Chauffe Marcel !

À Poitiers, sur la route de Bordeaux, dans les derrières d’un ancien cinéma devenu brocante, on trouvait encore, au siècle dernier, le centre de formation professionnel de la coiffure. Je vous parle d’un temps Pfffff…. moins trente avant Léon.

Un temps où l’état avait encore le monopole de la délivrance des Diplômes, un temps où l’enseignement général survivait malgré les attaques contre le dit enseignement. Cet enseignement, combien de fois l’ai-je entendu dans mon milieu familial,  transmettait, parait-il, un esprit raisonneur voire frondeur  peu compatible avec les rancœurs d’un petit patronat bien plus dur avec ses employés que la grande industrie. Il faut dire aussi que ce petit patronat  avait des raisons toute personnelles d’en vouloir à un enseignement où ils n’avaient guère brillé. Pour les avoir fréquentés et en  être issu, pour y avoir passé depuis l’enfance tout le temps libre des vacances scolaires  et universitaires. Je les connais. Bien que relativement protégé par mon détachement dû à une situation « de passage » je n’ai pas oublié les conditions faites à mes jeunes compagnons sur les chantiers et celles peut-être pire encore dans les métiers de l’alimentation et de la restauration.
Ce jour là j’étais instamment « convié » par mon inspecteur à venir corriger les épreuves d’un Diplôme  , le BP, à forte qualification, réservé à ceux ou celles qui ayant terminé leur apprentissage  étaient déjà titulaires du CAP. Voulant progresser dans leur formation ils continuaient à apprendre tout particulièrement la technologie de leur métier. Inscrit aux  conventions collectives ce diplôme ouvrait la voie à des augmentations de salaire mais aussi leurs espoirs de carrière prenaient un tout autre cours.
Le BP était et demeure peut-être encore, la condition sine qua non d’une installation à son compte.
Des devoirs rédigés par de jeunes adultes attentifs et impliqués, rien à voir avec mes branleurs habituels. Au sujet un peu bateau qui leur était posé la plupart avait tenu à donner une réponse personnelle. Alors que la matière  littéraire est souvent rédhibitoire en enseignement professionnel scolaire, ce jour là je voyais des candidats qui y gagnaient des points d’avance. Le travail du correcteur fut donc vite et bien fait.
Les aléas du covoiturage (cette plaie) m’obligeait à attendre …Donc passage à l’exercice N°2 du prof désœuvré dans un  bahut qu’il ne connaît pas : le furetage.
Je tombe sur des épreuves de dessin, un exercice de représentation de mèches colorées, et puis rien, mais rien, des couloirs vides et des salles fermées. Des étagères et encore des étagères. Au milieu  de revues professionnelles, de catalogues sur les peignes et ciseaux, sur les casques séchants, je tombe sur un fort ouvrage cartonné illustré de photos en noir et blanc…
Aussi gai que les catalogues de meubles en noir et blanc de mon père ……Beurk …. Mais quand on n’a rien à faire …..
J’y découvre un truc surprenant…Un  livre qui conte l’histoire d’un natif de Chauvigny bourgade charmante comme les bords de la Vienne en comptent beaucoup ( visitez la Vienne) ( Non je ne touche rien). En 1852, aux tout début du IIè Empire vient au monde un bienfaiteur de l’humanité…enfin pour sa seule part féminine , celui qui deviendra le coiffeur pour dames : Marcel Grateau.                                                                  Il nait à une époque où la révolution industrielle bouleverse les modes de vie, les institutions et les mœurs. L’Histoire ( avec un grand H) ne se limite pas  aux seules commotions politiques, elle  couvre aussi  les éléments intimes du quotidien. Eux aussi à leur niveau participent du mouvement général du changement des pratiques culturelles sociales et politiques.
À cette époque la femme est l’objet de toutes les attentions. Elle devient le centre d’intérêt d’un nouveau type de marchands. «  Le bonheur des Dames »  nous dit combien l’action économique d’achat  peut devenir le substitut de pulsions frustrées que la morale et son carcan d’usages et de conventions interdisent encore aux femmes.
Enfin elles sortent, se déplacent, décident, se rencontrent, parlent…Sans les hommes. Elles ne vont pas encore seules au café mais  des salons, dits de thé, à l’intérieur de ce grand magasin ouvrent la voie.
Ce milieu de XIXè  siècle leur apporte encore un autre soutien qui les aidera à renverser bien des conventions ( oppressions) dont elles étaient les victimes.

