Le Casse tête Chinois

Personne ne peut le contester l’avenir du monde va se jouer en Chine dans les 20 prochaines années.

Si, d’ici là les éléments externes hostiles à son développement voire à son simple maintien lui en laissent le temps, elle n’est pas à l’abri de s’effondrer pour des raisons internes. Si la Chine a réussi à se libérer des « démons étrangers » au prix de massacres inouïs à la charnière du milieu de XXè siècle les éléments qui ont conduit cette libération réussiront-ils , eux , à laisser la place , à accepter et à promouvoir les changement nécessaires à tous les peuples : la sécurité et l’espoir en une vie respectueuse des besoins humains. Autrement dit le Parti qui a mené la Révolution acceptera-t-il de laisser la place à d’autres équipes , respectueuses, elles, de la volonté démocratiquement exprimée par le peuple ou, , encore plus improbable, de subir la mutation que ses semblables de par le monde  ont refusé au prix de leur extinction.

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Qui dirige la Chine aujourd’hui et comment s’exerce cette direction.

Le Parti communiste chinois, issu d’une tradition millénaire de soulèvements populaires, en a rassemblé l’expérience et en a forgé un outil qui a su conduire la colère des peuples si disparates de la Chine . N’ayant jamais connu ou si brièvement le mode de représentation républicain de type occidental , le mouvement révolutionnaire a eu à abattre tout à la fois

  • la conjuration des intérêts étrangers qui dépeçaient la Chine et
  • à un embryon de pouvoir nationaliste bourgeois jamais vraiment apte à s’en libérer . L’occupation japonaise ayant resserré les liens entre le régime de Tchang Kaï-Chek et la puissance militaire américaine , le pouvoir nationaliste chinois ne pouvait se passer de son aide dans une guerre civile qui reprenait pratiquement là où on l’avait laissée déclenchant un rejet massif dans l’esprit de la population chinoise qui était dans sa grand majorité plus attentiste qu’autre chose avant l’invasion japonaise.

On avait changé d’époque , à bout de souffrances, de faim et de carnages la population , dans un élan massif , se rangea en 1945 derrière ce qui était dans les années 20 le tout petit parti communiste chinois.

Une fois installé en 1949 le nouveau pouvoir entama la construction du nouveau paradis de « pain et de roses » en copiant, parfois en singeant,  la phraséologie, l’esthétique et le mode de fonctionnement du voisin qui se retrouvait, tout étonné, encombré d’un succès non envisagé 15 ans plus tôt quand Staline assurait bien plus Tchang Kai-Check de son soutien concret que les bandes déguenillées de Mao.

1950 la victoire de la théorie du socialisme dans un seul pays a comme un hoquet qui bégaye , … du socialisme dans un seul pays …de trop.

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Suivant les pas du parti frère jusqu’à la caricature, le PCChinois entama la même évolution avec les mêmes étapes . Gonflant ses effectifs jusqu’à la dénaturation politique ( promotion Lénine) le parti recruta tout ce qu’il pouvait , la direction s’assurant ainsi, au nom de la discipline révolutionnaire, une obéissance toujours plus stricte des éléments les plus avancés de la population . Dans le même mouvement la direction elle, mettait en place un fonctionnement , un éloignement la tenant à l’écart des revendication de la base convoquée uniquement pour applaudir ou risquer de se faire envoyer dans les camps de travail ( Laogai) pour les plus chanceux.

Pendant ce temps les anciens et les plus haut placés se menaient une guerre fratricide pour la seule place qui compte : celle du Chef.

En Europe, ma génération dut ainsi faire un choix entre la reproduction en échos serviles des louanges à la grand pensée Mao tsé Toung ou se risquer à dire dans le désert : les milliers de déportés et de morts que le génial timonier avait provoqués avec sa politique aveugle , changeante mais toujours incontestable des Cents Fleurs , du Grand Bond en Avant ou de la Révolution culturelle.

