Chroniques martiennes 1

Les journaux de confinement sont à la mode. Le journal Le Monde en avait lancé un par Leïla Slimani mais qui n’a pas reçu un accueil à la hauteur des espérances. Disons ne peut déroger à cette règle; cependant, comme on n’a pas que ça à faire, il convient de tempérer: ces chronique du mois de mars auront une périodicité variable et déborderont évidemment sur avril ou mai au gré des péripéties virologiques, sans aucune prétention.

La fin d’un monde

On attendait les Russes, ça sera un virus. Mais le résultat est le même: la région grand Est se fait submerger pendant que les parisiens, toujours prompts à nous inventer le ville du futur pour agglutiner la population dans des délires architecturaux, mais avec des arbres pompeusement appelées forêts urbaines, retrouvent un intérêt à la campagne.

Comme pour toujours, l’être humain préfère l’original à la copie. Le mur végétalisé ne tient pas la route face à la glycine de la maison normande. Les pans de bois possèdent un intérêt supérieur aux façades publicitaires pour marques de luxe. Le jardin particulier printanier supplante l’espace de civilité planté et son mobilier urbain hasardeux parait dérisoire face au transat qui vient de la grand-mère. Et tant pis si l’écologisme ambiant nous exhortait à vivre dans des immeubles à émission 0 regroupés dans des centres urbains ultraconnectés avec ruches bio équitables et trottinette électrique rechargées par éoliennes.

Il y a dans ce contexte de fin d’un monde un aspect irrémédiablement tragi comique. Sur les réseaux, les appels au secours des équipes soignantes croisent les vidéos humoristiques des confinés prenant leur mal en patience. Les doctes explications gouvernementales sont mêlées aux messages et analyses de tout à chacun. Les chiffres les plus aberrants circulent: tout est autorité et rien n’est autorité. On se surprend parfois à espérer une certaine gravité de la situation, cette fameuse sensation de vivre un bouleversement, un événement en direct. On aime jouer à se faire peur. Il faut bien conjurer nos angoisses, nos ennuis et notre routine quotidienne. On a envie de rire aux bonnes nouvelles, de pleurer devant l’impuissance de cette infirmière, d’être ému par cette mamie malade, on a envie plus que jamais de faire corps.

La presse, si bavarde dans l’affaire des rats, ne parlait plus de rien. C’est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre. Et les journaux ne s’occupent que de la rue.

Camus, La Peste.

Mais corps avec quoi? que nous révèle ce difficile épisode?

La France grand corps malade

Une des caractéristiques de ce genre d’événement, c’est que la plupart des gens vont pouvoir les interpréter suivant leur grille idéologiques. Ainsi pour les écologistes, c’est la Terre qui se venge de son exploitation ou de la surpopulation. Pour les libéraux c’est la gabegie étatique qui empêche, malgré de lourds taux d’imposition, d’avoir des lits en réanimation ou des masques. Pour les collectivistes, c’est une preuve de la dérive du capitalisme et un moyen de renverser l’échelle des valeurs. Les mondialistes seront d’avantage pétrifié par l’idée de fermer une frontière que par celle de faire brasser le virus dans le pays. Je ne vais donc pas y échapper (je ne parle pas du virus, mais de l’interprétation biaisée).

Une des grandes leçon à retenir -mais l’Être Humain retient-il les leçons du passé? – sera la confirmation de la dissolution de la France en tant que nation. Il suffit de voir le délitement sociétal pour un épisode, certes grave et « inédit », mais très loin des malheurs qu’a pu endurer notre pays dans son histoire. Il y a de nombreuses explications à cela, en tout premier lieu la responsabilité évidente d’élite coupées de tout lien national (sauf en cas de crise bien sûr), il suffit de relever les mots des discours de Macron qui sont bannis en temps ordinaire. Ces mots de nation, d’histoire, de culture commune, d’union, de lien social, bref, ces mots n’ont toujours été que des catalyseurs d’extrême droite avant cette crise. Ils ont été bannis et de fait tout discours leur afférent a été banni. La Nation n’a pu se penser ni se vivre, car la Nation c’est le nationalisme et le nationalisme c’est la guerre. Le logiciel est installé partout, il sera difficile de s’en séparer. Carlos Goshn, du fond de sa cellule japonaise, lui, le multinational, a touché cette évidence, que les espaces géographiques définis avec une histoire commune n’étaient pas interchangeables et que le progrès obtenu dans la société, l’évolution des mentalités, l’étaient par des acquis découlant d’un contrat social liés à une histoire qui a pu être nationale car non dissolue dans tropismes exotiques ou la seule loi du marché.

