C’est dans une autre vie , une époque où je me croyais immortel , des temps où on m’avait dit :« Mets un béret rouge et va voir le monde , tu reviendras un homme ! »et que faisait la moitié des gamins nantis du certif et n’ayant jamais voyagé ? Bin, ils allaient y voir .
Yep, parti du sud de Faya Largeau on déboule vers le Tibesti , direction du plateau du Borkou.
On quitte Kouba Olanga :un poste de gendarmes Tchadiens .À l’époque le gendarme Tchadien était capable de filer une amende au proprio d’un chameau pour « mouches en surnombre » Passant par l’erg du Djoura, les Simcas et Rover brinquebalants après trois quatre jours de piste nous déboulons dans Faya territoire Toubous et reprenons le cheminement vers Bardai et la bande d’Aozou . Je dis bien vers, vu qu’on était pas chaud pour y aller et que surtout on nous avait demandé d’éviter les embrouilles avec une expression assez imagée du genre « allez pas me jouer les héros et me ramener de la viande en sac » !
J’ai cru remarquer comme un tassement de nos vertèbres et de nos torses un chouia moins bombés .C’est déjà le boxon, la radio crachote des borborygmes quasi inaudibles
Heureux homme de 2012, où l’ami GPS te fait traverser France et Belgique pour t’amener pile poil dans une gargote d’Anvers . Il y a 30 ans tu te repérais avec une carte et une boussole et le sextant sur la Rover du « Lieut ‘ » , le guide Senoussi s’était mis aux abonnés absents après s’être engueulé avec un sien cousin « une sombre histoire de dot ». Faudra que je vous raconte un jour comment il y a deux siècles chez nos paysans bas normands les litiges matrimoniaux suite au non règlement de la dot donnaient lieu à des chikayas qui se réglaient au couteau .
« un genre de dague de jet chez les Toubous ».
Par ailleurs pas très futé ou inconscient notre Senoussi de guide avait fricoté avec une Gorane de Faya , beaucoup prédisaient qu’une rafale de kalachnikov abrégerait sa carrière de Don Juan de la Cyrénaïque. Faut dire que ce con se prétendait de la bas ,tout pour se faire des copains !.
Bref ce jour là, vu qu’il a mis les voiles, nous, 18 paras peu au fait de l’Afrique, livrés à un jeune Lieutenant qui usait ses fond de culottes à St Cyr un ou deux ans plus tôt. Le juteux, Savoyard de son état s’en cogne, il vient des bigors ( artilleur) et vit comme une injure personnelle d’avoir à materner des paras à peine coloniaux . Avec ça, on a deux sergents qui se haïssent si profondément que nous leur servons de truchements pour assouvir leur détestation .
On se croirait au Club Med pas vrai? Si vous voulez bien vous remémorer dans la France ante 81 Deux, trois troupiers engagés au tapis ça valait 12 mots dans le Monde page14. Abuserais-je en vous rappelant que s’ajoutant à l’inexistence du GPS , faire décoller un hélico pour récupérer une section en vadrouille « paumé au diable oui !» ruinait les aspirations d’avancement d’un petit lieutenant qui en voulait « Pfff » . S’ajoutent à ces relations sociales foireuses voire absentes des problèmes matériels qui font la gloire de la débrouillardise française,
Ex :au Tchad à l’époque règne le 110 volt. Va charger du matos qui fonctionne en 220 Pas de radio perso pas de rasoir et la glace coute plus cher que le whisky .Bref niveau moral ça le fait pas. Parlons du désert : Ahhhh c’est beau fait l’assistance !!!! Bin non c’est chaud ou c’est froid, y a pas de milieu.
C’est sec, mais pas sec cool, hein !
Non sec qui te dessèche !
Sec qui te craquèle la peau
Sec qui t’assèche et te fait saigner les muqueuses, tu portes le chèche mais y a que sur un Toubou ou un saharien que ça tient. Toi ça te gène, ça te limite la vision. Tu l’as noué ? Ça t’étouffe, bref l’inconfort.
Je vous ai parlé des « copains », maintenant, les « vilains ».
Me demandez pas qui a raison. Même eux ne le savaient pas Malloun détestait Tombalbaye , qui lui rendait bien , et lui détestait Goukouni et Habré. Ces deux là s’entendaient comme cochons dans le maquis mais arrivés au pouvoir se sont tiré dessus pour se partager les ministères . Bref on avait la trouille de tout ce qui portait un bout d’uniforme et un flingue: c’est-à-dire dans le Borkou Ennedi tout individu mâle entre 14 et 65 ans et ça fait du monde même en région désertique.
Je me souviens une fois d’une de ces ambiances où rien ne va, où l’on sait que quoique l’on fasse ça va merder, depuis deux jours on roule , je sais pas où on va, les sergents non plus, l’adjudant s’en fout . Le pire c’est qu’on jette des coup d’œil nerveux vers notre petit lieutenant qui tourne sa carte dans un sens puis dans l’autre, s’agite fait le point, refait le point, va demander au radio si la BA ( la base) a appelé bref, je voudrais pas casser l’ambiance mais j’ai comme une envie de hurler « au secours on est perdu ». Comme j’ai de la chance on a trouvé à m’occuper : sentinelle qu’on appelle ça .Pour faire simple pendant que les copains se réchauffent dans un petit talweg moi je me les pèle en haut . La nuit est bizarre. Sombre mais je vois assez loin. Même que je vois deux trucs qui bougent vers nous. Le Mas 49 me pèse je l’ai sous le bras et je tergiverse. Si j’appelle et qu’il y a rien je vais encore passer pour un con et me prendre une corvée. J’attends, les deux trucs prennent forme, deux Targuis sur leurs chameaux avancent vers moi . J’ai écouté les histoires des anciens et je sais qu’ils m’ont vu bien avant que je distingue leur forme au loin. Ils sont peinards, rien à foutre des soldats français qui font du bruit et de la lumière dans leur désert. Ils sont d’humeur causeuse et je parie que notre café doit y être pour quelque chose. Ils s’arrêtent devant moi, ils ignorent qu’un gamin de 18 ans armé peut paniquer, ça les effleure même pas . Pour eux un guerrier ça agit posément et rationnellement « selon leurs critères ». Nerveux je hèle l’adjudant qui est le seul à savoir se comporter avec eux . Bin ça alors, il semble satisfait de moi : je n’ai pas hurlé pas tiré
– « T’es moins con que t’en a l’air » si ,si, il vient de me féliciter.
