Venu de Tourcoing, un vrai « Complot Inside  » sous Louis XIV

Petit essai complotiste

C’est une histoire qui a commencé bizarrement : un événement historique que j’ignorais totalement .Vous parlant de l’amiral d’Estrées , j’ai eu le plaisir de lire d ‘ Etienne Taillemite = l’Histoire ignorée de la marine française . Cet ouvrage fourmille de rappels aux Mémoires de Saint Simon. Bin alors, allons y voir, allons lire Monsieur le Duc.

Depuis, je connais donc, un peu, Saint Simon que je m’amuse à fréquenter souvent

Vous savez, c’est le genre d’ouvrage assez spécial ; on commence à un bout, au hasard, on revient en arrière, toujours au hasard, on  l’abandonne, on le reprend plus tard…Ayant depuis longtemps l’habitude de lire plusieurs bouquins en parallèle et comme Internet est riche en éditions et études de ces Mémoires , Monsieur de Louis de Rouvroy duc de Saint-Simon ne me quitte pas. Et c’est comme ça que…À cette occasion je suis tombé sur un fait divers assez rocambolesque pour les faits, énorme pour les personnes impliquées, et ridiculement discret pour les traces qu’il a laissées dans l’histoire et  la mémoire collective.

On ne retrouve que peu de sources. Comme Saint Simon n’entreprendra la rédaction de ses Mémoires que plus de trente ans après les faits, le premier témoignage demeure le journal de l’époque : le Mercure Galant qui deviendra plus tard le Mercure français. Le second : l’œuvre de Monsieur le Duc et le troisième : les mémoires du chevalier de Quincy.

Voltaire se mêlera d’en parler lui aussi, son travail n’est que compilation et interprétation partisane, il a des comptes à régler avec Louis XIV. Ce n’est pas un enquêteur, enfin, pas dans cette affaire. Il ironise sur le bon tour joué à Louis XIV et sur le royal emportement quand on lui apprit la nouvelle.

Et puis… ?

Et puis rien .Pas un historien, pas un journaliste pas un romancier, même pas un tout petit chapitre d’Alexandre Dumas. Rien « Nib de Nib ». Il faudra attendre le 3ème millénaire pour que deux blogs, un à la Saint Simon et l’autre un blog régional du Nord penchant plutôt vers Voltaire, rappellent les faits comme ils ont été décrits il y a 300 ans mais sans aller chercher plus loin.

Vraiment curieux cette histoire, d’autant plus curieux que tout est là.

Une aventure extraordinaire dont les personnages principaux ne sont pas ceux que l’on nous montre. Un complot apparent, sa version officielle et, à peine cachée pour qui veut s’en donner la peine, une explication qui tient la route mais forcément souffrant d’une interprétation à postériori. Les amateurs auront reconnu tous les ingrédients du « complot  Inside »

Pour ceux qui ignorerait notre volapük : un complot « inside » est une histoire où la victime apparente n’est pas réellement une victime et où le malfaiteur n’est qu’un instrument de la fausse victime qui en vérité mène le bal. Une grand manip comme on dit dans le milieu barbouze.

En gros une histoire de roman de gare, mais de Monsieur le Duc de Saint Simon s’il vous plait !

Pour connaître la suite et la fin de l’histoire il faut en apprendre le début. J’ai passé quatre mois à chercher le moyen de vous épargner cette peine. Rien à faire, il faut que vous lisiez les deux pages de Saint Simon.



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Guethem

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Tome 5 –chapitre XXI

« Un évènement aussi étrange que singulier…..

