L’épopée de la pêche à la langouste en Mauritanie (1)_Réédition

A l’origine

A la fin du XIXème et au début du XXème siècle, dans les ports cornouaillais de Camaret, Audierne et Douarnenez, quelques patrons-pêcheurs n’hésitent pas à abandonner la pêche à la sardine. Ils arment leurs sloops ou dundees pour la pêche à la langouste.

Leurs lieux de pêche sont la Chaussée de Sein et ses prolongements. La technique de pêche utilisée est celle des casiers mouillés en filières. Les langoustes sont conservées vivantes en vivier, c’est à dire que le compartiment du navire correspondant à la cale est percé de trous pour permettre le renouvellement de l’eau et donc une bonne oxygénation de celle-ci.

Rapidement, ce stock de crustacés atteint ses limites d’exploitation et les patrons-langoustiers partent à l’aventure pour trouver de nouvelles zones de pêche. Dans un premier temps, ils explorent, avec succès, les eaux françaises du plateau de Rochebonne au large de l’île de Ré jusqu’à la Manche qu’ils franchissent pour atteindre les îles Scilly, en Cornouaille anglaise.

Ils se tournent ensuite vers le Sud, les côtes espagnoles, portugaises et plus tard marocaines qu’ils atteindront en 1911.

En 1914, le port de Camaret arme 170 langoustiers d’une vingtaine de tonneaux (15 à 16 mètres), l’espèce visée est la langouste rouge.

Mauritanie – les pionniers

A cette époque, la Mauritanie est administrée par la France coloniale à partir du Sénégal.

Depuis quelques années déjà, les gardiens de phare du Cap-Blanc en Mauritanie signalent aux navigateurs de passage l’abondance de langoustes sur la côte. Ces derniers, de retour au pays, font part de ces discussions à leur amis pêcheurs.

En 1905, le Pr Gruvel du MNHN entame une série de conférences et rédige plusieurs articles dans la presse afin de rendre publique les résultats des missions scientifiques qu’il a menées sur les côtes africaines. Il confirme la richesse en ressources halieutiques des eaux mauritaniennes et notamment la forte concentration de langoustes vertes dans les parages du Cap-Blanc, de plus, il encourage à la mise en exploitation de ces ressources.

Le capitaine Lojou a t’il eu connaissance des travaux du Pr Gruvel ? Toujours est-il qu’en 1909, à la barre de l’Aventurier, port d’attache Audierne, il appareille pour la Mauritanie. Il ne reviendra jamais, disparus Corps et Biens.

Malgré cet échec, l’année suivante, le capitaine Pierre Pernès décide de faire route pour les mêmes parages à bord du Philanthrope. Il appareille de Douarnenez. Comme engins de pêche, il a embarqué des casiers et des filets trémails. Il prospecte d’abord à Madère, se rend ensuite aux îles Canaries puis au Cap Barbas sur la côte du Rio de Oro. Les résultats sont médiocres.
Il décide alors de faire route pour les côtes du Cap Blanc en Mauritanie. Là, il trouve la langouste comme indiquée par le Pr Gruvel. Mais ses engins de pêche ne sont pas adaptés. Par tâtonnements, patiemment, il les met au point. Il abandonne les casiers et transforme ses filets trémails jusqu’à obtenir des rendements suffisants.

A force de persévérance, cette campagne est un succès et, après plusieurs mois, le Philanthrope met en route pour son port d’attache, vivier rempli de langoustes.

Cette expédition maritime relève de l’exploit :

1. Partir comme ça dans l’inconnu. Je ne sais pas vous, mais en ces temps de principe de précaution …
2. Navire : dundee à voile, lourd, peu rapide et pas très manœuvrant.
3. Pas de GPS évidemment, la navigation se fait à l’estime – compas et loch – le sextant permet de réduire l’incertitude en latitude quand il y a du soleil à midi.
4. Pas de sondeur acoustique, un simple plomb de sonde pour connaître la profondeur.
5. Pas d’équipement radio, aucun contact avec la terre ou d’autres navires.
6. Pas de logistique ni à terre ni en mer.
7. Pas de salaire garanti en fin de voyage pour l’équipage et faillite assurée pour l’armateur si…
8. Etc.

