Iran la fin de la liberté N°3

Pour comprendre ce qui va suivre il est nécessaire de partir de la main mise britannique quasi absolue sur les ressources de l’Iran depuis les accords léonins passés avec l’Anglo Iranian Oil Company. Pour comprendre complètement, la carte ci dessous montre comment du sud à l’Est , au Nord et à l’Ouest, l’Iran est l’objet des appétits jamais rassasiés du Royaume-Uni, de L’Empire Russe et de l’Empire Ottoman. En 1920 Ottoman et Russes hors jeu les Britanniques ont les mains libres.

Au XIXè siècle, les souverains Qajars soumis aux exigences des rapaces ( qui jouent le même jeu en Chine) sont inaptes et trop attachés à leur régime corrompu pour satisfaire la demande de réformes et calmer la colère populaire. En fait les concessions multiples aux puissances étrangères exaspèrent cette colère.

L’impuissance du Shah Qajar, ajoutée au jeu tordu des anglais qui soutiennent les révoltes populaires pour lui tenir la bride un peu plus court, aboutit à la Révolution Constitutionnelle en octobre 1906. Un parlement est institué ( La Majles) C’est la fin du Moyen âge en Iran. Une première dans la région. À la grande colère de Moscou déjà contrarié dans ses visées expansionnistes et qui bombarde un peu ce qui lui passe sous les obus.

Tout au long de cette période les coups tordus succédaient aux coups tordus car des joueurs de première importance étaient tenus à l’écart de la Table du Grand Jeu

L’empire allemand a semblé avoir longtemps des atouts maîtres (ottomans) en main : le chemin de fer Berlin => Bagdad . Mais hélas pour lui la défaite militaire réduisit à néant tous ses espoirs. L’AIOC, elle , a extorqué une concession pour 60 ans !

Le pays des droits de l’Homme et celui de la Liberté ne manquaient pas d’occuper les niches laissées libres : de l’opinion, de la philanthropie, de la culture et du caritatif déjà.

Mais pour le pétrole => pas touche !

Pour les Anglais ce n’est pas sans réserve qu’il tolèrent du bout des lèvres, dans leur zone d’influence, un état unifié ,attaché à la défense de ses droits et libertés, pas plus qu’en son temps le régime Tzariste, pas plus que Constantinople même si La Porte a d’autres chats à fouetter .

Nous le verrons plus tard , il n’entre dans les plans de personne de laisser une place à un Iran libre et démocratique.

Seuls les américains sont actifs à les aider dans cette période du premier XXè siècle. Ils seront bien les seuls à dénoncer le putsch des Pahlavi monté de toutes pièces par les Anglais.

Nous l’avons déjà vu : les années 20 signifient la victoire complète des britanniques avec la transformation de l’Empire ottoman en un nain militaire et la mise hoirs jeu pour un moment de l’URSS

Les USA eux ne pourront jouer que leur carte traditionnelle de donneurs de leçons anti colonialistes . Politique mise en en œuvre sur toute la planète hormis la zone de « Monroe » et la Chine où ils se sont invités au partage du gâteau.

Dans un premier Nartic nous nous étions arrêtés en 1951 (* – 1*) à la victoire incontestable des nationalistes de Mossadegh soutenus par les communistes du Toudeh. La nationalisation des pétroles et le renvoi des Britanniques s’accompagnent d’une liesse et d’un immense espoir dans tout le pays.

Les Britannique réagissent et tentent tout ce qu’ils peuvent pour renverser le pouvoir légitime en s’appuyant sur le Nouveau Shah qui veut bien prêter son concours aux coups tordus sauf….Sauf que le peuple veille et fait capoter tous les plans du Foreign office.

Alors ?

Alors dans l’essoufflement de leurs efforts et la révélation de leur impuissance ( Un pont trop loin) les Britanniques font appel à leurs alliés américains.

Loin d’être enchantée par la divine surprise des ennuis britanniques, Washington est plutôt gênée « aux entournures » quand Londres appelle au secours. Lancés dans une politique qu’il appliqueront encore , ailleurs , longtemps et souvent, dans leur concurrence avec les anciennes puissances coloniales, les USA tergiversent et ne savent comment faire pour damer le pion aux anglais . Ils en sont, tout au contraire, à honorer et congratuler Mossadegh. On le reçoit en grande pompe et le magazine « Time » le déclare homme de l’année sur sa célèbre couverture.

