Le 25 Janvier 2012, Sarkozy a fait son « Delanoé national », et a passé la robe du mystique religieux pour aller à la pêche à la considération communautaire religieuse. Il a donc prononcé ses vœux aux autorités religieuses de France, depuis le cardinal jusqu’au président de l’union boudhique de France, les présidents des cultes musulmans et autres grands rabbins (on regrettera l’absence des cultes Vaudou, scientologistes, Raëliens, soucoupistes, satanistes, mormons et autres). Passons sur le comique de présenter ses vœux à des religions dont le calendrier d’ailleurs n’accorde pas véritablement d’importance au 1er janvier 2012 puisque ils n’est pas en 2012 pour la plupart.
En soi ce discours s’inscrit dans le ratissage des voix de la campagne électorale le vivre-ensemble et la considération républicaine pour la liberté de croyance d’autrui. Rien de bien méchant. Quoiqu’en grattant un peu…voyez par vous même:
Vous le trouverez ici:
http://discours.vie-publique.fr/notices/127000197.html#
Je vous mets ici quelques extraits, on passera sur le style qui se réclame clairement de la pommade dans le dos:
Le calme et la sérénité qui règnent dans cette assemblée montrent que la République a permis de construire les conditions d’une coexistence pacifique, harmonieuse, amicale entre les religions sans être, pour autant, jamais intervenue dans le débat religieux lui-même.
Effectivement, heureusement que la République n’intervient pas dans le débat religieux, mais cette phrase peut prêter à confusion, car si le débat interne concerne le sexe des anges, cela n’a pas du tout le même impact sociétal que de débattre de l’égalité-homme femme en droit. Si la République n’a que faire des débats internes, elle ne doit pas pour autant s’exonérer de prendre ses responsabilités concernant les discours et actes religieux qui impactent notre société et notre pays et doivent s’accorder à la loi républicaine.
La République doit assurer à chaque citoyen le droit – c’est un droit – de pratiquer le culte de son choix.
Chacun doit pouvoir pratiquer dans la dignité et c’est la raison pour laquelle, avec Claude Guéant nous avons souhaité qu’il soit mis un terme aux prières de rue et que les musulmans puissent accomplir leur devoir religieux dans des conditions convenables. La prière n’offense personne, la prière n’agresse pas, la prière n’insulte pas mais c’est offenser ceux qui prient que de les faire prier dehors, au beau milieu de la voie publique !
Alors là ça pose débat: la République assure la liberté de croyance et de culte mais assurer le droit de pratiquer peut parfaitement s’entendre par: donner les moyens de pratiquer. Ce qui est en contradiction avec la loi de 1905. En résumé il y a une énorme différence entre: je vous laisse librement croire à ce que vous voulez et pratiquer votre culte et je m’assure que votre droit à pouvoir célébrer votre culte est respecté; donc je suis responsable si vous ne pouvez pas pratiquer.
La deuxième partie est plus retorse encore. La phrase peut être comprise comme: c’est une honte de faire prier ses fidèles dans la rue, donc en gros: messieurs les responsables du culte musulman, débrouillez-vous pour que cela cesse car vous offensez vos fidèles. Bien entendu, la lecture du double sens est évidente. On peut comprendre que c’est une offense faite aux musulmans de les laisser prier dans les rue, de la part de la République. Associée avec la phrase du dessus, comme quoi la République doit assurer le droit de pratiquer, on a une association toute faite: messieurs les responsables politiques, n’offensez pas les croyants et donnez-leur les moyens de pratiquer leur culte.
Un double langage lourd de conséquences.
Chacun doit pouvoir pratiquer le culte de son choix.
À ce propos, je me félicite que les agressions contre les symboles religieux aient été quasiment contenues en 2011[**] même si je reste préoccupé par leur nombre et par ce qu’elles révèlent de bêtise, de haine de l’autre et donc de dégoût de soi chez ceux qui commettent de tels actes.