La version officielle résumée

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Un groupe de mercenaires dont on connaissait la provenance et voire même les noms, a tenté d’enlever Monseigneur  le Dauphin. Mais, comme par hasard, tiré par six chevaux, dans le carrosse de Monseigneur, aux armes de Monseigneur, avec valets portant les livrées de Monseigneur, cocher et porte flambeau sur un septième cheval de Monseigneur, il n’y avait pas Monseigneur mais le Premier écuyer marquis de Beringhen. Monsieur le Premier avait pris soin d’arborer comme à son habitude et à son plus grand plaisir le grand  ruban bleu dont le roi lui avait fait l’honneur quelques mois auparavant. Il y eut donc méprise, on se trompa de colis. Ravisseurs et « ravi » prirent la route du Nord où ils se firent cueillir près de Péronne. Tout le monde revint sur ses pas à Versailles où le roi félicita son écuyer et !!! le chef des « terroristes ». On couvrit d’or le terroriste et on lui fit la fête avant de le laisser rentrer chez lui .

Vous avez bien lu.

Je ne voudrais pas faire mon petit  « Rouvriste », ( pour les non initiés du verbe = to Open again) mais…Suis-je le seul à trouver ça curieux ? Plus que curieux, bizarre.

Qui est donc ce Pierre de Guethem ?

En ce début de mars 1707 tout le monde se rappelle la cuisante défaite infligée au printemps précédent  à Ramillies par Malborough aux armées de  Villeroy . L’intelligence et la vivacité du premier firent ressortir une fois de plus les insuffisances du second. Le malheur veut que les qualités humaines de Louis XIV , sa fidélité en amitié, lui aient fait conserver sa faveur à un homme qui n’était pas à la mesure des épreuves que le rang, où le Roi l’avait hissé, lui imposait . Ce triste général laissera au Nord le même pitoyable souvenir qu’il avait laissé en Italie. À Versailles  Villeroy c’est pour tout le monde l’homme de Crémone 1702 , l’homme qui s’est fait capturer par un commando au milieu de son armée, dans une ville qu’il tenait. Un chanoine avide de promotion et  inclinant du côté de ceux qui pouvaient satisfaire ses saintes aspirations avait révélé l’existence d’un égout romain passant sous la ville. Le chef d’un commando speleo-militaire: un certain Pierre de Guethem natif de Tourcoing, avait été converti à la cause espagnole par les multiples facéties «  étripatoires» de la soldatesque française dans les guerres incessantes motivées par la conquête de ce qui deviendra la Belgique. Pierre de Guethem  se plaça comme valet , un peu musicien, chez le Prince de Bavière. Ce dernier entrant en guerre aux côtés de l’Empereur notre serviteur se fait soldat et y trouve son bonheur. Simple recrue il révèle très vite des compétences en coups de main, coup tordus , coups de force, un technicien supérieur dans sa spécialité. Il se distingue en 1683  au siège de Vienne contre les Turcs, dans divers combats en Hongrie , à Neufchâtel,  Bade , Belgrade. Arrivé au pied de la muraille de Crémone en 1702 avec le grade de major il y gagnera le grade de colonel et l’anoblissement pour son fait d’arme exceptionnel.

