Revue du Week-end : Du tapis rouge au tapis de bombes

Je ne vais pas revenir dans cette chronique sur les événements très largement médiatisés et grandement commentés cette semaine, j’ai parlé des élections cantonales, mais j’insisterai sur un fait qui a failli passer inaperçu : l’intervention de forces coalisées en Libye.

Car figurez-vous qu’entre deux apocalypses nucléaires, angoissantes mais peu spectaculaires au demeurant– la radioactivité ça ne  se voit pas ce qui oblige à de nombreuses infographies lassantes –  le cours de l’actualité a failli rater la guerre.

Oui, il est inscrit depuis la chute du mur de Berlin  que chaque président aura sa guerre. Tonton a eu le Golfe, une pépite médiatique qu’on aurait jamais crue possible sans les efforts remarquables des américains, Chirac le Kossovo. Il a eu la bonne idée de ne pas récidiver sur l’Irak, une petite opération de guerre propre qui ne fera que 900000 victimes. Après ce fiasco, il y a bien sûr l’Afghanistan. Mais ce n’est pas une vraie guerre. C’est loin, on ne comprend rien, les troupes se battent contre des genres de maquisards et n’ont rien à conquérir. Mis à part les bévues sur les civils, le reporter de guerre n’a pas grand-chose qui pourrait intéresser sa rédaction.

Fort de ce constat,  une prise de conscience s’est opérée chez nos gouvernants. Ils ont décidé de proposer  une véritable guerre divertissante et sur laquelle on pourra gloser pendant les soirées de printemps, voire même permettre à des rédacteurs citoyens d’écrire 450 épisodes impliquant la CIA.

Si on y regarde néanmoins de plus près, les étapes classiques d’un conflit asymétrique moderne sont toujours à peu près les mêmes :

Phase 1:

Vote d’une autorité quelconque pour intervenir contre un  méchant subitement devenu très méchant. les réserves et abstention de la Russie, L’inde et la Chine n’empêchent pas la mise en place de la coalition et la définition des objectifs qui seront exclusivement militaires.

Choix par un cabinet grassement rémunéré d’un nom pour les opérations hésitant entre la grandiloquence et l’absurdité afin de capitaliser sur une marque.

Rappel que les civils soufrent et qu’il faut aller les aider.

Fin de la préparation psychologique, passage à la phase 2.

La phase 2 est généralement couronnée de succès et consiste principalement à mettre en branle des systèmes de plusieurs centaines de millions de dollars pour aller aplatir des 4×4 et pick up Toyota. Il est essentiel que cette phase soit spectaculaire : aussi on préfèrera lancer des attaques pour le journal de 20h des lancers de missiles et des lâchers de bombes la nuit parce que c’est plus joli, avec les tirs de la DCA colorés. Pendant ce temps-là, moult conseillers militaires (souvent des ex officiers à la retraites, on espère juste qu’ils sont plus compétents que les barbouzes de chez Renault) iront donner leur avis et discutailler avec un présentateur télé qui annoncera les  opérations en cours avec un logo qui clignote ; pendant que la ménagère servira machinalement la soupe en brique qui lui a permis de se libérer de la cuisine pour aller bosser  dans un open space tout en s’occupant des gamins.

La phase 3 normalement commence aux premiers couacs, malgré les communiqués des conférences de presse. Interrogation sur qui commande les opérations, perte d’un avion coalisé, bombe intelligente, mais coquine, allant faire un tour sur le marché plutôt que sur une batterie SAM, prisonniers capturés qu’on montre à la télévision, boucliers humains sur sites ou morgues vidées pour faire croire aux charniers. On se rend compte que la belle unité politique de certains pays est en contradiction avec l’opinion publique qui voit derrière toute intervention un coup politique pour du pétrole de toute façon. Là, d’autres personnes, (encore qu’il est possible que ce soient les mêmes qui hurlaient à l’inaction avant l’intervention) vont critiquer et empiler les poncifs négatifs sur cette joute guerrière. C’est le temps des questions et des insinuations.

La phase 4 est éminemment dangereuse pour les belligérants coalisés. Il s’agit tout simplement de la question : qu’est ce qu’on fait maintenant ? Généralement l’ennemi (qui croit que c’est nous l’ennemi, pour dire comment il est bête !), a enfoncé des troupes dans les villes et ses hommes sont largement mêlés aux foules de civiles. Sans soutien réel local d’une population voulant se débarrasser d’eux, il y a une impuissance quasi complète des gentils navions à faire autre chose que cramer du kerozen en évitant tant bien que mal les civils. Là, les états majors sont confrontés entre trouver une issue diplomatique ou augmenter la pression avec des troupes au sol. Il est de bon ton généralement d’ouvrir un couloir humanitaire quelconque et d’envoyer des troupes pour distribuer des sacs de riz et sécuriser le travail des ONG qui rappliquent.

La phase 5 est l’enlisement en cas de trop grande durée de la phase 4. À noter qu’on peut également précipiter la fin des opérations et laisser les gens se démerder entre eux tout en faisant croire qu’on les a aidés à les mettre sur les rails d’un avenir plus radieux qui sourit dans la brise du soleil levant.

Alors, raison, pas raison cette intervention ? Pouvons-nous continuer dans la raillerie perpétuelle de nos dirigeants et de nos forces engagées, pouvons-nous comprendre que le Monde ne sera jamais à l’image qu’il est facile de s’en faire sur les forums ou dans les discours et postures?

