Et le plaisir bordel ! ?

De nos jours, le jeu collectif « à la nantaise » des années ARRIBAS ou SUAUDEAU reste une référence pour nombre d’entraîneurs, que ceux-ci soient en charge de seniors ou de jeunes joueurs…

Cette capacité à faire circuler rapidement le ballon au sein de sa propre équipe demeure un des objectifs principaux de leur entraînement. Et sur ce point, ils n’ont pas tort. Le football des années 2000 est en effet de plus en plus compliqué.
  • Tout d’abord parce que l’accroissement du nombre de séances d’entraînement associé à la qualité de celles-ci, a permis entre autres, un développement des capacités athlétiques des joueurs amenant à une certaine uniformisation du potentiel des joueurs. A la différence des années 60, 70 ou même 80, le défenseur court aussi vite, saute aussi haut et « dompte » aussi bien le ballon que le milieu de terrain ou l’attaquant.
  • Ensuite parce que le nombre d’équipes pratiquant aujourd’hui une animation défensive de zone s’est singulièrement accru. Et cela complique singulièrement la tâche des joueurs qui attaquent, car cette animation, si elle est huilée devient un « bloc » difficile à contourner.
Il faut donc aller vite et la circulation rapide du ballon est très certainement un remède au problème. L’objectif est d’arriver à surprendre l’adversaire. En fait, c’est un peu au chat et à la souris que l’on joue :  » Viens me prendre le ballon !… Trop tard, il est déjà parti !… « .
Cet état de fait étant avéré, il reste maintenant à trouver la ou les recettes pour fluidifier notre jeu collectif. Et c’est là qu’intervient, quelle que soit la catégorie, jeune ou senior, l’inamovible, l’incontournable, l’indétronable jeu à 1, 2 ou 3 touches de balle !…
Pour assister à bon nombre d’entraînements et tout particulièrement de jeunes joueurs,de part mes précédentes fonctions, cette recette est devenue monnaie courante. Et là je dis stop !… Arrêtons le massacre !..

  • Tout d’abord parce que cette limitation du nombre de touches de balle fausse considérablement la réalité du jeu. Cette obligation fausse notamment toutes les situations de duels, situations pour lesquelles le porteur de balle est très souvent contraint de protéger son bien, donc inévitablement de rester en contact avec lui.
  • Cette contrainte anéantit également quasiment toutes les possibilités de fixation d’adversaires, recette infaillible pour ôter au joueur adverse son potentiel défensif.
  • Plus grave, la mise en place de ce thème ne permet plus au joueur de dribbler. Or, aujourd’hui, compte tenu des difficultés énoncées plus haut, le dribble reste l’une des meilleures recettes pour surprendre l’adversaire. Et puis, dites-moi, qu’est-ce qui, en dehors d’un but ou d’une belle reprise de volée, fait se lever les foules ?… C’est bien cette facilité à leurrer un adversaire, à l’amener sur une fausse piste pour mieux l’éliminer. Comment voulez-vous qu’en match  un jeune joueur élimine par le dribble son adversaire si cet apprentissage technique n’a pas été travaillé au cours des entraînements. Et que dire des consignes pour le moins restrictives des responsables :  » Lâche -la !…  Dribble pas !.. Donne ton ballon !… lève la tête !… »
Je viens de mettre en évidence, sans le souci d’être exhaustif, trois bonnes raisons qui, à mon sens, devraient amener tout entraîneur à la réflexion. Tout juste puis-je insister, en mentionnant que le jeu à  » touches de balle réduites  » n’a de sens que si la situation le demande ou le propose.

