Le pape en Afrique- Xavier

Ces jours ci, il semblerait que pour tous les médias le sujet le plus important, le seul qui vaille comme si le sort du monde en dépendait, celui qu’il faut traiter en priorité, soit la démission d’un pape. Il est vrai que les paysans qui se suicident, les prolos qu’on fout à la porte, la tiers voire la quart-mondisation de la France, tout ça n’est pas bien grave et puis que voulez-vous ma bonne dame, faut pas effrayer le bourge. Parce que le bourge, lui, dans son pavillon de banlieue, tout ce qui l’intéresse c’est de regarder sa grande télé à la con de chez Darty. Bien calé avec bobonne dans son canapé en cuir de chez Conforama. Michel Druker qu’il regarde le dimanche après midi, il faut dire que le Michel c’est son rendez-vous culturel hebdomadaire. En semaine, quand il n’y a pas match, une série américaine fait l’affaire, à la rigueur française, la série, mais faut que le bon ou la bonne gagne à la fin. Faut pas déconner non plus, hein ! Les gosses ? Ben les gosses travaillent dans leurs chambres. Oui monsieur ! Ils travaillent sur leur ordinateur, même qu’ils utilisent facebook pour s’instruire, c’est dire !

Mais, mais, mais je m’égare là. Revenons à notre pape ou plutôt à l’un de ses prédécesseurs.

Début août 1978, à peine sorti de l’école, le brevet de lieutenant en poche, j’embarque à Abidjan pour un voyage de quatre mois. Comment je suis arrivé là ? Pas facile à dire, le hasard, la chance ? Sûrement les deux, il faut dire que ces places sont chères et n’y va pas qui veut. Il faut être choisi ou coopté. Le travail est dur, l’éloignement de tout pendant quatre mois difficile à supporter, mais le salaire, bien que basé uniquement sur un intéressement aux bénéfices, est plus que motivant, et les tropiques c’est quand même mieux que le mauvais temps permanent et les paquets de mer du Nord-écosse.

Ne connaissant personne susceptible de me pistonner, je n’avais jamais fait acte de candidature et je m’apprêtais à retourner en écosse à la sortie de l’école. Seulement voilà ! Après avoir été reçus à l’écrit de l’examen, les rescapés ont le droit de se présenter à l’oral. Hé oui, un vrai examen dis donc ! Et là, en « Techniques du navire », l’examinateur n’est autre que mon capitaine d’armement. La vache, il ne me fait aucun cadeau, tout y passe. Au bout d’une demi-heure d’un véritable interrogatoire, il devient tout à coup civilisé : « Je ne sais pas ce que tu penses faire après l’examen mais si ça t’intéresse je peux te proposer une place de second patron sur un de nos bateaux en écosse ». Je vous laisse imaginer par quels états je suis passé en quelques secondes, second patron à 21 ans ! Inimaginable, inespéré ! Je prends. « D’accord, tu embarques à la fin du mois de juillet.» Au poil, il me reste quinze jours à consacrer à ma jeune épouse avant de retourner à Biribi.

Une semaine plus tard, je reçois un télégramme : « Prière passer armement sans tarder », ben oui, à l’époque, les portables, le mail et tout ça n’existaient pas, dingue non ? Et le fixe en bakélite bof, pour quel usage ? Il faut dire qu’en ces temps reculés on ne passait pas son temps à s’appeler pour demander : « T’es où ? »

Donc me voilà dans les bureaux de la compagnie, je fais face au capitaine d’armement et à un bonhomme à l’air sévère. Il a l’air plus important dans la hiérarchie. Je saurai plus tard qu’il s’agit du directeur d’armement et que ce n’est pas vraiment un marrant. Le bonhomme à l’air sévère prend la parole : « Je sais que tu dois embarquer comme second à la fin du mois en Écosse, mais ça te dirait pas, plutôt, une place de lieutenant sur nos bateaux en Afrique ? » Ah, punaise, l’enfoiré ! Il me demande de revenir sur ma parole ! Ce jour-là, j’ai compris ce que voulait dire trahir parce que je l’ai fait. Mais, dans ma tête de jeune piaf, que pouvait bien peser la routine face à cette porte ouverte sur le monde, synonyme d’aventures lointaines et de découvertes ? Rien !