Les Français peuvent suivre l’évolution de sa carrière en faisant la liste des mauvais coups qui leur sont portés. Guethem est d’abord l’homme de l’Empire, puis du Prince Eugène ennemi farouche et très personnel de Louis XIV, nous le trouvons ensuite aux côtés de Malborough . Comme le meilleur général est souvent celui qui prend les meilleures décisions et comme ces décisions dépendent des renseignements, Malborough conserve à ses côtés un homme si précieux. S’il parie sur la balourdise de Villeroy avec le succès que l’on sait à Ramillies, c’est sûr, Gethem n’est pas loin. Cet homme ne connaît pas l’échec. Il est assez indispensable pour obtenir que sa ville natale soit épargnée par les armées quelles qu’elles soient. Les Tourquennois lui en seront et lui en  sont encore reconnaissants. L’hiver 1706 / 1707 voit Guethem et son « groupe » en garnison à Ath reprise aux Français depuis l’été. Lancée comme une bravade ou comme un projet sérieux l’idée d’enlever le Dauphin reçoit l’approbation de ses supérieurs. Sans aucun doute la distribution des passeports et mots de passe n’a pu se faire sans la permission de Malborough, car , d’où viendrait la supposition que l’entreprise, conduite par des militaires francophones des pays bas espagnols,  était anglaise ?   Ses innombrables succès attirent tous les regards sur lui. C’est un homme à surveiller, à suivre, voire à prendre comme modèle. Il en a assez fait pour qu’on se méfie de lui. Ça tombe bien car, si la France ne compte pas dans ses rangs les meilleurs  généraux, elle dispose depuis trois quart de siècle des meilleurs services de renseignement du monde. Comme le Royaume Uni, Venise , Rome, Madrid etc….Versailles emploie toute une accumulation hétéroclite de colporteurs, grands et petits marchands, publicistes, musiciens , valets, moines en vadrouille , à l’occasion ou en permanence. S’ils tombent, personne ne les connaît. Plus centralement, plus officiellement, mais encore plus secrètement, tout le courrier qui circule en France est surveillé et susceptible d’être ouvert et rapporté au Conseil des Dépêches futur Conseil du Dedans. Ces opérations se combinent avec la surveillance des Ponts des Ports et des Routes. Ce « cabinet noir » se distingue de ses concurrents par les prouesses d’une dynastie de prodiges du cryptage et du cassage de codes : les Rossignol. Ils porteront cet art à un niveau inégalé par leurs rivaux .À l’extinction de la dynastie des Rossignols le secret restera insurpassé et se perdra  pendant presque deux siècles. Le quotidien du travail de cet office est fait des messages reçus et transmis aux intendants de province, chefs d’armée et gouverneurs de place.

Aussi Saint Simon ne s’avance-t-il pas quand il nous apprend qu’une trentaine d’hommes a traversé la frontière et n’est pas revenue par  « des informations venues d’Artois » .Nous sommes en plein conflit de la guerre de succession d’Espagne, qui dit Artois, dit Malborough, Ramillies, Guethem . En disant peu il dit beaucoup. Depuis la soirée où le projet avait été lancé, à Paris  on attendait la bande : « le parti ».

Contrairement à ce que prétend faussement Voltaire, le roi ne fut nullement en colère d’apprendre l’enlèvement de Beringhen. Son calme conservé ne peut traduire/trahir qu’un immense soulagement. Louis Moreiri dans son grand dictionnaire de 1732  (page(121)évoque des « ordres si précis et si prompts »

Penchons-nous sur  Le Marquis de Beringhen.

Les Beringhen originaire de Gueldre sont passés au début du XVIIème siècle au service de la France et de la personne d’Henri IV. Un Beringhen est connu pour avoir servi d’agent de liaison entre le roi et ses nombreuses maîtresses. Il passa ensuite au service de Louis XIII et joua un rôle favorable à Richelieu lors de la journée des Dupes. L’histoire officielle prétend que Richelieu lui retira sa faveur quand ce serviteur d’un genre particulier suivit la Reine mère dans ses tribulations politiques. Prétendre qu’il y a là le meilleur moyen de se tenir au courant de tous les complots qui se tramaient dans l’entourage de La Médicis serait sans doute faire preuve de complotisme aigu. Voir  dans le passage au service du roi de Suède  Gustave-Adolphe, ensuite, une confirmation de sa qualité d’agent de renseignement confirme votre diagnostic c’est du complotisme aggravé. Richelieu mort  la justification des errances de Beringhen  loin de la France ( sa couverture) disparaissait avec le Cardinal. Louis XIII pour les quelques jours qu’il lui restait à vivre le rappela auprès de lui. C’est là, près du trône  que  nous trouvons ses descendants et c’est ainsi qu’un Henri de Beringhen devient Premier Ecuyer avant son fils  Jacques Louis.

