Placebos : du débarquement Allié sur la plage de Salerne à la conversion de Big Pharma ( Réédition)

( Réédition d’un article paru sur Disons en juillet 2010)

9 septembre 1943, 3h30, Salerne. Après avoir envahi la Sicile en compagnie des forces alliées, la Ve armée des Etats-Unis commence son débarquement dans l’Italie du Sud. En neuf jours de violentes batailles, les pertes américaines s’élèvent à 3500 hommes, dont environ 500 tués, 1800 blessés et 1200 disparus. L’anesthésisteHenry Beecher, officiant dans l’hôpital de campagne qui soigne les soldats victimes des bombardements allemands, est à court de morphine pour soulager les souffrances des blessés. Mais alors qu’il est penché, impuissant, sur un de ces soldats qui hurle de douleur, l’infirmière qui assiste le médecin annonce au blessé qu’elle va lui injecter une dose de cet analgésique, ce qu’elle fait fait aussitôt. Très vite le soldat se sent soulagé, ce qui permet aux médecins de poursuivre sans problèmes leurs soins.

Les métastases d’une seringue d’eau salée

Ce que ce soldat ne savait pas, c’est que la salvatrice seringue de l’infirmière compatissante ne contenait qu’une solution d’eau salée.Henry Beecher et elle se regardèrent, stupéfaits. L’effet placebo venait d’entrer par effraction dans le domaine de la recherche scientifique.

L’Histoire n’a pas retenu le nom de cette infirmière bien inspirée. Par contre, Henry Beecher, de retour à Harvard, USA après avoir été démobilisé, se fera connaître par ses travaux originaux et précurseurs sur l’utilisation qui peut-être faite de ce phénomène déjà évoqué dans la littérature médicale étatsunienne sous le nom d’“effet placebo”… et dont il méconnaîtra pourtant la valeur. Cet effet mystérieux n’était pas inconnu des divers soignants à travers les siècles avant le débarquement des troupes alliées en Italie (ils l’utilisaient alors de manière implicite et empirique pour rassurer des patients plus ou moins inquiets de leur santé), mais personne jusqu’à présent ne semblait s’y être intéressé de près, le considérant probablement comme une sorte de curieuse anomalie qui ne devait pas détourner la pharmacologie de la recherche de substances guérisseuses actives. Henry Beecher, lui, en fera sans vraiment l’avoir voulu un centre d’intérêt médical majeur.

Au début de la seconde moitié du XXe siècle, l’industrie pharmaceutique avançait quasiment à l’aveugle dans ses tests préalables aux autorisations de mise sur le marché des médicaments : on dosait alors empiriquement ceux-ci en faisant des essais-erreurs sur des cobayes volontaires jusqu’au moment où les éventuels effets bénéfiques des traitements paraissaient suffisamment avérés pour que leurs éventuels effets secondaires indésirables soient négligés ou admis comme de moindres maux. Fort (???) de son expérience italienne, Beecher proposa alors de changer de méthode et de désormais comparer l’état de santé des cobayes ayant reçu une substance active avec celui d’un groupe témoin n’ayant reçu qu’un placebo. Ainsi les autorités sanitaires pourraient-elles mesurer de manière objective si oui ou non le principe actif en question l’était réellement.

Beecher mit une dizaine d’années à convaincre la communauté médicale d’adopter sa méthode. Il y parvint en 1962 lorsqu’éclata le scandale de la Thalidomide, un médicament assez couramment utilisé dans les années 50 pour ses vertus hypnotiques chez l’enfant et sédatives chez la femme enceinte, et dont on se rendit compte tardivement il était à l’origine de graves malformations génitales. Dès lors, la méthode du “double aveugle” suggérée par Beecher s’imposa et est depuis universellement utilisée par les laboratoires pharmaceutiques.

Ce qu’il y a de très curieux dans cette affaire, c’est que Beecher, tout à sa volonté de convaincre la Food & Drug Administration de n’autoriser que des médicaments ayant été soumis à ce test basé sur l’inefficacité de principe du placebo, avait mis de côté que, dans certaines circonstances et pour certaines pathologies, un placebo pouvait être aussi efficace qu’un principe actif, ce qu’il avait pu constater dans son hôpital de campagne militaire ! Cet intéressant paradoxe qui l’a conduit à lui-même rejeter sa propre découverte découle probablement d’une conception de la médecine (conception qu’il partageait avec ceux dont il combattait les méthodes !) pour laquelle le physiologique l’emporte toujours sur le psychologique, comme s’il n’y avait pas une physiologie des états psychologiques et une psychologie des états physiologiques…

La cartographie biochimique de la “réponse placebo”

