Daniel Salvatore Schiffer est-il bien placé pour disserter sur Dutroux ? Lapa

Le 04 février 2013, Daniel Salvatore Schiffer publiait sur le site du Point, dans la rubrique Contrepoint, une tribune titrant: Marc Dutroux ne doit pas sortir de prison

Pour Daniel Salvatore Schiffer (*), la demande de libération conditionnelle déposée lundi par le violeur et l’assassin de petites filles doit être refusée.

http://www.lepoint.fr/invites-du-point/daniel-salvatore-schiffer/marc-dutroux-ne-doit-pas-sortir-de-prison-04-02-2013-1623413_1446.php

(mes commentaires sous l’article n’ont jamais passé la modération et n’ont pas été publiés par Le Point )

Quelques remarques.

D’abord, il s’agit typiquement de disserter pour ne rien dire à part étaler sa bonne conscience : on voit mal en effet la justice belge demander l’avis de monsieur ou se référer à sa diatribe pour rendre le droit dans son pays. De même, qui a besoin d’être convaincu de la nécessaire réclusion de M.Dutroux?

Mais ce n’est pas tout. Il a quelque chose dans cette tribune qui me gène. La facilité dans un premier temps. L’enfonçage de portes ouvertes. Marc Dutroux est considéré comme un ennemi public, et, tout le monde le sait, il n’a presque aucune chance de voir sa demande de mise en liberté acceptée. A quoi bon monter sur ses ergots et se fendre d’un violent article à son encontre ? Il n’y a aucun mouvement sociétal de sympathie envers ce tueur pédophile, mouvement que pourrait prétendre combattre une telle tribune et la justifierait. De même, il n’y a, dans cette affaire, aucun soupçon affiché d’injustice ou de doute sur l’impartialité de ceux qui devraient choisir d’accepter ou non la libération conditionnelle (ou cela ne transparait pas dans l’écrit de DSS).

Non en réalité, rien, strictement rien, finalement, ne justifiait une charge d’une telle ampleur affirmative, comme si la patrie était en danger, dans la rubrique « Contrepoint ».

Il est vrai que le cas de Dutroux ne peut prêter à la moindre empathie. Et je ne voudrais pas, sur cette critique, paraître défendre l’abomination dont il s’est rendu coupable. Néanmoins j’ai pu lire dans cette charge de DSS un argumentaire sur le droit, la justice qui m’a rappelé ce qu’il avait écrit, plus tôt, concernant Polanski.

Tout d’abord un résumé limpide de Maître Eolas :

http://www.maitre-eolas.fr/post/2009/09/29/Quelques-mots-sur-l-affaire-Polanski

Quand je dis, écrire, c’est un véritable festival d’articles qu’avait sorti M.Schiffer à l’époque et qu’il me semble important de relire aujourd’hui. Je vous en mets trois, mais il y en a bien d’autres (on se demande d’ailleurs pourquoi autant) :

L’affaire Polanski et la justice américaine : un mensonge judiciaire ?

La Berlinale : justice pour Roman Polanski !

D’Oscar Wilde à Polanski: la justice de l’exemple

Dans ce dernier, DSS use et abuse du fameux et fumeux parallèle avec Oscar Wilde, un truc qu’il ressort régulièrement, comme lors de l’affaire DSK :

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-affaire-dsk-un-mauvais-remake-du-113750

D’ailleurs il en aura tartiné de la défense de DSK lors des différentes affaires une dizaine d’articles pour dédouaner l’homme.

Et là, permettez-moi de remettre sur le tas l’argumentaire développé dès lors (deuxième article intitulé La Berlinale : justice pour Roman Polanski !), et auquel le brillant philosophe n’avait pas répondu. Parce que, je pense  que son idée de la justice est pour le moins ambiguë.

1/ le renversement classique victime-coupable.

Le titre tout d’abord : il sonne comme un slogan, « justice » clame-t-il en gras. Justice pour Polanski cela sous-entend qu’il a subi un préjudice, sûrement important pour se prévaloir ainsi d’un titre. Ainsi donc quel préjudice aurait subit le cinéaste ? être poursuivit après s’être enfui d’un procès et se retrouver assigné à résidence. Le préjudice est-il si énorme ? Est-il injuste ? c’est du moins ce qu’insinue par là l’auteur.