Les cimetières chrétiens et les petites chapelles isolées de nos campagnes sont l’objet d’agressions revendiquées par des «satanistes», l’imbécilité qui se cache derrière ce genre d’inscriptions permet de penser que ces gens ne savent évidemment pas de quoi ils parlent. Monsieur le Cardinal, cher André Vingt-Trois, si vous m’en donniez l’autorisation, je dirais même qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Ce qui est la caractéristique de l’imbécilité profonde.
Ces profanations sont inacceptables.
Les cimetières juifs, les cimetières musulmans sont, eux, victimes d’actes authentiquement racistes et authentiquement xénophobes. Chacune de ces profanations est indigne mais j’ai été tout particulièrement scandalisé qu’au cimetière de Carcassonne, on ose profaner les tombes de soldats musulmans morts pour la France, sur les champs de bataille de la Grande Guerre. On a osé inscrire des injures raciales et des slogans nazis sur la tombe de soldats qui ont donné leur vie pour notre pays ! C’est inacceptable. Ceux qui ont fait ça doivent être attrapés et châtiés.
Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, Monsieur le Président du Conseil français du Culte musulman, sachez-le bien, ceux qui ont insulté vos morts ont insulté l’armée française, ils ont donc insulté la France, oui la France tout entière. Profaner la tombe d’un spahi algérien ou d’un tirailleur marocain tombé sur la Marne, en Artois ou à Verdun, c’est exactement comme profaner la tombe du soldat inconnu. C’est une insulte au souvenir de cette immense armée des morts auxquels nous devons la liberté d’être français. Cette insulte ne restera pas sans réponse.
À Lille, c’est une synagogue qui a été la cible à de multiples reprises de dégradations. J’ai bien dit une synagogue, comme si ces lieux de cultes sacrés pour les juifs ne devaient pas l’être pour nous tous. Ces lieux sont sacrés pour les juifs parce que c’est là que se célèbre l’Alliance à travers la lecture de la Torah, mais, depuis la Nuit de Cristal, ces lieux – je veux dire les synagogues – devraient être sacrés pour tous ceux qui ne peuvent pas voir une synagogue profanée sans frémir. Souvenons-nous que cette nuit-là, les flammes qui s’échappaient des synagogues incendiées annonçaient celles, plus terrifiantes encore, de l’Holocauste. Monsieur le Grand Rabbin, Monsieur le Président du Consistoire, chaque insulte badigeonnée sur l’une de vos synagogues est pour chaque juif comme le retour des menaces du passé et pour chacun de nous, une insulte à la mémoire de la Shoah.
C’est insupportable, c’est impardonnable.
Là on arrive à du très lourd. Suivant que vous soyez chrétien, juif ou musulman, la profanation n’est pas également condamnable par l’Etat. Sarkozy entérine donc, de fait, la discrimination post-mortem des citoyens. On hallucine devant ces propos qui tiennent du café du commerce « bah les jeunes satanistes qui jouent aux jeux vidéos ont bien le droit de faire des petites bêtises dans les chapelles, isolées, ou des cimetières qui, limite, leur tendaient les bras; bien évidemment la contrepartie pour les autres confessions est terrifiante: des exemples de gens morts pour la France et la sempiternelle allusion à la Shoah, terrible infamie inhumaine. Pensez-donc que les quelques sépultures brisées et croix renversées et tombes taguées de pauvres chrétiens ne font pas le poids. (On notera avec bonheur l’utilisation par le Président à l’adresse de son copain cardinal de la phrase biblique « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Pour un peu, Sarkozy c’est Jesus en personne. Bientôt va-t-il leur demander de tendre l’autre joue?)
Cette discrimination des actes discrimine en fait directement les personnes par apposition et a priori: la profanation est forcément juste une broutille d’adolescent quand elle s’attaque aux cimetières chrétiens , et forcément un acte raciste insultant la France quand elle s’attaque à d’autres. On retrouve donc là le principe de la discrimination positive: une personne est plus valable qu’une autre, uniquement à cause de facteurs dont elle n’y est pour rien, comme son origine. Ridicule et dangereux.[*]
Faut-il revenir sur l’association systématique de racisme avec la religion musulmane? Si cette association est valable, bien que discutable, avec la judéité qui est donnée par le sang cependant que les exemples dans l’Histoire ont montré que l’antisémitisme procédait bien par racisme (le fait d’être croyant ou non n’importait pas pour les nazis pour vous déporter); on croit encore rêver qu’au plus haut niveau de l’Etat il soit encore une fois amalgamés religion et race. On pourrait croire que le but est tout simplement de pouvoir placer toute critique à l’encontre de certaines religions sous le coup des lois anti-racisme; une concession envers une communauté en quelque sorte. Le terreau du quantisme.