Mais les affaires sont les affaires et les petits journalistes vont être mis au pas bien vite.

Tous ces discours , ces défilés et ces acclamations vont vite être rangés au rayon des vastes rigolades quand les intérêts supérieurs ( que nous connaissons *-2*) rappelleront à l’administration nouvellement républicaine les réalités impératives de ce qui est bon pour l’Amérique .

.

Avec le voisin Saoudien avaient été signé des accords offrant un pétrole illimité pour des clopinettes, il n’y avait qu’à continuer sur cette lancée. Pas question de perdre le contrôle du marché et laisser les états producteurs fixer selon leur gré les tarifs des royalties. Où irait-on ? Un peu de sérieux que diable.

Mais , tout en étant bien d’accord , à l’état major , on y regarde à deux fois, les forces militaires américaines n’étant pas indéfiniment extensibles. Les frayeurs de l’expérience Coréenne ne se sont pas évanouies.

On se met donc d’accord , non pas sur une opération militaire classique mais sur un renversement organisé de Mossadegh. Le MI 6 et la jeune CIA préparent dans le plus grand secret le coup d’état qui permettra de rétablir l’AIOC dans ses « droits inaliénables et sacrés », renforcer le pouvoir du Shah et prévenir tout autre soulèvement nationaliste dans la région. C’est ainsi que Kermit Roosevelt ( petit fils de Theodore) est mis à la tête de l’Opération AJAX

Les honorables correspondants des deux agences commencent par prendre contact avec le général Zahedi et quelques autres grosses têtes de l’armée iranienne. Ils entreprennent la sélection des quelques régiments sûrs sur lesquels ils vont s’appuyer et organisent la dispersion des autres. Le dollar tout puissant permet le recrutements de milliers de chômeurs et déclassés indispensables au déclenchement des émeutes.

Puis, plus complexe, le parti nationaliste et même le Toudeh sont infiltrés par des dizaines d’agents provocateurs. Carriéristes déçus ou impatients ,toutes les révolutions en ont toujours compté.

Enfin, on prend contact avec la polices et on obtient la libération de la racaille des bas-fonds qu’on forme vaguement à un maniement des armes sommaire.

Comme ils ne laissent rien de coté anglais et américains négocient avec les tribus du Sud la possibilité d’une exfiltration du Shah , de la famille royale et d’eux mêmes.

Tout va s’exécuter assez rapidement.

En octobre 1952 Mossadegh rompt toute relation diplomatique avec le Royaume Uni . Immédiatement sur les marchés financiers du monde entier , il n’y a plus aucun client pour le pétrole iranien.

Aussitôt la crise éclate entre le Shah et son premier ministre.Le roi essaie à plusieurs occasions de le faire arrêter mais il échoue devant la mobilisation populaire . La rue protège son gouvernement élu alors que le Shah n’est que le fils de son père auteur d’un putsch fomenté par les Britanniques .En mars 1953 c’est à une tentative d’assassinat qu’il a recours . Là aussi échec. Le climat social devient de plus en plus tendu , dans un climat de guerre civile le Shah s’enfuit à Rome.

La CIA passe à l’action, elle ne peut plus attendre.

.

Ils ne sont pas si novices que ça les agents américains.

Bien que mise en place en 1947 seulement , cette organisation fille de l’OSS a tout un patrimoine d’opérations clandestines violentes sur le continent américain à son actif .

Dès la fin du XIXè siècle la fameuse doctrine de Monroe avait défini et tracé la marche à suivre pour la seule nation ayant le droit d’intervenir dans toutes les Amériques.

Cuba, Haïti , Panama, et même les Philippines en avaient bénéficié. Nicaragua , Costa Rica ..etc … la liste est longue. C’est le premier des coups d’état d’une longue série. C’est la nouvelle politique ouvrant la voie vers la multiplication des interventions armées des répressions des assassinats.

Il ne faudrait pas s’imaginer que seul l’altruisme contre révolutionnaire anime ces nouveaux chevaliers de la libre entreprise.

