Ici, Papa Tango Charlie (Jaddo)

Encore un texte intéressant du Dr Jaddo sur les difficultés de liaison entre les services d’urgences des hôpitaux et la médecine de ville. César.

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Il y quatre semaines, à 18h35, je reçois madame, monsieur, petite-fille et bébé.
Tout petit petit bébé, 15 jours à tout péter.

Madame vient du labo d’à côté. Elle me tend une feuille de résultats : « Ils m’ont dit de venir tout de suite. » J’imagine que c’est pour ça que j’ai toute la famille devant moi : sans doute qu’ils revenaient des courses, qu’ils sont gentiment allés chercher les résultats de madame et que les résultats clochaient. C’est sans doute pour ça aussi que je n’ai jamais vu  cette famille : le médecin traitant, c’est pas celui de juste à côté du labo, et le labo a dit « Tout de suite », donc ils sont venus juste à côté.
Coup d’œil rapide à la page pour avoir une idée de quelle cloche on parle : un bon petit syndrome inflammatoire, des blancs à 12 ou 13000, une CRP à 95. Ce qui veut dire, en gros et en résumé, qu’il y a probablement une infection qui traîne quelque part. Mais qui ne nous renseigne pas sur sa localisation.

– Bon, on va déjà vous ouvrir un dossier, dis-je.
Le dossier s’ouvre : madame est jeune, belle et en bonne santé, elle a accouché sans soucis particulier il y a 10 jours. Ok.
– Ok, reprenons votre histoire, alors. Racontez-moi qui vous a prescrit cette prise de sang et pourquoi.
Madame raconte.

Il y a 4 jours, elle s’est mise à avoir une douleur violente, d’un coup, là (elle me pointe du doigt le haut de son ventre, sous les côtes, à droite). La douleur ne la lâche pas, elle n’en peut plus, et elle finit par aller aux urgences gynéco, dans l’hôpital où elle a accouché. Le gynéco ne trouve rien de son côté à lui du ventre, il renvoie la dame aux urgences « normales », pour les adultes qui ne viennent pas d’accoucher.
– Ils m’ont fait une prise de sang, et une radio, et ils ont vu à la prise de sang qu’il y avait une infection, mais ils n’ont rien trouvé, alors ils m’ont donné une prise de sang pour refaire un contrôle dans quatre jours, en me disant de le montrer à mon médecin traitant.
– Mmm, ok. Vous avez un courrier ?
– Non.
– Vous avez une copie de la première prise de sang ?
– Non.
– Bon. Bon bon bon. Ils vous ont fait une analyse d’urines ?
– Oui, mais ils ont rien dit, heuuu je suppose que c’était normal ?
– Bon. Et la radio, c’était une radio de quoi ? Une radio des poumons ?
– Heuuuu, ils m’ont pas dit, je crois qu’ils ont visé par là (elle met une main en haut et une main en bas de son ventre), une radio du ventre peut-être ?
– Mmmm, non, une radio du ventre, ce serait vraiment crétin, enfin peut-être, des fois ils en font un peu dès qu’on a mal au ventre…
– Et puis après ils ont fait une écho, et heuuu, il a dit que c’était pas l’appendicite.

Ok.
Donc.
Donc donc donc, bordel de putain de sa mère d’hôpital de fils de chienne, il est 18h55 un vendredi soir, j’ai devant moi une dame charmante qui ne comprend pas très bien ce qui lui arrive, et qui a un syndrome infectieux dont on ne connait pas la cause. Comme c’est potentiellement embêtant, surtout chez une dame qui vient d’accoucher, ils lui ont dit de contrôler plus tard avec son médecin. Et le médecin, pour contrôler, il a rien.