Procédons avec méthode, du général au particulier. L’époque voit la construction des grands égouts de Paris et de Londres. C’est sous la contrainte des épidémies de Typhus  à Londres venues d’Irlande vers 1840 et à Paris de choléra de 1832,  associée au constat dépité que toutes les couches sociales étaient pareillement frappées,  que les pouvoirs publics se sont attelés à cette affaire publique. C’est dans la mouvance de cette préoccupation qu’une autre exigence toute nouvelle est venue faire le siège des femmes .Pourquoi elles?
– Parce qu’elles étaient plus à l’écoute
– Parce qu’elles étaient depuis des millénaires dans  un état d’infériorité  révoltant face la mort.
Il faudra attendre Semmelweiss pour que la fonction intrinsèquement féminine cesse d’être une hécatombe. De la femme à l’enfant on se préoccupe d’hygiène. Du haut en bas de la société  se dessine une sorte de solidarité des femmes autour dune espèce différente de morale qui apparaît,  dès l’origine,  comme hostile au vieux fond judéo-chrétien fait de pruderie et de honte du corps. Le corps devient le centre de préoccupations et de soins que les « bons pères »  se révèlent bien incapables de comprendre et encore moins d’adopter pendant longtemps. Qui a fréquenté le catéchisme ne peut pas avoir oublié l’odeur des soutanes.
C’est ici que notre ami Marcel intervient. Peu tenté par l’agriculture, ni par  les carrières de pierre des environs ( on les retrouve au Sacré Cœur et à New York) et encore moins par l’humidité constante de l’entreprise de poterie, Marcel se destine, hasard ou nécessité , à la coiffure …pour Dames.
Il adore ça. Il aime ce métier et lui apporte tout son enthousiasme. Il a en tête des projets d’améliorations techniques, il est bien de son temps.
Au départ c’est  à une pyramide de traditions et de préjugés qu’il s’attaque. Au fin fond de la Vienne, il n’a aucune chance.
Je suis bien allé fouiner dans l’histoire de la coiffure c’est le défaut du rédacteur d’article : accumuler de l’érudition pour ensuite s’en servir comme prétexte et dire : c’est trop lourd à traiter . Il y a trop d’éléments. Je n’en sors pas

La coiffure féminine depuis  Cléopâtre il y a là un article qui n’est pas le mien. Juste au passage s’amuser un peu des coiffures d’Ancien Régime.

Un petit passage de copié collé. Ne me demandez pas où j’ai pu trouver ça, je ne me rappelle plus. Peut-être d’ici
Au grand siècle de Louis XIV, la coiffure hurluberlu côtoie celle à la Fontanges. Cette dernière porte le nom de Mlle de Fontanges, décoiffée à la chasse, elle qui, pas cruche, releva ses cheveux avec sa jarretière et trouva le lit du roi.  » Après le style « tête de mouton », sous Louis XV, on revient à Versailles à des coiffure plus volumineuses »,…..  » Il n’ y avait pas de laque bien sûr. Ils utilisaient la « collure ». Ils mettaient du gras dans la chevelure, de la graisse de porc par exemple, par dessus laquelle ils mettaient de la farine. Cela formait une sorte de pate à pain qui permettait de façonner les formes (…). Mais qui dit gras et farine, dit vermine. Il y avait des tas de choses à l’intérieur et des documents relatent que certaines princesses se réveillaient avec des mèches en moins, mangées la nuit par les rats et les souris

