Heureux comme les Dieux à Rome (5) Celui des chrétiens aussi (a)

La mort du Christ ? La chute d’un  grain de sable dans la mer.

Possiblement né sous Auguste (en -6?) dans une obscure sous-province orientale, un certain Chrestos crucifié sous Tibère ne fit parler de lui qu’au milieu du 1er siècle (et encore par un gars qui ne l’avait jamais vu : Saül). Tard venus et mal identifiés les « pas encore chrétiens » au milieu de leurs compatriotes Sadducéens, Esséniens, Pharisiens, Baptistes, bientôt les Zélotes, ne se  distinguent pas ou si peu  des autres Juifs dans un judaïsme alors hétéroclite. A vrai dire, tout  au contraire,  ils veulent en être les meilleurs. Un Dieu de plus ou de moins dans un monde qui ne les comptait pas, voilà qui n’allait pas choquer les Romains si les nouveaux venus ne troublaient pas l’ordre public. À Rome on les confondait avec les Juifs qui, eux, pourtant, faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour s’en distinguer.

Juvénal (fin du premier siècle) nous offre une indication sur la confusion persistante à leur sujet. Il s’étonne de l’absence de lieux de culte, d’ornement ou de statues. Ces gens-là prient le regard tourné vers les nues.

« Quelques [jeunes gens] ayant reçu du sort un père qui observe le sabbat n’adorent rien que la puissance des nuages et du ciel, et la chair humaine n’est pas pour eux plus sacrée que celle du porc, dont le père s’est abstenu. Bientôt même, ils retranchent leur prépuce ; et accoutumés à dédaigner les lois de Rome, ils n’étudient, ils n’observent, ils ne craignent que tout de droit judaïque transmis par Moïse dans un livre mystérieux, se gardant de montrer le chemin à ceux qui ont un autre culte »

Satires XIV vers 96 à 103

L’absence de prosélytisme, le respect de la loi mosaïque, la Bible,  la circoncision … Un seul élément vient évoquer les chrétiens : le rite de l’eucharistie compris comme une anthropophagie par les Romains ( « ceci est mon corps »)

Assimilés à une des nombreuses sectes juives, ils sont expulsés par Claude en 49

«  Comme les Juifs se soulevaient constamment à l’instigation d’un certain Chrestos, il les chassa de Rome. »   Suétone _ Claude 25_

Quand Néron eut besoin de boucs émissaires pour contrer les rumeurs du Sénat et les accusations d’incendiaire en 64 il les livra à la vindicte populaire.

Pour le commun des Romains il y avait bien une ou deux choses qui pouvaient susciter  surprise et appréhension. Il s’agissait, au premier examen, de gens modestes (en majorité) voire d’esclaves. Donc des gens à priori suspects dans le système de valeur admis par tous. Leur Dieu qui avait été crucifié (comme Spartacus) ne faisait  étalage ni de gloire ni de puissance. À cela s’ajoutait tout un discours choquant, fait d’humilité de modestie et d’austérité. Vraiment rien d’attrayant. Comme on ne sait rien de précis, la rumeur règne sans partage. On colporte que les chrétiens adorent un âne crucifié comme en atteste un graffiti célèbre du Palatin. Ils se réunissaient la nuit pour des orgies ou, pire, pour des repas sacrificiels anthropophagiques  dont un bébé égorgé roulé dans la farine constituait le plat.

Comme saura le dénoncer Tertullien (pro chrétien) une crue, une peste, un incendie, un meurtre ? C’est les chrétiens.

Pourquoi les chrétiens

L’ordre du monde

La situation économique de la Judée ne se distingue pas ou peu de celles des autres provinces. L’observateur du XXIe siècle serait au contraire surpris de la prospérité relative de l’Orient par rapport à l’Occident. Au plan social , comme partout, on connaît une  oppression générale des petits peuples, comme partout un accord est passé avec la couche supérieure des grand prêtres qui fait régner l’ordre pour les Romains, en échange de leur mainmise sur le culte du seul grand Temple de Jérusalem, de l’exécution des sacrifices, les fêtes et pèlerinages.

On pourrait concéder un caractère particulier à cette province : le caractère frondeur du petit peuple avec un accompagnement des révoltes par une idéologie religieuse très prégnante. Il faut rester prudent sur l’exception Judéenne et ses clichés entretenus par une historiographie qui, depuis, a révélé le caractère général, dans tout l’Empire, de ces révoltes.  Au service des Romains, cette couche sociale opprime à son compte le petit peuple, générant et accentuant des tensions sociales et offrant le ferment idéologique à tous les mouvements contestataires politiques et religieux intimement liés (Baptistes, Zélotes et Esséniens). On assiste à des affrontements avec les Grecs à qui les Romains donnent raison. La Judée est une poudrière. Pour ceux qui ne sont pas choqués par des raccourcis anachroniques => un schéma comparable à la société Vietnamienne à la fin du XIXe siècle.

