Dans les années trente toutes les grandes faces nord des Alpes ont été conquises. Restent « trois grands problèmes » : la face nord du Cervin, la face nord de l’Eiger et enfin celle des Grandes Jorasses.
Le Cervin
Le Cervin (Matterhorn en allemand) est, parmi les trois, un cas un peu à part. Il n’est sans doute pas la face la plus dure et la plus haute des Alpes. Mais alors que l’Eiger -l’ogre en français- est une montagne trapue, peu accueillante, alors que les Grandes Jorasses, austères, froides, sont éloignées de la vallée de Chamonix de plusieurs kilomètres-quinze- et situées dans un cirque glaciaire, sa forme pyramidale, quasi parfaite, attire les regards du monde entier. Mais il a la triste réputation d’être du rocher pourri, du rocher qui se délite, qui ne tient pas, qui cède facilement, et contrairement à la plupart des sommets qui offrent une voie facile, au Cervin il n’y en a pas.
Certes, la voie normale, l’arête Hörnli, n’est pas très compliquée mais l’histoire du Cervin est marquante car chaque étape de sa conquête constitue un moment important dans l’évolution alpine. La réussite de la cordée Whymper lors de la première ascension, le 14 juillet 1865 par l’arête Hörnli , sera marquée par un drame. Parce que encordés à sept sur la même corde ! La chute, lors de la descente, du grimpeur aval entraînera ses compagnons. La corde se tend, rompt et quatre d’entre eux basculent dans l’abîme. Parmi eux le grand guide Chamoniard Michel Croz.
Edouard Whymper faisant partie des trois miraculés renoncera suite à cet accident, profondément touché, à tenter des premières audacieuses et d’envergure. Trois jours après cette réussite, s’étant fait souffler de peu la première, le monsieur Cervin – Jean Antoine Carrel- persuadé que la voie classique devrait être l’arête du Lion en réalise l’ascension.
Par la suite l’histoire du Cervin sera plus clémente, ne laissant pas ce goût amer ducombat perdu d’avance comme ce fut le cas à l’Eiger; mais sa face nord reste à ouvrir. Dès 1923 une cordée Autrichienne entreprend son escalade. Horeschowsky et Franz Piekelko progressent rapidement, trop peut- être pour construire la légende; mais les conditions abominables que la permanence des chutes de pierres leurs font subir les contraignent à renoncer. Des conditions plus favorables auraient sans doute été un gage de réussite mais auraient aussi, probablement, altéré la réputation de cette face nord, trop facilement conquise. On attendra donc 1931 et deux Munichois; les frères Franz et Tony Schmid venus à vélo de Munich ! Poussant sur leurs pédales, lourdement chargés, sans EPO ou quelconques substances, ils se hissent jusqu’à Zermatt et deviendront néanmoins les maillots jaunes de la face nord. Franz à 26 ans, son frère 22. Epuisés par le voyage, ils établissent un campement face au Cervin et attendent que la neige fraîche récente disparaisse de la paroi. L’attente est longue, pesante, et lassés, poussés par la soif d’entreprendre ils se mettent en route le 31 juillet. Leur aisance leur permet de s’élever rapidement dans la paroi. Au premier bivouac le temps se dégrade et les observateurs qui de Zermatt suivent leur progression à la longue vue ne leurs donnent guère de chance de survie. Le lendemain le temps est très médiocre, et c’est sous un véritable déluge de feu et de neige qu’ils se dressent sur la cime. Ils ont réussi à leur première tentative et de fort belle manière.