Parce que 95 de CRP, si la dame avait 45 il y a quatre jours, c’est que c’est plutôt pire. Si elle avait 230, c’est que c’est plutôt mieux.
La dame voit bien que je commence à poser mes questions d’un ton de plus en plus agressif. J’essaie de lui expliquer : « Excusez-moi si je suis un peu brutale, hein, vous n’y êtes pour rien du tout, c’est contre mes collègues que je suis fâchée. »
Du coup, je recommence à zéro, en ré-interrogeant, le petit, la maman, la douleur, les signes associés. J’examine. Tout va bien côté poumons. Elle a clairement mal en haut à droite, elle grimace quand elle inspire très fort et que j’appuie. La vésicule ?
J’appelle l’hôpital. On me passe la ligne 2, la ligne 4, re la ligne 2, et la ligne 6.  J’ai encore 7 patients dans ma salle d’attente. « Aaaaah, me dit la dame de la ligne 6, mais je vais pas pouvoir vous renseigner, on a accès aux archives que jusqu’à 17h, il faut rappeler demain. »
Là, quand même, je m’énerve. Je m’énerve vraiment. Du genre « Passez moi votre supérieur, et collez vous vos archives au cul. »
Je finis par avoir un médecin au bout du fil, qui me lit le dossier : « Douleur en fosse iliaque droite (en bas à droite, donc, à l’autre bout de en haut à droite), blablabla, BU normale, blablabla, CRP 110, blabla, ASP normal, utérus-ovaire-appendice ok à l’échographie. »
Donc ils ont vraiment fait une radio du ventre, ces ânes bâtés (en y cherchant quoi, je vous le demande….), ils ont pas regardé la vésicule à l’écho, et le syndrome inflammatoire était à peu près pareil (95 ou 110, surtout dans deux labos différents, on peut considérer que c’est blanc bonnet).

Je peux vraiment pardonner l’écho qui ne regarde pas la vésicule.  Si la dame avait vraiment mal en bas à droite, ça peut se comprendre. Elle me dit qu’elle a jamais dit qu’elle avait mal en bas à droite, mais admettons, sur ce coup-là, je peux laisser le bénéfice du doute aux collègues. Je peux pardonner la radio du ventre, ce n’est jamais qu’une crétinerie de plus. Mais putain, qu’on ait donné à cette dame la consigne (logique et bien fondée) de contrôler tout ça avec son médecin traitant, sans prendre la peine des quatorze secondes supplémentaires pour appuyer sur « print » et lui remettre une copie de son dossier et de sa première prise de sang, ça, vraiment, ça me laisse sans voix.
Je pourris le type au téléphone.
« C’est pas moi qui l’ai vue, votre patiente, qu’est ce que vous voulez que j’y fasse ? »
« C’est pas ma patiente, de une. De deux, je veux bien que vous y fassiez de dire à vos internes de ne pas renvoyer les gens à leur médecin sans courrier »
« Ça, je suis bien d’accord avec vous », qu’il me dit.
Ça me fait une belle jambe.

Il y a deux semaines, je reçois une jeune fille.
Deux jours plus tôt, elle a fait un tonneau sur l’autoroute. La frousse de sa vie. Elle s’est retrouvée aux urgences, elle ne se souvient pas bien de ce qu’ils ont dit ou fait, toute sens dessus dessous qu’elle était.*
Elle revient me voir pour trois raisons : d’abord, elle s’est mise à avoir une douleur en haut à gauche du ventre, sous les côtes, qu’elle n’avait pas à ce moment-là et qu’elle n’avait pas signalée.
Ensuite parce qu’elle a toujours mal à la main, qu’elle dit en me tendant une pochette de radios.
Enfin, pour que je fasse l’arrêt de travail, parce qu’aux urgences, ils lui ont dit « Cinq jours d’arrêt de travail, mais ils ont pas fait les papiers. »

– Comment ça ils ont pas fait les papiers ? ose-je.
– Bin heu, si, ils m’ont fait un papier, mais c’était marqué « Cinq jours d’arrêt de travail sous réserve de revoir son médecin traitant. »
– Mais heu, il était comment le papier ? C’était un papier marron ? Vous l’avez amené ?
– Bin non, je l’ai oublié à la maison, je suis vraiment désolée, je suis bête, j’aurais dû le prendre. Mais heu, non, c’était un papier blanc, avec marqué ce que je vous ai dit. Moi je croyais que ça irait, mais c’est ma mère, elle m’a dit que c’était pas officiel, et elle m’a fait remarquer que c’était marqué « sous réserve d’une nouvelle consultation chez le médecin traitant », alors elle m’a dit qu’il fallait que je vienne vous voir.
– Mais moi je ne peux pas vous faire un arrêt qui commence il y a deux jours, je ne vous ai pas vue, moi, il y a deux jours ! C’est eux qui doivent vous faire l’arrêt à partir du moment où ils vont ont vue !
– Bin ils ont dit qu’ils avaient pas le droit ?
Bin voyons…

Je m’intéresse à la main. Le cinquième doigt est douloureux et un peu gonflé. Je ne vois rien sur les radios, mais bon, je suis pas bien brillante en radio et ça ne ressemble pas à ça.
– Ils ont dit qu’il y avait une fracture.
– Heuuu ah bon ? Et heuuu, ils vous ont pas mis une attelle, ou un plâtre, ou un truc ?
– Bin heu, non, mais je crois bien qu’ils ont dit que c’était cassé.

