Gilets jaunes devant, Macron derrière?

Sans présumer de la suite du mouvement « Gilets jaunes », mouvement totalement disparate et sans base syndicale ou partisane réelle , voici quelques petites réflexions sur le sujet.                             

Pour cela il faut se souvenir de ce qu’il se passait avant cette contestation.

Bref retour en arrière: démission de G.Collomb début Octobre. S’ensuit un cirque mediatico-gouvernemental pour annoncer un remaniement qui tarde.

Il tarde même très fortement au point que dans « les milieux autorisés » on s’interroge sur une lutte d’influence entre Macron et Philippe.

Cet épisode et sa suite aura ravivé ce qui se passe depuis plusieurs semaines : la popularité d’Edouard Philippe dépasse celle de Macron et se situe sur une dynamique plus positive.  Chacun essaie d’imposer son poulain dans les ministères idoines, ce premier remaniement d’importance brise le consensus post présidentielle et doit donner le cap et les lignes fortes pour ce qui n’était à ce jour qu’une réunion opportune d’anciens socialistes, de modemeux et d’ex UMP tendance Juppéiste. Finalement c’est un fidèle de Macron, au passé décrit avec « des erreurs de jeunesse » qui prend le ministère de l’intérieur mais perd le titre de ministre d’état: Castaner.

Le temps passé à acter sa nomination alors qu’il était le favori dès le départ en dit long sur les tensions qui ont régné au sein de l’exécutif.

La gestion pourrie de la crise des gilets jaunes

Mis à part quelques allumés qui voient la main de la CIA ou des Rotschild dans la crise actuelle (comme ils la voient aussi pour la révolution française ou la camp du drap d’or), il est difficile de déterminer comment la crise a pu éclater et se propager. Je me régale au passage de quelques articles de presse d’il y a 30 ans qui expliquaient doctement que si l’essence passait le seuil symbolique des 10F/l, il y avait risque réel de révolte. L’euro a permis sans doute de relativiser le ressenti, mais ce qui devait arriver… arriva. Ces mêmes journaux, semblent alors étonnés et cherchent à comprendre sans se préoccuper de regarder leurs propres archives.

Caricaturer le mouvement en personnes voulant seulement du diesel pour leur bagnole est une erreur typiquement germano pratine. Faire culpabiliser l’autre ne pouvait fonctionner parce que justement, le mouvement s’inscrivait, je pense, dans une revendication plus large qui était « arrêtez de nous culpabiliser et de nous prendre pour des cons ». Plus qu’une révolte contre les taxes sur l’essence, c’est une révolte contre la communication politique accumulée depuis l’ère Macron; ses propos déplacés sur les gens de rien faisant écho aux sans dents d’Hollande, ses discours hallucinants à l’étranger sur le peuple français, son mépris de classe et, plus globalement, sur l’invisibilité complète de la France périphérique dans la vision nationale autre que pour se moquer ou identifier l’ennemi climatique, l’ennemi du bien être des classes mondialisées, l’ennemi du progrès quand celui-ci promeut la PMA pour toutes et les délocalisations,  pire sans doute: l’adepte de la France Rance.

Or le peuple, en supposant qu’il existe et soit presque un corps homogène, n’est pas dupe. On l’a incité à rouler en diesel pour sauver la planète, on lui dit qu’en fait c’est une véritable saloperie et donc qu’on va le taxer pour sauver la planète. Les enrobages de com’ ne suffisent plus. Le peuple sait très bien qu’en présentant 0,9% des émissions mondiale, la France pourrait disparaître que ça ne changerait rien, à supposer même qu’il y ait autre chose à faire que s’adapter au changement climatique. Tous les prétextes sont bons pour taxer toujours plus les ennemis, non pour « sauver la planète », mais parce que l’Etat a tout simplement démesurément besoin d’argent. Sauf que l’ennemi, il voit les taxes augmenter et les services de l’état disparaître. Le double peine pour les périphériques: ne profiter aucunement des services de la ville et en plus être taxé d’avantage tout en étant montré comme le « non-avenir » du pays.

Donc dans un premier temps, la caricature n’était pas le bon outil. Comment gérer ce mouvement complètement disparate? Pas de base syndicale ni partisane, personne avec qui dialoguer, des revendications caricaturées mais parfois caricaturales… et l’utilisation massive des réseaux sociaux.