« esprit de résistance » est-il écrit plus loin. Une intericonicité avec les périodes les plus sombres de l’histoire, à la limite ne pense-ton pas à Jean Moulin ? Pour un peu, Polanski serait un resistant enfermé injustement dans un geole qui se livre tout entier à son art. On croit rêver.

L’auteur veut donc faire passer le coupable (légalement il est coupable des faits reprochés puisque par son arrangement il a plaidé coupable) comme victime. Mais la justice n’est-elle pas dans le protection des plus faibles et dans le fait d’assumer ses actes délictueux ? Inutile de chercher une réponse dans cet article.

2/ l’amalgame entretenu entre éloge artistique et procédure judiciaire

Tout au long de son article, l’auteur va user d’amalgames pour dédouaner Polanski de devoir répondre de ses actes. D’abord mettre en parallèle un palmarès de l’industrie du spectacle avec un tribunal démocratique histoire de relativiser tout jugement. Ensuite considérer que ce palmarès est supérieur à un jugement moral, partant, d’une procédure judiciaire (notez le terme « a fortiori » qui est malvenu ! ), rien de moins !

Mais finalement ce palmarès, au vu du fonctionnement de ce genre d’institution, n’est-il pas dicté par un jugement moral également ? Comment peut-on être sur que seule la valeur technique et artistique ait joué, sans considération morale ? Aucune évidemment.

Le jugement moral n’est pas à une place innocente dans le texte, il est apposé là pour dévaloriser l’aspect judiciaire de l’affaire en « simple affaire de moeurs » et gommer l’injustice qu’a dû subir la véritable victime. Faire passer ce délit pour une simple atteinte aux bonnes mœurs histoire de cataloguer rapidement les adversaires, non en protecteurs des faibles ou chercheurs de la vérité, mais en réac coincés du gland. (pardonnez l’expression). L’auteur reviendra à la charge avec d’autres exemples historiques hors de propos.

Il y a donc le monde des hommes, et celui des arts. Et dans le monde des arts, une breloque vaut bien plus que la justice des hommes. propos indécents évidemment, mais qui enrobés, peuvent convaincre les plus faibles d’esprit.

3/ le mensonge dans la qualification des faits reprochés

A se demander si l’auteur peut se regarder dans la glace sans honte en énonçant tout à fait partiellement et avec des guillemets (ce qui aurait valeur d’exactitude ne reprenant le texte original) les faits reprochés comme étant seulement relations sexuelles avec une mineur. Or il doit savoir pertinemment que les six chefs d’accusation comprennent également viol ; que ce n’est que par la tractation (que Polanski n’a pas respectée d’ailleurs) qu’un seul chef a été retenu qui est celui d’abus sur mineur. Pourquoi l’auteur a-til remplacé le terme abus par celui de relations sexuelles ? Toujours pour minimiser les faits en mentant.
plus d’info là dessus : http://www.maitre-eolas.fr/post/200…

4/ des éloges et comparaisons hors propos.

Emporté dans son élan élogieux qui gomme tout esprit critique, l’auteur force le trait à devenir ridicule et inquiétant. Pense-t-il réellement ce qu’il dit ? Ou cherche-t-il seulement à embrouiller les lecteurs et leur gommer aussi leur esprit critique ?

On est en droit de le penser :

tout d’abord raccorder les faits reprochés et à Polanski et à Oscar Wilde est un procédé manipulatoire à double niveau. Premier niveau car iles faits ne sont pas semblables. Dans le deuxième cas il s’agit de relations entre adultes consentants là où dans le premier il y a abus sur une personne plus faible soumise à l’autorité (mineure). On ne peut pas croire qu’une personne dotée d’un minimum d’intelligence ait pu faire cette confusion de manière involontaire.
Deuxième niveau car en apposant Polanski à un artiste reconnu, il a légitimisation du discours, par argument d’autorité, comme quoi Polanski est un artiste aussi talentueux, ou à mettre sur le même plan, qu’Oscar Wilde. hypothèse ainsi autovalidante ; dont il devrait être pourtant permis de douter

Nous avons donc un discours qui s’auto légitime par une éloge exagérée doublée d’une apposition faltteuse et manipulatoire.