Seulement, on ne part pas en Afrique comme on prend le métro pour Barbès. Si les papiers d’identité ne posent pas de problèmes, le fascicule suffit, ces pays-là sont pleins de saloperies, bestioles et maladies en tout genre, toutes plus ou moins mortelles après les souffrances qui vont avec évidemment. Il faut donc se faire vacciner contre tous ces fléaux ambulants, sous peine de se faire refouler à l’arrivée au contrôle sanitaire. Pas l’air chouette d’avoir fait tout ce voyage pour des prunes et devoir rentrer à la maison pour une piqûre qui manque.

Donc rendez-vous chez le toubib de famille qui se fait un plaisir, le salaud, de me transpercer de part en part contre ceci ou cela et scarification de l’épaule parce que c’est comme ça qu’on fait. Reste la fièvre jaune, rien que ce nom ça vous fout la trouille, la fièvre jaune, on s’imagine agonisant dans les pires souffrances, loin des siens, et tout ça à cause d’un moustique à la con, à qui on a rien demandé en plus. Vite une piquouse ! L’avantage c’est qu’il est valable dix ans, ce vaccin, l’inconvénient c’est qu’il faut se rendre à l’hôpital des Armées. Deux cents bornes aller-retour, une bagatelle. Ah, zut ! Il faut respecter un délai de trois semaines entre la dernière injection du machin contre le truc et cette sacrée piqûre qui doit m’empêcher de connaître les affres du « vomito négro ». Je crois que c’est la première fois que je rencontre un militaire qui refuse de trouer la peau de quelqu’un mais son refus est catégorique, ferme et définitif. Il n’y a pas de mais qui tiennent.

Merde, mes rêves d’Afrique s’éloignent ! Et l’autre, le capitaine d’armement, il ne voudra jamais me reprendre comme second ! C’est la merde complète ! Pour couronner le tout, sur le parking de l’hôpital des Armées, j’ai fermé la bagnole à clé en laissant les clés à l’intérieur, si si c’est faisable. La panique totale ! Heureusement, les carrossiers sont habiles et savent réparer les conneries de l’abruti moyen.

A l’armement, ils ne sont pas plus gênés que ça. «Voilà ton billet d’avion et tes frais de route, tu feras ton vaccin de la fièvre jaune à l’institut Pasteur de Paris pendant le transfert entre Orly-ouest et Roissy, tu as largement le temps.» Ouf ! Je me pointe donc, le jour venu, chez Pasteur. Je me présente avec mon fascicule et, après avoir expliqué ma situation, je suis pris en charge immédiatement par de charmantes jeunes femmes qui m’extirpent de la file d’attente, ô joie !  On m’installe, la seringue est à un centimètre de mon bras lorsqu’une mégère se met à hurler comme une hystérique : « stop, stop, stoppe tout ! » Et merde, voilà que ça recommence ! Elle brandit mon carnet de vaccination international, elle a repéré le hors délai ! Vérifications faites, elles m’annoncent : «  On ne peut pas vous piquer mais on va vous faire un papier pour passer le contrôle sanitaire et vous ferez votre vaccin à Abidjan plus tard. » J’aime, définitivement, les femmes qui travaillent chez Pasteur à Paris !

Et dire que certains font profession de foi de rejeter une toute petite vaccination quand on la refuse à ceux qui la souhaitent ! petites natures, va ! Bon, en route pour Roissy – Charles de Gaulle, terminal 1. Je découvre, je m’amuse comme un gamin. Je monte au premier étage en empruntant l’escalator, c’est comment qu’on redescend ? Hop c’est par là, escalier automatique ! Deuxième, troisième, quatrième étage, le pied ! Cinquième ? zut ! Pas d’escalier automatique pour le chemin inverse, coincé que je suis. Il faut prendre un ascenseur normal mais pour y accéder passage obligé par les bureaux de la Douane ou de la Police de l’air et des frontières. Merde ! Je préfère éviter, donc retour au rez de chaussée par l’escalator montant mais à l’envers et quatre à quatre, ça fait du sport. Enfin j’embarque sur le vol Air Cacahuètes qui m’amène à Abidjan.

Mais le pape dans tout ça ? J’y viens.