L’enlisement pour radicaliser

Le fait d’utiliser les réseaux sociaux est un handicap pour le contrôle médiatique du mouvement: le risque que l’information échappe aux canaux officiels et vienne polluer le bon peuple français est grand. Cependant, c’est aussi une formidable opportunité pour mieux connaître le mouvement et l’infiltrer facilement. Rien n’est véritablement secret, les gens se lâchent sous couvert d’anonymat bien fragile: bref nous ne sommes pas dans le cadre d’une organisation solide et l’entrisme est d’une facilité déconcertante. Le ministère de l’intérieur serait bien idiot de ne pas l’avoir fait, et quand bien même les actes et manifestations ne sont pas tous déclarés, il est facile de les voir venir, d’identifier les meneurs et d’anticiper les actions.

En ce sens, malgré une communication volontairement stigmatisante et amalgamant gilet jaune et ultra droite, malgré un déploiement préventif inédit (4000 CRS place de l’Etoile samedi dernier) et des annonces de fermeté (on demande aux modérés de ne pas venir à Paris, histoire d’être sûr que le gilet jaune sur Paris est forcément un extrémiste qu’on peut gazer sans problème), le dispositif ne parvient même pas à empêcher que des manifestants casseurs s’introduisent dans l’arc de Triomphe,( j’espère au moins qu’ils ont été cueillis à la sortie) le tout complaisamment relayé par les medias. Les débordements sont innombrables. Le mutisme du gouvernement, puis ses annonces successives ne peuvent convenir. Comment voulez-vous calmer avec une annonce le manque de considération accumulée sur des années? Mais c’est un autre sujet.

Macron est aux abonnés absents, il connaît l’histoire politique récente et pour l’instant elle va dans son sens: qui si ce n’est plus moi?, semble-t-il nous dire. Mélenchon? Le Pen? Zéro chance. Macron sait qu’il a le totem d’immunité pour 4 ans encore. Après les événements de 68, la vague gaulliste a déferlé sur l’assemblée. Rien ne vaut le fait de faire peur aux bourgeois pour les voir venir dans vos bras. Sa politique d’ostracisation de l’opposition, en mettant en avant les extrêmes au détriment des partis plus modérés comme le PS (le parti frère mais non au pouvoir actuellement) et LR (qui reste grassement moqué par l’administration Macron), le place unique interlocuteur; même par défaut. Les gens en auront bien assez vite marre de ces casseurs en jaune. Le plébiscite n’est pas loin.

Le fusible est prêt

Le fait d’avoir la main sur l’intérieur est un atout pour lui. Même si le manifestants scandent « Macron démission », c’est le gouvernement qui est dans la crise. C’est E.Philippe qui doit se démener, comprendre, agir. Il est en première ligne. Il faut éviter tout prix la défection de la police au bout du rouleau et de l’armée déjà grognonne depuis l’épisode De Villiers. La radicalisation, réelle et provoquée, permet aux forces de l’ordre de faire corps, puisque certaines pouvaient se sentir proche des revendications, jamais elles ne renieront leurs camarades de compagnie. Mais au bout du compte, la question d’une démission du premier ministre commence à apparaître.

La boucle est bouclée. D’un premier ministre  en plein élan, concurrençant sérieusement le président de la république, nous sommes passés à l’éventualité d’une démission suite à gestion de crise. Le fusible est prêt.

Évidemment Macron n’est pas à l’origine (autre que par ses actes et ses paroles) du mouvement. Mais il n’empêche que la gestion bizarre de cette crise, quand bien même celle-ci est nouvelle, me font penser à une tentative de profiter des événements pour affaiblir le gêneur. L’avenir nous le dira.

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8 Commentaires
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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
8 décembre 2018 12 h 18 min

Merci de publier cet article qui nous permettra d’y voir un peu plus clair et qui’ m’offrira du temps pour installer la deuxième partie de celui de Causette.
Pour ma part je demeure un peu coincé dans une certaine opacité de la situation.

Quel est l’adversaire de ce mouvement?
Je le vois clamer et réclamer des choses très contradictoires.
.
Par ailleurs un conviction surprenante m’anime.
La tête de l’Etat ne me semble pas à la hauteur de sa tâche

Cosette
Cosette
8 décembre 2018 18 h 35 min

Bonjour Lapa, Bonjour Furtif,

un mouvement disparate, bah! une grande défiance envers les politiques et tous ceux qui tournent autour : médias officiels, syndicats, associations –> subventionnés par l’Etat

cependant ce qui ressort dans les revendications des Gilets jaunes:
– nous payons de plus en plus de taxes,
– notre travail n’est pas reconnu, sous-payé
– les cadeaux fiscaux aux plus riches
et aussi
le comportement insupportable de Macron, ses déclarations et son mépris

(je me demande si le bonhomme n’a pas un grain)

– Macron tout con-tent, hilare même, sur la photo avec des racailles braqueurs et doigt d’honneur

– Macron ne cessant d’insulter des travailleurs : « illettrés » ; « alcoolisme et tabagisme dans le bassin minier » …

Cosette
Cosette
8 décembre 2018 20 h 14 min

Gilets jaunes… Alcoolos ?