Nos deux gus s’installent au campement, un peu en retrait, je peux mieux les observer . Un vieux 50/60 ans et un plus jeune 25/30 ans . Le jeune parle couramment le français le vieux fait semblant de ne pas le comprendre. Ils puent !Eh oui le désert c’est ça aussi . L’eau ça se boit on s’arrose pas avec .
Attention hein nous aussi ont sent pas le frais mais eux sur leur chameau je parierais depuis 10/12 jours , nom de dieu, ils schlinguent . Bin vous allez rire je les trouve beaux, le jeune est halé, fin, et donne une impression de puissance surtout ses yeux quand il relève son chèche. Son corps a 4 /5 ans de plus que le mien mais dans ses yeux , je lis qu’il a un ou deux siècles d’avance sur moi en connaissances sur l’homme, en connaissances sur son pays, qui pour lui n’est ni la Libye ni le Tchad mais à cheval sur les deux . Quand nous leur demandons d’où ils venaient, ils nomment une oasis de Cyrénaïque , j’ai oublié , mais vous avez franchi la frontière et la bande d’Aozou !
Ils ignorent, ils éludent .
Où vont-ils ? Vers le fleuve Niger. Pourquoi ?
Le jeune sourit et dit : chercher une femme . Je les dévisage, leurs habits sales et flottants, les sandales usées ; seules les rhalas et leurs fusils ont l’air entretenus.
On dirait deux gravures dans une Bible, le jeune ne répond et ne parle qu’après avoir cherché du regard l’approbation du vieux. Il passe plus de signaux et d’interactions tacites entre eux deux qu’entre la vingtaine d’européens autour d’eux. C’est quelque chose que je n’ai jamais oublié. Je suis sûr qu’ils peuvent chevaucher une journée sans un mot superflu tout en s’informant mutuellement . Leur présence en ce lieu semblait une évidence. Ils ont franchi des centaines de km sans se soucier de la volonté d’autrui. Ils tolèrent notre présence mais finalement nous ne comptons guère, ils sont la, ont été là de tout temps. Je parie que quand nos empires se seront écroulés, un père comme celui-ci emmènera son fils chercher une femme vers le Chari.
Ah j’oubliais !Le final comme au théâtre.
Le final de cette épopée de guerriers qui n’était que déconfiture. J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai effleuré la djellaba du vieux : oh Hadj ! Comment as tu fait pour le chemin ? Comment fais tu pour ta route ?
Il m’a regardé et j’ai lu dans ses yeux toute la condescendance de celui qui sait tombant sur l’ignare.
Lève la tête soldat , les étoiles . Dieu les a mises là pour guider les hommes , lève la tête et dis à ton chef que vous êtes à un jour de Faya par là ! me dit-il en tendant la main derrière moi !
Il y a plus de 30 ans, j’ai oublié à quoi ressemblait l’ensemble de la section, j’ai oublié la tête des gradés mais la barbiche noire sur la face de loup du jeune, le regard hautain du vieux, il n’y a pas un jour ou entendant « sauvages muzz arriérés » je ne pense aux deux Targuis du Borkou Ennedi !
Asinus : ne varietur
Lectures :10023
Saluons le premier article d’Asinus ! On en redemande…
Ah oui on en redemande! C’est une vraie aventure (pleine de testostérone) qu’on lit comme une nouvelle!
Merci Asinus pour cet article qui sort (dans tous les sens du terme) des sentiers battus…
Chouette style, c’est du Frederic Dard chez les Touaregs
belle première!
Bonjour à toi vieux hussard ….
Superbe article, un peu « L’escadron Blanc » revu par Frédéric Dard …
Beau portrait des hommes libres
Le vécu, bien raconté, ça vous a une de ces gueules !
Y a de l’humain, de la trouille, de la sueur, des odeurs… et toute l’humilité de ceux qui rencontrent des seigneurs.
yep merci à tous et ma gratitude à Furtif pour la correction et l’illustration .
😳 😳 😳
Bonsoir Asinus, à tous
Yep le récit c’est de la bombe
J’attends avec impatience l’histoire de nos bas-normands et leur règlement de dot.
Félicitations Camarade Asinus !….
beau récit d’un baroudeur …continue c’est vraiment chouette !
Superbement écrit, Asinus. On attends la suite de ce récit passionnant et imagé…
Bonjour Asinus
Il nous en faut d’autres de cette veine là.
Éternelle histoire des hommes…
Beau récit, grave et captivant…
Bonjour
je viens d’aller faire un tour sur wiki pour me faire une idée de cette région. On y apprend que le territoire où vivent les Toubous est un immense massif volcanique, le plus haut point culminant est à 3350 m. Que ce sont des sociétés très segmentées, qui se distinguent par un désordre apparent et que leurs chefs n’ont pas de pouvoirs bien définis. Que les Toubous n’ont jamais été unis, leurs divisions actuelles résulteraient de modèles anciens. (c’est ce que j’ai compris).
Par contre pour les Tchadiennes dans leur ensemble, elles vivent des formes variées de discrimination et de souffrances. ICI