Les DJ sont de grosses pourritures capitalistes comme les autres

Grosse Fatigue

dimanche 22 juin 2014,

Je hais les DJ. Je hais tout aussi bien, c’est-à-dire tout autant, le DJ des pavillons et sa musique à la Jeanne Mas que le petit bourgeois du centre-ville et son Ipad connecté sur 500 000 watts à côté du guitariste manouche qui s’en va jouer ailleurs, s’il subsiste un public vivant quelque part.

Je hais les DJ parce qu’ils ne sont pas musiciens, mais qu’ils font du bruit, un bruit répétitif chronique, comme une dépression, minant de l’intérieur l’âme des quidams qui leur préfèrent Bach ou AC/DC. Avec les DJ, on n’est jamais assez déçus : on est mort.

Car j’en faisais l’analyse ce soir en rentrant à la maison avec les gamins qui piaillent fatigués du vrai premier jour d’été. La France a marqué tant de buts hier soir, même les chômeurs sont heureux, c’est juin, nous allons renaître, je veux dire recuire, comme de la terre, et c’est la fête de la musique. Je me souviens de la première, c’était si bien. Un vieux papy avec un violon, un type avec une cornemuse. Impossible ou presque de trouver de l’électricité pour amplifier quoi que ce soit. Et puis surtout : rien que des musiciens. Des amateurs, des professionnels, des bancals. Renaissance. C’est sans doute parce que j’avais dans les quinze ans et que c’était l’été. Je veux dire que c’était l’été de mes quinze ans. C’est quelque chose.

La gauche de droite et la gauche de gauche ont détruit les musiciens. L’une au nom du libéralisme, l’autre au nom du relativisme. Les deux se sont confondues dans Jack Lang, le bourreau des chœurs, l’assassin de l’art qu’on apprend, le snob parisien, le snob sans malice je veux dire. Car si tout n’est pas politique, l’arrivée des DJ dans la faille de l’enseignement de la musique ne s’est pas faite par hasard. Les musiciens coûtent cher, ils sont longs à former, ils sont intermittents, ils… Bref. IL FAUT RATIONALISER. Oui, je sais : Jack Lang a lancé la fête de la musique. Ça coûtait moins cher que de lancer l’enseignement de la musique pour tous dès le plus jeune âge. Et puis Bourdieu nous a tant dit sur la musique ou sur l’art….

Tout ce veau comme tout ce bruit : idem.

De même que les usines ont trop de bras alors que l’on peut standardiser, simplifier, faire des légos™ bien mieux qu’autrefois, l’assassinat de l’artisan musicien s’est fait en deux temps, la métrique préférée de l’assassin lui-même : binaire jusqu’au bout des ongles. Ce n’est pas le fils du promoteur immobilier de mon patelin qui dira le contraire. Se vengeant des péquenauds de l’harmonie municipale, ce nigaud sans talent, abreuvé de jeux vidéos dès l’âge, a passé son enfance à imaginer sa vengeance. Papa, n’écoutant que son portefeuille, lui a offert pour lui faire plaisir non pas une guitare (c’est pas Liverpool mon patelin), mais un set de DJ avec deux Macbook™ Pro à faire décoller n’importe quelle mission spatiale. Ce connard, avec trois autres fils à papa, s’écoutait bruiter les usines disparues boum-boum non sans fierté.

Deux temps :

1 – Remplacer les musiciens par des synthétiseurs un peu pourris, puis par des samples sur ordinateurs.

2 – Faire croire (la gauche relativiste) que tout ça, c’est de l’art.

Ce fut facile : les connaisseurs sont de plus en plus morts ou, comme les athées, préfèrent avoir raison dans leur coin. Don Quichotte ? Non : la vie est trop courte. On s’étonne que les boîtes de nuit ferment… Ce n’est pas en remplaçant les restaurants par des MacDO™ que l’on va sauver la gastronomie française. David Guetta a parachevé l’œuvre de destruction de la musique, et, aujourd’hui, même Michel Delpech me semble être un génie. C’est dire….

La mairie s’y est mise : sur l’une des places, on avait fait comme un décor, du genre que l’on bricolait papier alu/polystyrène, jeux de lumières tournantes, et crétin inspiré sirotant un boum-boum pathétique devant les SDF amusés et douze petits bourgeois attendant la nuit pour se murger. Pire même : des musiciens amateurs – certes médiocres – préfèrent aujourd’hui se faire voir à triturer des potards dans le noir, plutôt qu’à tenter le shuffle en 12/8. J’avais envie d’une antifada, comme à Marseille, une anti-fadas, à leur balancer des grosses caillasses, à bousiller leur matos à coups de barres à mine, à leur trancher les doigts pour qu’ils ne touchent plus jamais un bouton. Un coup de marteau sur un Ipad™ : moi, ça me tente de plus en plus.

Tout est foutu. Si la bonne musique n’est plus dans le circuit classique, ça n’est pas pour rien. Je rêve d’un nouveau terrorisme (Bonjour NSA….), le terrorisme du 21 juin : nous serions des millions avec des paniers en osier et des cailloux dedans.

Bref, je rêve.

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Grosse Fatigue

Article précédent, le 16 juin 2014 : Le problème de la mode : le retour de la peau lisse.

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Léon
Léon
24 juin 2014 11 h 40 min

J’applaudis à tout rompre… J’ai vu ça l’autre jour chez moi, c’est flippant : des tonnes de matos, sono, éclairages, ordinateurs, samplers pour produire cette merde… Absolument sidérant.
J’attends que GF nous fasse l’analyse du « scratch » avec les platines. Chaque fois que je vois un abruti faire ça, je me demande : mais le disque qu’il utilise, là, c’est quoi ? Si ça se trouve c’est « Revolver » ? Ou la Ve de Beethoven ?

Lapa
Administrateur
Lapa
24 juin 2014 19 h 53 min

Excellent texte! Bravo! Je me Souviens de mes premières créations DJ esques. A l’époque, j’avais un simple synthé et un mac ii. Quand j’écoute ce qui a été produit avec si peu de matos, les mises en scènes de maintenant font doucement rigoler. C’est l’extrême du rien, l’exponentialité de l’inutile, l’entropie du gadget. Je faisais ça par plaisir et pour avoir du son unique facile.
Bien entendu ce qui différencie l’artiste de l’arnaqueur, c’est que l’artiste n’a pas besoin de mise en scène ni d’une inflation de moyens pour créer et faire partager son oeuvre…