Les médicaments génériques : une vraie ou fausse bonne idée ?

Titre volontairement provocateur j’en conviens. Mais le sujet est complexe ; j’espère que cet article ne le sera pas trop !

A titre personnel et professionnel, je n’ai rien contre les médicaments génériques, et j’en prescris tous les jours. Il existe cependant de vraies questions sur leur tolérance et leur efficacité : normalement il s’agit du même médicament mais il y a des nuances…

Définition du médicament générique :

Lorsqu’un laboratoire met au point un médicament, il garde l’exclusivité de sa commercialisation jusqu’à l’expiration du brevet et jusqu’à l’expiration de la durée de protection des données de l’AMM (autorisation de mise sur le marché), de 10 ans en France ; une copie du produit original peut ensuite être développée et commercialisée par un autre laboratoire. On l’appelle médicament générique.

Une définition légale a été introduite dans le Code de la Santé Publique depuis 1996 (article L.5121-1 CSP) : on entend par spécialité générique d’une autre spécialité, une spécialité qui a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique, et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence [1] a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité. » Le dossier requis par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé pour l’enregistrement de cette copie est substantiellement facilité par rapport à celui du produit original (études de bioéquivalence [2] exigées mais dispense d’études pharmaco-toxico-cliniques).

On distingue trois types de génériques :

  • La copie exacte : C’est la copie conforme du médicament original (même substance active, même quantité, même forme galénique, mêmes excipients) souvent produite par le même laboratoire pharmaceutique.
  • Les médicaments essentiellement similaires: L’excipient change mais ni la substance active, ni sa quantité, ni la forme galénique ; ces génériques doivent uniquement prouver leur bioéquivalence avec le médicament original. Attention, si la substance active est rigoureusement la même, les excipients contenus pourraient toutefois modifier les effets, par exemple en modifiant la vitesse du passage du principe actif dans l’organisme. Pour cette raison, les laboratoires doivent produire une étude de bioéquivalence, prouvant que les nouveaux excipients ne modifient ni la quantité de substance active qui passe dans le sang, ni la vitesse à laquelle elle atteint l’organe cible.
  • Les médicaments assimilables: Des modifications minimes peuvent affecter la forme galénique (comprimé au lieu de gélule par exemple), la forme chimique de la substance active (sel au lieu de base, par exemple) ; ces génériques doivent également prouver leur bioéquivalence avec le médicament original.

Stricto sensu, un médicament de la même classe thérapeutique, utilisé dans les mêmes indications mais avec une molécule différente, n’est pas un générique : il y a un effet thérapeutique et des effets secondaires ou contre-indications identiques ou à peu près mais ce sont des effets de classe. L’un ne doit pas être substitué par l’autre.

Wikipédia :

Site du LEEM :

Délivrance du médicament générique

Après l’obtention de l’AMM, qui mentionne sa qualité de médicament générique, le générique est inscrit au répertoire des spécialités génériques. La spécialité de référence et ses génériques constituent un « groupe générique ». Cette inscription est obligatoire pour permettre la substitution par le pharmacien. Le répertoire des génériques mentionne également la présence éventuelle d’excipients à effet notoire [3] dont la présence peut modifier la tolérance d’un générique.

Le droit de substitution d’un médicament de référence par son générique existe depuis la loi de 1999 et le décret n° 99-486 du 11 juin 1999 relatif aux spécialités génériques et au droit de substitution du pharmacien et modifiant le code de la santé publique (article L. 5125-23 CSP).

Si la prescription du médecin a été faite directement en DCI (dénomination commune internationale ou nom de molécule), le pharmacien peut délivrer un générique. Si la prescription a prescrit un médicament de référence ou un générique précis, le pharmacien peut substituer (dans la réalité des choses, non seulement il peut mais il doit, il y est en effet fortement incité par des mesures financières – carotte et bâton tant pour lui que pour le patient – par les caisses d’Assurance Maladie) par une autre spécialité, toujours en respectant certaines règles :

  • la substitution doit se faire avec une spécialité inscrire au répertoire dans le même groupe générique,
  • la substitution n’est possible que si le médecin ne l’a expressémentpas exclue par une mention particulière sur l’ordonnance,
  • le pharmacien doit tenir compte des fameux excipients à effet notoire,
  • il doit aussi mentionner sur l’ordonnance le nom du générique délivré,
  • la substitution ne doit pas entraîner pour l’assurance maladie une dépense supérieure à celle qu’aurait entraînée la délivrance du générique le plus cher au sein de ce groupe.