C’est ainsi que le garde du corps du patron rentre chez lui à Paris en empruntant la Rolls du fiston. Euhhh Pardon.

Il faut bien se risquer à apporter certaines réponses à certaines questions qui semblent, on peut m’en faire le reproche, n’avoir été posées par personne depuis 300 ans.

  • Peut-on impunément emprunter le carrosse du Dauphin de France en pleine guerre ? Voltaire et toute son ironie mordante gobe sans broncher ce bobard, Le Mercure aussi, et comme la première édition des Mémoires n’aura lieu qu’en 1788 l’heure et la mode de l’époque n’était pas à l’ouverture d’un blog réclamant un Nenquête  Nindépendante. Quand plus d’un siècle après les faits les historiens se sont penchés sur cette révélation la double qualité de l’œuvre et de son auteur les a conduits  à l’accepter sans sourciller.

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Beringhen a bien une maison à Paris mais dans une rue qui bien que célèbre n’existe plus, la rue Saint Nicaise

De Beringhen

C’est au coin de la rue des orties et de la rue Saint Nicaise qu’habite Beringhen. Presque un siècle plus tard le Premier Consul échappera à un attentat à l’autre bout de la même rue. Un croquis d’Eric Hazan : l’Invention de Paris.

L’attentat contre Bonaparte

De Beringhen
L’allure du quartier avant que la muraille ne soit abattue

De Beringhen

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Les deux domiciles

Les deux carrosses.

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cellule 1

De Beringhen

Tout près de Marly peu éloigné de Versailles

cellule 2

De Beringhen

C’est dans un tel équipage que les Berignhen pourraient quitter leur domicile pour Versailles. Deux heures de route

cellule 3

De Beringhen

Gravure représentant le carrosse du Dauphin, cette fois ci sans 7è cheval porte flambeau. Beringhen fut instamment prié de l’emprunter ce soir là. Ce ne devait pas être pour passer inaperçu

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Monsieur le Premier rentre à chez lui Paris. A-t-il besoin de ce grand apparat ? Une voiture plus légère n’aurait-elle pas été plus pratique et rapide ? D’autres que lui, et des bien plus grands, ne s’embarrasse pas de tant d’apparat. Évidemment il aurait pu emprunter la Carabbas du soir .Les « Carabbas » sont de lourdes voitures non suspendues, tirées par 6 à 8 chevaux, pouvant transporter 20 personnes à une vitesse de 3 Km à heure et desservant les alentours . Certains font la navette  de Paris à Versailles où l’on va voir le Roi, le château étant ouvert au  public, mais le trajet de 10 heures…Il n’est  pas inutile de connaître une petite révolution des transport: une modification fondamentale dans la conception des carrosses et le confort qui s’ensuivait.La métallurgie encore rudimentaire  interdisait l’usage de ressorts métalliques. La caisse était suspendue à de fortes lanières de cuir , elles mêmes accrochées à un bâtis directement posé sur l’essieu.La production au XVIIIè siècle de métal en grande quantité et de meilleure qualité proposera des ressorts en C auxquels on accrochera les lanières en cuir.Le temps n’est pas venu des ressorts en C dits « à la Polignac » Le confort s’en trouva  notablement amélioré.ainsi que la vitesse. Hélas pour Monsieur le Marquis et touts les augustes fessiers du tournant XVIIè/ XVIIIè siècle , ils n’ont que les inconfortables carrioles des illustrations ci-dessus.

  • A-t-il besoin de se rendre si loin à cette heure tardive du mois de Mars,  à  Paris, rue Saint Nicaise ? Est-ce bien judicieux quand le service du roi peut à tout instant du jour ou de la nuit réclamer sa présence ?
  • Pourquoi Paris (?) quand on a sa résidence principale tout à côté de Versailles à Louveciennes !