Faire corps, donc mais faire corps avec qui? L’écrivain hors sol qui va discourir sur la beauté du confinement dans ses 380 mètres carrés vue sur mer? Le jeune à bonnet capuche qui veut niquer la France en traînant dans la rue, seule activité honnête qu’il soit capable de faire? Le saltimbanque surpayé qui fait coûte que coûte son spectacle pas drôle sur la webcam, paniqué de son manque d’influence actuel? Du médecin de plateau qui serait plus utile à l’hosto? De la ménagère qui va dévaliser les magasins et tant pis pour les autres? De l’éditorialiste qui se donne des airs pompeux et ne sait que répéter la sempiternelle doxa ultralibérale?

Faire corps quand des milliers et des milliers de personnes ne pensent alors plus que par leur prisme individualiste. L’Homme au contraire des fourmis, un géni individuel mais un crétin collectif?

En réalité, c’est pour cela que j’ai parlé de dissolution et non de disparition, ce genre de phénomène a toujours existé. Les résistants de la dernière heure, les profiteurs du marché noir, les détrousseurs de cadavres, les lâches, les veules, les égoïstes. Quelque part, nous sommes les descendants de gros cons, car pour survivre, il fallait écraser le plus faible. Quitte à tricher, mentir, voler, piller, pour survivre il fallait être le plus fort et aucun d’entre nous ne descend d’un ancêtre mort naïvement pour avoir laissé sa place le jour du déluge. La dissolution, c’est une absence momentanée et transitoire. Il y a toujours, dans les expériences en chimie, la possiblité de retrouver le dissolu avec un précipité.

Cette dissolution arrive cependant de plus en plus fréquemment et il n’est pas évident qu’il reste suffisamment d’actif pour un précipité à mesure que le temps s’écoule. La faute encore une fois à des élites qui ne croient plus déjà au concept du roman de la France, excepté pour les campagnes électorales, gavées d’anglicismes (ce qui en dit déjà long sur l’image qu’ils ont de leur propre langue, patrimoine commun), biberonnées au « La France ne peut rien sans l’Europe, la France ne pèse rien », bercées dès le plus jeune âge par une détestation de tout idéal national, forcément assimilé à l’extrême droite et persuadées détenir la vérité morale. Les grands corps d’état de la France sont aux abonnés absents et c’est pour cela que la souveraineté (mot terrible qui fleure tellement la France rance) a été bradée sur tous les autels européistes ou mondialistes. Le chef d’état est un chef qui n’a pas d’état. Il peut juste amuser la galerie dans de beaux discours et tenter de guérir les écrouelles, il ne peut rien faire d’autre car il ne connaît pas son pays, son histoire et sa survie ne lui a jamais semblé nécessaire. Il lèvera des impôts et distribuera des prébendes, le peuple s’illusionnera encore sur l’importance du rôle.

L’indécence d’un jour des fous

Dans Escurial, Ghelderode nous conte l’histoire d’un roi et de son fou. Encore qu’on ne sache plus très bien qui est roi et qui est fou. Une des morale de l’histoire c’est que le fou reste un bouffon et le roi reste un roi. Il fera donc exécuter ce dernier quand bien même il l’ait mis sur son trône peu avant.

C’est exactement ce qui est en train de se passer. En réalité ceux qui étudieront notre civilisation dans des centaines d’années (s’il existe encore des gens capables d’étudier), seront sans doute frappés par le cycle immuable de l’adoration. La routourne tourne comme disait Ribery.

Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré

Saint Remi, Noël 499

Il n’y a pas un media, un politique, un commentateur qui ne loue, qui les soignants, qui les caissières, qui les instituteurs, qui les éboueurs… bref tous ces gens qui étaient décrits peu avant comme des « sans dents » ou des « gens de rien ». Où sont les footballeurs, les traders, les capitaines d’industrie, les chanteurs, nos idoles précédentes? Disparues, volatilisées. A chaque contexte ses héros. N’oublions pas que les CRS ont été applaudis en 2015, pour voir fleurir ACAB trois ans plus tard. Que les infirmières ne se fassent pas d’illusion. Inaudibles hier, au faîte de la gloire aujourd’hui, oubliées demain.

Ceux qui s’imaginent un grand boulversement, et la venue d’un monde où l’utilité sociale d’un emploi indexerait le salaire ou la visibilité mediatique seront déçus. N’oubliez pas qu’à la fin, le roi redevient roi, et tue le bouffon.

Ce misérabilisme de bas étage à coup d’applaudissements distants et d’extinction de tour Eiffel ,voire de Légion d’Honneur fait de nous tous des futurs rois et bourreaux. L’impréparation qu’on tente de masquer en élevant des héros pour remplir le livre de belles histoires. C’est indécent car c’est hypocrite. Qui parmi ces laudateurs ne trouvait pas qu’on foutait trop de blé dans l’hôpital et que ces fonctionnaires étaient trop payés? Qui pense sérieusement que dès l’année prochaine, un footballeur ne gagnera pas 300 fois ce que gagne une infirmière? Qui s’intéressera à la voisine qui aide les personnes agées dans un bled près de St Dizier car tout ferme pour restructuration? Qui pourra soutenir le discours d’une production industrielle non délocalisée dans le sud est asiatique? Evidemment personne; mais nous voici au théâtre avec ses illusions, et nous goûtons au spectacle.

Le roi a peur, le roi s’incline mais le roi tuera le bouffon qui croyait porter la juste parole. Le public applaudit toujours. Dire que plus rien ne sera comme avant? Quelle blague.

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5 Commentaires
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Buster
Membre
Buster
27 mars 2020 20 h 26 min

Leïla Slimani ….
Au début du confinement une blague a circulé qui imaginait la détresse des éditeurs, cet été, en recevant des milliers de manuscrits : ‘Journal du Confinement’.
Plus on avance dans cette expérience, plus on les plaint. Et moins on attend avec impatience la rentrée littéraire.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
28 mars 2020 6 h 44 min

Chers amis du KOnfinland et de l’insomnie réunis
Bonjour
Merveillesdelatablettolit

ranta
ranta
28 mars 2020 8 h 34 min

 » N’oubliez pas qu’à la fin, le roi redevient roi, et tue le bouffon. »

Exactement; rien ne changera. D’ailleurs, changer quoi ?

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
28 mars 2020 8 h 53 min

C’est le drame de Spartacus.
Où aller dans ce monde qu’on pensait infini.
Il y avait bien une frontière à franchir pour sortir du Konfinland antique. Elle était mentale.
Alors du Sud au Nord pour redescendre au Sud . Que faire?
Enfermé dans sa conception du Monde lui et ses compagnons esclaves étaient incapables de concevoir un Monde sans eux …
Les crises n’inventent pas les solutions , Elles ouvrent éventuellement la voie qui y conduisent . Encore faut-il que les chemins aient été tracés. Et ça….;
J’imagine et je me désole car …..Sortis du Konfinland nous ‘en serons pas moins réduits à singer les Gilets jaunes sur leur rond point.

Dora
Membre
Dora
3 avril 2020 20 h 31 min

Bonsoir Lapa et à tous,

Le titre est vraiment bien choisi! Feuilletant récemment ce livre de nouvelles de Ray Bradbury, j’étais surprise par le manque d’imagination de l’auteur dans la description du quotidien des familles habitant dans des maisons traditionnelles et qui ressemble fortement à notre quotidien.

Je pense la même chose que toi des médecins de plateau….avec beaucoup de colère quand ils présentaient le masque comme inutile voir carrément dangereux pour les non-soignants.
La boulangère en a un fait maison mais quand elle rend la monnaie, avec ou sans gants, c’est avec la même main qui tend le pain.