Bernard, chauffeur de grand patron

Ce n’est plus un secret pour les Disonneurs, je prise les brèves de comptoir et même les longues…

Ayant pris la mauvaise habitude de sauter régulièrement la pause déjeuner, histoire de régler promptement quelques affaires courantes sans risquer d’être importuné par un de ces commerciaux sécotine, il m’arrive d’aller sandwicher au comptoir d’une des deux brasseries de la Porte de Bagnolet, sous les coups de 15h00.

Après le coup de feu, le loufiat est bien plus détendu et le client de comptoir, moins rétif à la parlotte. Les blagues, légères comme une bulle de Gévéor, fusent autour du bandit manchot de la Française des jeux, tandis que l’habitué gratte compulsivement son tac’o’tac sur le zinc, l’œil à peine distrait par les résultats dans la 4ème, à l’Hippodrome de Vincennes.

Aujourd’hui, j’ai fait la connaissance de Bernard, ancien chauffeur de Jean Cyril Spinetta et ex flic à la retraite.

Flairant une invite à la parlotte, j’opine du bonnet à l’une de ses multiples questions/réponses, ne pouvant faire mieux qu’opiner, la faute à une méchante peau de saucisson coincée entre les gencives.

Bernard, 65 ans, volubile titi parisien aux cheveux argentés arbore avec prestance cravate chic et costume de bonne facture, témoin s’il en faut de ses anciennes fréquentations d’avec les hautes sphères d’entreprise.

Car… chauffeur de grand patron n’est pas un job ordinaire, et c’est Bernard qui le fait savoir…

A la vitesse d’un malchanceux qui, voulant laver ses carreaux, dévisse du 10ème étage de son HLM , la vie de Bernard, en touche impressionniste, défile devant moi en accéléré. L’homme est du genre bavard attachant qui vous saisit fermement le bras, tandis qu’il vous bombarde de questions réservées aux « déjà initiés » ou aux érudits.

L’une m’enseigne, qu’avant que l’Etat ne devienne actionnaire majoritaire de la compagnie de son boss, ce fut le vénérable Edmond Giscard d’Estaing qui signait les bons à traire de la prestigieuse maison d’aviation.

L’action se déroulait invariablement au 8ème étage d’un appartement des beaux quartiers de l’Ouest parisien. Bernard y montait le parapheur tous les 3 mois.Un rituel s’était établi entre les deux hommes, si éloignés pourtant d’âge, de rang et de naissance : deux verres d’un très bon Porto, amenés sur un plateau d’argent par la gouvernante, sitôt après la séance de signature. « Alors Bernard ! comment va le monde…. ? » demandait Edmond.

Bernard tient à m’expliquer qu’à l’aube des jours du vieil homme, il allait jusqu’à guider la main tremblante qui tenait le Mont blanc. C’est dire si Bernard était devenu homme de confiance…

L’attentat de la rue Marbeuf, et, plus tard, le lâche assassinat de Georges Besse, PDG de Renault, finirent par inquiéter son boss qui avait lâché, un jour de méchante actualité « Que devrions-nous faire, Bernard ? ».

Peu après, Bernard obtint une autorisation de port d’arme pour son petit Beretta de précaution.

Bernard a tant à raconter qu’il débite à la mitraillette force souvenirs et anecdotes, ô combien passionnantes ; de la grande dame de l’Oréal qui posait son hélicoptère en pleine rue à une encablure de son domicile, les grands coups d’accélérateur qu’il fallait mettre pour être à l’aéroport just on time, les petits privilèges à côtoyer les puissants de ce monde  et la fierté d’arborer là devant moi, au revers gauche de la veste de son costume, le pin’s de la Fédération Française de tir, telle une légion d’honneur: L’honneur d’avoir servi l’un de nos grands patrons comme il se doit, c’est-à-dire sans chercher à le juger.

J’ai promis à Bernard de prendre, un de ces jours, le temps de le confesser plus longuement, le mandataire judiciaire n’attendant pas.

Une solide poignée de main avant de prendre congé nous rassure tous deux de la perspective de nous revoir bientôt au hasard d’une rencontre.  Je laisse notre homme poursuivre la discussion avec son beau frère, lui-même victime d’une mauvaise bastos, héritage d’un bandit Corse qui lui laissa, en guise de souvenir indélébile, un morceau de crane en PVC et une invalidité à 80%.

Au zinc, la vie des gens simples, c’est parfois drôle…et tellement sérieux à la fois.

à suivre…peut-être…

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7 Commentaires
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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
2 avril 2012 10 h 33 min

J’enrage de jalousie…….. 😆

asinus
Membre
asinus
2 avril 2012 10 h 52 min

yep le Yohan devrait se mefier il est des conversations qui commencent devant le zing finnissent par du plomb ! :mrgreen:
la suite la suite …..

Lapa
Administrateur
Lapa
2 avril 2012 20 h 07 min

imaginez qu’on ait les confessions du chauffeur de DSK ou d’autres, y’en aurait des belles et des pas mûres à raconter…

Léon
Léon
2 avril 2012 22 h 50 min

On espère une autre rencontre et un autre compte-rendu. Ces gens-là ont toujours des choses intéressantes à raconter.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
3 avril 2012 8 h 03 min

Bin on attend la suite.. 🙂

Causette
Causette
5 avril 2012 1 h 27 min

C’est vrai, c’est parfois drôle et certains m’ont vraiment étonnée. Ce récit me rappelle des gens que j’ai rencontré dans des bistrots. Certains d’entre eux je les rencontre encore. Je me rappelle de Christophe, comme Bernard, qui a été chauffeur de patron, Yves Rocher. Et il y a Sylvain, un ancien infirmier de l’hôpital Cochin, qui sur les conseils de J.Luc Maxence est parti faire une petite retraite chez des moines franciscains dans l’Aude. Un jour il m’a raconté qu’ils ont eu la visite de la reine Marguerite du Danemark et de son mari Henri, et qu’ils ont mangé ensemble. une tablée de 40 personnes. – « tu lui as parlé » – « ben oui, elle parlait à tout le monde ». Sylvain est resté chez ces franciscains quelques mois, puis un jour il en a eu marre et a décidé de partir. Un des moines qui était nouveau en a profité pour se barrer avec lui :mrgreen: