Le caporal toussait. La poussière obstruait ses yeux, son nez , sa bouche. Un épais brouillard ocre l’entourait ; ses oreilles avides de sons ne captaient qu’un chuintement
Garnier ? Chef ! Quelqu’un ?
Sa bouche cherchait à articuler ces sons mais son cerveau ne lui renvoyait pas la confirmation qu’il les prononçait. Ses oreilles bourdonnaient, on aurait dit le bruit d’une immense cataracte, aucun son ne venant confirmer une autre présence. Il chancelait dans ce qui avait été le couloir d’accès
Là où « le gros », le sergent, qui rechignait tant à leur signer les perms, s’était installé dés le premier jour, cherchant la fraicheur et la distance d’avec les offs. Z’étaient si certains d’eux et si remplis de leur « mission », mot qu’ils répétaient plusieurs fois par jour, si heureux d’être d’une génération d’officiers qui enfin repartait en Opex .Du bureau, butin d’un raid chez les opulents Marines US, il ne restait rien. Le caporal distinguait une vague forme mais se refusait encore à aller voir de près cette manche galonnée. À qui était-elle ?
Son cerveau tournait en boucle. Appuyé contre le restant de mur, ses jambes tremblantes se dérobaient sous lui. Il s’efforçait de ne penser qu’a lui. Ses mains douloureuses lui arrachèrent un presque sourire elles étaient la ! Intactes ! Quelques coupures. La mort hurlante effrayante aussi rapide qu’un clignement d’œil l’avait épargné, lui…Et toujours ses lèvres s’essayaient à prononcer « Garnier » ? « Chef ? »
Pourtant, ils étaient six quelques minutes plus tôt mais le caporal peinait maintenant à mettre un nom et un visage sur les 3 autres dont il partageait la vie depuis 6 mois .Il leva les yeux, rien ne subsistait des huit étages de l’immeuble. Le poste de tir fr1 ! Une voix lui répétait en boucle tu es affecté au poste de tir frf1 comme pour lui dire :
« Tu viens de là ! »
« Tu es ici ! » « Tu allais où ? »
Mais rien … rien …pourquoi…comment … au moment du grondement sourd ? Pourquoi quand l’immeuble avait vacillé se trouvait-il là? Près du bureau du Gros ?
Déjà, provenant de l’extérieur du brouillard, des ombres s’agitaient. Un halo de lumière passa rapidement sur lui. Etait-il devenu invisible, sans intérêt ? L’homme casqué portant la lampe l’évita se dirigeant droit vers la forme allongée sous le bureau.
Forçant ses jambes presque à quatre pattes le caporal avançait, si lentement, vers le jour. Il aurait voulu courir mais son corps s’y refusait .Sortir… sortir… obsédante, cette injonction s’imposait comme si, derrière lui, la bête pouvait ressurgir. Il devinait plus qu’il ne le sentait son souffle chaud : cette odeur soufrée, cette odeur de mort.
Voila ! Tout à coup il mit un nom sur l’événement
Explosion !
Alors la peur s’intensifia. La veille il était de la corvée qui avait stocké les munitions au sous sol. Il en reste ? Sortir devint vital ! Il heurta une épaule s’y accrocha nul besoin de s’avoir à qui elle appartenait comme lui elle voulait sortir, évacuer la gueule morbide et béante qui s’appelait le poste ! Puis, ce fut le jour, l’aveuglante lumière et brusquement le son revint. Des hurlements, des gémissements, au loin des sirènes approchant. Seule chose rassurante dans ce brouhaha : les ordres aboyés par l’adjudant.
« Ne couvrez pas les corps avec n’importe quoi ! Bordel trouvez des ponchos ! » Cette demande si dérisoire redonnait forme humaine à ce désastre, cette volonté de décence : l’adjudant se refusait à voir des formes anonymes :LUI ! Ses soldats devaient être recouverts réglementairement, dernière manifestation d’appartenance et d’identité. Plus loin un type béret rouge sur le crane s’accroupissait tenant et caressant un bras tendu vers le jour. Le reste du corps secoué de spasmes gisait sous des gravats. Ces gestes d’humanité codifiés rassuraient le caporal mais son regard refusait de se tourner vers l’immeuble à terre.
