. À Tombouctou, le dernier des pirates
Deux chemins m’ont conduit sur la voie de l’histoire d’un homme que je ne connaissais pas. Le livre d’un de mes anciens profs sur les Corsaires de La Rochelle, (tellement passionnant que je n’en sors pas et que l’article envisagé est sans cesse repoussé), m’a conduit à une liste de corsaires puis une autre de pirates, et cette dernière à un embranchement curieux au milieu du désert. Au fond de ce désert se déroulent en ce moment les évènements du Mali. Tombouctou n’aurait jamais du se retrouver à ce croisement, sauf si une accumulation de hasards n’y avait conduit un homme condamné par les Français de Vichy pour piraterie . Si l’Histoire a le devoir d’entretenir la mémoire le mien est de vous parler de l’Homme de Tombouctou.
Peter de Neuman n’avait pas 24 ans quand il fut capturé par la marine Vichyste de l’Ouest africain mais il était déjà un héros décoré de la George Medal pour avoir, en Mars 1941, à Aberdeen, Écosse, extrait une bombe de 250 kg de la salle des machines du Tewksbury et l’avoir jetée par dessus bord. En mai le Tewksbury fut torpillé et coulé au canon par le U-69. Peter de Neumann passa ensuite en Mai 1941 sur le HMS Cilicia qui, au large de la Sierra Léone, captura un paquebot français, le Criton, chargé d’obus à destination de Daka. Officier en second du Cilicia il devint le chef d’un équipage de prise, chargé de conduire le Criton au Royaume-Uni. Au sein de l ‘équipage français les pro-vichystes étaient largement majoritaires et avaient réussi pas mal de destructions avant de se rendre. Le Départ se fit le 19 juin. Sur le Criton les avaries étaient telles que, ne pouvant suivre la vitesse générale de son convoi, le SL78, on le laissa en arrière sans protection pour un retour vers Freetown. Du coté des marins anglais le moral était un peu en berne, tous étaient pressés de rentrer au pays. Neumann, lui, pensait à son mariage prévu dans les semaines suivantes
À 9h30 GMT au matin du 21 juin apparurent, venant de Conakry, deux navires de guerre sans pavillon. L’Edith Germaine piqua vers le large pour couper toute possibilité de fuite et le Air France 4 s’approcha et ordonna au Criton de stopper.
Air France IV et ses congénères étaient de petits navires construits pour Air France en 1930 afin d’assurer le service postal entre Dakar (Sénégal) et Natal (Brésil), avant que les avions ne soient capables de le faire. Air France IV, construit aux ateliers et chantiers de Bretagne à Nantes en 1930 avait un déplacement de 484 t, une longueur de 62 m pour une largeur de 7,2 m et un tirant d’eau de 3 m. Sa vitesse de 16 nœuds, son équipage de 25 hommes, il est réquisitionné en septembre 1939, porte le numéro P 129, dans la 7 ème escadrille de patrouilleurs à Dakar. Il assure la défense de Dakar et fait de l’escorte de convois. Le 21 juin 1941,il coule le cargo Criton dans de curieuses conditions |
De Neumann lança par radio un appel à tous les secours possibles et tenta de faire durer au maximum les procédures d’arraisonnement pour leur laisser du temps. Les coup de semonce, les tirs en direction du local radio, l’Air France 4 menaçait maintenant de ses mitrailleuses à moins de 50 mètres. Neumann joua les innocents ignorants, cafouilla dans les signaux, les codes et les lettres, on le somma de « Turnabout » et de retour vers Conakry. Il y eut du « Go to hell » . Tout cela au moyen d’un vieux porte-voix en tôle .
La situation durait depuis 2h ½, les français de l’Air France 04 et leur capitaine piétinaient de rage ( rather jumpy). On les vit s’approcher à moins de 30 mètres et faire donner les mitrailleuses. Neumann ordonna « en avant toute ». Plusieurs marins anglais furent blessés. Le Capitaine Neumann alors hurla :
« Stop Engines and Abandon Ship »
L’Air France 04 avait fait tirer 45 coups de 75 particulièrement sur la ligne de flottaison. Chargé lourdement de minerai de fer, sa coque percée de part en part par certains coups le Criton était dans un si triste état qu’il fut déclaré irrécupérable. On recueillit tout le monde et direction Conakry où on les enferma dans un hangar à bananes. Après quelques heures, on les fit partir à coups de crosses vers un camp à 7 km de là , dans la forêt, où ils retrouvèrent d’autre marins captifs appartenant à des marines marchandes alliées qui, en détresse, avaient accosté en barque sur la côte.
On mit l’équipage de Neumann à l’isolement avec interdiction de communiquer entre eux et on procéda aux interrogatoires. Bien que vaincue, la France avait su conserver dans sa police coloniale le mordant qui faisait sa réputation.
Il y avait un os de taille.
Les brillants artistes du Air France 4 se rendaient compte maintenant qu’ils avaient eux-mêmes coulé leur propre paquebot. Il fallait absolument que les Anglais reconnaissent avoir sabordé le navire. On n’était pas en Birmanie mais le climat et l’obstination britannique y étaient comparables .