Les femmes sont soumises à d’âpres débats intérieurs
Pas question de tomber dans les erreurs de nos ainées ! Nous sommes au XIXè siècle! Diantre!  Morbleu ! Belle proclamation mais que faire de ces crinières que toutes nous portons comme  une parure mais en vérité comme un carcan qui nous empêche de bouger.
Pour sortir dans la rue, aller au magasin, bientôt au bureau comment faire si on n’a pas une femme de chambre qui sait nous bâtir un machin assez solide pour résister au vent. Et encore le plus souvent c’est insuffisant. C’est bien pourquoi nous engraissons tant de chapeliers. Si nous ne nous plions pas à cet usage nous sommes contraintes  de sortir en cheveux comme les roulures des boulevards ou pire encore comme les ouvrières des faubourgs. Le plus souvent grandes dames ou demi-mondaines sont toutes au même rang, contraintes de revenir à l’éternel chignon. C’est ce que Marcel Grateau, désormais Parisien, et ses pareils ont la finesse de combattre, de condamner, non pas au nom de leur seul profit  mais au nom de la nouvelle idole : l’hygiène. Ils avancent, et ils prouvent que le cheveu comme tous les organes vivants a besoin d’air et de lumière. Il lui faut du mouvement.
•    Du mouvement Marcel tu rigoles !
•    Comment aller au théâtre ou même au café concert avec une coiffure qui n’est pas fixée. –
•    On me croirait au sortir du lit !
•    J’en conviens  Madame   de la Brétanche ( Marcel a appris à parler pointu depuis qu’il est à Paris) vous connaissez un telle et une telle ou encore un telle ?
•    Oui ….heu …et alors.
•    Vous avez observé de près leurs cheveux ? Avez-vous remarqué qu’elles portaient toujours de petits foulards ou de petits chapeaux ou des mantilles…ou …. .
Raymonde de La B…. pâlit elle a compris.
•    Vous ne voulez pas dire que ………Oh…. ce serait donc ça. ?
La terreur de toutes les femmes ! Se retrouver dans la même situation que leur mari. Dégarnies de la tonsure !
Il faut vous couper les cheveux madame !
Elles ont dû traverser des moments bien douloureux pour oser sauter le pas. Aussi Marcel trouva-t-il un truc pour procéder par étape. Dès 1872 quittant son Poitou natal pour aller à Paris.  Paris  et sa clientèle plus nombreuse, plus moderne et plus fortunée. Il avait réintroduit en l’améliorant le vieux fer à friser des belles romaines. Aux deux barres plates qui coinçaient la mèche il avait substitué  deux tiges : concave et convexe. Je suis sûr qu’un forgeron ou bourrelier du Poitou  tout puant du crottin des chevaux qu’ils avaient ferrés ou harnachés le matin sont, aussi, à l’origine de l’outil suprême des élégances raffinée de la fin du XIXè siècle. Ondulations sur cheveux courts
Marcel coupa le cheveu et il coupa tant  qu’il en coupa encore, et encore , toujours plus. Là aussi il apporta un truc ancien qu’il sut remettre au goût du jour. Il parait que Cléopâtre  connaissait les bienfaits de cette méthode. Le cheveu coupé à chaud souffre moins de ce traumatisme, la gaine en est cautérisée et favorise la repousse. Mieux encore, des cuirs chevelus quelque peu désertés s’en trouvent réconfortés au point de permettre un certain repeuplement. La fibre capillaire s’abîme beaucoup moins. Les fourches qui apparaissent aux pointes et donnent cet effet de paille disparaissent avec la répétition des coupes de cheveux. Attention, Marcel insiste, ce bénéfice ne s’obtient qu’après des coupes répétées et fréquentes.
C’est  miraculeux. Marcel  devient le sauveur de la moitié de l’humanité, la vie sociale avec toutes les occasions de se décoiffer s’en trouve facilitée. Au fait Messieurs, si on y pense, votre moitié d’humanité aussi  se réjouit, dans la mesure où elle est conviée au décoiffage.
♫ Un fiacre allait trottinant ♫
Vite coiffée vite recoiffée car la coiffure tient. Marcel leur  fait des crans qui donnent forme et volume à la coiffure. Un geste de la main, un coup de peigne et c’est comme neuf. À l’occasion on sort de son sac un de ces fers incurvés qu’on chauffe sur le gaz, pas trop il ne faut pas brûler le cheveu. Marcel est ainsi le sauveur de toute une corporation chez qui on se bouscule désormais. Fini la torture permanente des épingles et des peignes fichés en tête par une chambrière malhabile, les salons de coiffure se multiplient. La gloire de Marcel grandit au point que Paris lui devient un cadre trop étroit. Il part s’installer à Londres.  Bis repetita placent, les ondulations sur cheveux coupés font rage de Moscou à Philadelphie elles gagnent la côte Ouest et de là, la Chine et le Japon. On ne dit plus des ondulations ou des crans ni même waving  on dit « des Marcels »
Londres sera le théâtre de  son plus grand triomphe. La cliente aux cheveux courts ne revient –elle pas plus souvent au salon ? La confrérie réunie des coiffeurs londoniens le célèbrera comme son bienfaiteur  en un banquet   offert dans les salons de l’hôtel  Holborn. À Londres !  On l’appellera longtemps  « la fête à Marcel » elle se perpétua durant des années. Marcel est  à la mode, il devient un homme riche. ( Ma tante née en 22 et ma mère née en 25 seront baptisée Andrée Marcelle et Renée Marcelle . Le Roman La Garçonne lui doit aussi beaucoup)