5/ L’utilisation du fait religieux

Il est assez amusant et à rapprocher de la phrase de F.Mitterrand lors de « sa défense » au JT de 20h. « que celui qui n’ jamais pêché me jette la première pierre ».
L’utilisation de la culture religieuse pour imposer un système , si ce n’est immoral (soustraction du puissant à la justice, exploitation du pauvre par le riche pour ses désirs), du moins délictueux (en l’occurence viol sur mineur ou tourisme sexuel…) est une constante chez nos élites. La religion, non pas comme ils la pratiquent car ils ne s’abaissent pas à ce genre de conneries ; mais comme les autres sont sommés de pratiquer : « ne me jetez donc pas de pierres » fallait-il comprendre. (plus prosaïquement : vos gueules et lâchez moi la grappe).

Là nous avons le droit au Cantique des Cantiques, on est bercé d’irrationnel et sur le plan divin, la justice terre à terre des hommes semble dérisoire non ?

En résumé nous avons là une personne qui clame haut et fort que la justice des hommes n’est qu’une meute, qu’un jury du tribunal vaut moins que celui d’un festival. Une personne qui amalgame relations sexuelles entre adultes consentants et relations sexuelles imposée sur mineur par personne ayant autorité. « une simple affaire de mœurs » dira-t-il . Effectivement comme dirait un autre ponte à propos d’une autre affaire « il n’y a pas mort d’homme ». Et il faut reconnaître que Dutroux a contre lui le meurtre. Ce n’est pas rien.

Mais à la lecture de ces billets, n’est-on pas en droit d’être surpris que l’auteur considère la justice comme trop accablante quand elle cherche à faire connaître la vérité en demandant de pouvoir juger Polanski qui s’est soustrait à son procès et bien trop accommodante quand elle permet, via procédure, à un condamné d’user du droit de demander une libération conditionnelle ?

Qu’un homme aussi bienveillant avec certains «« -Quant à Roman Polanski, quel meilleur tribunal, comme pour tout homme digne de ce nom, que celui de sa seule conscience » s’inquiète du manque de remords des autres  et donne dans la dissertation sur le droit et la justice ?

Un tel déni de l’appareil judiciaire quand il est défavorable à ses idoles ne le disqualifie-t-il pas directement quand il lui trouve soudainement une valeur importante (symbolique, éthique, sociétale et thérapeutique) au sujet des autres affaires ?

DSS qualifie donc la possibilité de libération conditionnelle comme une loi rétrograde et inappropriée. Notons qu’il jugeait tout autant les poursuites contre Polanski ou DSK, inappropriées et par des esprits rétrogrades. Et bien moi je trouve plutôt humain qu’un condamné ait le droit de demander une libération conditionnelle, tout comme je trouve tout à fait normal que le terme conditionnel implique que les juges auront de très bonnes raisons pour refuser quelque chose de non automatique. Certes, l’accusé en l’occurrence est Dutroux, mais il ne faut pas juger les lois à l’aulne des personnes qui sont sous le feu momentané des projecteurs, ou sinon la peine de mort semblerait une issue absolument non rétrograde et parfaitement appropriée. Premier danger : s’emparer d’un cas pour disserter sur une dispositif de droit bénéficiant à tous. Si la libération de Dutroux est tout à fait inappropriée et l’on ne peut être que d’accord, la loi elle, ne l’est pas. Sans doute est-elle améliorable pour le droit des victimes. Mais avec le terme inapproprié et rétrograde c’est sur son principe même qu’elle est attaquée.

Finalement je crois comprendre ce qui m’a mis mal à l’aise dans tribune. Son auteur s’est illustré par de très nombreux articles défendant des faits qu’il appelait pudiquement « de mœurs » où il existe pourtant des qualificatifs initiaux de viols sur mineur droguée, défendant un homme se soustrayant à la justice. Considérant que 43 jours de prison était assez payé pour ces mêmes faits. Considérant également  que la justice des hommes ne valait rien face au génie et à l’art, trempant dans l’émotion dès que possible, voire le paranormal en citant des écrits religieux ! Amalgamant homosexualité et pédophilie pour relativiser les actes de son idole.

Ce même homme se voudrait intransigeant sur cette affaire. Pestant contre l’appareil judiciaire, une fois de plus, inapproprié.

Mais on a vu ce qu’était son idéal de justice. Ne nous l’a-t-il pas expliqué dans toutes ses tribunes ridicules de mauvaise foi  lors des affaires DSK et Polanski ? Est-il satisfaisant et honnête? Je ne le pense pas.

Alors est-il bien indiqué pour faire le chevalier blanc dans l’affaire Dutroux ? Chacun jugera.