Il n’est pas de famille en Chine qui n’eut pas à souffrir des persécutions maoïstes. Une dernière catastrophe fut évitée à la Chine quand quelques vieillards et quelques nouveaux venus de deuxième rang eurent la sagesse de faire taire leurs divergences et d’oublier un instant leurs rivalités de personne pour faire obstacle à des héritiers autoproclamés __ dont la veuve de Mao__ , la bande des quatre. Les meetings à répétition les relégations massives en camps de travail ou dans les villages les plus reculés à fin de rééducation politique furent oubliés…

Les Quatre furent arrêtés , jugés et condamnés , on fit un procès à grand battage médiatique, une sorte de grand exorcisme ,  mais c’est tout le régime qui était sur la sellette . Le Régime et sa dictature , le régime et ses privilèges, le régime et sa distance ….

Une dizaine d’années plus tard les événements de Tian AnMen rappelèrent que , même portant des jeans, des baskets  et des raybans, les mêmes hommes étaient au pouvoir.

Qu’est-ce donc que cette machine qui conduit le plus grand Pays du monde, pays dont les ateliers et les bas salaires ont permis aux économies occidentales de survivre dans une sorte de sursis . Quel paradoxe que ce pays agitant toujours les mêmes slogans de libération du prolétariat, qui  offre à sa caste dirigeante un mode de vie pharaonique , jette les ouvriers du monde entier au chômage et maintient les siens dans une précarité indispensable à ce que tout se poursuive comme devant.

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Nous avons un parti monstrueux de 80 millions de membres dont la masse énorme est la garantie que même à l’intérieur il n’y ait aucune discussion démocratique. Les motions à discuter, les nominations, les désaveux pour les uns , les avancements de carrière pour les autres …tout est planifié au sommet . Les congrès sont une farce où s’agitent des marionnettes factices où tout est décidé d’avance .

Décidés où ?

Tout se réduit  un cénacle qui officiellement n’existe pas , les chinois l’appellent «  Les 9 Empereurs », il se compose des 7 membres du Comité Permanent, du président Xi Jinping et du premier ministre Li Keqiang

Il ne faut pas se laisser prendre à la phraséologie journalistique qui abuse de sa terminologie convenue et décrit les affrontements entre les neufs comme une lutte en conservateurs et réformateurs. Tian Anmen est toujours là pour appeler ce qu’il en est. Aucun conflit entre un éventuel mieux et un éventuel moins bien ne pourrait faire oublier aux « NEUF » la solidarité de caste qui règne avant tout entre eux.

En 2006 Jean Luc Domenach dans son livre : « Comprendre la Chine aujourd’hui » nous brossait un tableau très pointilliste de la Chine avant les Jeux Olympiques mais , paradoxe , c’est dans son introduction qu’il livrait son sentiment sur ce qui attend la Chine et sa caste dirigeante. La crise économique mondiale n’est qu’une des composantes des problèmes qu’il lui faut résoudre la gestion des difficultés internes est, peut-être, urgente et à terme bien plus décisive.

Les dirigeants doivent trouver la balance juste  à l’équilibre très instable entre la continuité de la croissance « à la chinoise » et les satisfactions matérielles, les concessions sociales et le maintien de leur position et privilèges sociaux . La brutale répression policière selon la manière « à l’ancienne » n’est pas mise au rebut mais ils savent tous les neuf que cela ne suffira pas. La répression la plus sauvage peut être dans la bouche des Chefs du Monde une forme très confucéenne de respect de l’Harmonie céleste. Pour eux la tranquillité c’est la stabilité mais ils ont enclenché  un processus dont il n’ont pas la maîtrise.Ils ont fait naître un désir de changement vers le « Mieux ». Partout montent des revendications qui, rien qu’en refusant la perpétuation des inégalités, remettent en cause , à la base, les accords difficilement conclus au sommet à Beijing. Accords conclus au sommet  mais aussi aux échelons intermédiaires de cette féodalité de puissances encastrées qu’est l’Etat Chinois aujourd’hui .Il est de plus en plus contraint de s’engager dans le projet annoncé et répété d’une société plus juste harmonieuse et assurant une protection convenable à la population incluant entre autres quelques mesures environnementales .

