Ah les mers du Sud !

Ah les  mers du Sud ! Les îles enchantées, les plages où s’ébattent les vahinés enchanteresses. La douceur d’une escale bercée par le zéphyr d’un alizé  apaisé .Les rires, les chants, les danses, le retour à une nature complaisante et permissive.

Lorsque le navigateur français Yves Joseph de Kerguelen de Tremarec navigue dans les eaux  de ce qui deviendra son archipel en février 1772, 4 ans avant Cook, le vieux Louis XV n’en a plus que pour deux ans. Il n’empêche que lui et toute sa cour communie au mythe du continent manquant et des empires à conquérir  sous des latitudes plus amènes que celles des arpents de neige du Canada.  C’est un mal général en Europe, un fantasme partagé par tous, même par les plus beaux esprits.( Wald nous en a parlé) On pourrait donner un nom à ce mal, à cette obsession : La Folie Australe., ce rêve de découvrir ce qui ne peut qu’exister. Un continent des antipodes.

L’obstination de Cook n’a pas encore mis à bas tous ces rêves. On lui en voudra beaucoup. Sa mort aux Sandwich lui aura épargné bien des affronts s’il en était revenu.

D’origine modeste, Yves-Joseph Kerguelen s’est engagé à 16 ans après des études chez les jésuites. Des talents incontestables et un très riche mariage accélèrent son ascension dans le cadre de la guerre de 7 ans. Commandant du Sage , un navire de 56 canons et 450 hommes d’équipage, armé par son beau père , ancien bourgmestre de Dunkerque il fait très fructueusement la « Course » dans les Antilles. Peu à peu  il est connu pour maîtriser la navigation dans les eaux froides. Kerguelen est connu de la cour, n’a-t-il pas en 1768, enrichi la ménagerie du roi de deux oursons blancs

Comble d’honneur, le roi le charge  d’une mission d’exploration dans le grand Sud,

À 38 ans Yves-Joseph est un capitaine confirmé quand il quitte l’île de France (Maurice) le 16 janvier 1772. Il y était arrivé l’année d’avant en août avec 300 hommes et 14 mois de vivres, sur un navire marchand trop lourd pour cette entreprise. Il décide de transférer son expédition sur deux navires plus petits : une Flute   trois mats 24 canons  La Fortune et une gabare de350 tonneaux Le gros Ventre que l’on équipe d’un faux pont et  dont on fait passer l’armement de 10 à 16 canons. Sa construction date de 6 ans à peine.

Yves Joseph prend le commandement de La Fortune et confie celui de la Gabare à son second Saint Allouarn . Cap au Sud. Un petit mois plus tard, le 12 février , on arrive en vue « d’une terre haute  courant du Nord au Sud… »

À vue de nez, c’est gagné, cette terre ne peut qu’appartenir au continent mythique recherché par tous.

Sans attendre Kerguelen baptise le lieu du nom ronflant de « France australe »

Prendre possession d’une terre inconnue exige à cette époque la stricte observance d’obligations en forme de quasi rituel. Le chef se doit de poser le pied sur ladite « terra incognita », d’y laisser une bouteille dans laquelle on glisse un parchemin où on déclare par écrit  prendre possession du lieu au nom du Roi. On recouvre la bouteille d’un cairn assez conséquent pour être repérable et on cloue sur un rocher des plaques de cuivre portant gravée la mention des découvreurs, leur état civil, le jour et l’année et autres que l’on aura jugées utiles.

On crie : vive le Roi, on vide quelques mousquets et le tour est joué.

Kerguelen baptise baie de la Fortune  le lieu où il tente de débarquer, mais il échoue et  envoie deux enseignes de vaisseaux réaliser le dangereux exploit.

Les Mémoires de Du Boisguennec enseigne sur le Gros Ventre nous racontent ce qu’il s’est réellement passé.

