L’ENFANT et LES ECRANS

L’ENFANT et LES ECRANS

Compte-rendu d’une conférence de Monsieur Serge Tisseron, organisée par l’Association du Cinéma Le Sirius au Havre.

Serge Tisseron, né en 1948 à Valence, est un docteur en psychologie, psychiatre , et psychanalyste français. Il est sollicité en tant qu’expert auprès de diverses instances de décision pour éclairer le législateur sur les conséquences des nouvelles technologies (Commission des Lois, Office d’Evaluation Parlementaire, Protection Judiciaire de la Jeunesse, Centre d’Analyse Stratégique…). Il a initié une campagne d’affiches inspirée de ses travaux, ( voir les liens à la fin du texte).

Le 6 novembre 2013, il a reçu à Washington un Award de la FOSI (Family Online Safety Institute) notamment pour la campagne 3-6-9-12. “Award for outstanding Achievement”.  Jusqu’à présent, les awardés de la FOSI ont toujours été anglo saxons.

« Les nouvelles technologies modifient la manière de percevoir les autres et soi-même ».

En préambule, Serge Tisseron a évoqué le peu d’intérêt pour cette question dans les années 1990. Après quelques données concernant le développement du nouveau-né et du jeune enfant, il nous a présenté sont étude sur les repères (ou balises) « 3-6-9-12 » destinés aux parents, médecins, éducateurs et aux enseignants.

Les repères spatiaux, sensoriels :

Dans les premiers mois l’enfant prend, il secoue.

Quand nous venons au monde, les régions cérébrales enregistrent les informations auditives et visuelles. Mais aussi depuis 15 ans, on sait que ces régions ne sont pas connectées entre elles. L’enfant doit aborder les différents objets (visuels ou sonores) avec ses différents sens. Il s’imprègne d’un certain nombre de perceptions. La télévision n’est pas trop adaptée à cet état de fait.

Les repères temporels :

Avec un jeu de cubes, le jeune enfant les dispose dessus, à côté, les fait tomber. Avec un livre en carton, il tourne les pages et découvre qu’il y a un avant, un pendant, un après.

Il va encore mieux construire des repères temporels si un adulte lui raconte une histoire, avec un début, un présent, un avenir.

La régularité des horaires de vie, avec des activités  à heure fixe, au même endroit, un vêtement de jour, un vêtement de nuit va l’aider à se structurer.

Il n’a pas la notion de la durée ni de l’espace. Son corps est prolongé en quelque sorte par l’espace qui l’entoure qui est un espace de sollicitations, de perceptions sensorielles.

Qu’il soit placé devant l’écran pour regarder un Dvd ou bien une émission télévisée, tout est dans un éternel présent. Il faut être un spectateur drôlement aguerri pour penser qu’il y a un avant, ou à ce qu’il y aura après.

Les balises «  3-6-9-12 » :

Il faut éviter la télévision ou le DVD avant 3 ans. Dans la réalité, c’est rarement le cas.

Depuis 1990, de nombreuses études sur les enfants placés devant un téléviseur avant l’âge de 3 ans montrent des conséquences inquiétantes : une prise de poids qui subsiste, des difficultés de concentration et d’attention.


« Ça ne veut pas dire que les parents ne peuvent pas regarder 10 minutes par jour petit Ours Brun ou l’âne troto avec leurs enfants de deux ans, deux ans et demi. Ce qui est important c’est la relation que l’adulte va avoir avec lui. C’est plus facile d’interagir avec un enfant et une tablette tactile (pour jouer, pas apprendre) qu’avec une TV qui ne présente aucun intérêt. »

Le Docteur Linda Pagani, spécialisée dans les troubles liés à l’école, a étudié le cas de ces enfants qui deviennent le bouc-émissaire de leurs camarades vers l’âge de 8-10 ans. En fait, c’est le contraire de ce qu’on pensait : ils se sont construits en spectateur du monde, et non pas en acteur. Ils ont grandi devant un téléviseur, sans avoir à se confronter aux autres et à la réalité.