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Sauf sur ordre, ni Monseigneur le Dauphin ni Monsieur le Premier Écuyer n’ont aucune raison de traverser le pont de Sèvres et de s’engager dans le bois de Billancourt

cellule 4

De Beringhen
cellule 5

De Beringhen
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La Résidence des Conti derrière Meudon

Qui peut donner cet ordre sauf le Roi lui même?

  • · Revenons aux voitures. Saint Simon nous le dit : le chancelier et  le Duc d’Orléans_ neveu du Roi, futur Régent_  sont passés quelques instants  auparavant avant sans intéresser les « bandits ».

L’endroit choisi pour opérer discrètement se situe dans le bois de Billancourt au-delà  du pont de Sèvres entre une ferme appartenant à ces MM de l’abbaye de Saint Victor et l’estaminet du Point du jour sur la route très certainement la plus fréquentée de France. Tous les jours, du matin au soir, c’est une noria de voitures, carrosses, cavaliers, valets, militaires, policiers,  colporteurs etc… allant à Paris ou en revenant. Tout un peuple de lingères , lavandières , nourrices chez qui les valets des châteaux viennent porter leur linge s’est établi là, au bord de la Seine. Toute la bande est là depuis une semaine dans un endroit fréquenté par les valets des nobles de Versailles, Meudon( le Dauphin) , Saint Cloud ( le Duc d’Orléans). L’accent belge n’est pas une invention du XX ème  siècle . C’est aussi une tradition millénaire de jouer les indics pour les taverniers .

Un super plan conduit par des super professionnels?

Il paraîtrait même que , ayant du temps devant eux et profitant de la foule qui s’y presse tous les jours , nos lascars ont osé pénétrer à Versailles, à l’intérieur du château, mais en étant infoutu d’identifier leur cible : le Dauphin. Par ailleurs, attendre le Dauphin dans les bois de Billancourt , est assez singulier pour un commando d’élite formé de super As du renseignement. Tout le monde sait que Monseigneur rejoint sa femme ( son épouse morganatique) tous les soirs, une certaine Dame Choin, dame de compagnie de sa demi sœur la Princesse de Conti .Pour ce faire il passe des arrières de son château de Meudon au domaine des Conti qui se trouve tout à coté sur la même rive de la Seine. Pas question de franchir le pont de Sèvres et d’aller à Paris.

Un super plan conduit par des super professionnels.? M’enfin puisqu’on vous le dit !

À cet instant je me donne à moi-même l’impression de tourner autour du pot. C’est le moment de lâcher le morceau et de la dire mon hypothèse de « Complot Inside »

Le roi en train de dîner chez sa femme ne paraît, à l’opposé de ce que prétend Voltaire, pas surpris du tout et sait ce qu’il a à faire. Aucune hésitation, il le sait , il le fait. Prévenu du lieu d’entrée du commando, il ne se trompe pas en dispersant les messages et les hommes envoyés à la poursuite des ravisseurs. Il leur donne trois buts l’Allemagne( Verdun) Le Nord (Arras) et les ports de la Manche. Pour cette dernière direction , n’oublions pas qu’il sait avoir à faire à Malborough.

Sonnerie de Trompette   Hypothèse de complot « Inside »

Non seulement Louis XIV n’est pas surpris par l’enlèvement de son Écuyer, mais il est soulagé d’apprendre que tout s’est déroulé comme prévu.

Il l’attendait et il a tout fait pour qu’il se déroule dans les meilleurs conditions. Le grand carrosse aux armes de France et le grand attelage sont là pour piéger la bande de ravisseurs. Des valets en grand nombre témoins rapprochés de l’enlèvement et revenus sans hésitation rendre compte au roi devant toute l’assistance, des gardes, des messagers et des militaires convoqués et envoyés en chasse, le monarque est assuré de la publicité la plus grande à ses moindres faits et gestes.Exactement le complot Inside

Le grand roi n’est plus en représentation devant sa seule cour mais devant toute l’Europe coalisée qui lui fait la guerre depuis 6 ans.