Kerguelen envoie un canot portant M. DE ROSILY son enseigne sur La Fortune pour être le premier à fouler le sol du nouveau monde ; mais, cette chaloupe de 14 rames  échoue  et c’est le canot du « Gros-Ventre » qui, recueillant à l’improviste les hommes prend le relais, sous les ordres de l’enseigne Du Boisguéhenneuc

« Malgré le courage et la bonne volonté des canotiers et de quelques soldats », il leur fallut deux heures et demie pour arriver dans la baie – devenue du Gros-Ventre. « J’ai fait mettre à terre. En y arrivant, j’ai fait arborer le pavillon et pris possession au nom du roi mon maître en faisant crier trois fois Vive le Roi et tirer trois décharges de mousqueterie… »

Ne s’attardant pas à ce qu’il considère comme de petites choses en dessous de sa condition de découvreur du siècle, Kerguelen, se saisit d’une hypothétique inquiétude de son second au sujet de la mâture de La Fortune pour lui confier le débarquement et toutes ces fastidieuses formalités. La Gros ventre a bien du mal à pénétrer dans une baie, échoue pendant deux jours à faire accoster un canot.

Quand ils reviennent la Fortune a disparu

Vite, Kerguelen n’a pas perdu  un instant, cap au Nord, destination Versailles, apothéose des gloires maritimes. Il veut être le premier à annoncer la fabuleuse découverte. À Brest il ne peut se retenir de faire connaître sa félicité par un petit billet à l’officier du port.

« J’ai fait le découverte d’un continent magnifique »

Ce ne sera pas Versailles mais Compiègne où il se présente à Louis XV  le 25 Juillet. La Pérouse dans ses mémoires nous confie «  comme un nouveau Christophe Colomb »Faisant de sa découverte un piédestal à sa gloire, Kerguelen ne mégotte pas. La cinquième partie du monde, les terres fertiles, le grand nombre d’habitants, les bois précieux, les diamants, les rubis.Curieusement au milieu de toutes ces fantasmagories, il a bien vu, mais de loin : des habitants de couleur noirâtre ( des colonies de manchots) et des bestiaux (  des éléphants de mer étendus sur les plages)

La conclusion du rapport est une envolée qui mérite le récit :

« Les terres que j’ai eu le bonheur de découvrir paraissent former la masse centrale du continent antarctique…  La France australe fournira de merveilleux spectacles physiques et moraux »

Pourtant une fausse note dans ce concert de congratulations enthousiastes. Les hommes  du Gros Ventre sont de retour en septembre .Ayant passé des jours à rechercher Kerguelen , à croiser et recroiser pour apercevoir ses signaux, ils ont eu le temps de se faire une idée plus juste de la découverte. Rien de plus désolé. Le temps se calmant enfin, cap à l’Est le 18 février, s’attendant toujours à  retrouver La Fortune , ils ont poursuivi leur mission comme indiqué, se rendant aux points de rendez vous de secours , précautions systématiques dans ce genre d’expédition. De l’Australie de l’Ouest à Timor, à Batavia, ils ont sondé cartographié espérant toujours retrouver leur chef. Sur Le Gros Ventre Le Boisguennec est commandant de fait tant Saint Allouarn est malade. Leurs récits apprennent à tous la sinistre vérité au sujet de la merveilleuse « France Australe »  ils écornent sérieusement la célébrité de Yves-Joseph à l’île de France, qui pendant ce temps là, à Paris, est  traité comme un Dieu. Nous sommes en Septembre à l’île de France Kerguelen, lui, est en France depuis 2 mois. La Folie australe fait rage.

Du Boisguennec voudrait rejoindre Paris. Pour faire connaître au roi les impostures de Kerguelen et assurer ses affaires en même temps car, lui, Saint Allouarn étant mort en octobre, a bien découvert l’Australie et lui, et non Kerguelen, a mené à bien l’expédition.

Mais que peut-il contre un mirage ?

Il lui faudrait de l’adresse des relations de l’entregent. Il n’a rien de tout ça. Il est lui aussi épuisé. Son retour à Paris sera retardé  par des hasards, des accidents et des vexations malveillantes. Quand enfin  le Ministère est mis au courant et lance les messages de contre ordre, Kerguelen est déjà aux Mascareignes en route pour la deuxième mission.

Rien n’a été refusé à Kerguelen, dans l’enthousiasme général  le roi le décore  de la Croix de Saint Louis, l’élève au grade de Capitaine de vaisseau et décide une deuxième expédition dont il lui confie le commandement. On attend qu’il poursuive plus outre l’exploration de ses fabuleuses découvertes, voire, y fonde un établissement On affrète deux imposants vaisseaux Le Rolland 64 canons trop gros et convenant mal à l’exploration et l’Oiseau une frégate de 32 canons. Deux  astronomes, un naturaliste, un ingénieur et 700 hommes, donnent une idée de l’importance accordée à l’entreprise. On quitte Brest le 26 mars 1773. C’est dire si les affaires sont rondement menées

Curieusement, de sa propre autorité, Kerguelen adjoint à trois passagères officielles pour l’île de France sa propre maitresse, une jeunesse de  14 à 16 ans  répondant au joli nom de Louison. Infraction gravissime en regard des règlements de la marine. L’équipage gronde, on prévoit  des maléfices. Perdant toute mesure  Kerguelen embarque une cargaison personnelle de « pacotille » qu’il compte bien écouler avec profit au cours du voyage. Autre infraction gravissime au règlement.