Même quand le tout-petit ne la regarde pas, et que les parents laissent l’écran allumé ou bien regardent : cela gêne beaucoup. Imaginez que vous lisiez dans une pièce avec une télé immense qui hurle.

« Plus un bébé a des périodes de jeu longues, plus on peut espérer qu’il aura un développement satisfaisant ». Tiffany Pempec.

« Les écrans non interactifs ne sont pas indispensables. Les études montrent que TV et DVD n’ont que des conséquences négatives. Aujourd’hui, il y a très peu de tablettes adaptées aux tout-petits. C’est terrible mais l’étude de Pagani montre que la quantité de temps passé à regarder ces programmes est directement corrélée avec le ralentissement des acquisitions. Avant trois ans, l’enfant doit organiser sa réaction au monde sensible, appréhender les objets à travers des informations de tous ses sens. C’est pour cela que les meilleurs jouets avant trois ans, ce sont les jouets traditionnels. »


Entre 3 et 6 ans, le jeune enfant explore le monde et acquière le langage. Il utilise ses 10 doigts. Cette activité est très importante pour développer certaines capacités cérébrales qui apparaissent à cette période.

A 6 ans, il faut éviter la console de jeu portable qui n’utilise qu’un doigt sur deux et fixe l’attention sur aucune activité de développement. Les doigts ne sont pas encore reliés au cerveau : les activités qui mobilisent les 10 doigts comme les jeux de construction, de ballon, les activités manuelles sont prioritaires.

Les jeux numériques intéressants comportent du texte et ne concernent que la tranche d’âge de 7-8 ans.

Pas de console de jeux avant 6 ans :

« Une demi-heure, trois quarts d’heure de TV est bien suffisant. Ne jamais dépasser une heure par jour. Avec quatre conseils : limiter le temps d’écran, veiller à la qualité des programmes, stimuler les pratiques créatrices, demander à l’enfant de parler de ce qu’il voit ou fait sur les écrans pour favoriser le passage de l’intelligence visuelle à l’intelligence narrative. Il faut savoir que 80 % des programmes regardés par les enfants ne leur sont pas spécifiquement destinés. L’important va être d’introduire l’enfant à l’autorégulation et à l’idée du temps. Et puis dès cet âge-là, stimuler les pratiques de création, notamment que l’enfant puisse faire de la photo. Il fait des photos différentes de celles des adultes, des photos dont on peut parler. On peut ainsi introduire les notions de droit à l’intimité, de droit à l’image. Pas de console de jeux vidéo personnelle (qui isole) avant 6 ans. Éventuellement jouer ensemble sur la console du salon. »


Entre 6 et 9 ans, l’enfant découvre les jeux de société dont il apprend les règles : les règles du jeu social qui sont celles de la société.

On n’envoie pas un enfant dans la rue avant de lui avoir appris les règles de sécurité (feu rouge, feu vert). De la même manière, on ne laisse pas un enfant naviguer sur internet sans un apprentissage.

IL existe un fascicule pédagogique disponible dans les classes de CP et CE concernant l’apprentissage de l’utilisation d’Internet : « Le cerveau, les écrans et l’enfant » (voir réf.en bas de page). Il permet au jeune élève une meilleure compréhension du fonctionnement de son esprit avec son écran, sans son écran et aborde la question du droit à l’image, à l’intimité, au risque de ce qu’on y met : des mensonges, des choses vraies ou pas vraies.

Le but recherché, c’est de préparer l’enfant dès 6 ans pour qu’il puisse y aller dès 9 ans en ayant compris que le jeu social sur Internet est différent du jeu social dans la société. Qu’il est important d’utiliser un pseudonyme dans un univers où la mise en scène est théâtralisée.


Pas d’internet avant 9 ans !

