupture qu’il reçoit l’une des rares fois où son téléphone satellite marche, de sa compagne restée en France. C’est que l’individu est coutumier de ces isolements temporaires. Sans doute la dame a-t-elle dû trouver que cela commençait à bien faire…
« Questions à élucider au cours des prochains mois :
Me supporterai-je moi-même ?
Puis-je, à trente-sept ans, me métamorphoser ,
Pourquoi rien ne me manque-t-il ? »( P.103)
Cet Sylvain Tesson, je le comprends. Enfin, un peu.
Avec moins de talent que Boris Vian,
« Je voudrais pas crever.
Avant d’avoir connu.
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver.
Les singes à cul nu…»
Moi c’est le Baïkal :
Oh, mon Baïkal, père de tous les lacs, le plus grand, le plus profond, le plus ancien du monde !…
Je voudrais vivre assez pour boire de ton eau, contempler tes nuits bleues d’hiver, observer tes nerpas[1] joueurs. Je voudrais goûter l’omoul [2] fumé, l’offrande que tu fais à tes visiteurs.
Je voudrais voir cette golomianka [3] et vérifier qu’on ne m’a pas raconté d’histoires, qu’il s’agit bien d’un poisson transparent qui se liquéfie au dessus d’une température de 7 °, ne laissant que les arrêtes.
Je voudrais me baigner l’hiver dans tes sources chaudes, au milieu de la neige, observer les furtives zibelines. J’aimerais rester la nuit à écouter les loups hurler avec l’espoir de les voir se découper à l’aube, au loin, sur la lune blanche.
Je me réfugierai dans la tiédeur d’une isba de bois et je tremblerai en apercevant un ours en hiver, un de ces animaux devenus fous [4] qui, au lieu d’hiberner, errent sans fin dans la taïga, jusqu’à en mourir.
Je verrai peut-être cet aigle de Sibérie qui, dans la chanson, apportait au soldat le salut de Katioucha, celle qui « lui gardait son amour » pendant que lui, « gardait la patrie ».[5]
J’aimerais tant vérifier que tu es si clair et me jeter en été dans tes eaux glacées pour me guérir de tout. Les chamans bouriates m’auront en effet révélé que tu es un être vivant, un magicien et un guérisseur. Mais aussi un « vieux » susceptible et colérique.
Je voudrais trinquer avec les Sibériens, ceux dont les Russes vous souhaitent d’avoir la santé, goûter leur vodka si pure grâce à ton eau, chanter avec eux à quatre voix, debout sur la falaise, espérant que le sarma, l’un des vents furieux du Baïkal en fasse parvenir les notes à d’autres humains sur la rive d’en face.
J’aimerais voir comment, l’hiver, tu craches tes aiguilles et tes dentelles de glace, enfants violents de tes masses liquides que le froid semble figer pour l‘éternité…
Baïkal, ô mon Baïkal, le rêve de mes nuits de fièvre.
[2] Omoul : salmonidé également endémique au Baïkal, très apprécié des gastronomes.
[5] Il s’agit de la chanson très connue, caviardée par Rika Zaraï pour en faire le « casatchok » en version française.
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Voilà l’homme
.
Heu?????
2012? tu es sûr?
Non, tu as raison, c’est 2011.
Pourquoi le Baïkal est si profond
.
Article court et plein d’intérêt