Dès que le Shah est remis sur le trône, les royalties qui lui sont concédées sont employées à faire tourner la machine des industries d’armement américaines. Les dollars sont aussi utilisés à renforcer et moderniser la police dont la sinistre Savak connue dans le monde entier pour la sauvagerie des ses salles de torture. Trente ans de terreur , pas une des réformes sociales votées par le Parlement ne sera mise en place. Pour compléter le tout , comme on n’est jamais trop prudent : tous les partis d’opposition sont interdits

.

Par ailleurs quelques points de détail ont été réglés avant de lancer les opérations . Le service rendu à Londres lui coûtera le prix fort.

  • L’anglo Iranian sous sa forme ancienne est démantelée et remplacée par un nouveau consortium la British Petroleum dont les anglais ne détiendront plus que 40% .
  • 40% iront à des compagnies américaines
  • On laissera 20% à la Royal Dutch Shell et la Compagnie française de pétroles .

.

Ces choses là ayant été réglées au préalable, il ne restait plus qu’à.

Le Shah et Madame à Rome, les américains font tirer au canon sur la maison de Mossadegh

Il arrive à échapper aux bombes mais doit s’enfuir devant un régiment sélectionné auparavant pour cette tâche . On fait alors donner la racaille connue historiquement pour se ranger toujours du coté de la contre révolution Il va y avoir affrontement dans les rues…….La racaille réclame le retour du Shah

Mais à la surprise générale, l’expérience , l’encadrement et les directives du parti Toudeh viennent brutalement à faire défaut. Où sont-ils donc ?

Les dirigeants du Toudeh ont carrément disparu., suivant les ordres de l’ambassadeur soviétique Zeline

Il apparaît au grand jour que l’Union soviétique n’est pas vraiment désireuse d’avoir sur son flanc sud un état indépendant libre et démocratique Désorientation et fatalisme font leur œuvre.

Le Shah revient sous la protection américaine , il nomme le général Zahedi premier ministre et la contre révolution prend le dessus. L’armée tire au canon dans les rues. Mossadegh est arrêté , il mourra plus tard en résidence surveillée en 1967.

Dans les villes on compte des milliers de morts . Ceux là ne connaîtront pas les salles d’interrogatoire de la Savak

La racaille , elle , connaîtra une autre période de gloire quand on aura besoin d’elle pour persécuter les militants républicains dans les années 80.

.

=================================================================

Un peu d’Iran N° 1

Les Sept Sœurs en Écosse

Lectures :7171
7 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
Léon
Léon
15 octobre 2013 13 h 48 min

C’est un des (assez rares) exemples où la question des intérêts économiques de puissances occidentales est déterminante, flagrante dans la manipulation du pouvoir politique d’un pays « exotique ». On l’avance souvent lors de renversements de régimes, mais les preuves manquent généralement. Ici on les a toutes . Le scenario imaginé par Forsyte dans « Les chiens de guerre » est une fiction très proche de certaines réalités.
( Un prospecteur-géologue, salarié d’une multinationale britannique, découvre d’immenses gisements de platine dans une république africaine dirigée par un gouvernement marxiste dont il est certain qu’il préférera nationaliser que de donner une concession d’exploitation à un pays capitaliste. Les dirigeants de la multinationale en arrivent donc à la conclusion que seul un coup d’Etat mettant en place un homme aux ordres peut débloquer la situation. Le livre raconte minutieusement toute la préparation et l’organisation de ce coup d’Etat par des mercenaires recrutés à cette fin. Passionnant.)

snoopy86
Membre
snoopy86
16 octobre 2013 11 h 59 min

Bon, enfin on parle de la CIA !

J’espère que dans le prochain épisode on aura enfin, comme chez mon auteur préféré, des grônavions, des sous-marins et des cargos de nuit 😆

ranta
ranta
16 octobre 2013 12 h 33 min
Reply to  snoopy86

Ben c’est simple. Si dans le prochain il n’y a pas au moins un grand black exubérant avec un flingue dans son bénard, moi je ne lis pas.

snoopy86
Membre
snoopy86
16 octobre 2013 13 h 49 min
Reply to  D. Furtif

N’empêche que quand je vois la liste des pinards servis je dis sans honte aucune que si on m’avait invité j’y serais allé 😆