La promesse

L’existence est attestée d’un peuple Juif possédant les caractères d’un peuple, mode de vie, politique économique, culture. Sa littérature et ses légendes le font remonter très loin, au début du 2è millénaire. Le matériel de l’Histoire, lui,  nous le montre (et encore soyons prudents) de Judée à la Galilée, au IXe siècle av JC, mais le couloir Syro-Palestinien a vu passer tellement de peuples et tellement d’envahisseurs ! C’est en lisant l’histoire des autres qu’on les rencontre. Celle des Égyptiens et des Hittites qui les identifient à peine, celle des Assyriens qui détruisent, tuent et réduisent en esclavage la part la plus prospère du pays ( la Galilée). Les  Babyloniens, eux,  font la même chose en plus grand : exil à Babylone. Les Perses seront un temps accueillis en libérateurs pour finir par être chassés par les Grecs d’Alexandre, eux-mêmes supplantés par les Romains. On ne traverse pas impunément toutes ces épreuves sans en être imprégnés, les mythes prétendument nationaux de ce peuple sont un ramassis de contes et de légendes péchés un peu partout dans le croissant fertile. Leur indépendance unifiée sous la royauté de Saül, David et Salomon apparaît de plus en plus comme purement mythique. Comme partout en Orient, des centaines de prédicateurs prophètes se lèvent, agitent le peuple et parlent en tançant les cadres politiques et religieux. Ils ne mégotent ni les injonctions ni les condamnations.  Ils font référence à une histoire commune mythique et lancent des admonestations aux chefs du lieu et du moment.  Ils sont ce qu’il reste du squelette de l’identité d’un peuple qui se dit « élu ». Un peuple qui ne parle même plus sa langue, qui écrit son histoire en Grec et qui se délite de l’intérieur par des élites qui s’adaptent au bain général hellénistique.

Pour des connaissances plus approfondie, la lecture de

La Bible dévoilée de Finkelstein et Silberman

Le dictionnaire culturel de la Bible __ Cerf, Nathan

Jésus après Jésus de Mordillat et Prieur

vous sera riche d’enseignements et surtout source d’un grand plaisir.

L’hellénisation est  telle que la révolte devient une question de survie pour ceux qui sont encore attachés à la tradition, ossature du peuple. En – 167 av JC, contre les Grecs, ils reprennent le Temple, le purifient et réintroduisent le culte originel. En -161 lutter contre les grecs passe par une alliance avec les Romains. Ces derniers installent sur le trône les chefs de la révolte,  le souverain Hasmonéen, Judas dit le Maccabées et son frère  Grand Prêtre, après 20 ans de guerres intestines.

Les Hasmonéens seront pour un siècle les alliés des Romains. Ils auront quelques succès militaires dans la région mais le Judaïsme, lui,  n’a pas la même chance. Les conversions ne suivent pas.

Il faut dire que les Hasmonéens arrivés au pouvoir par une insurrection contre l’hellénisation des mœurs adoptent un peu trop toutes les modes grecques qui passent à leur portée. (Voir les reproches faits à Salomé et sa famille). En perpétuelles guerres intestines c’est à qui offrira le plus à Rome l’occasion  d’intervenir. Pompée le Grand en -63  réglera la question en exterminant 12 000 juifs dans les combats. Autant sont amenés à Rome en esclavage. Ils sont à l’origine de la communauté juive la plus ancienne d’Occident. La caliga romaine écrase la région pour 7 siècles.

Tous ces malheurs accumulés, tous ces espoirs de grandeur déçus depuis des siècles furent le terreau d’où germa et grandit la promesse toujours soutenue de la vengeance ultime, du rétablissement de la grandeur d’Israël, de la fin de la soumission, de l’avènement du Royaume : synthèse du rêve initié par la vieille  l’alliance avec Dieu.

Une symbiose du religieux et du politique, une vision purement juive que l’on ne retrouvera réalisée que plus tard  chez les arabes du Sud.

Chaque prêtre un peu obstiné, chaque lettré, chaque chef de clan connaît cette promesse. Jésus n’invente pas, il veille au contraire à coller aux écritures au point de les rappeler à tout moment.