Je ne peux m’empêcher quelques remarques personnelles : tout a l’air très calibré et étudié pour que le médicament générique soit semblable au médicament de référence et qu’il coûte moins cher à l’assurance maladie, donc à nous. C’est vrai dans la majorité des cas. Mais pas toujours…

Le dernier item en particulier est intéressant dans sa formulation : le pharmacien doit délivrer un générique s’il substitue, mais pas forcément le moins cher, donc si le laboratoire qui fabrique le médicament de référence décide de « jouer le jeu » et de baisser le prix de son médicament sur celui du générique le moins cher, le pharmacien peu très bien délivrer un générique plus cher que le médicament de référence, en toute légalité. Du coup pas d’économie mais on est dans les clous !

Deuxième remarque : le pharmacien est désormais autorisé (et même fortement incité, toujours la carotte et le bâton, loi Châtel de 2007) à ne proposer le tiers payant que si le patient accepte la substitution, sauf si le médecin mentionne expressément qu’il refuse la substitution. Quant on sait ce que peut coûter une ordonnance pour un malade chronique ayant plusieurs médicaments (au hasard un patient diabétique, hypertendu, ayant des soucis avec sa prostate et pour dormir) on conçoit que ce patient aura peu envie d’avancer les frais ! Et ce, même s’il ne refuse la substitution que pour un médicament : on lui fera payer toute l’ordonnance…

Site Esculape : http://www.esculape.com/medicament/generik_substitution.html

Les questions qui fâchent

  1. Est-ce (vraiment) la même chose ?

That is the question ! Il faudrait être certain de délivrer une copie conforme ; le médecin pourrait mentionner sur l’ordonnance, par exemple : « Je dis et je confirme qu’en cas de substitution d’un ou de plusieurs de ces produits, la DCI, l’excipient et la forme galénique doivent être rigoureusement identiques au médicament prescrit », mais je ne suis pas sûre que cette formulation serait appréciée des pharmaciens ! En effet, ils ne peuvent pas avoir en stock tous les génériques possibles, ils donnent celui qu’ils ont. Ou commandent celui qui est expressément demandé (mais surcroît de travail).

De plus, je ne l’ai pas mentionné ici, mais certains génériqueurs font fabriquer leur générique en Asie, en Inde principalement, là où les cahiers des charges ne sont pas les mêmes. Normalement pour obtenir la fameuse AMM (autorisation de Mise sur le marché) tout est vérifié, mais…

Site du Dr DUPAGNE :

2. Les effets secondaires, les excipients à effet notoire, les médicaments à marge thérapeutique étroite :

Les effets secondaires d’un générique sont ceux de la spécialité originale. On peut y ajouter l’effet placebo (ça marche même quand il n’y a pas de médicament dans le comprimé !), ou l’effet nocebo (on a les effets secondaires même si on prend un placebo), non négligeables.

Les excipients à effet notoire peuvent individuellement modifier la tolérance ou l’efficacité d’un générique.

Une note particulière concerne les médicaments à marge thérapeutique étroite [4]. Ces médicaments sont à manier avec précaution, et souvent ils font l’objet d’une surveillance rapprochée, clinique ou par des dosages biologiques : c’est le cas des anticoagulants (d’un côté on veut protéger d’un caillot, de l’autre on ne vaut pas provoquer d’hémorragie), des hypoglycémiants (on traite une hyperglycémie chronique en évitant l’hypoglycémie accidentelle)… L’effet toxique est proche de l’effet thérapeutique : en prenant un générique dont on a accordé la bioéquivalence dans une fourchette de 80 à 125% on risque d’atteindre très vite l’effet toxique !

Se pose aussi le problème du patient polymédiqué, souvent âgé, qui peut en tout bonne fois se tromper dans ses médicaments si les génériques changent trop souvent (le petit comprimé blanc devient une gélule rose, la gélule jaune devient un comprimé rond, etc.), s’exposant ainsi à une pathologie iatrogénique [5].