Facile à dire mais …

La question est : comment promouvoir une politique qui assure le développement comme avant, avec des profits dont une grande part reviendrait au réinvestissement et une part suffisante aux privilèges de la Nomenklatura Chinoise .

Comment masquer la politique réelle qui freine de toutes ses forces pour ne pas « gaspiller » en salaires, avantages et équipements sociaux jusqu’aux villages de la Chine profonde. Toute velléité de progrès non prévu dans le plan sera jugée aventureuse par les équipe dirigeantes. Rien à voir avant un conflit entre conservateurs et progressistes.

Mais la Chine depuis trente ans a fait un bond économique surprenant que même Mao dans ses rêves les plus fous n’aurait pu imaginer.

Ce progrès ayant généré une classe moyenne chinoise dont le mode de vie ferait envie à bien des habitants des pays occidentaux, la clique au pouvoir pourrait espérer en tirer le bénéfice d’un soutien politique. Mais, erreur des erreurs c’est dans cette couche que s’élèvent des voix réclamant toujours plus . C’est toujours dans cette couche que les impatiences …que la crainte d’un retour en arrière toujours possible , suscite un fort désir toujours croissant d’émigration. Cultivée et consciente elle sait à quel point la crise économique mondiale, ses exigences de rentabilité et la misère des campagnes reculées font un mélange détonnant

En même temps, ne serait-ce que par les panneaux publicitaires ,  les progrès indéniables en équipements ménagers , transports et éducation ont fait naître un appel d’air qui amènent des couches toujours plus nombreuses à vouloir s’inviter à la table toujours plus garnie des grandes villes comme  Xian , Chong King, Canton, Shang Hai, Beijing, ….La prospérité s’est bâtie sur une économie de bas salaires assurés par la pression vers le bas d’un exode rural qui ne cesse d’augmenter . Les multitudes de paysans ne sont plus tenus dans l’ignorance et ne sont plus non plus tenus à l’écart .

Tous ces gens là, ils  bougent beaucoup . Je les ai Vu sur Tian Anmen et au Palais d’été, éclatants de fierté. À voir leur apparence physique et de costumes on peut être assuré qu’ils venaient de loin et de partout.

Si la politique est répondre à la double contrainte de l’efficacité dans l’application des décisions et de l’écoute des besoins venant d’en bas,

Ni l’état chinois ni le PCC n’arrivent à concilier les deux directions de la circulation démocratique. Au contraire les financements sont souvent interceptés au passage par des niveaux intermédiaires comme les profits ne remontent pas sans avoir subi de ponctions par tous ceux à qui c’est possible. On a en présence une solidarité de clan, locale , géographique ou de secteurs économiques confronté à un « chacun pour soi » intransigeant et sans état d’âme.

Tous les échelons de pouvoir sont une ouverture à la manne de la corruption et le mode régional provincial d’organisation de l’état conduit les responsables à redistribuer une sorte de répartition aux gens qui par simple régionnalisme le soutiennent ou pourraient lui nuire.

Malheur aux idéalistes ou aux convaincus.Trop de vertu dans un monde ou tout le monde « touche » conduit à accumuler les ennemis.

Alors qui va faire quoi ?

La coupole de Beijing va-t-elle , parce qu’elle en a le pouvoir entamer à ses risques et périls une remise en cause de la manière millénaire de se servir à tous les étages en proportion de la part de pouvoir que l’on exerce? Ou, va-t-elle ouvrir les vannes de la hausse du niveau de vie avec la perspective de perdre ce qui est à la base de sa prospérité c’est à dire sa place d’intermédiaire entre l’atelier chinois et le client occidental ?

