Esclaves en mer.

« Je pense que nos marins Birmans meurent comme des chiens ou des porcs. J’ai été vendu comme un esclave par des courtiers, passant d’une main à l’autre. Finalement, j’ai été vendu à une société de pêche Thaï … Alors que j’étais embarqué, j’ai vu un cuisinier Thaïlandais frapper l’un de nos marins Birmans à coups de barre de fer …Le gars a été touché à l’arrière de la tête et son cerveau s’est répandu [hors de la boîte crânienne]. Je l’ai recueilli. Il a agonisé pendant une heure, le jeune homme a agonisé pendant une heure avant de mourir. »

Ce témoignage a été recueilli par le bureau local de l’ITF en Indonésie. Son auteur est un « marin » birman, Saing Winna, embarqué à bord d’un bateau de pêche thaïlandais d’où il a pu s’enfuir. Il n’avait pas choisi ce navire. Ce sont les agences de placements qui, moyennant finance et force transactions, avaient fini par répondre positivement à la demande d’un armateur et/ou d’un capitaine véreux. Navire pirate où la loi du Pavillon n’est pas appliquée. C’est ce qui arrive quand le capitaine du navire n’est plus le représentant de l’Etat à bord et qu’il n’a plus de comptes à rendre qu’à l’armateur et aux actionnaires.

Ce genre de récit n’est pas exceptionnel mais fait plutôt partie du lot quotidien des organisations ou syndicats œuvrant dans le domaine de la défense des travailleurs de la mer.

La majorité des marins embarqués sur les navires de pêche pirates sont embauchés par des agences de recrutement (manning).

La plupart du temps, ils sont recrutés dans les zones rurales de pays sous-développés, Chine, Vietnam, Philippines, Sénégal, Thaïlande, Birmanie, Cambodge, Liberia, Népal, Sierra Leone, et constituent une proie facile pour ces agences. Fuyant les persécutions, le chômage endémique, la misère, la faim, etc. ils espèrent pouvoir trouver un emploi qui leur permettra d’améliorer le quotidien de leur famille. Leur connaissance du métier est nulle.

Une fois à bord, ils sont traités comme de véritables esclaves :

  • Détention sur le lieu de travail pendant des mois ou des années
  • Conditions de travail inhumaines
  • Règles d’hygiène bafouées
  • Lieux de vie abjects
  • Contraintes psychologiques
  • Endettement obligé
  • Retenue à la source des salaires
  • Confiscation du passeport et papiers d’identité
  • Privation de nourriture et des besoins essentiels
  • Mauvais traitements, viols, coups…
  • Etc.

Des 200 dollars promis lors de la signature du contrat, leur famille n’en verra pas la couleur d’un cent. L’armement en gardant 50 pour frais divers, les 150 restants seront partagés entre les différents bureaux de placement pour services rendus.

Si l’embarquement se passe mal, dans le meilleur des cas, le récalcitrant népalais se verra débarqué, sans moyens, sur un quai africain, au pire les requins s’en chargeront.

Vidéo (9 min) : ALL AT SEA-The Abuse of Human Rights on Illegal Fishing Vessels



Les impacts sont d’ordres sociaux, environnementaux et économiques. Ils touchent principalement les pays pauvres qui n’ont pas les moyens de surveillance et d’intervention pour faire respecter leur mer territoriale, encore moins leur zone économique exclusive et les règlements internationaux. Les ressources halieutiques de ces pays sont pillées et leurs pêcheurs artisans sont réduits à la famine.

L’Union Européenne est complice de cette ignominie, il est de notoriété publique que les îles Canaries (Espagne) sont la principale plaque tournante du trafic de poisson pêché illégalement en Afrique de l’ouest par des bateaux pirates utilisant une main d’oeuvre d’esclaves. En fermant les yeux sur ce trafic, elle permet à ce poisson de rentrer sur le marché européen. Ce même poisson pêché illégalement se retrouve par exemple au MIN de Rungis et donc dans l’assiette des français.

La différence des coûts de production fait que nos pêcheurs, contraints par les diverses règlementations et à juste titre, abandonnent le métier avant de faire faillite et que leurs biens soient saisis !

Ce bref exposé a été inspiré par la lecture d’un rapport objectif de l’ONG britannique EJF. Vous pouvez consulter ou télécharger ce rapport (en anglais) librement à cette adresse.