Site de la BDSP :

Site du Docteur du 16 :

Le site du Poligeek :

http://www.club-epilepsies.asso.fr/Documents/AFSSAPS/anti_epileptiq_extrait_crpv.pdf

3.Et les économies dans tout ça ?

Le prix des génériques est en moyenne de 30% à 50 % moins cher que la spécialité de référence tel qu’il était au moment de l’arrivée des premiers génériques. Ensuite, le prix des spécialités de référence est souvent baissé pour se rapprocher de celui des génériques (le laboratoire essaie de ne pas perdre le marché) ce qui est bénéfique pour les remboursements. Parfois, la spécialité de référence disparaît tout à fait, le labo ayant soit perdu trop de parts de marché, soit fait le choix de ne pas se battre pour cette molécule.

Les génériques ont permis d’économiser 1 milliard d’euros en 2006, puis en 2007 sur le remboursement des médicaments. Ces chiffres ne tiennent pas compte des frais occasionnés par leur iatrogénie (accidents thérapeutiques, surdosages dus à des erreurs de prises ou des confusions plus qu’aux excipients déjà cités).

Site de la Mutuelle Générale :

Un papier de la NR Vienne :


En guise de conclusion

Les économiessont réelles, sur une grande échelle, car la majorité efface les cas particuliers. On aurait pu choisir de rembourser tous les médicaments d’un même groupe générique au même tarif (tarif de responsabilité), le patient gardant à charge la différence de remboursement quand elle existe. La solution aurait sans doute été plus simple (je n’y connais rien en économie) mais elle n’a pas eu vraiment de succès, même si elle a été mise en place pour certaines molécules..

En pratique :

En cas de traitement chroniquepar un médicament à marge thérapeutique étroite(antiarythmique, antiépileptique, anticoagulant, digitalique, immunosuppresseur, sulfamide hypoglycémiant, etc.) il est préférable de ne pas substituer la spécialité avec laquelle le patient est bien équilibré. Le médecin a alors le droit de mentionner « non substituable » sur son ordonnance afin que le patient reçoive toujours la même spécialité. Si le traitement a été débuté avec un générique il faut continuer avec le même générique (mais le pharmacien change parfois de laboratoire « génériqueur » fournisseur, auquel cas il est préférable d’en informer le médecin et le patient). Je conseillerai aussi au patient de garder « son » pharmacien pour le suivi de son ordonnance.

En cas de traitement aigu et de traitement chronique par un médicament dont la marge thérapeutique est large, la substitution ne pose en général pas de problème si elle est faite dans les règles de l’art.

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Notes :

[1] Une spécialité de référence, encore appelée médicament princeps, est une spécialité ayant obtenu une AMM grâce à un dossier pharmaceutique, pharmacologique, toxicologique et clinique complet, et qui est ou a été commercialisé en France.

[2]La biodisponibilité représente la quantité relative de principe actif absorbée par l’organisme par rapport à la quantité administrée. La bioéquivalence est mesurée chez des sujets sains (pas d’étude chez les sujets malades pour les génériques) en comparant les courbes de biodisponibilité du médicament testé et du médicament de référence. La biodisponibilité est acceptée si les intervalles de confiance sont compris entre 80% et 125% (directive européenne).

[3]Excipient à effet notoire : substance sans effet thérapeutique, utilisée pour la fabrication du médicament, et pouvant parfois créer un effet indésirable ou dont on doit tenir compte (allergie, intolérances…). Le lactose, le glucose, l’éthanol en sont des exemples. Il existe une liste des excipients, régulièrement mise à jour.

[4]La marge thérapeutique d’un médicament est l’espace entre le seuil d’efficacité et le seuil de toxicité de ce médicament, définis sur sa courbe de concentration dans le sang. Tout traitement médicamenteux vise à obtenir une concentration plasmatique du principe actif qui se situe à l’intérieur de cette marge. La largeur de la marge peut également varier. Lorsqu’elle est plus faible, la marge de sécurité d’emploi décroît et cela nécessite une plus grande vigilance.

[5] Iatrogénie: toute pathogénie d’origine médicale au sens large, compte tenu de l’état de l’art à un moment donné, qui ne préjuge en rien d’une erreur, d’une faute ou d’une négligence. Cela regroupe les accidents thérapeutiques, les surdosages, qu’il y ait eu erreur ou non lors de la prescription et la délivrance. Cette iatrogénie augmente exponentiellement avec le nombre de médicaments sur l’ordonnance : les effets propres de chaque médicament s’additionnant à leurs interactions.