Un article sur les grèves de dockers à Hong Kong a été une tentative d’explication de ces difficultés.

Les divergences politiques, les conflits entre les hommes , les régions, entre ceux qui peuvent continuer à profiter et ceux qui doivent encore attendre, tissent un réseau inextricable de paramètres que même un retour à la politique de la matraque serait incapable d’imposer. Le pouvoir central va-t-il pouvoir encore longtemps contenir les inégalités gigantesques entre les différentes couches de la population chinoise

La croissance maintenue depuis les années 2000 a donné au pouvoir des moyens financiers nouveaux mais qui ne répondent pas aux impatiences légitimes du plus grand nombre. Et le plus grand nombre en Chine cela veut dire des multitudes .

  • Qui doit décider
  • Qui doit être autorisé à progresser
  • Qui doit attendre

Quels serons les élus et les battus ? Nous sommes là devant des question de pouvoir.

Une « circulation » démocratique des discussions, élaborations et mandats en quelque sorte de la politique à l’intérieur du Parti n’est pas encore à l’ordre du jour. La dictature maoïste faite d’éliminations et parfois de carnages n’est plus de mise, mais l’écrasement de Tien An Men a montré que la direction était toujours à même de se lancer dans une répression qui ne l’effraie pas . Il faut continuer à faire tourner la machine complexe qui aspire vers le haut une part toujours plus grande de la population mais qui contient dans la misère la majorité écrasante des masses chinoises. La Carotte et le Bâton en même temps dans le même discours est un exercice d’équilibriste très risqué quand il doit être tenu par  un appareil bureaucratique où les dissensions et les rivalités de personnes font rage. ( Nous le verrons dans un prochain Nartic)

En 2006 JL Domenach faisait le pronostic d’une inquiétude croissante de la population pour son avenir. Le désir d’émigrer accompagne paradoxalement une évolution pourtant positive, mouvement connu des populations en périodes pré-révolutionnaires : ce n’est pas l’aggravation réelle qui déclenche mais la crainte d’un retour à une situation « ante » qu’on ne veut plus revoir. La modernité et le progrès posent donc à la Chine des ultimatum que son régime bureaucratique et parasitaire lui interdisent de résoudre sauf à subir une mutation radicale. Et là …je ricane doucement.

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Cet article s’inscrit dans la série de ceux qui m’auront coûté beaucoup.Décidé il y a 6 mois à la lecture du livre cité en lien , il s’est éloigné de plus en plus d’une réalisation immédiate . Ce n’est qu’en laissant murir ce qui n’était que quelques lignes de l’introduction de Jean Luc Domenach et en leur faisant jouer leur rôle de révélateur et non de matériel à reproduire que j’en suis sorti.

Vraiment rien à voir avec la prétendue information citoyenne.

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Autre chose . Les liens, quoique peu nombreux, souffrent de la maladie bien connue la bolduquisation galopante. Les habitués de Disons savent qui est le porteur habituel de cette maladie contaminante.

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4 Commentaires
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Léon
Léon
18 novembre 2013 11 h 50 min

Avant de lire le nartic du Furtif, une info pas piquée des vers sur la Chine.

Cosette
Cosette
19 novembre 2013 17 h 49 min

Enorme!

On a l’impression que ce système de caste va durer encore longtemps puisque seuls les descendants des dirigeants du Pcc les « Fils de princes » qui ont la possibilité d’accéder au pouvoir.
Xi Jinping serait le plus représentatif de cette faction de princes rouges qui accèdent à tous les pouvoirs: politique, économique, militaire…

Les enfants issus de « familles rouges » bénéficient de facilités sur le plan politique. Leur ascension au sein du Parti communiste chinois s’en trouve donc accélérée avec le guanxi.

« Aucune entreprise ne peut véritablement réussir à moins qu’elle ne possède un large réseau de guanxi » 关 系