L’histoire de la face nord est close. Le premier des « trois grands derniers problèmes » résolu, alors que paradoxalement cette expression ne verra le jour qu’en 1936 ! Car entre temps, en 1933 Hitler a accédé à la chancelerie et les conquêtes alpines, véhiculant des valeurs de courage, de force, d’abnégation, de persévérance, de don de soi, de virilité vont se trouver au coeur de la propagande nazie. L’Eiger en sera le théâtre principal. Comme bien d’autres Allemands qui auront semé leurs os au quatre coins de l’Europe, les alpinistes Allemands et Autrichiens paieront un lourd tribu à la gloire du 3eme reich. Peut-on dissocier l’accession au pouvoir du führer de la première réussite de la face nord de l’Eiger ? le fiasco des jeux de berlin en 1936 et l’insolente collection de médailles de » l »untermenschen » Jesse Owen fut comme un pavé dans la mare : désormais, seul l’alpinisme pouvait sauver la grandeur des athlètes Allemands. Les clubs Alpins germaniques donnèrent beaucoup; trop, si l’on considère que les grimpeurs Austro-Allemands tombés à l’Eiger et aux grandes Jorasses étaient tous aussi motivés par l’enjeu alpin que la reconnaissance du führer à leur égard. Ces temps ont été obscurs, et il est très difficile, même aujourd’hui, de faire la part des choses entre ceux qui voudraient villipender l’alpinisme germanique d’entre-deux guerre et ceux qui voudraient croire que l’alpinisme n’est motivé que par l’exploit technique, l’exploit physique et la chaleur humaine d’une cordée.
La récupération politique
Dès lors se posera la question de la récupération politique des exploits sportifs, et en l’occurrence des alpinistes. En démocratie cette question n’a guère de sens, bien que, pour ne parler que de la France, nombreux sont les athlètes qui ont posé sur le perron de l’Elysée et reçu la légion d’honneur. En revanche, il en va tout autrement dans les régimes dit totalitaires, et à cette époque l’idéologie nazie et le fascisme Italien vont s’inviter à la course des deux dernières face nord conséquentes : l’Eiger et les Grandes Jorasses. Dans ces deux cas la récupération politique a eu de fâcheuses conséquences dont celle de porter le doute sur l’adhésion politique des « héros » à des idéologies que l’Histoire a condamnées. Certes, les acteurs de l’époque ont eu un discours qui a changé après guerre.
Lectures :10095
Je dois dire que j’ai adoré cet article et les deux autres à venir. Et j’ai plein de question à poser à Ranta. J’y reviendrai dès que j’ai une minute.
J’y reviens donc.
D’abord étant atrocement sujet aux vertiges, cette série d’articles m’a littéralement terrifié lorsque j’ai pu mettre des images sur les mots. J’ai une admiration sans borne pour les gens qui font ça, j’en serais totalement incapable. En même temps bizarrement je les comprends et je les envie: j’ai l’impression qu’on doit se sentir meilleur là-haut…
Une question sur un point de détail, Ranta. Tu dis que la catastrophe est venue du fait qu’ils étaient 7 à être encordés. Mais j’ai toujours cru que plus la cordée était nombreuse plus elle pouvait résister à la chute de l’un de ses membres. Ce n’est pas le cas ?
Non, c’est le contraire. S’encorder à plus de deux ou trois, est une hérésie du fait du facteur de chute = hauteur de chute / longueur de corde entre les 2 grimpeurs, là on multiplie par autant de grimpeurs. mais là il faut se souvenir que l’on est en 1865, finalement on en est un peu aux balbutiements de la conquête des sommets. En outre, dans ce là il y a deux facteurs à prendre en compte :
– C’est à la descente, dans un passage peu délicat où tout le monde peut marcher ensemble et en même temps. Dans un endroit plus difficile sans doute que Michel Croz aurait marché le dernier et aurait fait avancer ses compagnons en bout de corde tout en les assurant avant de descendre lui même. Aujourd’hui dans de tel passage chacun marche seul,c’est une question de temps. En montagne il y a vraiment des endroits dans lesquels il ne faut pas se trouver à certaines heures de la journée : ça se résumerait à marcher en plein milieu d’une autoroute un jour de départ en vacances.
– A cette époque, et pendant très longtemps, les cordes seront statiques, de simples cordes en chanvre. C’est à dire qu’elles absorberont l’énergie cinétique en seul point, la corde rompt très facilement ou alors brise la colonne du grimpeur. De nos jours les cordes sont dynamiques : elles ont une certaine élasticité qui absorbe le choc, concrètement il faut qu’elles puissent absorber au moins une masse de 1200 kg, pratiquement les meilleurs cordes encaissent dans les 2.5 tonnes-
Je comprends mieux.
Hou là Léon ça ne marche pas avec tout le monde . J’en ai connu un que ça ne rendait pas meilleur
L’avait comme qui dirait des pulsions Abrahamesques.