Encore une fois, on peut craindre d’avoir presque tout à perdre. Déjà les soutiens de la première heure retournent hypocritement leur veste, c’est vrai que la Ligue Arabe découvre qu’il faut neutraliser des installations au sol pour avoir la maîtrise de l’espace aérien.

Une guerre n’est jamais propre, et tous ceux qui, à tord ou à raison je ne peux juger, ont approuvé ou ne se sont pas opposés à ces interventions connaissaient parfaitement les errements qu’elle va immanquablement apporter.

Oui, cette fameuse tente dans le jardin de l’Elysée aura des conséquences bien plus importantes qu’une simple zone d’exclusion aérienne… Mais j’espère de tout cœur me tromper.

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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
21 mars 2011 9 h 09 min

Implacable et drôle .
Notre première Dame attend impatiemment les hélicoptères de photographes pour aller jouer les marraines de guerre à Tripoli…Elle a pour se retrouver sans se tromper emprunté le plan de la ville à sa précédente qui y avait joué il y a quelque temps les Lara Croft . Les gens du ministère auront su lui indiquer les bonnes adresses

AGNNP
AGNNP
21 mars 2011 9 h 56 min

Comme toi Lapa, j’espère me tromper et ce serait une véritable joie d’avoir paranoté et être dans le faux.

Pour le Japon = un truc m’a mis la puce a l’oreille dès le début , l’explosion sur la centrale N° 3, ( le confinement aurait été décapsulé dès le 14/03 ), et l’évolution des choses (évcuation aujourdh’ui, et encore une fumée supecte grise sur ce réacteur) semble, pour l’instant, ne pas aller dans le bon sens.

Et pour la Lybie, une preuve ( nan, nan, c’est pas du morice) = l’intervention des B2, des joujous très très délicats dont les missions ne se préparent absolument pas dans le contexte vendu pour la chose.
Rien que ça, fait, que ce qui est présenté « ne colle pas » , un beau merdier en perspective, et dont on va faire les frais … le tapis a été mis par les US et ils contiueront à jouer avec.

[ Le chef d’état-major interarmes américain, l’amiral Mike Mullen, a concédé sur CBS que l’issue de cette campagne était très incertaine et que l’opération pourrait déboucher sur une impasse.]

Rien que cette déclaration, aussi.

Buster
Membre
Buster
21 mars 2011 12 h 25 min

La révolution tunisienne n’en a pas fini de secouer le monde arabe. Et nous z’aussi, z’avec.

Le Yémen inquiète : Que sortirait-il de bon d’une révolte/révolution dans ce pays ? (A part une guerre civile)
Il serait surprenant que Sarko décide d’aller y traîner ses rangers et il aura raison, ce pays est vrai un merdier.
Les US pourront-ils, eux, s’en désintéresser ???

Les allemands sont les plus peinards, au prix d’une petite honte passagère ils continueront à produire et à bosser avec tout le monde, et à faire du D Mark… Euh non, de l’Euro, pour financer les pays dépensiers du Sud (chacun son boulet !)

Léon
Léon
21 mars 2011 20 h 39 min

Bien vu. Sarko aura eu sa petite gué-guerre et pourra monter une démonstration du rafale, histoire d’en faire la promotion auprès d’armées fortunées qui auraient besoin de renouveler leurs navions. Intéressant de lire sur le site de RIA Novosti que le Président Medvedev considère l’intervention au sol comme « probable ».

asinus
Membre
asinus
21 mars 2011 20 h 52 min

bonsoir il y a des troupes au sol , deux dizaines de COS probalement plus des SAS brit ou des sbs
les seal us sont resté a la maison.

@Lapa vous revenez en deuxieme semaine les blogs mili pense que le nain c’est fait enfumé par tonton barack !

Causette
Causette
21 mars 2011 21 h 37 min

Bonsoir

Libye on a pas trop vu le rôle des ambassadeurs, ou j’ai raté des épisodes?

Aube de l’Odyssée, la guerre de Sarkokorico. Décidémment les sosots n’en ratent pas une! Le porte-parole du parti socialiste français, Benoît Hamon a déclaré: « Nous sommes entrés en guerre, on ne salue pas avec enthousiasme le fait qu’on soit entrés en guerre, c’est une décision grave qu’il fallait prendre… bla&bla… ».

Bonne nouvelle pour les fans de Hérvé Morin réélu dans leurre oups dans l’Eure.

Buster
Membre
Buster
22 mars 2011 5 h 56 min
Reply to  Causette

Ah oui, Merci Causette,

Triomphalement élu, Hervé Morin !
68%, Quel homme !

Léon
Léon
22 mars 2011 7 h 56 min

Oui, nous n’avons pas salué à sa juste mesure le rayonnement de ce leader charismatique, ce phare de la pensée politique… Heureusement que Buster est là!

Causette
Causette
22 mars 2011 18 h 44 min

Quel cirque aux Assemblées députés et sénateurs tous d’accord pour envoyer

Causette
Causette
22 mars 2011 18 h 49 min
Reply to  Causette

pour envoyer au casse-pipe les soldats français. Sauf les cocos qui demandent qui sont réellement les forces d’opposition de Kadhafi.

Toujours la même question: Peut-on amener la démocratie à coups de bombes?

Léon
Léon
22 mars 2011 19 h 11 min

Causette, c’était mutatis mutandis la question que se posait déjà Napoléon !

Buster
Membre
Buster
22 mars 2011 19 h 47 min

Un article court et qui résume bien la situation inquiétante du Yémen.
Le régime se délite au Yémen, au risque de la guerre civile.