Ajoutons la conduite du commando à l’alimentation de nos doutes.

Nous savons que Guethem et ses petits amis se trompent de client et que pas un d’entre eux ne se pose la question :

–  « Est-ce bien le Dauphin ? »

. La complaisance de Beringhen qui n’est pas un pleutre ne surprend-elle personne ? En tout cas il veille bien à ne pas détromper ses ravisseurs.

Dès les premières heures de la nuit on ne peut que constater la légèreté dans l’exécution du projet. On a bien prévu une voiture pour transporter le captif mais elle attend là bas au delà de la forêt de Chantilly dans les bois de Morlière au sud de Creil. Curieux ce manque de prévoyance quand on a prévu d’aller vite avec un prisonnier de 46 ans ( Beringhen en a 56 ce qui pourrait expliquer pourquoi il a été choisi ) Curieux aussi cette solution improvisée : on fait descendre le valet porte flambeau du 7è cheval et on y fait grimper le premier Écuyer. Et hop ! En avant ! Tout le monde au galop vers le Nord.

Facile à dire. Le faire l’est moins.

On n’est pas dans un film . Dans la vraie vie les hommes et les chevaux fatiguent en proportion des efforts qu’on leur demande. On doit changer de montures, on perd du temps. Certains ponts et portes de villes sont gardés , il faut faire des détours, traverser des rivières à gué. Dans une préfiguration du syndrome de Stockholm le captif offre son aide et promet de ne pas chercher à s’échapper . On engage la conversation . On se lâche un peu en quelque sorte. Après des heures de danger et d’émoi on en revient à des relations humaines plus apaisées. C’est comme ça que , sans manière, le Premier Écuyer de sa majesté révèle son identité.

M…….. !

Bin tant pis . On continue. Comme Monsieur le Marquis est fatigué on lui accorde quelques heures de sommeil dans la forêt de Chantilly. Pendant de temps les ordres qui les poursuivent les dépassent. On franchit l’Oise , Compiègne , Noyon , Ham , on franchit la Somme. Il faut impérativement des chevaux frais. On se disperse un peu. C’est là qu’une troupe vient de l’avant et une plus importante encore de l’arrière.

Fin de l’équipée sauvage, Messieurs ce fut un honneur.

Notre petit monde retourne à Ham , cette fois ce sera sous la conduite de Beringhen . Vite une lettre à Versailles.

Sans trop de difficultés , on rafle et on embastille une demi douzaine des commandos des forces spéciales de Malborough. On en élimine sans doute un bon paquet dans la discrétion . Beringhen prend son temps , fait à Gethem les honneurs de son domicile parisien et enfin retourne à Versailles faire son rapport. Il se fait accompagner par Guethem à qui Louis XIV fait l’honneur d’adresser la parole . Devant toute la cour les deux hommes font assaut de courtoisie et de politesse.

La bonne éducation y a que ça de vrai.

Ceux qui connaissent un peu la question vous le diront. Il est plus intéressant de retourner un agent ennemi que de le supprimer. Non seulement il cesse de vous nuire mais il vous sert en nuisant à vos adversaires. Pas mal mais coûteux. Coûteux et incertain, car le tout nouveau traître peut décider de vous trahir aussi et d’agent double endosser le costume d’agent triple ou quadruple …On n’en sort plus . On paye et on n’est sûr de rien.

Alors il y a une solution bien moins coûteuse et bien plus efficace. D’accord c’est un vraiment un coup tordu. Mais à la guerre comme à la guerre n’est-ce pas ? Il est bien plus adroit de faire croire que Guethem a été retourné, voire mieux que ça, acheté. Un simple geste suffit, tout est dans la manière. Il suffit de donner bien ostensiblement une bourse à l’agent ennemi, de lui faire les honneurs de la Capitale de l’inviter chez tout ce qui compte à Paris …Et le tour est joué. L’agent est grillé comme on dit chez les barbouzes .