Oui mais ça commence très mal

Une abomination pour l’Antiquité : non pas un homme  qui devient Dieu mais l’inverse. La question ne sera tranchée que dans 3 siècles mais pour le moment, il s’est fait homme! Ce Dieu des juifs qui était invisible depuis toujours a maintenant une face et une identité. Ce n’est pas très exactement ce qu’il faut faire pour enthousiasmer un juif.

Ce Dieu, au lieu de terminer sa course en apothéose triomphante, échoue lamentablement dans un supplice infâme, « Mors turpissima crucis »le plus abject le plus atroce, une veille de sabbat de l’autre côté des murs de Jérusalem le 7 avril 30, ou le 27 avril 31 ou alors le 3 avril 33.

Rien de ce qu’il a annoncé ne s’est accompli. Le Royaume de Dieu n’est pas advenu, le royaume d’Israël n’est pas restauré. Les Romains impies n’ont pas été chassés de la terre sacrée. À cela il faut ajouter les doutes de Jésus lui-même  jusqu’au dernier moment. Ce n’est pas une montée pénible vers la gloire mais un enfoncement dans les ténèbres «  Elie Elie lammas sabachtani »

On est loin des tableaux de la Renaissance, c’est une déroute, un désastre, une catastrophe.

Pour ajouter à l’échec, tous ont fui ; au pied de la croix pas un disciple  ou des seconds couteaux Simon de Cyrène et Joseph d’Arimathie. Et puis les femmes. Oui, des femmes et comme de bien entendu le dimanche (3ème jour) personne ne les croit… Et rien, le silence pendant 30 ans. Le premier évangile, celui de Marc attendra tout ce temps.

Oui mais, pendant ce temps une sorte de flic persécuteur de chrétiens change de camp et s’agite tellement que… Paul parle, Paul convertit, Paul voyage et Paul écrit.

Mais alors, pourquoi Rome ?

Je pourrais vous inviter à lire trois manuels, deux encyclopédies et une demi-douzaine d’ouvrages traitant de la question,  mais je me suis laissé dire que vous manquiez un peu de temps voire d’envie.

Il ne me reste qu’une solution à l’emporte-pièce.

Si le christianisme a marché à Rome c’est qu’il a échoué ailleurs. Pourtant rien de prédisposait une secte juive à connaître un tel succès, loin de ses bases là où d’après Jésus elle n’avait rien à faire. (Je rends à Caesar…)

Accomplissant au milieu des Juifs une promesse faite à des Juifs, il n’était pas question d’étendre aux autres peuples de la terre ni l’alliance, ni la promesse.

Jésus, en accomplissant la promesse des Écritures, continue à s’inscrire dans la mouvance polymorphe juive qui n’a, il faut le reconnaître, que bien peu à voir avec ce que nous connaissons du christianisme aujourd’hui.

Que s’est-il donc passé ?

Jacques, son frère (selon Mordillat) a repris la boutique et la guéguerre avec le Sanhédrin. Ceux qui avaient condamné Jésus et l’avaient livré aux Romains, ceux qui ont lapidé Etienne deux ou trois ans plus tard sont toujours là. Dispersés en petits groupes, les fidèles de Jésus comptent des :

  • –   Juifs hébraïsant fidèles au Temple compagnons de Jésus convertis à sa parole,
  • –  des juifs (de Samarie)  hellénophones comme presque toutes les populations de l’Orient
  • –  et même des païens hellénophones séduits   par le message du Christ. Tous vivent depuis le temps des pérégrinations de Jésus en communauté soudées idéologiquement et même économiquement.

Cette diversité n’empêche pas que Jacques, le frère, poursuit dans la stricte observance du message christique : de rappel des écritures et de permanentes remontrances au Sanhédrin. En cela il ne se distingue pas beaucoup des Esséniens ou des Baptistes.

Si ce n’était le prosélytisme, rien ne les distingue des Juifs, si ce n’est qu’ils répandent partout que Jésus est ressuscité. Cela dit Jacques ne sait pas trop quoi faire de ces hellénisants et de ces païens

Oui mais il y a  Paul

Saul  n’a jamais vu Jésus. Il aurait reçu mission du Sanhédrin de poursuivre les fidèles de la communauté de Jésus,  il les persécute sans relâche dans la région. Sur le chemin de Damas il est frappé d’un étourdissement qui le bouleverse. De cet instant, une conversion totale  le conduira à mettre le même acharnement au service de Jésus mort qu’il en mettait à chasser ses désormais compagnons. Il se fait baptiser Paul à l’intention des Hellénophones ; la parole messianique de Jésus est, pour lui, universelle. Une série de Lettres, ou Épîtres, témoignent de sa prédication à travers l’Empire romain.

