1793 au May-sur-Evre : une crise démographique


L’étude des registres paroissiaux est riche d’enseignements, tant pour le généalogiste que pour l’historien. Je ne suis pas experte en statistiques ni en démographie, mais certains chiffres sont très parlants. Je vous propose d’étudier une année très spéciale au May : 1793, en pleine révolte vendéenne. En effet, ce qui saute aux yeux lorsqu’on consulte les registres (ceux de 1793 ont été brûlés puis reconstitués a posteriori en 1800) c’est le nombre des sépultures…

Le May en 1789

La paroisse du May (le May-sur-Evre -49- est un gros bourg situé au Nord de Cholet) était alors plus étendue qu’aujourd’hui, puisqu’elle comprenait aussi Bégrolles (Bégrolles-en-Mauges depuis 1850) et Saint-Léger-du-May (Saint Léger-sous-Cholet depuis 1863).
L’ensemble comptait 3592 habitants en 1789 (3900 de nos jours pour le May seul), dont 593 à Bégrolles.
Le May appartenait aux marches d’Anjou & du Poitou et était rédimée de la gabelle. Il y avait alors beaucoup de tisserands, de fileurs, et aussi des maréchaux (fabrication de la thie, instrument aidant au guidage du fil lors du tissage).
Le chaircuitier du village s’appelait Pierre Boisteau, il était marié à Françoise Glenet et était mon aïeul. Sa signature figure parmi celles des cahiers de doléances du May. Toute ma famille maternelle est originaire du May et de ses environs : les Mauges, et j’y compte encore beaucoup de cousins.

Le May en 1793

Un graphique simple permet de chiffrer les pertes effroyables (touchant aussi bien les femmes que les hommes) qui ont découlé des batailles contre les soldats républicains cette année-là. Le « pic de mortalité » ainsi que le déficit de naissance pour l’année suivante, sont très nets.
Dans les décès de 1793 (384, soit dix fois plus qu’une année ordinaire !),
45 ont eu lieu en octobre : la bataille de Cholet, grande déroute des Vendéens, a eu lieu le 18 du mois, les Vendéens se sont repliés vers Saint-Florent en catastrophe.
230 ont eu lieu en décembre dont 92 morts entre le 12 et le 15 du mois, imputables à la bataille du Mans ; et 47 morts entre le 23 et le 25 du mois, imputables à la bataille de Savenay.
Parmi tous ces morts, on peut citer :
La famille Racineux (le père, la mère et deux fils), morts le 16 octobre en franchissant la Loire,
Pierre Racineux et sa femme Anne Boisteau, morts le 13 décembre,
René Glenet, mort à la bataille du Mans le 19 décembre, à 28 ans, sa femme Louise Picherit, faite prisonnière puis fusillée le 13 janvier 1794, ses trois frères et sa sœur morts entre le 12 et le 15 décembre,
Jean Humeau, fusillé à Nantes le 30 décembre, à 24 ans, comme 11 personnes de sa famille mortes en décembre 1793 & janvier 1794 ;
Et aussi pour 1794 :
Jeanne Humeau, fusillée au champ des martyrs à Angers le 18 janvier, à 27 ans,
Jeanne Supiot, prisonnière et fusillée le 28 janvier, à 25 ans,
Michel Boisteau, fusillé à Avrillé le 27 février, à 34 ans (frère de Pierre Boisteau).

Conclusion

Outre la crise démographique, véritable hémorragie, ces évènements de 1793-1794 auront des conséquences économiques (fermes et habitations brûlées par les « colonnes infernales », récoltes perdues…) et politiques aussi, car cette région garde encore « une dent » contre les républicains, et reste encore assez ancrée dans ses choix politiques et religieux vers la tradition.
Sources : Etat-Civil du May/Evre (reconstitué en 1800)
Ouvrages de D. Lambert de la Douannerie et de M. Fradin
Comptage des naissances & décès entre 1790 & 1800 par Marcel Boistaud
Fantomette
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Léon
Léon
3 juin 2010 12 h 48 min

Bravo et bienvenue à Fantomette. Nous verrons comment ce genre d’article est accueilli, mais personnellement je suis fan !

Ph. Renève
Ph. Renève
3 juin 2010 13 h 48 min
Reply to  Léon

Oui, merci à Fantomette: l’Histoire devient parfois concrète avec de tels textes.

Tall
Tall
3 juin 2010 13 h 14 min

hé oui, la république laïque s’est imposée dans le sang
mais à l’époque, y avait pas d’autre moyen
même si robespierre a exagéré

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
3 juin 2010 13 h 56 min

Bonjour Mam Fantomette juste un petit lien pour aider à la compréhension

Papy
Papy
3 juin 2010 14 h 17 min

Bonjour Fantomette,

Bon article. C’est toute la Vendée qui a subit cette tragédie.