Avant 9 ans, les enfants n’ont pas grand-chose à faire sur internet ou alors un internet extrêmement protégé. Laisser l’enfant gérer ses écrans, lui apprendre l’autorégulation : s’il a une console de jeu, s’il a accès à la TV, à une tablette, lui demander comment il pense gérer son temps devant les écrans. C’est très important de montrer à l’enfant que l’on se préoccupe de ce qu’il fait, de ne pas perdre le contact avec lui.

C’est les 3A :

l’autorégulation (gérer son temps)

l’alternance (parler d ce qu’il a vu ou fait

l’accompagnement (regarder, faire des choses avec lui). »

La vie est assez compliquée. Si on va sur Internet, c’est pour fabriquer quelque chose qui n’est pas notre vie. Beaucoup de gens dépriment car les autres enjolivent, cachent leurs différences. Il suffit d’expliquer cela aux enfants.

Entre 9 et 11-12 ans, c’est l’entrée au collège. L’enfant va cultiver le désir de prendre de nombreux repères en dehors de la famille. Les jeux vidéo sont gratuits, c’est le modèle économique. Les enfants croient que les écrans sont gratuits. Ce sont des modèles économiques très forts.

Facebook gagne énormément d’argent en utilisant nos données.


Internet accompagné jusqu’à 11-12 ans

« Continuer à encadrer les activités internet mais là il va falloir être plus clair sur le fait que la loi commune s’applique à internet. Parler du plagiat, du droit à l’image, à l’intimité. L’enfant va commencer à s’autonomiser sur internet. Il faut savoir que 80 % des enfants ont vu des images pornographiques sur internet avant onze ans. La question qui va se poser est celle du téléphone mobile. Il faut savoir que dès que l’enfant aura un téléphone mobile, il s’éloignera beaucoup plus rapidement de ses parents. »

Il faut éviter les réseaux sociaux avant 12 ans. Avant cet âge, c’est la catastrophe : les propos diffamatoires ou inventés vont paniquer les enfants.

Avant 10 ans : un enfant a de la difficulté à pouvoir vivre et se représenter deux émotions en même temps. Lors d’un repas de famille, si un adulte raconte une blague salace, les adultes peuvent en rire et l’enfant en ressentir une gêne. Or sur Internet, c’est tout le temps ainsi. Par exemple, la pornographie qui fait rire un adulte et fait ressentir la honte à un enfant.

La raison donnée pour justifier une émotion n’est pas la bonne. Un enfant pleure car on ne lui a pas donné le dessert qu’il aime, mais sans le signifier. L’adulte va croire qu’il est malheureux, or un enfant va croire ce que dit le copain. Sur Internet, on voit un tas de situations où les gens transforment ou magnifient leur vie sans en donner l’explication.

Il faut vérifier si vos enfants sont sur les réseaux sociaux car ils ne le disent pas. Si à 9 ou 10 ans votre enfant s’inscrit sur facebook, s’il met son âge il va être rejeté. Ses copains vont lui dire de mettre 13 ans. Le problème à cet âge n’est pas dramatique. Seulement, à 13 ans il en aura 17 sur Facebook.

Je connais une mère qui s’étonnait que des hommes s’adressent à sa fille de 10 ans. Un conseil important : vérifiez que vos enfants ne mettent pas leur date de naissance avant leur 13ème anniversaire.

Après 13 ans, on peut les autoriser. Pour eux, c’est un peu une cour de récréation. Ceux qui ont une meilleure socialisation sur facebook ont beaucoup de copains dans la réalité.

ESPACE NUMERIQUE/ESPACE VIRTUEL : cette notion est dépassée. L’espace numérique est tout aussi réel que le monde physique. Seules les règles sont différentes.

En 2012-2013, un rapport de l’Association Américaine de Psychiatres constate un grand nombre de maladies, mais pas d’addiction aux jeux vidéo. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de jeu pathologique. Ce ne sont pas les mêmes circuits cérébraux que pour les drogues.