Devant l’acharnement mis à être bienveillant avec quelques puissants sur des faits graves, je pense que l’auteur aurait gagné à taire son intransigeance et sa soif de justice dans  cette affaire.

Parce que moi cet historique là me fait vaguement l’impression d’une éloge de la justice de caste… il y a « les hommes dignes de ce nom »  et les autres…

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9 Commentaires
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ranta
ranta
18 février 2013 13 h 05 min

Schiffer, le naufrage de la philosophie. Honnêtment tu as franchement dû être irrité pour te fendre d’un article à son sujet mais rassure toi les non philosophes auquels j’apartiens avaient déjà repéré les gesticulations du coco.

Mais tu as raison aussi de tirer la sonnette d’alarme, la notoriété prend toujours le pas sur ce qu’est l’individu, DSS en a joué en toute connaissance de cause. Ainsi, si demain demain soir une chaîne TV diffuse un Polanski qui tiendra compte dec equ’ilest ey ce qu’il a fait ? Peu de personnes. Dans le même ordre d’idée tout individu sachant la chantritude (j’ai envie de la jouer Ségo today) de Tom Cruise quant à la scientologie devrait refuser de regarder ses films. L’ex de Johnny, Adeline, dans son droit réponse laisse comprendre qu’elle est passée à la casserole à 14 ans, le jojo vendra moins d’albums ?

ranta
ranta
18 février 2013 16 h 17 min
Reply to  Lapa

« C’est le genre « d’élite » qui vous ferait presque aimer le journalisme citoyen Une imposture de plus. »

Oh mais, il est en plein dedans aussi le journalisme citoyen :twisted:. La loi de l’imposture est donc respectée.

ranta
ranta
18 février 2013 13 h 06 min

Heu……… Bouzin sacré pourquoi que je suis en nindésirables ?

Ah, le bouzin est un admirateur de DSS 👿

ranta
ranta
18 février 2013 13 h 09 min

Schiffer, le naufrage de la philosophie. Honnêtment tu as franchement dû être irrité pour te fendre d’un article à son sujet mais rassure toi les non philosophes auquels j’apartiens avaient déjà repéré les gesticulations du coco.

Mais tu as raison aussi de tirer la sonnette d’alarme, la notoriété prend toujours le pas sur ce qu’est l’individu, DSS en a joué en toute connaissance de cause. Ainsi, si demain demain soir une chaîne TV diffuse un Polanski qui tiendra compte dec equ’ilest ey ce qu’il a fait ? Peu de personnes. Dans le même ordre d’idée tout individu sachant la chantritude (j’ai envie de la jouer Ségo today) de Tom Cruise quant à la scientologie devrait refuser de regarder ses films. L’ex de Johnny, Adeline, dans son droit réponse laisse comprendre qu’elle est passée à la casserole à 14 ans, le jojo vendra moins d’albums ?

Léon
Léon
18 février 2013 17 h 41 min

Salut Lapa. En général quand un mec est obsédé par ce genre de question, c’est qu’il est directement concerné. Et plus il est concerné, plus il est de mauvaise foi et délirant dans des arguments qui visent à le défendre lui-même et non ceux à qui il consacre l’article. Je ne serais pas étonné du tout que DSS ait une affaire de moeurs sur les bras, lui ou quelqu’un qui lui est proche.

Causette
Causette
19 février 2013 16 h 22 min
Reply to  Lapa

C’est vrai que comparer Polanski à Wilde, c’est grotesque.
De même qu’on ne peut pas comparer Dutroux qui a violé, séquestré et tué des fillettes et Polanski qui a violé une gamine après l’avoir soulée et droguée. Je suis un peu troublée par ce parallèle dans l’article, bien que dans le fond je suis d’accord avec Lapa.

Mais à la lecture de ces billets, n’est-on pas en droit d’être surpris que l’auteur considère la justice comme trop accablante quand elle cherche à faire connaître la vérité en demandant de pouvoir juger Polanski qui s’est soustrait à son procès et bien trop accommodante quand elle permet, via procédure, à un condamné d’user du droit de demander une libération conditionnelle ?

Je pense que les soutiens à Polanski défendent leur caste.
Dans des affaires de viols sur enfants, on a vu également que le milieu familial soutenait le violeur au lieu de soutenir et défendre l’enfant qui en est victime. Le cas du fils d’un politique célèbre victime de viol par son frère en est un exemple parmi bien d’autres. Et dans un milieu ouvrier ce genre de chose est également possible.