Mais le plus grave est ailleurs : cette aberration dans les consignes entraîne tout simplement chez les joueurs la perte du plaisir de jouer.
Le  football  est un jeu simple avec, dans ses règles originelles, deux buts, deux adversaires et un ballon. Les consignes, également, doivent rester simples, tout particulièrement chez nos jeunes joueurs. Pour avoir assisté à des séances d’entraînement ou l’intégralité des jeux proposés comporte des consignes restrictives (jeu à touches limitées ou autres), je dis que certains entraîneurs ne savent pas faire la part des choses entre le côté  » objectif du travail  » et le côté  » plaisir de l’entrainement « .
Bien sûr, une bonne méthodologie d’entraînement sous-entend un mix entre la méthode analytique et la méthode globale. D’abord des exercices de répétition de gammes techniques et ensuite du jeu « football », sous toutes ses formes :
– Jeu réduit à 4 X 4 ou 5 X 5
– Jeu à 7 X 7 ou 9 X 9 à l’école de football
– Jeu à 11 X 11 en senior
Mais, que chaque responsable technique se pose la question suivante : qu’est-ce qui me fait ou me faisait le plus plaisir en tant que joueur ?… Réponse : le jeu libre !…
Donc, à partir de là, il est urgent de redonner à nos jeunes ou moins jeunes la dose de plaisir qu’ils sont venus chercher. Le jeu football doit être libre, tout particulièrement à l’école de football, là où se développent les premières aptitudes. A défaut, c’est un sentiment de frustration qui va se lever et risque, à terme, de gangrener la séance.
Alors, que faire me direz-vous ?…
Dans un match d’entraînement, chaque situation de jeu propose plusieurs réponses au porteur de balle. Dans toutes ces réponses, il y a en a qui sont mauvaises, d’autres bonnes et il y a en toujours une qui est la meilleure, celle qui est la plus adaptée à la situation. Parfois ce sera effectivement un jeu rapide à une touche de balle, parfois, au contraire, la réponse imposera au joueur de conserver le ballon.
C’est à cet instant précis que l’entraîneur doit mettre en pratique sa connaissance du jeu. En effet, s’il estime la réponse inadaptée, il doit alors imposer un  » arrêt sur image « qui va permettre au joueur concerné de comprendre son erreur. Mais c’est également l’ensemble du groupe qui recevra les correctifs du fait du ballon qui est à l’arrêt. L’explication doit être donnée et le joueur remis en situation de réussite en lui faisant répondre de bonne manière à la situation de jeu. De cette façon, l’apparition de situations de jeu identiques doit faire appel par la suite au fameux « feed-back  » ou « retour à la mémoire « .
A titre d’exemple, et pour rester dans le thème qui est le nôtre aujourd’hui, imaginons, dans une situation jouée, un joueur dos au but adverse, qui exagère dans le nombre de touches de balle, alors même que la meilleure réponse consistait à remiser  » en une touche  » à un partenaire qui se trouvait en soutien et face au but adverse. L’arrêt sur image s’impose avec remise en place de la situation et réalisation de la bonne réponse par le joueur.
L’entraînement peut aussi permettre au responsable technique de sensibiliser ses joueurs au jeu à une touche de balle dans certaines situations à 3 ou 4 joueurs sans opposition. Dans ces situations offensives  » par vagues « , on retrouvera toute la gamme des techniques de vitesse que sont la remise, la déviation et le une/deux (même si celui-ci dans sa définition nécessite l’élimination d’un adversaire).
Le  » toro  » peut également être d’un bon soutien pour  questionner  le joueur sur la meilleure réponse à apporter. Ce jeu avec opposition (3 X 1, 5 X 2) demande, sur une surface réduite, la meilleure lecture possible de la situation, avec notamment l’observation du positionnement des partenaires et adversaires.
Enfin, la qualité du jeu collectif d’une équipe réside, en plus de la bonne lecture du jeu de ses joueurs, dans la qualité et la propreté des passes et des contrôles effectués. Meilleur sera ce contrôle et plus vite arrivera le ballon dans les pieds du partenaire. L’équipe adverse en sera d’autant plus déstabilisée. D’où l’importance, dès les catégories « poussin, U 11 ( 9/10 ans) et « benjamin, U13 (11/12 ans)» d’insister sur ce travail technique. Et, dans ces mêmes catégories et de manière générale dans toutes les catégories de jeunes, plutôt que de se poser des questions sur la manière de faire jouer l’équipe, l’éducateur doit bien plus se demander à quel niveau son joueur était en septembre et à quel niveau il l’a amené 8 mois plus tard. Le responsable d’une équipe de jeunes n’est pas là pour se glorifier de gagner un championnat ou des tournois. Il est là pour la progression individuelle de chaque joueur. Cette progression se retrouvera ensuite dans le collectif.

Etre responsable technique d’un groupe de joueurs impose un nombre important de connaissances physiologiques, techniques, tactiques. Les nombreux éducateurs qui, chaque année, suivent les différentes formations mises en place par les Ligues et les différents Districts, savent à quel point un stage d’Initiateur 1er niveau, pour ne citer que celui-là, est riche et formateur sur ces différents aspects.
Mais il ne faut jamais oublier que chaque responsable s’adresse d’abord à un enfant ou à un adulte et qu’à ce titre, il faut respecter ses besoins, ses envies, sa passion. Si chacun adopte cette attitude, alors on ne verra plus ce poussin ou cette benjamine pleurer parce que son  » éducateur  » ne l’aura fait jouer que trois minutes au cours du match du samedi.
De la même manière, pensons bien fort que nos joueurs, quel que soit leur niveau de jeu, aime d’abord et avant tout le football, ou si vous préférez le  » futebol «  pour lui donner une connotation plus brésilienne, et qu’à ce titre, ils sont en droit de retrouver dans sa pratique cette liberté qui, il y a longtemps, était, entre deux cailloux et deux cartables, la base du football de rue.

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Léon
Léon
14 juin 2010 8 h 14 min

Je suppose donc, Ranta que tu es éducateur sportif ?