Je m’intéresse au ventre. Effectivement, c’est douloureux sur tout le côté gauche, surtout sous les côtes.
J’appelle. Ligne 2 ligne 4 ligne 6, je vous passe les détails.
On me dit qu’on me passe le médecin. Au bout d’encore quelques pérégrinations, ça décroche.
– Bonjour, Docteur Jaddo à l’appareil, dis-je.
– C’est lui-même.
– Heu, hein ?
– C’est moi, que voulez-vous ?
– Heuuu, non, MOI je suis le Docteur Jaddo, j’appelle pour avoir accès au dossier de ma patiente Mme Xxxx que vous avez vue lundi.
– Attendez, qui êtes-vous ?
– Bin, je suis le Docteur Jaddo.
– Aaaaaaaaaaah ! Moi je suis le Docteur Joddo, pardonnez-moi. Que voulez-vous ?
– Je voudrais savoir ce qui s’est passé lundi matin quand vous avez vu Mme Xxxx…
– Ohlala, lundi ? Mais je ne vais pas pouvoir accéder aux dossiers de lundi, moi. Qui êtes-vous pour elle ?
– JEUUUUH-SUUUUUIS-SOOOOON-MEEEEE-DEUUUU-CIIIIIN-TRAITANT ! Je voudrais savoir ce que vous avez fait lundi !
– Ah bah heuuu écoutez, heuuuu, Madame Xxxx ?
– Oui, Madame Xxxx. X, x, x, x.
– Mmm Xxxx. X, x, x, x ?
– Oui, X, x, x, x.
– Alors, X… x…. et x-x..?
– Oui, x-x…
– Alors, son prénom ?
– Marie.
– M…?
– M… A… R… I… E
– Oh, oui, bon, ça y est, alors c’est marqué : « Fracture du 5ème méta ».
– C’est tout ? Fracture du 5ème méta ? Mais, heuu, elle a rien comme contention, là…
– Ah ? On lui a pas fait une attelle ?
– Bin non, elle a rien, jvous dis.
– Mais on lui a pas fait une syndactylie ?
– Bin non.
– Bon, bin, heu, écoutez, moi je vois que ça sur mon dossier, hein, « fracture du 5ème méta ».
– Et elle a eu quoi d’autre comme examen ? Elle me dit qu’on lui a fait des prises de sang, vous avez les résultats ? Elle a eu une BU ?
– Bin je peux pas savoir, hein, j’ai accès qu’à l’examen clinique, moi, c’est marqué « Fracture du 5ème méta », je peux rien vous dire d’autre.
– Ok. Ok, ok, ok. Dites, vous ne trouvez pas qu’on devrait pouvoir avoir un tantinet plus de communication entre l’hôpital et la ville, non ?
– Ah ça, je suis bien d’accord avec vous.
Ça me fait une belle jambe.

J’ai renvoyé la première madame aux urgences, avec un courrier bien senti dont j’espère qu’il ne brouillera pas le Dr Cerise pour les siècles des siècles avec l’hôpital du coin.
J’ai envoyé la jeune fille passer une écho abdo, j’ai demandé au radiologue de re-jeter un coup d’œil aux radios de la main, je lui ai prescrit des antalgiques (puisqu’ ils ne l’avaient pas fait non plus), j’ai fait un arrêt de travail à partir du jour où je l’ai vue. J’ai coché « Prolongation » et j’ai écrit en toutes lettres que l’arrêt initial n’avait pas été remis à la demoiselle par les urgences.

En vrai, je SAIS que les urgences ne peuvent pas tout faire. Je sais bien que l’essentiel du boulot est de faire le tri entre les 98% d’urgences-non-urgentes et le reste, qu’on ne peut pas passer 2 heures auprès d’une fille qui a seulement eu la frousse de sa vie et une fracture du 5ème méta.
Mais s’il vous plaît, s’il vous plaît, chefs, internes, externes qui me lisez : ne laissez plus repartir vos patients sans avoir appuyé sur Print.
S’il vous plaît.
Si seulement ce post pouvait permettre à UN externe ou à UN interne d’appuyer une fois dans sa vie sur print, ce blog n’aura pas été en vain pour rien du tout**.
S’il vous plaît.

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1 Commentaire
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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
1 juin 2011 11 h 10 min

Merci , pour ce texte.Pourtant je voudrais dire….Ce n’est pas toujours comme ça.Il y a des fois où ça fonctionne vachement bien.