Donc, j’arrive à l’aéroport d’Abidjan vers 06H00 du matin en ce début d’août 1978. Je passe les formalités de la Douane et de l’Immigration sans problèmes, bien que ce soit long à mon avis, quand mon attention est attirée par des cris. C’est un jeune sénégalais, fils de diplomate à ce qu’il hurle, qui se fait tabasser par des militaires. Pas de racisme là dedans bien sûr !

A 08H00, je me présente au capitaine et prend mon service une demi-heure plus tard. Je suis chargé de vérifier le bon déroulement des opérations commerciales du navire. Le quai est noir de monde, ça grouille littéralement, à bord ce n’est pas mieux. Impossible de savoir qui est qui et qui fait quoi. En plus, je suis incapable de les reconnaître, ils sont tous noirs et pour moi ils se ressemblent tous. Une chose me frappe quand même, ils sont tous dans l’affliction, leur douleur semble sincère : « le pape est mort, le pape est mort ! » En effet, le pape Paul VI a largué ses pattes quelques jours plus tôt mais ces manifestations de peine m’étonnent et je me dis que voilà un peuple bien croyant comme on n’en fait plus par chez nous. Mais bon, après tout, ça les regarde.

Deux jours plus tard, les opérations commerciales sont terminées, l’avitaillement pour deux mois est à bord, les soutes sont pleines et le capitaine muni de ses « expéditions », nous appareillons. Pendant ces deux jours l’intensité de la douleur exprimée par ces gens n’a pas faibli : « le pape est mort, le pape est mort ! »

Un mois et demi plus tard, fin septembre, après avoir sillonné l’Atlantique-est dans tous les sens, de Dakar à Sao-Tomé, de l’île d’Annobon jusqu’au large du Brésil, nous accostons de nouveau à Abidjan. Et là, chose incroyable, sur les quais la complainte continue : « le pape est mort, le pape est mort ! » Dingue d’être aussi croyant, non ? Les mecs ça fait deux mois qu’ils pleurent la mort du pape ? C’est pas croyable ça !

Heureux temps, où l’on naviguait en pères peinards, hors de portée des infos quotidiennes. A notre retour chez les terriens, nous ignorions tout simplement que Jean Paul I avait existé et qu’il avait été pape pendant 33  jours. Depuis, les choses ont bien changé à Abidjan et  je ne suis pas certain que ses habitants, aujourd’hui, regrettent autant la démission de Benoît XVI que les disparitions de Paul VI et Jean Paul I ont pu être regrettées par leurs pères. Les imams y font la loi maintenant.

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Léon
Léon
4 mars 2013 8 h 28 min

J’adore ! Encore, encore, Xavier ! Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, on estime à un tiers le nombre de chrétiens, nombre en progression, surtout dans le Sud. L’islam aussi progresse, ces deux religions faisant des adeptes aux dépens des religions traditionnelles, animistes notamment.
Moi qui ai connu ce pays dans les années 50-60, je confirme qu’à l’époque l’Afrique de l’Ouest était une région effrayante et pleine de dangers. J’ai eu de la chance et mes parents aussi, relativement. Ma mère a souffert durant de très longues années d’une amibiase que l’on ne pouvait quasiment pas soigner, mon père juste du paludisme et moi rien, mais c’est miraculeux. A cette époque-là, nous vivions à Daloa à 350 km de la capitale par une route en latérite (deux jours de 4×4 lorsque le temps le permettait). Pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de dentiste en dehors d’Abidjan, un seul médecin, blanc, qui avait eue des ennuis en métropole rapport à des histoires d’avortement et qui s’était réfugié là. Il s’était improvisé chirurgien et faisait aussi tout seul des recherches sur les antidotes aux venins des nombreux serpents que l’on trouvait sur place. Sa maison était un vrai zoo… Ils ne peuvent pas savoir, tous ces gens qui rêvent d’exotisme…

ranta
ranta
4 mars 2013 18 h 06 min

Salut Xavier.

J’adore ces histoires, les tranches de vie.

Heureusementque tu n’es pas supersticieux, tu aurais pu te dire « chaque fois que je prends la mer y’a un pape qui meurt » 😆

Sinon, celle là tu l’as fait exprès ?  » Le quai est noir de monde » Rhôôôôô ouasiste va !

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
4 mars 2013 22 h 47 min

Ahh..h Xavier faut que tu nous expliques.
Biribi je vois où ça nous conduit mais « Air Cacahuètes » ❓ ❓ je ne connais pas cette expression là. Etait-elle courante?