Il n’y a pas de syndrome de sevrage : on peut enlever la console sans risque. Il n’y a pas de risque de rechute : un gros joueur devient un petit joueur ; contrairement aux fumeurs, buveurs etc…

Le problème, c’est que jouer trop, trop longtemps et la nuit, cela va devenir problématique pour les études ou plus tard le travail, la vie sociale et familiale.

La prévention des pathologies des écrans commence à la maternelle, si vous régulez son temps. Si vous ne le faites pas, l’adolescent n’acceptera pas d’être limité.

Comment s’y prendre ?

En lui apprenant à gérer le temps très tôt. Savoir dire non ou oui, quel programme, combien de temps, et être capable de le lui rappeler : cela fait une demi-heure, c’est ce que nous avions convenu.

En se renseignant auprès d’eux ou sur des forums au sujet des jeux prêtés ou téléchargés : comment joue-t-on, quelles sont les règles, le nombre de participants, l’âge requis et s’opposer fermement aux jeux ne correspondant pas à leur âge. On voit des enfants de 11-12 ans jouant à Call Duty, où l’on tire sur tout ce qui bouge, alors que c’est destiné à un public de jeunes majeurs (pour les plus de 18 ans !).

Une bibliographie et des sites Internet :

  1. Parmi les nombreuses publications de Serge Tisseron, on peut consulter:

Les dangers de la télé pour les bébés, 2009, Toulouse : Eres

Faut-il interdire les écrans aux enfants ?, avec Bernard Stiegler, 2009, Mordicus

3-6-9-12, apprivoiser les écrans et grandir, Toulouse : éres, 2013

Et un article :

http://www.journaldunet.com/itws/it_tisseron.shtml

  1. Une campagne d’affiches qui reprend les idées principales de la conférence dans un but d’éducation aux écrans et de prévention de leurs dangers est en cours.

Ces affiches sont disponibles auprès des éditions Erés (eres.com).

Le fichier numérique est également disponible pour les différents partenaires qui souhaitent s’associer à la campagne et peut être modifié à leur convenance, en particulier pour mettre leur logo s’ils le désirent, mais aussi de toute autre façon pourvu que le message essentiel soit sauvegardé.

Ces affiches sont destinées à être placées dans les écoles, les crèches, les PMI, chez les pédiatres, etc., d’autant plus que la règle 3-6-9-12 a été adoptée en 2011 par l’Association Française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) et a reçu le soutien de l’académie des sciences dans son avis du 22 janvier 2013.

Le fichier numérique des affiches est disponible auprès de madame Anne Bardou:

a.bardou@editions-eres.com

  1. Un livre collectif publié par l’Académie des Sciences : « L’enfant et les écrans »

Éd. Le Pommier – Janvier 2013 – 17,00 €

« L’enfant et les écrans » est lauréat du prix Roberval 2013, mention Jeunesse

http://www.fondation-lamap.org/fr/page/15699/les-ecrans-le-cerveau-et-lenfant

Les modules sont disponibles sur ce site :

http://www.fondation-lamap.org/cerveau

Un article de Véronique Donard sur France TV Info :

http://www.culturelycee.fr/article/jeux-video-et-reseaux-sociaux-o30997

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5 Commentaires
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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
11 mai 2014 16 h 44 min

Bonsoir Dora .
C’est fait

Léon
Léon
11 mai 2014 19 h 49 min

Mais c’est passionnant tout ça, merci Dora. Je vais illico envoyer le lien à qui de droit.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
11 mai 2014 20 h 32 min

C’est en mettant en pratique le conseil de la regarder avec eux que je suis incollable sur Goldorak, Albator et les Monstro Plantes
C’est malin !

Lapa
Administrateur
Lapa
12 mai 2014 12 h 09 min

le modèle parental est aussi important. L’autre jour mon beau frère pestait contre ses enfants qui ont toujours l’iphone-pod-pad à la main tout en effectuant autre chose. Je lui ait simplement fait remarquer qu’il avait strictement le même comportement.

« ah oui mais là c’est pas pareil, c’est pour le boulot ».

bah voilà. 🙂