Suite à la bataille de Savenay le 23 décembre 1793, Westermann écrivait à la convention :

« Il n’y a plus de Vendée, elle est morte sous notre sabre libre avec ses femmes et ses enfants ; je viens de l’enterrer dans les marais et dans les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’aviez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins, pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands ; je n’ai pas un prisonnier à me reprocher ; j’ai tout exterminé… Les routes sont semées de cadavres, il y en a tant que sur plusieurs points ils forment des pyramides. On fusille sans cesse à Savenay ; car, à chaque instant, il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers. Kléber et Marceau ne sont plus là ; nous ne faisons plus de prisonniers. Il faudrait leur donner le pain de la liberté et la pitié n’est pas révolutionnaire »

Et en jetant les nouveaux nés dans les fours à pain, il disaient fièrement : « c’est comme cela que la république doit faire cuire son pain ».

Léon
Léon
3 juin 2010 18 h 25 min

Je me suis fait une remarque analogue sur un monument de la guerre de 14-18 : il y avait huit morts portant le même nom de famille !
C’est vrai que cette guerre de Vendée n’a pas toujours été correctement évaluée du point de vue du massacre qu’elle a été.

Papy
Papy
3 juin 2010 18 h 37 min

Leon,

De plus en plus d’historiens reconnaissent le caractère génocidaire des massacres de Vendée : éliminations en masse par diverses méthodes plus atroces les unes que les autres, massacres des femmes, vieillards, et enfants.

Des années sombres dans ce siècle des lumières.

snoopy86
Membre
snoopy86
3 juin 2010 19 h 15 min

Bonjour Fantomette

Merci de votre article.

J’ai par une grand-mère une ascendance commune avec Marigny et Lescure deux grands chefs vendéens. Le souvenir de ces horreurs était encore inscrit dans la mémoire de nombreuses familles, non seulement de Vendée mais du grand ouest. J’ai encore le souvenir d’entendre parler de  » La Gueuse et ses bleus « .

Ce n’est pas tout à fait par hasard si la Vendée aujourd’hui vote massivement De Villiers.

Un trés bon site pour ceux qui connaissent mal l’histoire du génocide :

http://gvendee.free.fr/

ranta
ranta
3 juin 2010 20 h 01 min

J’ai aimé.

Lire que 45 personnes d’un même bourg sont mortes le même jour, par exemple, amène à se poser la question de comment les gens du bourg ont pu le vivre.

Tall
Tall
3 juin 2010 20 h 14 min

faut voir surtout ce qu’on retire de cette histoire

si c’est pour souligner les capacités meurtrières de l’homme en général et en certaines circonstances, c’est instructif, car c’est applicable à toute communauté sans exception

mais si c’est pour en tirer que les « X » sont des immondes crapules tandis que les « Y » sont des braves, ça c’est de la connerie

et la connerie, c’est la meilleure façon de repasser les plats

ranta
ranta
5 juin 2010 17 h 19 min
Reply to  Fantomette

Plonger le nez dans les archives, les registres municipaux c’est vraiment tenter de s’immerger dans le passé, bien plus que ce l’on peut ressentir en ouvrant un livre d’histoire.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
5 juin 2010 18 h 00 min
Reply to  ranta

Ranta tu fais une petite confusion entre les livres qui causent d’histoire et les livres d’histoire.

ranta
ranta
5 juin 2010 18 h 13 min
Reply to  D. Furtif

Pas forcément. L’historien à l’étude des documents a bien dû s’imaginer une façon de vivre les événements.

ranta
ranta
5 juin 2010 18 h 25 min
Reply to  ranta

Mais je comprends ce que tu veux dire, et tu n’as pas tort.

Waldgänger
Waldgänger
5 juin 2010 21 h 41 min
Reply to  ranta

Furtif,

J’ai été étudiant en Histoire (et ai un peu enseigné) et Ranta n’a pas tort d’une certaine manière. L’enseignement de la discipline fait trop de place aux cours magistraux et pas assez aux études de documents, ce que je trouve dommage.

J’ai eu des professeurs étrangers à l’Université et j’ai toujours préféré leur approche : quelques notions de cours et on étudie la matière historique brute, en comprenant soi-même et pas à travers le prisme d’autrui (celui des livres d’histoire, souvent bons mais pas toujours). Il y a un apprentissage dans par un processus dynamique et individuel, que j’ai de loin préféré.

Je crois simplement qu’il faut alterner les deux modes Furtif. C’est la première fois que je suggère une autre idée que celle d’un intervenant ici. J’espère que vous ne m’en voudrez pas trop. 😉

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
5 juin 2010 23 h 16 min
Reply to  Waldgänger

Bonsoir Wald j’arrive bien tard.C’est marrant je ne suis pas d’accord avec toi parce que tu dis des choses avec les quelles je suis d’accord.
Il faut que les facs aient été bien démembrées pour en arriver à la distinction que tu fais.
Il est évident que les cours de fac d’histoire doivent porter sur les contenus documentaires et non pas dans la reproduction ânonnée des gloses au sujet de c’est à dire de manuels…
L’université et l’enseignement de l’histoire aurait bien périclité depuis que je l’aurais quittée

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
5 juin 2010 23 h 25 min
Reply to  D. Furtif

Ce qui veut dire que toutes choses étant dites, si Ranta et toi voient les facs comme on n’aurait pas voulu voir mes lycées…On est très mal.Et l’histoire aussi.