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Isaac Furtif
😆 😆 😆
Je ne sais pas si on est meilleur là haut. En revanche on apprend que si l’enveloppe est fragile, le mental peut devenir aussi dur que l’acier le plus dur.
Léon, la cordée nombreuse, c’était plus sécurit, par exemple, sur la neige ou sur une crête = un tombe dans une crevasse ou glisse et les autres compensent.
En paroi c’est différent, ou très forte pente, si un » deboutonnage » commence, et que dès les premier fusibles sautent ( Humain, ou point d’ancrage) c’est la la chutte qui se renforce et emmène tout, et l’ensemble de la cordée est emportée.
Bijour Ranta
Je l’ai pas dit à Léon mais j’ai fait exprès de pas lire le Nartic en préparation.
Je ne regrette pas.
Autant d’histoire et autant de questions dans un format aussi ramassé…..!!!
J’attends impatiemment la publication des deux autres………
Non je n’irai pas les lire.
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Au fait j’oubliais.
Pour des raisons que je raconterai peut-être un jour , la montagne a toujours été pour moi un binzz assez contradictoire.
Cela n’aurait rien à voir avec le fait qu’un jour on t’ait retiré ton terrain de jeu estival de bord de mer pour te traîner en montagne ?
J’en connais une qui est pareille !
Autre question, Ranta : tu as déjà fait des ascensions aussi hautes et difficiles ?
Oui. En l’occurrence j’ai fait la voie Cassin aux grandes Jorasses, le croz et l’Eiger les deux autres montagnes des prochains articles. j’en ai fait d’autres aussi, pour résumer dans le massif du Mont Blanc et une bonne partie des voies classiques, il y a en revanche un sommet sur lequel je ne suis jamais allé : le Mont Blanc, ça n’avait aucun intéret pour moi.
Encore une autre question : le matériel d’escalade de l’entre-deux guerres était-il très différent du matériel actuel ?
Pour te donner un point de comparaison : autant qu’entre une formule 1 des années 50 et d’aujourd’hui, autant qu’entre un spitfire et un rafale.
Très différent, Léon, même si il toujours des cordes, des chaussures, piolets.
– Encordement = Maintenant c’est des baudriers sur lequesl est nouée la corde, cela evite en cas de chute, de couper la circulation sanguine, l’étouffement, et bien des situations perilleuse qui arrivaient en ces temps là.
– Piolet, si il existent toujours les piolets modernes n’ont plus grand chose a voir avec ceux de l’époque, ce sont devenu des instruments très techniques (ils étaient plus proches de l’alpenstock, un genre de batons ferré)
– Corde, comme l’a très bien décrit Ranta, maintenant les cordes sont très resistantes, ( abrasion, resistance au UV) , et surtout prévue pour absober des choc, bien plus légère et de diamètre plus faible ( de 8 à 11 mm).
– Pour les ancrages il y a une infinité de possibiltés selon le matériel utilisé ( chevilles avec trou foré, coinceurs mécaniques, etc), alors qu’a l’époque c’était juste des pitons, lames forgée en fer doux, et des coin en bois.
– Des progrès phénoménaux dans les vêtements de protection et tout le reste de l’équipement.
– Les chaussures. avec deux avancée très importantes = la semelle « Vibram » ( de l’italien Vitale Bramini qui eu lidée) en cohtchouc, puis après pour l’escale pure les chaussons avec des semelle en gomme adhérente, à l’époque c’était des croquenot avec des fers cloué sous la semelle ( les tricounis).
Pour donné une idée, la face nord de l’Eiger dont Ranta va faire un article sur sa conquête , à été gravie en 4 heures dans les année 80, 2h28 minutes en Avril cette année…
Certe, ce n’est pas representatif de l’apport du matériel actuel, d’aurtres facteur rentrant en jeu ( paroi et intinéraire connu, point d’assurage fixe, etc).
Oui, je sais que le Mont Blanc n’a pas d’intérêt du point de vue escalade. Pour le matériel actuel il rend l’escalade plus sûre ou plus facile ? Ou les deux?
Les deux. Surtout au niveau de l’ergonomie des matériaux, de leur poids, de leur utilisation, des innovations comme les coinceurs à la place de coin de bois.
Et puis les vêtements aussi ont leur importance, plus légers, plus chauds, moins encombrants.