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Marsupilami
Marsupilami
12 novembre 2010 9 h 34 min

Très bon nartic, merci. La vie des marins-galériens n’a jamais été rose, et la mondialisation ultralibérale n’a fait que prolonger ces pratiques barbares. Sur le même sujet lire l’excellent roman de Jean-Claude Izzo, Les Marins perdus : « Sur l’Aldébaran, vieux cargo amarré à la digue du large, trois hommes attendent désespérément que leur sort se décide à des centaines de kilomètre de là . Désoeuvrés, ils découvrent en errant au hasard dans Marseille, une vie qui leur semble familière, comme en écho de leur propre passé et une ville qu’ils déchiffrent peu à peu dans ce qu’elle a de plus douloureux et qu’ils apprennent à aimer presqu’autant qu’à haïr. Autour d’eux, Marseille tisse et dénoue inlassablement sa toile de fond dans un tourbillon lent d’espoirs déçus, de joies simples, de patiences trompées, d’élans contenus, de souvenirs tenaces, de violences sourdes et de plaisirs assouvis. Dans cette toile mouvante à la trame surchargée de lumière, ombres parmi les ombres, Abdul Aziz le capitaine, Diamantis le second et Nedim le radio s’engluent, se battent et se débattent jusqu’à l’épuisement pour tenter de délivrer leur âme. Ils y cotoieront, l’espace de quelques nuits, d’autres êtres aussi perdus qu’eux-même avec lesquels ils danseront le ballet dérisoire des éphémères avant d’affronter leur destin ».

Marsupilami
Marsupilami
12 novembre 2010 10 h 03 min
Reply to  Marsupilami

Toujours sur le même sujet, lire aussi la série de romans d’aventure Capitaine Alatriste de Arturo Pérez-Reverte, qui a par ailleurs aussi écrit un très beau bouquin, Le Peintre des batailles.

Léon
Léon
12 novembre 2010 9 h 45 min

Encore un super article de Xavier concernant les gens de mer sur un sujet peu connu. Si je comprends bien, on est tout simplement dans une zone de non-droit…

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
12 novembre 2010 10 h 09 min

Je salue ici l’article anti libéral le plus implacable qu’il m’ait été donné de lire depuis longtemps . C’est un manifeste pour la défense du droit du travail et la construction de syndicats nationaux . Il rappelle aussi que les problèmes de notre époque sont à l’échelle planétaire et que la défense des travailleurs de la mer se pose à l’échelle internationale.

Cet article nous rappelle aussi que les problèmes de tous les travailleurs sont préfigurés par la situation décrite ici.
Nous sommes tous des marins birmans

Ph. Renève
Ph. Renève
12 novembre 2010 10 h 37 min

Bien d’accord avec le Furtif: merci pour cet article qui montre ce qui attend peu ou prou tous les salariés si la vague ultralibérale continue à déferler.

On voit très bien ici que, sous couvert de liberté d’entreprendre et de concurrence, il ne s’agit que de provoquer oppression des salariés et retour aux conditions de travail du XIXe siècle.

Demain, Germinal…

Causette
Causette
12 novembre 2010 19 h 58 min

Bonsoir Xavier, complètement d’accord avec Furtif et Philippe, je ne peux dire mieux.

Ce récit m’a rappelé un document Les travailleurs de l’ombre (?)

L’envers du décor ! Ils sont 500.000 ouvriers du bâtiment qui sont venus tenter leur chance à Dubaï pour travailler sur les îles artificielles. Originaires d’Inde, du Pakistan, du Tibet ou de Chine, souvent recrutés dans les campagnes, ils ne parlent pas l’anglais et se retrouvent dans un pays étranger à la merci d’employeurs peu scrupuleux. Salaires misérables, logements insalubres, accidents du travail, les travailleurs de l’ombre se bousculent aux portes de la citadelle du luxe.

Il serait temps de braquer nos projecteurs sur ceux qui en tirent des profits!

TRUC Khanh société a été créée en 2004. Chiffre d’affaires / Année: 3 millions de dollars à l’exportation Qté / année: 8, 000 marchés de MT: USA, Europe, Japon, Corée, WAN Tai, Singapour, la Malaisie, Amérique du Sud et Moyen-Orient. Nous sommes spécialisés dans suppying produits suivants: 1. Fruits de mer: différentes sortes de poissons, crabes, crevettes, poulpes, calmars,. . . .
Il y en a combien de TRUC comme ça?