Comme « prédit »  le voyage affronte tempêtes et maladies

De plus les amants se disputent constamment, au point que Yves-Joseph tente de pousser un peu Louison par-dessus bord. L’arrivée à l’île de France ( île Maurice), les  relations ou les amis de 72 ont été remplacés. Des Roches, Poivre, La Pérouse ont été remplacés, l’accueil est froid. Ceux du Gros Ventre ont parlé. Qu’importe en route vers le continent imaginaire. On lui adjoint un 3è bateau le senau La Dauphine. Décembre 73 on découvre, on découvre si on peut dire, à travers des bourrasques de neige, la triste réalité. Des îlots nus et désolés soumis à des tempêtes constantes. Le froid, le vent, la pluie , les indigènes noirauds, des manchots , les bétails, des éléphants de mer. Adieu rubis diamants bois précieux. Quand le soleil s’égare en ces lieux, seule la glace y brille.

Encore une fois Kerguelen ne pose pas le pied à terre.

Il confie encore une fois cette tâche à ses subalternes. La Pérouse, encore lui, dira : « Monsieur de Kerguelen reviendra en France aussi peu instruit que la première fois » Multipliant les conflits avec ses officiers, il sera à son retour en France traduit en conseil de guerre, où l’abandon de son second Saint Allouarn au cours du premier voyage sera évoqué. Ce dernier ayant pendant des jours cherché son commandant en profitera, malveillance des subalternes, pour découvrir Timor et les côtes de l’Australie et, dans une complaisance regrettable, revenir dans un état d’épuisement extrême en septembre 72  à l’île de France, pour y mourir.

La sentence sera sévère notre navigateur sera cassé de son grade et emprisonné pour 6 ans à Saumur.

Cook en 1776 croisant dans les parages nommera les Keguelen : îles de la Désolation, pour finalement se raviser et rendre les cailloux à Keguelen. Humour et dérision. En 78, désormais libre, Yves-Joseph se réengage et participe à la guerre de course, il publie en 82 son récit de voyage qui sera mis au pilon pour injure à la Justice du Roi.

Rallié à la République, il sera fait prisonnier par les Anglais et participera brillamment aux combats de l’île de Groix

La République toujours prompte à renverser les décisions de l’Ancien Régime, surtout les plus avisées envisagera un temps d’élever notre homme au titre de Ministre de la Marine.  Sa mort en mars 97  l’en empêchera.

Pourtant la farce trouve une fin curieuse. Entretenant d’excellentes relations avec son geôlier de Saumur : Dupetit-Thouars, Yves-Joseph  émerveillera de ses récits l’esprit des enfant de ce dernier , au point d’y graver des vocations. Aristide Dupetit-Thouars, héros mort au champ d’honneur à Aboukir, avait alors 15 ans

Post scriptum de l’histoire

Dans la vaine recherche de son chef de mission Saint Aloüarn arrive en vue des côtes d’Australie le 17 mars 1772 , il remonte vers le Nord et en prend possession le 30 mars 1772.

En 1788 les Anglais proclamait leur souveraineté sur tout le continent bien avant d’y installer leur première colonie, mais de l’autre coté.

Plus de deux siècles après sa mort en janvier 1998, une expédition archéologique franco-australienne menée par Philippe Godard  retrouve le lieu annoncé et  les marques toujours là de la prise de possession de 1772. Un panneau annonce désormais aux passants et aux pèlerins du souvenir «Prière de ne rien emporter d’autre que des photographies et de ne laisser rien d’autre que les empreintes de vos pieds »

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Léon
Léon
3 janvier 2011 9 h 16 min

Passionnant. Mais quelles populations habitaient ces îles avant leur découverte ?

Léon
Léon
3 janvier 2011 10 h 35 min

Donc pas d’humains, c’est ça ?