Léon
Léon
14 juin 2010 10 h 50 min

J’aurai plein de question à te poser. Pas trop le temps, mais en voici une déjà : la technique des tirs de coup-francs, comme les faisait par exemple Platini, est-ce que à force d’entrainements cela peut s’apprendre, ou faut absolument un don particulier ?

Léon
Léon
14 juin 2010 14 h 26 min

Hum… un petit commentaire sur la photo ? 😆

Léon
Léon
14 juin 2010 15 h 17 min
Reply to  ranta

Je veux pas foutre la m… mais il me semble bien que le ballon est à droite et le gardien en train de plonger à gauche ! 😆 😆 😆 😆

yohan
yohan
15 juin 2010 0 h 28 min

La circulation des ballon, le drible, la passe juste au bon moment, c’était la norme hier dans l’équipe de France. Mais depuis laujourd’hui on recrute surtout sur les capacités athlétiques, vitesse, robustesse, aptitude à la bagarre dans les airs.

yohan
yohan
15 juin 2010 0 h 35 min

arghh erreur de frappe…parti trop vite…
Ce qui fait défaut chez nous, c’est la conduite de balle, la recherche des intervalles, le décalage et surtout l’adresse. C’est sidérant le nombre de tirs mal ajustés, de coup francs tirés dans les airs et de centres derrière les cages tirés par nos bleus. Pour avoir joué longtemps au foot, j’ai vu arriver des joueurs costauds et rapides, mais ils loupaient plus de tirs et de passes que nous

yohan
yohan
15 juin 2010 0 h 42 min

arghh erreur de frappe…parti trop vite…
Ce qui fait défaut chez les bleus, c’est la claivoyance dans la conduite de balle, la recherche des intervalles, le décalage et surtout l’adresse. C’est sidérant de voir le nombre de tirs mal ajustés, de coup francs tirés dans les airs et de centres derrière les cages tirés par nos bleus. Dans mon « club » du parc de Sceaux, venaient parfois des ex pro puissants et rapides (en fin de carrière), mais ils rataient bien plus de tirs et de passes que les petits joueurs du dimanche que nous étions…

Léon
Léon
15 juin 2010 8 h 34 min

Le problème c’est qu’il faudrait arriver à démontrer que les équipes « techniques » battent les équipes « physiques » , or, malheureusement ce n’est pas le cas….

Waldgänger
Waldgänger
15 juin 2010 14 h 38 min

Très bon article Ranta.

Je me rappelle l’équipe de Nantes championne en 1995. Ils avaient Suaudeau comme entraineur, un jeu très fluide, avec un très bon mélange entre prises d’initiatives individuelles et jeu collectif. Ils sont redevenus champions plus tard, mais avec une équipe qui n’avait plus rie à voir en niveau de jeu.

Je suis d’accord avec toi, même si je suis loin de ta connaissance du jeu. Les prises de balle, les percées sont indispensables face à des défenses regroupées. En 2009, Barcelone s’en sort face à Chelsea parce que l’action du but d’Iniesta commence par une prise de balle de Messi qui attire 3 défenseurs avant de glisser le ballon de but, et c’est un peu pareil cette année face à l’Inter au match retour, ils ont marqué quand ils ont abandonné l’idée de déstabiliser une équipe comme l’Inter avec de la passe à dix, abandon trop tardif hélas pour eux.

Là où j’aime ton article, c’est que, à tort peut-être, je le trouve intéressant au vu des premiers matches de la coupe du monde, où je trouve qu’il y a peu d’élimination de joueurs, peu de travail en un contre un, et peu de buts d’ailleurs. J’ai l’impression que les défenses savent que le possesseur du ballon ne prendra aucun risque, qu’elles surveillent la circulation de balle adverse et qu’elles jouent du fait qu’à la moindre pression défensive, il y a passe en retrait et blocage de la phase d’attaque. J’ai peut-être tort, mais je trouve aussi qu’il y a très peu de déplacements de joueurs autour du porteur de balle et que les animations offensives de toutes les équipes que j’ai pu voir (j’ai raté l’Allemagne) en souffraient. Je trouve qu’il y a peu de situations dangereuses, mais sans dribbles et sans déplacements de joueurs, il ne faut pas s’attendre à des miracles.

pascal
pascal
16 juin 2010 13 h 58 min

Ranta,

Dans une certaine mesure, le milan de Sacchi proposait
une sorte de jeu libre. Chaque joueur avait sa zone dont il ne devait pas sortir
mais était plus ou moins libre de faire ce qu’il voulait dedans. Et il y avait
encore des libéros en ce temps là. Voir baresi lever le bras, et toute la défense remonter
d’un cran pour mettre hors jeu l’adversaire, c’était du grand art.

Non ?