Causette
Causette
12 novembre 2010 20 h 31 min

A part l’action de faire très attention aux produits que je consomme, je me sens plûtot inefficace face à cette gangrène antilibérale.

La corruption et la pêche industrielle en Afrique – André Standing1
U4 (www.U4.no)

La Corruption, les ressources naturelles et les pêches
– Les accords d’accès de pêche bilatéraux et la ‘capture d’état
– Des conflits d’intérêts et le détournement de frais de licence
– La corruption, des paiements de pots de vin et la pêche clandestine

Résumé
Les ressources marines d’Afrique sont en grande demande et prennent de l’importance dans le domaine géopolitique. La concurrence entre les nations de pêches principales pour l’accès et le contrôle sur les ressources marines est jointe par la concurrence entre les communautés locales et les flottes étrangères industrialisées. Dans ce contexte, il y a plusieurs motivations qui encouragent l’existence même d’une gamme d’activités illégales contre lesquelles les nations africaines ne peuvent que très faiblement réagir. L’auteur décrit les domaines clefs de soucis liés à la corruption et à l’exploitation des ressources marines dans les pays africains par des flottes étrangères. Les politiques de réformes qui pourraient réduire les motivations et les occasions pour la corruption d’exister dans la gestion de pêche sont aussi discutées. Le papier fait partie du projet La Corruption dans La gestion des Ressources Naturelles au Centre de Documentation d’Anti-Corruption U4 : http://www.u4.no/themes/natural-resources/main.cfm

Causette
Causette
12 novembre 2010 23 h 28 min
Reply to  Causette

décidément, ma première phrase c’est du n’importe quoi 😳

donc je disais, qu’à part faire attention aux produits que je consomme, je me sens plutôt inefficace face à cette gangrène, je deviens de plus en plus radicalement antilibérale.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
13 novembre 2010 0 h 04 min

Je reviens pour exprimer mon admiration à la lecture de ton article .
Bravo Xavier

Allusion
Allusion
13 novembre 2010 9 h 16 min

Bravo pour cet article.
Maintenant, c’est le moment de se poser la question: « comment y remédier? »
Ne plus manger de poisson? Payer plus cher pour le poisson? Payer pour obtenir plus de surveillance sur les mers?
Tout cela est tourne toujours autours du nerf de la guerre: l’argent et une volonté de payer au juste prix.
Nous sommes tous des « libéraux » quand on cherche à marchander tout ce qu’on achète.
Je connais bien les Canaries. C’est une porte d’entrée vers l’Europe pour les hommes et les marchandises.
Les complicités existent toujours.

Ph. Renève
Ph. Renève
13 novembre 2010 9 h 28 min
Reply to  Allusion

C’est une somptueuse ânerie que de rendre le citoyen consommateur responsable de ces catastrophes libérales; c’est précisément ce que cherchent ceux qui les mettent en place.

La réponse est politique, car c’est bien de là que viennent les déréglementations qui ont pour but non pas une concurrence accrue et une baisse des prix mais des profits toujours plus grands pour les entreprises scélérates.

Tant que les citoyens porteront au pouvoir des suppôts de l’ultralibéralisme habillés des oripeaux républicains, cette situation ne fera que s’aggraver.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
13 novembre 2010 10 h 14 min
Reply to  Allusion

Pourquoi avoir changé de pseudo. Cassecouille convenait parfaitement.
Vous n’êtes pas invité, allez donc voir ailleurs , vous et vos tartines ineptes.
Je le répète , on ne vous a pas dit d’entrer, vous nous faites …..
Ne comprenez vous pas que nous aurons d’excellentes relations dans la mesure où vous serez loin , très loin de ce blog

Waldgänger
Waldgänger
15 novembre 2010 18 h 33 min

Très bon article, comme d’habitude. Esclavage, le mot n’est pas trop fort, avec les séquestrations, les mauvais traitements et la privation de liberté, ce qui va bien au delà de la simple exploitation, où l’on est encore libre de partir, malgré toutes les limites de cette notion dans certains contextes.

yohan
yohan
16 novembre 2010 0 h 05 min

Xavier,

Ce genre d’article ayant quasiment disparu des colonnes de nos quotidiens nationaux, on constate à quel point l’information est devenue superficielle et people centrée. Merci donc de consacrer ces quelques lignes à ces pauvres bougres sacrifiés sur l’autel du grand market mondial et qui meurent dans un silence d’autant plus assourdissant que l’Etat qui les a vu naître se fout comme d’une guigne du sort de son peuple in et out.