Buster
Membre
Buster
3 janvier 2011 18 h 10 min
Reply to  D. Furtif

Mais un pays où l’on trouve parmi les plus grands oiseaux du monde, les albatros hurleurs ou wandering albatros, in english.
Plus de 3 mètres d’envergure et 8 kg en moyenne, le bestiau !

Et tout ça sur 7215 m2 ???

Manque 1 k quelque part sur ta carte Furtif.

ranta
ranta
3 janvier 2011 19 h 29 min
Reply to  D. Furtif

Longueur :minimum 90 m, maximum 120 m. Largeur : minimum 45 m, maximum 90 m.

Donc mini dans les 9000 mètres carré puisqu’il doit obligatoirement être rectangulaire et qu’il ne peut pas faire 90*90, un petit peu plus que l’île aux nains de Furtif.

Et les ressemblances ne s’arrêtent pas là : les terrains de foot sont de plus en plus des terres de désolations, peuplées de manchots et de veaux, (voir la sous espèce Domenechodoplus, Génétiquement améliorée trafiquée à Clairefontainus). En revanche, ont y trouve des pingouins, plein de pingouins, des colonies entières de pingouins, dans les tribunes

ranta
ranta
3 janvier 2011 19 h 30 min
Reply to  ranta

Zut, en plus de ne pas savoir mes conjugèsonts je ne sais pas compter non plus 👿 je renonce.

ranta
ranta
3 janvier 2011 20 h 14 min
Reply to  D. Furtif

Comme tu l’as écrit Cook a dû en saisir toute l’ironie pour finalement la laisser à la couronne de France.

Ph. Renève
Ph. Renève
3 janvier 2011 20 h 20 min
Reply to  ranta

Sans compter le climat riant et la flore luxuriante…

ranta
ranta
3 janvier 2011 20 h 21 min
Reply to  Ph. Renève

Une terre d’orchidées.

Ph. Renève
Ph. Renève
3 janvier 2011 20 h 24 min
Reply to  ranta

Doit pas y en avoir bézef, comme on dit en botanique.

yohan
yohan
3 janvier 2011 19 h 03 min

Beau voyage dans le temps, merci Furtif. Le thème est en vogue en ce moment. Ben oui, va falloir conquérir de nouveaux horizons (lesquels ?) pour regagner notre beefsteak… ou au moins, à défaut, rêver encore un peu…

Xavier
Membre
Xavier
3 janvier 2011 19 h 22 min

Passionnant !

Quand on pense que les Australiens auraient pu parler le français ! Après tout, Nouméa, c’est la porte à côté. Et le grand Charles balancer à Canberra, devant la foule en délire : « je vous ai compris » ou : « Vive le Queensland libre ! »

Quelles occasions manquées !

Pour revenir aux îles Kerguelen, depuis quelques années, il s’y passe des trucs pas toujours très sympas là-bas également.

Dans le style flûtes, gabares et autres navires anciens, si vous passez dans les environs de Rochefort, il faut absolument visiter le chantier de la frégate Hermione

Ph. Renève
Ph. Renève
3 janvier 2011 20 h 28 min
Reply to  D. Furtif

Le jardin des Retours, c’est bien celui qui a de belles allées ? 😉

Xavier
Membre
Xavier
4 janvier 2011 0 h 55 min
Reply to  D. Furtif

Bonsoir Furtif,

Cette prise de possession du territoire Australien en 1772 pourrait faire l’objet d’une belle uchronie, non ?

Pour l’Hermione, je ne savais pas que tu lui avais fait cette promotion forcenée et je ne m’adressais pas spécialement à toi mais à tous ceux qui fréqentent ce blog. Pas le moindre souvenir du « jardin des retours » par contre, pour y être allé 4 fois en hiver, je me rappelle du micro climat plutôt sibérien qui règne sur Rochefort. A gla gla !

Je n’ai pas compris cette histoire de modestie.

asinus
Membre
asinus
4 janvier 2011 7 h 12 min

Ah les mers du Sud ! Les îles enchantées, les plages où s’ébattent les vahinés enchanteresses. La douceur d’une escale bercée par le zéphyr d’un alizé apaisé .Les rires, les chants, les danses, le retour à une nature complaisante et permissive

yep ça serait pour un depot de plainte : pour publicité mensongere commencer comme ça et finir au Kerguelen
ben mince!!!!
sinon comme d hab l’ane a appris une foule de choses!