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
5 mars 2013 10 h 36 min
Reply to  Xavier

Oualà! Bonjour Xavier
je me doutais d’un truc dans ce genre là.
RK a conduit tout naturellement à Air Cahuettes.
Perso j’avais un souvenir bien plus ancien.Genre début des années 60
À la télé sur la chaine unique on voyait souvent un partisan passionné de De Gaulle: Le président malgache Tsirana. On aurait pu croire qu’il avait un appartement à l’Elysée tellement on le voyait souvent.
Bien sûr on le voyait souvent sur la chaine unique aux ordres.
À l’époque je ne savais pas encore combien il devait à la France pour son pouvoir et combien la France lui devait, elle aussi, pour des raisons peu avouables.Un brouillard épais épais continue à être entretenu aux sujets de massacres de 1947 et les magouilles politico économiques des années 70…Magouilles qui ont sans aucun doute servi de leçons à un certain Milton Friedman qui n’aura même pas inventé ce qui l’a rendu célèbre….
Mais ce n’est pas ça qui m’a amené à te poser ma question.
.
À à la télé donc nous voyions assez régulièrement Tsirana et ce jour là comme d’hab il passait à la télé. Il était très loquace et son élocution enjouée plaisait.
Il venait se plaindre de ce que les leaders africains n’avaient pas les moyens de mener une politique cohérente entre eux pour développer le continent ,se plaindre de ce qu’ils n’avaient même pas les moyens de se rencontrer entre eux sans passer par Paris.
Dans le cadre de la politique de développement et de concurrence des compagnies aériennes entre elles . La France n’étaient pas prête à laisser la TWA , la British Airways ou quiconque entamer ce qu’elle estimait être son pré carré.Alors on faisait donner les meilleures troupes et parmi elles le soldat d’élite au service de la France = Tsirana.
Avec tout ce qu’il pouvait avoir d’officiel et d’Africain et de par conséquent pas du tout téléguidé par Paris___ puisque on vous dit pas du tout___ Il venait réclamer la mise en place d’une compagnie aérienne africaine.
Pour ceux qui comme moi à l’époque n’en savions pas le premier mot, nous assistions il y a pile 52 ans ( j’ai vérifié) à la naissance de Air Cahuettes

Causette
Causette
5 mars 2013 14 h 38 min

Salut Xavier,

Moi aussi j’aime beaucoup ces histoires.

Le pape est mort! Vive l’imam :mrgreen:
Discours de paix, discours soporifique ➡ frère Tariq… à Abidjan en septembre 2011
Comme disait un Ivoirien
: « … lorsqu’ils n’ont pas réussi à t’exterminer et que tu es avertis de ce qui se passe au Soudan, en Somalie et ailleurs en Afrique, ces imams commencent à te raconter des discours d’endormissement, une image islamique de paix. Ils te servent leur somnifère et de toutes façons ils reviendront encore et encore à la charge…« 

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
5 mars 2013 15 h 03 min

Une question …ou plutôt une demande d’autorisation.
M’autorisez vous à partir dans les plus folles spéculations? Du genre encore plus fou que les pronostics du genre connu : ils en sont capables donc ils l’ont fait
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On rencontre les Islamiens , des islamiens du genre inscrit dans un réseau hyper activiste ; sur une zone Somalie ➡ Cameroun.
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On pourrait penser à une hypothèse toute simple de la simple proximité avec une Afrique de Rabat au Caire.Ce qui est vraiment simple.
Mais si on pense aux ennuis que provoquent certains trouble-fêtes islamiens Ouïghours, on se retrouve dans une autre dimension: celle très exacte des intérêts chinois , celle de la protection par la Chine de ses ressources en matières premières stratégiques et autres métaux rares. Alors…si on accepte de considérer le jeu mondial , on peut placer côte à côte une explication du jeu français au Sahel et celle habituelle pour moi du jeu des USA de faire obstacle par tous les moyens à ses concurrents .
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On en revient à un de mes dadas toujours répétés.
L’islamisme n’est qu’un agent des intérêts stratégiques américains, quitte lui faire jouer le rôle du perdant si il ne se tient pas dans le cadre strict qu’on lui a fixé à Washington.
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Bien sûr tout cela n’est que de la spéculation.De la pure spéculation rien de plus.