L’exercice de dépouillement des registres paroissiaux était un passage obligé de ma formation et je n’étais pas une flèche…loin de là. Donc ce que nous a offert Fantomette a été pour ma part un souvenir de ma jeunesse mais pas un évènement extraordinaire si on ne s’arrête pas à la qualité de sa présentation.

Me suis- je cette fois bien fait comprendre?

ranta
ranta
6 juin 2010 9 h 16 min
Reply to  D. Furtif

Ouulala…bien loin de moi l’intention de dire comment voir les facs, les lycées et les collèges, j’en suis bien incapable.

Non, je disais que si, par exemple j’ouvre un livre d’histoire et que je vais à la bataille de Marignan je vais y trouver une description de la situation politique, le déroulement de la bataille, le nombre de morts, , et voilà….de l’abstrait. En revanche, si je prend un des combattants lambda , je vais être obligé de voir, d’imaginer ce que je retrouve pas dans l’article ou le cours, comme la façon de se nourrir, de se vêtir, les relations sociales….des tranches de vie quoi….

Waldgänger
Waldgänger
6 juin 2010 16 h 50 min
Reply to  D. Furtif

Furtif,

Il est vrai que les TD, les études de documents ont une place à l’Université, mais là où je suis passé je l’ai toujours trouvée insuffisante. Et il y a une chose que je n’ai pas appréciée, c’est le poids trop grand d’une critique externe des documents (la contextualisation) que j’ai trouvée très aride, sans lien avec ce que les documents avaient d’uniques en eux-mêmes au fonds de leur logique interne, sur leur pur contenu. J’ai fait pas mal d’études de ce style où on avait des documents prétextes à nous faire embrayer automatiquement sur une idée attendue. Avec des enseignants étrangers, c’était difficile, car ils nous demandaient de la vraie analyse du document, comment est-ce qu’on pouvait en dire quelque chose, en le prenant en tant que document isolé.

En documents, j’ai étudié de tout, et surtout des textes à dominante idéologiques, culturels, des chroniques, etc…, mais je suis médiéviste de formation et c’est une école très branchée sur l’histoire des mentalités et l’histoire culturelle. C’est vrai que quand j’entendais parler de ce que faisaient les modernistes, c’était bien plus le travail ingrat de dépouillement des registres paroissiaux (plus d’un étudiant a du maudire François Ier). Je comprends que ça ne vous ait pas forcément enthousiasmé.

rocla
rocla
5 juin 2010 17 h 47 min

C ‘ était presque hier.

Ma grand-mère décédée en 1990 avait 102 ans , donc née en 1888 .
Petit , elle me racontait des histoires anciennes remontant à l’ époque de ses grands parents , presque la période citée plus haut .

Le monde mourira de sa perte de mémoire .

Mourra pour les autres .

Waldgänger
Waldgänger
5 juin 2010 21 h 26 min

Très bon article. De tels chiffres donnent le vertige. J’ai vu que l’auteur cite des fusillés en 1794, tous au début de l’année. Est ce que la répression s’est concentrée sur le début de 1794 ou est-ce qu’elle s’est poursuivie au long de l’année ? Si vous avez des éléments, ma curiosité en serait satisfaite.

J’ai eu en main récemment un ouvrage choletais à la date incertaine, car sa numération en chiffres romains (comme la grande majorité des livres anciens) était incohérente. Il y avait plusieurs manières d’interpréter cette date, les deux hypothèses les plus plausibles étaient 1743 et 1793.

Il a été imprimé à Cholet en tout cas, mais j’ai eu des doutes sur cette éventualité, car je voyais mal un livre de cette époque à Cholet, dont l’imprimerie ne devait pas être très active au vu du contexte.

L'enfoiré
L'enfoiré
6 juin 2010 13 h 33 min

La République est un symbole. L’homme marche au symbole. Oublie le prix de la vie.
Faites le test aujourd’hui.
Est-ce vraiment différent?
Quand on se retire derrière un drapeau, faut pas s’attendre à des sursauts d’humanité.
Les symboles rendent sourds.

finael
finael
8 juin 2010 18 h 18 min

L’étude des archives d’état-civil et des archives paroissiales est effectivement une mine d’or pour connaître les conditions de vie en un lieu particulier.

Pour avoir épluché les archives d’une autre commune de Touraine j’ai pu y constater l’abondance des décès dans les années précédant la révolution (de 1784 à 1788). Avec une autre particularité, la « jeunesse » relative des décédés et le nombre d’enfants en très bas âge décédant à quelques jours, ou quelques mois.

A l’époque on baptisait les enfants le plus vite possible à cause de la mortalité infantile, en général le lendemain de leur naissance, et quand c’était le jour même cela laissait présager une mort rapide. On avait peur que l’âme du nouveau-né ne reste dans les « limbes » s’il mourrait sans avoir été baptisé.

Autre période caractéristique : les années 1810 – 1814 avec un nombre très réduit de mariages, signe que les jeunes hommes étaient enrôlés en grand nombre par Napoléon. On a un peu oublié, du fait de la légende dorée propagée par Victor Hugo, que dans les campagnes on le surnommait « l’ogre » de son vivant.