Les chrétiens des origines connaissent déjà ce qui les déchirera aux siècles et aux millénaires suivants, ils se chamaillent, ils se divisent, ils se déchirent. Ils ne se font pas encore la guerre mais ça viendra.

De leurs succès dans les conversions et donc de l’augmentation de l’élément  païen, naissent des querelles permanentes qui peuvent être résumées dans une seule question : le message du Christ ne nous dit-il pas d’aller enseigner toutes les nations ? Il ne nous dit pas de convertir au judaïsme les païens.

La solidarité des communautés va se heurter à au moins quatre écueils.

  • a) Etienne
  • b) La circoncision
  • c) Les repas en commun
  • d) La question des veuves

On ne peut se perdre en précisions de détails mais un minimum peut être apporté.

a- Etienne ( Stephanos hellénophone) vient défendre  le message du Christ face au Sanhédrin. Il est seul, pas un seul membre de l’Église de Jérusalem n’est là, pour le soutenir, voire le défendre. Cette fois-là les grands-prêtres se chargent eux même de l’affaire, ils le condamnent à une lapidation immédiate.

b- La circoncision demeure un problème permanent source de dissensions dans les communautés.

c- Les repas communautaires posent celui des interdits religieux juifs.

d- La question des veuves est plus tordue. Les cadres judéo-chrétiens ne veulent plus avoir à servir aux repas en commun habituels et déclarent que cette tâche un peu secondaire à leurs yeux les détourne de la prière. Comme par hasard de nouveaux cadres seront spécifiquement désignés pour cette tâche. Comme par hasard ce sont des pagano chrétiens qui  sont choisis pour ça.

Paul est un peu mis sur la touche, on ne manque pas de lui rappeler son passé. Il ne cesse d’affronter Jacques et les judéo-chrétiens, donc l’Église de Jérusalem; en même temps, il offre son soutien à toutes les nouvelles communautés qui  germent partout. On peut dire que c’est sous son influence qu’Antioche supplante Jérusalem. Il tarabuste Pierre en vain et … pour faire bref… ils se retrouvent tous les deux à Rome où ils subiront le martyre, Pierre sur la plaine du Vatican et Paul sur la route d’Ostie.

J’ai vu une secte catho intégriste polonaise pratiquer un office curieux à la mémoire de Pierre à l’intérieur du Colisée ????

Heureusement il y a Titus.

L’insurrection de 66  en Judée est telle que tous les courants religieux un peu contestataires sont frappés, les batailles et les massacres auront un effet catastrophique sur la prééminence Juive dans l’Eglise chrétienne. On ne doit pas tout attribuer aux romains, les juifs profitent du climat général pour s’étriper entre eux. Le Temple détruit, l’influence des Sadducéens est réduite à néant, toutes les sectes s’évanouissent ou presque. Les Esséniens conserveront un temps une influence dans les milieux chrétiens. Les Pharisiens, eux, tirent leur épingle du jeu et réorganisent le judaïsme autour de la Torah. Le judaïsme rabbinique en découle.

La révolte de Bar Kokhba 60 ans plus tard réglera définitivement la question. Il n’y a plus de Judée.

Paul a gagné, le message divin gagne toutes les nations et on n’a effectivement plus rien à faire du Temple de Jérusalem. Les pagano-chrétiens hellénophones tiennent toutes les clefs.

Lectures :7037
7 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
nogat
nogat
1 octobre 2012 11 h 28 min

Belle synthèse. Paul a gagné et la construction commence. On parle de révélation et d’amour alors qu’il s’agit de pouvoir !

Causette
Causette
1 octobre 2012 17 h 24 min

Salut

Mais où est passée madame Yahvé?

Je me demande ce qu’auraient été les textes et les us&coutumes des adeptes des deux monothéismes suivants (qui ont largement copié la bible) si des scribes barbus n’avaient pas fait disparaître Ashera l’épouse de leur dieu.

Causette
Causette
1 octobre 2012 18 h 22 min
Reply to  D. Furtif

J’ai ce bouquin de Finkelstein mais je ne l’ai pas encore commencé.

Causette
Causette
2 octobre 2012 0 h 50 min

J’ti jure on découvre de ces trucs!

C’est l’histoire d’un mec qui se trouve à Rome le 10 janvier 236. En se baladant il remarque une réunion chrétiens chargée d’élire un nouveau pape. Il s’approche, timidement il est laïc y veut pas gêner… quand soudain un p’tin pigeon vient se poser sur sa tête. Au moment où il allait le chassait il entend l’assemblée s’écriait: « Il est digne, voici notre nouveau pape! » 😯 Fabien le 20e de la liste.