On leur monta alors un procès tordu où on les accusa de piraterie et d’être des francs-tireurs. Puisque les méthodes employées ressemblaient à celles de la Gestapo, les britanniques purent craindre à juste titre d’être fusillés comme l’avait été le capitaine Fryatt par les Allemands pendant la première guerre mondiale.
Le 26 Septembre 1941 , encadrés par une garde lourdement armée, tout le monde fut embarqué dans des camions à l’exception de ceux qui étaient à l’hôpital de Conakr. Direction la forêt. C’est sûr on allait les fusiller. Surprise, on les fit embarquer dans un train pour un voyage qui ne s’arrêtera que le 7 octobre …
Une voie de chemin de fer reliait Conakry à l’intérieur du pays, achevée en 1914, au prix d’un engagement lourd de la population guinéenne (salariée ou esclave). Le tronçon Conakry–Kindia est inauguré en 1904; Conakry–Kouroussa (sur le fleuve Niger) en 1910. Elle est toujours en service, bien qu’au ralenti: deux trains par semaine font l’aller-retour Conakry–Kankan.
En camion, en train, à pieds et en bateau, on les avait conduits à Tombouctou ! Les captifs de l’opération ratée de Dakar étaient, eux, enfermés à Koulikoro.
Les conditions de détention au camp de Conakry avaient été épouvantables, à Tombouctou elles furent pires. De Neumann et quelques autres tentèrent bien une évasion qui les conduisit à suivre le fleuve Niger. Mais là, après une aventure de 640 km, une patrouille les captura à nouveau et les renvoya à Tombouctou. La chaleur, les mouches, la dysenterie.
Leurs conditions s’aggravèrent avec un supplément de prisonniers du navire l’Allende dont certains, ne supportant pas les conditions climatiques sanitaires et de détention effroyables, moururent. Leurs geôliers français ayant choisi d’accaparer les colis de la Croix rouge.
Novembre 42, la guerre connaissant de nouveaux développements ( Torch, débarquement allié en Afrique du Nord) ils furent libérés fin décembre et revirent l’Angleterre à la mi-janvier 1943.
Mais avant cela :
- 5 Août 1942 Départ de Timbuctoo pour Port Caron à 15 km sans distribution d’eau.
- 6 Août 1942 Départ Port Caron à bord du stern-wheeler MARECHAL GALLIANI.
- 24 Août 1942 Arrivée à Kan Kan.
- 25 Août 1942 Arrivée au camp Bordo dans un lycée agricole distant de 4 km. Là, des missionnaires américain osèrent rappeler aux Français que leurs prisonniers étaient des être humains.
- Peu à peu les vichyste devinrent de plus en plus brutaux et les conditions s’aggravèrent. Bordo vit en octobre arriver d’autres prisonniers étrangers et mêmes des français suspectés de connivence avec les alliés.
- Opération Torch 8 novembre 1942
- Darlan signe les accords le 7 décembre
- 14 Décembre 1942 on quitte le camp Bordo pour arriver à Mamu dans la nuit.
- 15 Décembre 1942 Arrivée à Conakry la nuit suivante .
- Free Town Sierra Léone le 18 et départ pour le Royaume Uni.
- Il peut enfin se marier le 13 février 43
La guerre finie de 1947 à 1953 on lui confia le commandement du HMRC Vigilant affecté au service des douanes et de surveillance de la contrebande.Il consacra cette période à une réflexion sur la surveillance portuaire aiguisée par plusieurs accidents et par la désastreuse inondation de la côte Est en 1953. Il proposa ses conclusions sur la collecte du renseignement et le commandement centralisés. Il opta ensuite pour un poste à l’autorité portuaire de Londres quand sa santé entamée par sa captivité lui posa de plus en plus de problèmes. Pourtant il se mêlait toujours de porter secours à des marins ou dockers en danger.
Le 16 septembre 1972 , deux jours avant l’anniversaire de ses 55 ans, un nouvel accident sur le Dock Tilbury eut raison de lui. Ces cendres ont été dispersées dans la Tamise à Graves End.
Bernard de Neumann raconte l’héroïque et tragique aventure de son père
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Histoire effectivement très bizarre, et que bien peu doivent connaître.
Je change un peu de sujet, là. Mais des types absolument extravagants, à l’époque de l’épopée coloniale en Afrique noire, il y en a eu beaucoup. J’en ai connus quelques-uns et malheureusement ils sont morts sans que personne n’ai eu le réflexe de recueillir leurs histoires que je ne connais que par bribes.( Leurs enfants peut-être ?).
J’ai en mémoire notamment un médecin généraliste obligé de fuir la métroploe pour des histoires d’avortements, et qui s’était retrouvé seul médecin à plusieurs centaines de km à la ronde en pleine brousse en Côte d’Ivoire. Obligé de s’improviser chirurgien, dentiste,herpetologue élevant des serpents pour trouver des serums,tropicaliste, confronté à des trucs invraisemblables, éléphantiasis, lèpre et j’en passe. Sa maison était une vraie ménagerie, pleine d’animaux au milieu de ses trois gosses. Une partie était transformée en laboratoire. Souvenirs, souvenirs…