Tout ce que Guethem pourra dire ou faire est désormais douteux pour ses employeurs. Il ne sert plus à rien . On ne le connaît plus. Le héros du siège de Vienne, le persécuteur de Villeroy, celui que toutes les cour d’Europe redoutent n’est plus rien . Comme il a dû en mettre suffisamment de coté pour ses vieux jours notre homme rentrera chez lui à Tourcoing jouir de sa célébrité de héros bienfaiteur jusqu’à sa mort qui surviendra dans quelques mois.

Le Grand Dauphin , lui , quittera la scène dans 4 ans , le Roi dans 8 ans et demi. L’arrière petit fils successeur désigné est trop jeune pour accéder tout de suite au trône. Les commandes passent aux mains du Duc d’Orléans  , le neveu dont la voiture n’était pas parue une proie suffisante aux hommes de Guethem.

Étonnant non ?

Ne gaspillez pas votre émotion, vous en aurez besoin quand vous apprendrez que Beringhen est l’objet d’une promotion particulièrement significative en 1715. Notre homme est nommé par le Régent : Conseiller au Conseil du Dedans et Directeur général des ponts et chaussées du royaume.

En quelque sorte à la tête du service de surveillance et d’espionnage.

Étonnant non !

Jacques Louis de BERINGHEN Comte de Châteauneuf et du Plessis-Bertrand en Bretagne, seigneur d’Armainvilliers et de Gretz en Brie un serviteur de l’état et héros méconnu.

En revanche, Tourcoing  continue  à honorer le plus célèbre de ses fils. Bien plus honorable qu’un autre mercenaire de la même cité

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La machine de Marly

Pierre Bayle (note 14)

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Papy
Papy
3 avril 2012 14 h 21 min

Super article! Merci Furtif!

Léon
Léon
3 avril 2012 22 h 21 min

Hep là, le lecteur de passage doit savoir qu’il a fallu bien 4 mois de recherches à Furtif pour nous pondre ce qu’il considère comme une découverte historique qu’il a faite tout seul avec ses petits bras musclés. Vous n’avez pas l’air de comprendre que ce qu’il vous propose là est un scoop historique jamais révélé par personne !
Et c’est sur Disons.fr

Alors on applaudit et on congratule: pour Furtif, hip hip hip, hourra !

Lapa
Administrateur
Lapa
4 avril 2012 0 h 32 min

C’est sûr que grâce au journalisme citoyen, les complots et autres inside jobs n’ont qu’à bien se tenir! 😉

En tout cas merci pour cette page historique que je ne connaissait pas. Beau travail!

Causette
Causette
6 avril 2012 12 h 08 min

Bonjour,

Super la nenquête de Furtif. Quel scoop!

(‘tention y’a un Rossignol chez Mélenchon :mrgreen: )

ranta
ranta
7 avril 2012 8 h 55 min
Reply to  D. Furtif

Pas moi en tout cas.

ranta
ranta
7 avril 2012 11 h 24 min
Reply to  ranta

Je me demande tout de même si Tourcoing serait pas une sorte de trou noir, de triangle des Bermudes du nord. Y’a de ces gens par là bas. Tiens, prenez castor par exemple !

Buster
Membre
Buster
11 avril 2012 9 h 40 min

Très intéressante histoire.
L’hypothèse semble assez plausible.

Une réserve cependant : Il ne faudrait pas laisser cet article apparent. Trop dangereux.
Des chercheurs de vérités seraient fort capables de tout embrouiller et de compliquer de beaucoup une histoire déjà fort complexe.
Je propose, Furtif, que dorénavant tu « chiffres » toutes tes découvertes au moyen par exemple d’un code Rossignol dont tu nous donnerais une clé.

« 330 309 » signifie-t-il vraiment ce qu’Etienne Bazeries déduisit, et Beringhen en portait-il un ?