Je ne sais pas si tous les départements étaient concernés, en tout cas dans l’Hérault les supermarchés avaient interdiction par arrêté préfectoral de vendre de l’alcool, aujourd’hui, tous les alcools.
Alors que sur le marché, aujourd’hui il y a un marchand de vin, et pas très loin un caviste ouvert (nimportekoi!) hips!

https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/nantes-saint-nazaire-alcool-est-interdit-vente-ce-week-end-1588171.html

Buster
Membre
Buster
9 décembre 2018 3 h 13 min

Sans présumer de la suite du mouvement des « gilets jaunes »….

La mobilisation s’essouffle mais se radicalise (lu ailleurs, de source(s) à priori bien informée(s)), comme un début de la fin.

« Quand les sondages montrent que les deux tiers des Français soutiennent le mouvement des « gilets jaunes », il faudrait analyser plus finement ce que signifie ce soutien et ne pas laisser les « gilets jaunes » se convaincre eux-mêmes qu’ils représentent le peuple tout entier et qu’ils ont par conséquent la légitimité, comme disaient les sans-culottes en 1789, pour se ressaisir de leur souveraineté. »
Elie Cohen et Gérard Grunberg, directeurs de recherche au CNRS
Depuis le début ces sondages (de 75% jusqu’à 84% de soutien) me semblent incompréhensibles et je n’ai vu personne prendre la peine d’une analyse en profondeur, travail que les instituts de sondage ne semblent même pas avoir effectué en balançant des chiffres bruts de décoffrage qui auraient mérité d’être pris avec des pincettes.

Ce mouvement (GJ) sans direction, désespéré et sans solutions de sortie serait-il la (seule ?) réaction impuissante (attendue ?) aux réformes Macroniennes ? Une sorte d’épreuve à passer pour pouvoir continuer sur le même chemin ?
Si demain on doit revoter qui sortira gagnant dans le secret de l’isoloir et combien de GJ qui ont crié « Macron Démission » voteront à nouveau Macron de peur de ne plus pouvoir mettre, et cette fois définitivement, aucune goutte de carburant hyper taxé dans leur véhicule ?

Reste que le prix du meilleur psychologue de l’année ne sera sans doute pas décerné à notre bien aimé Président.

Cosette
Cosette
9 décembre 2018 8 h 53 min
Reply to  Buster

Bonjour à tous, bonjour Buster

Les mêmes experts pour les mêmes bavardages ?
courant les plateaux de télévision
disent leurs opposants
(c’est la guerre des Gauches)

Il me semble que Grunberg, rocardien, a voulu défendre jusqu’au bout Cahuzac, rocardien également. (Ah! l’amitié… )

Élie Cohen, économiste libéral… lors de l’élection présidentielle de 2012, signe l’appel des économistes en soutien au candidat François Hollande
Nous, économistes, soutenons Hollande
« La crédibilité, l’ambition et la cohérence sont du côté » de François Hollande

Lors de celle de 2017, il apporte son soutien à Emmanuel Macron
L’appel de quarante économistes : « Pourquoi nous soutenons Emmanuel Macron »
seul capable, selon eux, de poser les bases d’une nouvelle croissance économique
(lemonde 12 avril 2017)

Cosette
Cosette
9 décembre 2018 9 h 12 min
Reply to  Cosette

On trouvera les « lumières » de ce Club d’intellectuels socio-libéraux-pro-européens
sur le site Telos : articles d’analyse et points de vue «réformistes» (fondé en 2005, présidé par Pascal Lamy)

robert Lavigue
robert Lavigue
10 décembre 2018 11 h 09 min

Je suis en train de compiler une série d’articles de fond sur ce sujet (et j’y ajoute ce billet)
http://lapravda.forumactif.com/t165-gilets-jaunes-on-est-sauve-c-est-la-faute-aux-bots-russes

Ce qui revient souvent (mais ce n’est peut-être qu’une illusion d’optique) c’est l’influence des réseaux sociaux, en particulier de Facebook.

Avec cette réflexion qui revient souvent. Il ne ‘agit pas d’UN mouvement social, mais de 2000 événements disparates.
D’où aussi la difficulté à négocier quoi que ce soit. La détresse de Linda du rond-point de Ropenheim n’a pas grand chose de commun avec la colère de Gilbert du rond-point de Drulingen…

Les vieux outils magiques (manifestations rituelles, négociations rituelles, signatures d’accords rituels) étaient quand même bien efficaces 😯