

Qu’elle que puisse être son origine, il est incontestable que l’adjectif véhicule en français une forte charge péjorative. Entré dans la littérature sous la plume de Saint-Simon en 1700, baroque suffit depuis à qualifier ce qui est bizarre, alambiqué, inutilement compliqué, tout ce qui va au rebours de la rigueur et de la raison, marques distinctives du bon ton que veut incarner la culture française. Admettre, avec le Dictionnaire universel de Furetière en 1690, l’origine portugaise d’un terme de joaillerie désignant les perles de forme irrégulière ne rend aucun compte de la rapide évolution sémantique ayant conduit d’une simple observation technique à la dépréciation globale d’une longue période artistique et culturelle.
En France, au long du XVIIIe siècle et plus encore au XIXe, le mot réaffirme et consolide un jugement porté sur les décennies antérieures. À partir de 1760, les chantres du bon goût en prononcent la condamnation définitive, délaissant les raffinements aristocratiques au profit des sobres grandeurs antiques ou des rustiques mœurs paysannes. L’austérité et le dépouillement prônés par le néoclassicisme seront un temps fatals aux réalisations architecturales,
plastiques et musicales du Grand Siècle, jugées quant à elles de mauvais goût. Plus ou moins inspiré, le vandalisme des années de Révolution en fera son miel, autant pour tourner la page du temps des privilèges que pour générer l’idéal d’une société de citoyens libres et égaux.

D’une manière qui n’est paradoxale qu’en apparence, la progression linguistique et lexicale du mot baroque, passant de l’atelier d’artisan aux doctes traités d’histoire en acquérant des valeurs diversifiées, reflète ainsi l’évolution d’un moment de culture dont la dimension est avant tout politique.
Réforme catholique
Il est communément admis que la Réforme catholique organisée par le Concile de Trente (1545-1563) a marqué l’éclosion d’un style spécifique. Dans le droit-fil de la doctrine épurée qui s’élabore, un cadre esthétique renouvelé s’avère judicieux pour accueillir des rituels désormais très exactement réglés afin de magnifier le triomphe et le prestige de l’institution religieuse qu’est l’Église catholique romaine.
Longtemps l’expression « art jésuite » a voulu résumer cet ambitieux programme. Jamais pourtant la Compagnie n’a imposé de canons esthétiques définitifs, ne serait-ce d’ailleurs qu’en considération des contraintes financières locales qu’elle se refusait à alourdir.
En architecture comme en sculpture ou en peinture, les réorientations doctrinales s’accommodaient fort bien de réalisations largement antérieures, sous la seule – mais impérative – réserve qu’elles ne les contredisent pas. C’est ainsi que le zèle d’un clergé autoritaire a conduit à l’éradication de petits monuments considérés comme des supports de dévotion hétérodoxes. Ce fut le sort de collections d’ex-voto qui tapissaient les murs de nombreux sanctuaires médiévaux et de multiples figures de saints plus ou moins fantaisistes qui les habitaient. Pour autant, on ne constate dans le nouveau paysage architectural que la systématisation d’édifices favorisant une pratique conforme aux exigences conciliaires : nef unique sans collatéraux, chœur de volume réduit et sanctuaire parfaitement visible de tous. Une place particulière y est réservée à la chaire surélevée d’où le prédicateur « déverse » sur l’assistance un sermon strictement fidèle à la spiritualité affirmée par le Concile. Il n’est pas vain de rappeler qu’Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus, réclamait non pas un affrontement avec les églises protestantes, mais une « couche » supplémentaire de la Réforme dont il affirmait la validité tout en la jugeant incomplète et inachevée. Dans l’idéal jésuite, cet aboutissement exigeait une profonde unité, donc une administration de l’Église très centralisée, au service d’une doctrine aussi claire et précise que dûment enseignée et propagée. Il supposait aussi une adhésion sans faille du peuple chrétien, donc un recours permanent à toutes les méthodes et techniques de la séduction des sens (arts plastiques, musique et chant, illuminations, parfums, costumes, pompes du cérémonial) et de la conviction de l’esprit (éloquence, controverses, rédactions imprimées).

Convaincue par la réussite de ce programme, la société tout entière se lance dès la fin du XVIe siècle sur la voie initialement ouverte par les canons du Concile pour la seule pratique religieuse. Une vision politique désormais théorisée est le ressort qui l’anime : l’absolutisme monarchique. À la suite des œuvres purement spéculatives de divers auteurs, le Testament politique de Richelieu, publié en 1688, mais rédigé dans les années 1620-1630, en synthétise parfaitement les lignes directrices. Le cardinal-ministre y décrit la souveraineté royale comme immanente et irrévocable, indivisible et perpétuelle, suprême et définitive. Le monarque ne peut la renier, il la reçoit et la transmet par sa propre nature, aucun pouvoir autre ne saurait le contrôler (pape, empereur ni parlement).
Modèle de société
De la sorte, dès les premières années du xviie siècle, s’édifie un modèle de société structuré par ce triple idéal : autorité centralisée, encadrement rigoureux du corps social, mise en scène de chaque instant. La hiérarchie des classes se traduit dans le vêtement : la tenue militaire ou la robe sacerdotale sont clairement distinctes de l’habit aristocratique, lui-même fort éloigné du costume bourgeois et de la vêture du manant. Le langage et les loisirs contribuent aussi à différencier les catégories, pour le plus grand plaisir de Molière et d’autres auteurs classiques. Le monde devient un vaste théâtre auquel urbanisme et architecture fournissent scène et décor, où tous les hommes sont acteurs, chacun tenant un rôle réglé dans ses plus infimes détails.
Vignole, auteur de la Règle des cinq ordres d’architecture dont la première édition remonte à 1562, a exercé une influence de tout premier plan dans l’évolution de son art. Le livre, un texte délibérément succinct accompagné de planches gravées très détaillées, connut un succès considérable, en grande partie du fait de sa tradu