Marcel  fréquente assidument la haute société . On se l’arrache. Ce monde là, ce monde de la belle époque  vient se fracasser sur la première guerre mondiale. Marcel est trop vieux pour en être la victime mais les aristocrates anglais, eux, s’y font décimer sur les champs de bataille de la Somme. Une certaine façon de se tenir au combat pour les jeunes officiers n’y  est pas étrangère. Un souvenir m’est resté de l’obstination forcenée de certaines badernes haut placées  contre l’introduction du parachute. Ça vous donne une idée.

La petite et la grande histoire ont de curieux confluents. Que serait la Seine sans l’Yonne et la Marne ? Au premier jour du printemps 1918 , un certain major Malcom Windgate tombe près de Lagnicourt ( entre Arras et Cambrai)  en résistant à une des dernières offensives allemandes. En septembre, à la contre offensive, on comptera 153 maisons détruites, l’église effondrée comme de nombreux autres bâtiments. Les années passent. À  Londres, une des multiples ligues qui se constituent comme partout  au lendemain de la guerre, «  la ligue britannique pour l’Aide aux pays dévastés » reçoit un don. Cinq cent cinquante Livres ont été collectées au cours de « la Fête à Marcel » de 1922. Il se trouve que le père de Malcom Windgate, Reginald, est le président de la ligue. Son entregent et les relations de Marcel font le reste : les coiffeurs anglais deviennent les parrains de Lagnicourt, leur argent est utilisé dans la reconstruction de l’école et de la mairie. La municipalité ne cache pas sa joie, elle présente une requête qui lui est accordée par décret présidentiel du 24 janvier 1924

.Désormais Lagnicourt s’appellera Lagnicourt-Marcel.

Marcel Grateau s’éteindra en 1936 à l’âge de 84 son souvenir n’est plus entretenu par les enfants de l’école reconstruite puisque regroupement pédagogique et  gauche quantique ont fermé l’école en 1999. Qu’en est-il du souvenir de Marcel. Rien ou presque, ma coiffeuse, qui me connaît depuis 20 ans ( 30 ans pour la redif) qui m’a vu prendre autant de kilos et  perdre bien plus de cheveux, n’a rien su m’en dire. Sauf que …sauf que tout espoir n’est pas perdu. Au fond de l’Amérique profonde  des passionnés d’élevage canin entretiennent la flamme. Un chien du Wisconsin lui doit son nom en raison de son poil ondulé.

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snoopy86
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snoopy86
11 janvier 2012 11 h 44 min

Juste une question : Marcel a-t’il fait son coming-out ? 😆 😆 😆

Je sens que notre Fufu sera sous peu citoyen d’honneur de Chauvigny ….

snoopy86
Membre
snoopy86
11 janvier 2012 11 h 48 min

 » et encore moins par l’humidité constante de l’entreprise de poterie  »
J’imagine que la poterie c’est la célèbre fabrique de porcelaine

Causette
Causette
11 janvier 2012 14 h 02 min

Graisse de porc et farine, drôlement appétissant. En plus de ces coiffures qui devaient puer le fennec, les femmes étaient gâtées avec le corset. je lis sur wiki qu’il est apparu à la cour d’Espagne.

A certaines périodes les coiffures des hommes étaient assez ridicules. J’ai dégoté ce site: coiffures du passé.

(au fait pour ceux qui n’ont pas été au cathéchiste il faudra nous raconter l’odeur des soutanes 🙄 )

Léon
Léon
11 janvier 2012 22 h 44 min

Je trouve qu’on manque d’articles de ce genre, qui parlent de la « petite Histoire », des inventions, de la mode, de la vie courante etc.
Personnellement j’adore cet article et j’en redemande.