D’autres médecins et pharmacologues, en se basant sur les constatations de Beecher mais sans partager ses paradoxes ni son aveuglement, ont continué leurs recherches sur les effets des placebos, comme par exemple Fabrizzio Benedetti, de l’université de Turin, en étudiant la douleur dans les années 90. Il s’est alors rendu compte que les laboratoires pharmaceutiques ne cherchaient nullement à comprendre les mécanismes de fonctionnement des placebos, qu’ils ne considéraient au pire que comme des nuisances, et au mieux comme d’inoffensifs sparring-partners prouvant que leurs produits à base de principes actifs étaient efficaces, eux. Benedetti s’acharna alors à cartographier le maximum de réactions biochimiques induites par  ce qu’il a appelé la “réponse placebo” (qu’il préfère à “effet placebo” pour des raisons bien compréhensibles), démontrant qu’il existe bien des mécanismes d’auto-guérison de la douleur et du stress par activation des antalgiques produits par l’organisme.

Cette “réponse placebo” a évidemment ses limites thérapeutiques, qui sont celles des productions biochimiques du système corporel endogène : le cerveau produit certes des endorphines, mais en cas de douleur extrême, celles-ci seront insuffisantes pour la soulager, et il faudra en importer d’autres comme la morphine. De même, si les placebos s’avèrent efficaces pour soulager certains effets indésirables des chimiothérapies, jamais ils ne viendront à bout d’une tumeur cancéreuse.

Un autre aspect intéressant de la “réponse placebo” a été étudié suite à la création en 2002 d’un nouvel antidépresseur, le MK-869, par la firme pharmaceutique Merck. Au cours des séances de tests en double aveugle, ce produit miracle s’est révélé être aussi efficace que les placebos du groupe-témoin, au désespoir de la société qui misait sur ce produit pour faire remonter le cours de ses actions en pleine dégringolade… De quoi soigner sa dépression boursière avec de vulgaires placebos gratuits, un comble pour Big Pharma et ses gloutons actionnaires !

Le neuromarketing au service des placebos

Mais du coup, de plus en plus de chercheurs se sont intéressés au fait que l’inoffensif lactose contenu dans la plupart des placebos avait bel et bien des effets thérapeutiques améliorant notablement les états de santé de certains patients : le verrou mis sur la recherche en placebos avait définitivement sauté.

Les experts en neuromarketing se sont eux aussi sérieusement penchés sur le sujet, démontrant qu’un intense matraquage publicitaire autour de placebos pouvait avoir de miraculeux effets thérapeutiques. On savait déjà que les pilules bleues pâle étaient avaient des effets généralement plus apaisants que leurs homologues rouges, à principe actif égal… cet effet de couleur variant amplement selon les sociocultures et leurs symboliques chromatiques. Mais désormais et surtout depuis 2009 les recherches s’accélèrent puisque lesgrands labos pharmaceutiques eux-mêmes, pour une fois tous réunis, les financent, appâtés par la possibilité de vendre elles-mêmes ces si efficaces et peu coûteux placebos, en plus de leurs produits à principes actifs.

Et l’on retrouve ici le paradoxe de Beecher : alors qu’il avait constaté l’efficacité d’un placebo, il n’a eu de cesse de dévaloriser celui-ci pour mieux promouvoir gâce à lui des médicaments à principes biochimiques actifs ; de même, les grands labos pharmaceutiques, en mettant le paquet pour réussir à contrôler le cerveau grâce à un antidépresseur, en sont venus à découvrir sans l’avoir voulu des propriétés guérisseuses inattendues de nos systèmes nerveux supérieurs… Que de chemin parcouru depuis cet hôpital de campagne militaire d’Italie du sud lorsque Beecher a observé ce qu’il n’a jamais compris !

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3 Commentaires
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Léon
Léon
23 janvier 2012 16 h 03 min

Je transmets aux Disonneurs le salut amical de Marsupilami !
Pour revenir au sujet de l’article, le placebo m’a toujours fasciné en ce qu’il montre une limite incroyable de l’allopathie.
Et pourtant nul ne peut me soupçonner d’accorder le moindre crédit aux médecines « alternatives »…

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
24 janvier 2012 8 h 43 min

Article réjouissant , c’est toujours un plaisir de relire de bons articles
Il faut s’arrêter au distinguo
effet placebo
– réponse placebo
.
Il est fondamental et coupe sous le pied les manœuvres des charlatans de tout poil qui voudraient faire passer une réponse à la douleur pour un traitement de la pathologie.
.
Quand je pense que certains charlatans vendent l’eau de mer au prix du  » hors d’âge » et que certains allumés prétendent que c’est par philanthropie…J’enrage

Causette
Causette
24 janvier 2012 9 h 57 min

pffff! le nombre de femmes bien inspirées que l’Histoire n’a pas retenu 🙄 j’en ai le vertige.

Salut à Marsupilami et bonjour à tous