Hélas, contrairement au capitaine Pernès, les mareyeurs, qui ont l’habitude de la langouste rouge, ne prennent pas de risques. Ils refusent d’acheter cette langouste verte, inconnue sur leurs marchés habituels.

Qu’à cela ne tienne, le capitaine Pernès se transforme en mareyeur et se charge lui-même de commercialiser ses quelques tonnes de langoustes. En fin de compte, il partage à ses hommes d’équipage un salaire de 900 francs de l’époque selon le système de la répartition à la part. Un salaire plus que raisonnable !
En 1911, le capitaine Pernès reprend la mer pour les côtes de Mauritanie, le Philanthrope n’est plus seul. Trois autres navires de Douarnenez l’accompagnent : le Jeanne d’Arc capitaine Nouy, le Santez Anna capitaine Moallic et le Sainte Anne capitaine Bobinec.

L’âge d’or – les Mauritaniens

En 1913, la flotte « mauritanienne » armait 33 dundees :
  • Camaret : 2
  • Douarnenez : 15
  • Tréboul : 2 (cette commune fusionnera avec Douarnenez après la 2ème guerre mondiale)
  • Le Guilvinec : 1
  • Concarneau : 10
  • Groix : 3
La guerre de 14-18 causera bien quelques contrariétés mais le pli était pris. Après l’heure des précurseurs viendra celle de l’âge d’or de ces marins qu’on appellera désormais les Mauritaniens.

Cette épopée va durer 70 ans, elle se terminera en 1989 avec le désarmement du Notre Dame de Rocamadour, dernier langoustier mauritanien.

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Sources :
	
  • ORSTOM, collection de référence N° 11458, « PEN AR BED » E. Postel, mars 1962
  • « Douarnenez en Bretagne » René Pichavant
  • Lectures :18078
    12 Commentaires
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    Léon
    Léon
    17 juillet 2010 8 h 35 min

    Nous accueillons ce nouveau rédacteur qui nous a proposé une série d’articles sur l’Histoire maritime. Bienvenue parmi nous, Xavier ! Ce premier opus est très intéressant. Une première question : ces langoustes vertes, on en trouve en vente en France ?

    D. Furtif
    Administrateur
    D. Furtif
    17 juillet 2010 11 h 29 min

    Impatient de lire la suite.

    Euhhh …….en complément de la question de Léon je me dépêche avant que le capitaine…..
    « Et les pas mures? »

    rocla
    rocla
    17 juillet 2010 17 h 11 min

    Bonjour Xavier ,

    Très super ton article .

    Un joli retour en arrière .

    J’ aimerais que tu me crusses (t) assez .

    WALDGANGER
    WALDGANGER
    19 juillet 2010 20 h 33 min

    Bonjour Xavier, cet article était « rafraichissant », ce qui est logique vu son sujet. :mrgreen:

    S’il y a une suite, je serai très content de la lire.

    Vous parlez de la sonde, ce qui me fait penser à un passage de « 20 000 lieues sous les mers », où Nemo et Arronax discutent des profondeurs maximales enregistrées, et avec l’approximation des sondes de l’époque, il apparait des chiffres supérieurs à la fosse des Mariannes. Finalement, le Nautilus descend à 14 000 mètres (!) avant de remonter, pour ne pas prendre de risques.

    Léon
    Léon
    19 juillet 2010 20 h 37 min

    Xavier,votre article ne prêtant pas à la discussion a été peu commenté, mais cela ne veut nullement dire qu’il n’pas été lu ou apprécié. Je suis comme Wald, j’attends avec intérêt la suite.

    Marsupilami
    Marsupilami
    20 juillet 2010 6 h 42 min

    Très intéressant ton article, Xavier, merci. A quand la suite ? Essaie quand même de mettre un peu de complots débiles dedans, ça nourrira les commentaires !