Donc les exploits de ceux qui ont grimpé les premiers ces sommets-là sont encore plus remarquables, non ? ( je corrige…)
Complètement, c’est énorme ce qu’ils ont fait. Mais une génération qui arrive part toujours du plus haut point atteint par la génération précédente; et les générations suivantes n’ont pas été avares d’exploits elles non plus. On est passé de l’ouverture d’une voie « où » ça passait à des directes, puis des directissimes. Puis des hivernales de la première voies, puis des hivernales de directs, etc… Puis on est allé chercher les difficultés grandissantes, il y a des voies en haute montagne qui sont d’une difficultés extrême de nos jours.
Aujourd’hui faire la voie Cassin aux grande Jo est devenu bana.
On a donc deux grimpeurs apparemment sur Disons ? Ranta et AGNNP ?
Au moins un Ex grimpeur 🙂 Quant à AGNNP il avait déjà laissé filtrer ça.
Il le dira mieux lui même , mais , s’il utilise les mêmes techniques c’est dans un but opposé .
Peut-on le dire comme ça AGUeuneu
Il serait plus orienté canyoning, c’est ça ? bah, en général les deux vont bien ensemble. perso j’ai adoré le canyoning.
Bonjour
j’offre une bonne Grappa, avé la grolle! j’ai confondu Ranta avec Lapa dans mes posts ( mes foutus pb cognitifs)
Canyoning, très peu fait, même si j’ai eu la chance, à l’épouqe ou cette activité n’exitait pas, d’en explorer 1 ou 2 en « première » , sans le savoir.
C’était plutot la spéléo d’exploration, et la chance d’avoir vécu une période encore » pionnière » ou bcp de chose était à découvrir pas très loin de chez soi, mettre au point, et il restait encore de cette mentalité des anciiens.
Ha ! Ranta pour mettre jour Léon , on a oublié un énorme progrès en alpinisme et ces activités, même si c’est pas du matos = La nourriture et ce qui torne autour, dont les plats lyophilisée, et les methode de préparation alientaire ( régime discossié pour une optimismisation, etc) et toute les methodes de préparation, ça compte bcp aussi.
Bon, nous on montait de la bonne grosse boustiffaille, quitte à avoir des sacs pas très raisonnables, le plaisir n’en était que meilleur après l’effort et tant pis pour la performance.
On peut le dire, Furtif, même si j’ai grimpouiller un peu.
Sur qu’avvoir eu le privilège de parfois fouler la trace des anciens , rend humble et on se rends compte de ce qu’ils on fait et dans quelle conditions,pas d’arva, pas d’hélico, mais de la grapa!
Dans une grole ? 😆
Non 3 … ou disons : 2,5
Car j’ai fait un peu de grimpette lors de mon service militaire aux para-commandos belges.
Ici à Marche-les-dames
Oui je sais, je vous vois venir avec des histoires de DRH…
😆
Salut Ranta,
Je n’avais pas pu lire tes articles jusqu’à présent. Pas de connexion internet quand Disons les a publié.
Alors j’attaque vaillamment ma première ascension par ici, pendant que tout le monde discourt sur la sourate machin, tirée du fameux livre problématique.
Vu d’en haut (je suis enfin parvenu au sommet et je fais une pause avant de redescendre) ces chicaneries religio-laïcardes me semblent bien trop répétitives et un peu lassantes.
Mais je sais bien qu’il va me falloir descendre, tôt ou tard, et rejoindre la « civilisation » que j’aperçois à peine à travers cette brume épaisse qui la recouvre.
Merci pour la visite de ce premier sommet.
J’en ferai certainement un autre demain, si je n’ai pas trop de courbatures ! 😉
Puisque tu es là j’ai donné des Nartics comme tu les aimes , loin des chicaneries qui te déplaisent
…
Bin oui je me fais de la pub rien qu’à moi sous le Nartic du Ranta
Salut Furtif,
J’ai beaucoup de retard de lecture : Pratiquement 15 jours sans internet.
Je n’ai même pas pu suivre les commémorations truffières du 11/9 sur Agogo. Un comble !
(En fait tant mieux, car là aussi il y a un peu beaucoup overdose)
Mais je remonte consciencieusement les articles et je parviendrai bientôt aux Wisigoths ! 😀