Cela ne veut pas dire que les églises, dans la mesure où elles respectent la Loi, sont interdites de parole et cela ne veut pas dire que votre parole ne doit pas dépasser l’enceinte de vos lieux de culte, singulière conception de la démocratie. Chacun aurait donc droit à la parole sauf vous.
De la part d’une personne voulant recréer le délit de blasphème c’est quand même très osé! Le problème n’est pas que la religion n’ait rien à nous dire en dehors des lieux de cultes, le problème est: peut-on et pourra-t-on contredire ce que la religion sortira en dehors des lieux de cultes? Ne rien dire quand on affirme que le monde s’est crée en 7 jours ou que le chien est impur, la femme pas l’égale de l’homme… n’est-ce pas simplement faire l’apologie de l’ignorance criminelle?
Le reste du discours est un mélange de langue de bois et de cirage de pompes qu’il ne serait pas inintéressant de critiquer ultérieurement si vous êtes volontaires.
Ni la République, ni les musulmans de France ne sont tombés dans le piège grossier qui leur était tendu par une poignée d’extrémistes, nous devons nous en féliciter.
Aussi, je veux dire combien j’apprécie la façon dont chacun de vous tient en respect la provocation sous quelque forme que ce soit et d’où qu’elle vienne.
Placée judicieusement après les profanations, cette partie sur la critique religieuse est savoureuse de la part de celui qui préférait l’excès de caricatures à l’absence de caricature. D’une part elle permet de faire le lien et de mettre sur le même plan des profanations et des exercices plus critiques, comme une pièce de théâtre ou des dessins de prophète; et d’autre part de considérer la critique religieuse sous le vocable « provocation ». Il donne ainsi raison à toutes réaction hostile, quitte à louer par la suite le respect des dirigeants. Suis-je un provocateur si je me demande comment on peut marcher sur l’eau? Suis-je un provocateur si je doute de la création du monde en 7 jours? Suis-je un provocateur si j’estime que ne pas avoir à représenter une personne ne me concerne absolument pas? Suis-je un provocateur si je pense que la circoncision est un acte de mutilation? ou que bon nombre de préceptes religieux sont là pour assurer une domination patriarcale archaïsante à notre époque?
Encore une fois on a le sempiternel refrain de la religion toujours agressée mais qui jamais, au grand jamais, n’a agressé personne, n’a soumis personne, n’édicte pas des principes agressant les autres…
Un discours bien loin d’être rassurant sur l’état de santé de la laïcité, mais sans nul doute, entre la pommade et le cirage, les représentants religieux seront aptes à saisir quelques beaux morceaux de quantisme intégral pour accentuer leur communautarisation.
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[*] quasiment contenus est une atténuation (on appréciera le style) pour dire qu’elles sont en constante augmentation depuis quelques années, comme le soulignent les recensements
[**]Après la « Privatisation du profit, nationalisation des pertes » nous avons « individualisation des actes, communautarisation des attaques »
La technique des religion est simple. Quand une personne se réclamant de telle religion effectue un acte blâmable (pour ne pas dire pire) au nom de cette même religion: elles en appellent toujours à la responsabilité individuelle de la personne. Par contre quand une personne est agressée (ou sa tombe profanée), là, la religion de celle-ci devient le motif évident. L’individu s’efface devant l’institution: c’est la religion elle-même qui est attaquée.
Ainsi les individus s’effacent-ils dès leur mort au profit d’institutions les réclamant, quoi que furent leurs croyances personnelles. Quand je vois une tombe profanée, la victime véritable, c’est la famille qui doit subir ça, pas vraiment l’institution religieuse qui recevra tous les égards (mais suivant son rang, comme montré précédemment).
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