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Ph. Renève
Ph. Renève
30 novembre 2010 7 h 30 min

Merci, Fantomette, pour cet article complet et agréable à lire.

Comment pour le commun des patients savoir en pratique si un médicament a une marge thérapeutique étroite ? Par les mises en garde de surdosage ?

Ph. Renève
Ph. Renève
30 novembre 2010 11 h 27 min
Reply to  Fantomette

J’espérais bien qu’il le sait ! 😉

Mais donc pour le patient moyen, l’information ne semble pas très évidente, si ?

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
30 novembre 2010 8 h 59 min

Merci Fantomette pour ton article. Il est des lumières à l’effet fracassant , ton article est de ce genre là.
Avec peu de résistance , parfois avec complaisance, tous les gouvernements ont participé au mouvement qui a fait passer la santé et ses exigences sanitaires sous le joug des impératifs dictés par l’organisation mondiale du commerce.

-Nous entrons dans la période de Noël , nous allons comme tous les ans être informés de l’existence sur le marché de jouets dangereux pour la santé et la sécurité de nos enfants.Dans le monde rêvé par le libéralisme il en est de même désormais pour les médicaments.Pour faire une formule l’OMS est désormais aux ordres de l’OMC.La désinvolture, voire parfois, le cynisme des gouvernements , les ont conduits mettre la main dans le pot de confiture. La déontologie des pharmaciens s’est heurtée aux carottes tendues par les laboratoires, il leur aurait fallu de l’héroïsme pour lutter contre le vent dominant quand même des gens dont le discours moralisateurs se voulant de gauche participait à la déliquescence généralisée et à l’abandon des exigences scientifiques mêlaient leur aventurisme incompétent à l’abandon général.

-Nous le savons maintenant, comme tous les produits, les médicaments les plus répandus vont être ceux qui seront fabriqués à plus bas prix, les marges offertes aux rouages humains aideront à faire passer la pilule.Mais comment faire respecter les principes scientifiques quand les voix du commerce reçoivent le concours de celles des charlatans dans un concert où la bien pensance gauchiste orchestre la musique libérale.Quand ces voix viennent exiger que certains médicaments soient exemptés des contrôles généraux de l’AMM, que les protocoles scientifiques soient dénaturés, que peut-on faire contre les approximations exotiques ? Que peut-on exiger de l’Inde si on persiste à être complaisant avec la poudre de perlin pin pin des officines pharmaco sectaires nationales?


Pour finir un petit rappel, la question abordée par cet article n’est pas indifférente à notre exclusion ( très libérale dans ses procédures) d’un certain forum si moyen.

Léon
Léon
30 novembre 2010 9 h 26 min

Pour prolonger la question de Renève, les antiagrégants (Plavix)sont-ils à marge thérapeutique étroite ? On est devant le cas d’un médicament pris à vie par les cardiaques,qui coûte une petite fortune à la longue, et pour lequel un générique fait faire des économies gigantesques.

Index
Index
30 novembre 2010 12 h 36 min

Très intéressant Fantomette, merci. Je ne connaissais pas les différences entre les génériques, une information au grand public serait bienvenue. Le cas qui pose problème est vraiment celui des médicaments assimilables.

yohan
yohan
30 novembre 2010 13 h 59 min

C’est forcément une vraie bonne idée, ne serait-ce que pour ne pas risquer de ruiner définitivement la sécu. Avait-on un autre choix ? A charge pour les sages et les professionnels de veiller à ce que la prescription, autant que le médicament, restent de grande qualité/efficacité. Je connais des gens qui (profitant des failles du système) se sont montés des pharmacies personnelles avec tous les risques d’auto médication intra-familiale, sans parler des dates de péremption perdues de vue, c’est insensé. J’imagine qu’avec le laxisme généralisé, certains y ont vu un moyen d’exporter des médocs à bon compte dans les pays où ils sont souvent hors de portée. Malgré les défauts soulevés, c’était un chemin à prendre. Reste à encadrer la suite…

Léon
Léon
6 décembre 2010 11 h 26 min

Nous attendons cela avec beaucoup d’intérêt, fantômette….