Ne pas voir, retarder au plus loin le moment de se tourner vers la gueule béante qui venait d’engloutir la compagnie. Son pied heurta les restes d’un panneau d’isorel ; l’artiste de la 2é section avait peint en lettres déliées : 1 RCP 3e Cie poste DRAKKAR.
Le caporal s’assit à coté, rien ne pouvait plus l’atteindre, Il était sortit, déjà la vie reprenait, des ordres lui arrivaient, des consignes à diffuser, l’arrivée des secours à dispatcher, t’es pas blessé ? t’a rien ? ALORS BOUGE-TOI ! Ya du boulot ! Avec gratitude son cerveau acceptait les activités, les cas à résoudre. Identifier les corps récupérer le matos, secouer les lambins, vite, vite, remplir son crane d’injonctions, d’ordres. Plus tard ! Plus tard les questions.
Plus tard viendrait l’évidence, la fugacité des choses, la futilité des discours et avec l’effacement des lambeaux de ses rêves et de son enfance, la certitude que nul n’est Immortel et que « seuls les morts ont vus la fin des guerres ! » Le caporal n’est jamais retourné au Liban, la vie l’a englouti.
Avec le temps, seul, de loin en loin, le souvenir entretient la permanence des explosions, là bas. Elles font ressurgir ce sentiment d’inachevé, de dérisoire. La peur imprégnée jusqu’aux os git maintenant au fond d’une boite parmi les photos jaunies, un ou deux rubans avec breloques dorées.
Une autre vie
Asinus : ne varietur
Lectures :10273
Hit the road, Jack, don’t you come back no more, no more, no more.
Ce genre de texte, parce qu’il entre dans une réalité vécue et non romantique de la guerre me fait toujours froid dans le dos. Félicitations à Asinus.
asinus vous êtes comme une jeune tige comprimée de séve qui ne demande qu’a créer un bouquet de mille fleurs…c’est le printemps de vos ecris !et moi perso j’attend la fleuraison !
Bonsoir à toi, vieux hussard, c’est simplement bouleversant …
Il faut rappeler que 58 y sont restés sans parler des estropiés, victimes des fanatiques du hezb sur commandite des têtes de choux iraniennes avec l’appui logistique du père de celui qui massacre aujourd’hui son peuple en Syrie toujours avec l’aide du hezb ….
Jamais vengés, Mitterrand ayant pris grand soin que nos Etendards bombardent un camp vide, sauf par les israeliens quand ils ont piégé l’appuie-tête d’Imad Moughnieh
Nous sommes quelques uns à ne pas avoir oublié. Merci à toi …
Grace à Snoopy, en dehors de la qualité du texte d’Asinus, cela m’a permis de connaître cette histoire de l’attentat du Drakkar dont j’ignorais tout.
Superbe Amigo 😉
J’ai longtemps reçu par mes profs dans une sorte de package fusion le terme de kamikaze associé à celui arriération, archaïsme , psychopathie.
Il s’agissait de faire comprendre en quoi et combien la société japonaise sous un raffinement de surface pouvait contenir d’archaïsmes barbares et primitifs.
Il y a 30 ans le concept était encore intact et reproduisait quasiment tel quel la condamnation du terrorisme par Lénine.
– Isolation par rapport aux masses
– Inefficacité politique voire service rendu à l’ennemi
– Les masses se retrouvant première victime du terrorisme
.
Il aura fallu l’apparition des Jobastres Quantiques pour transformer ces criminels en hérauts du combat émancipateur.Certains affirment qu’ils y voient les fondateurs de la nouvelle démocratie …Nous verrons bientôt ces Maoistes d’un nouveau genre, des Serge Jully et des marie Antoinette Macciocchi du 3è millénaire prendre la route de la Mecque pour y apprendre la Révolution .
Couvert des guenilles de la Religion le terrorisme trouve grâce à leurs yeux.
Les athées quantiques sont sinistres quand ils ne sont pas comiques
Rien à rajouter à ce commentaire…Sauf plus de colère encore
La guerre n’est pas soluble dans la démocratie républicaine… La guerre, c’est la loi du talion, elle ne peut pas respecter les « droits de l’homme » par principe, sinon elle perd.
Les responsables républicains de la guerre tentent, à la marge, de ne pas se couvrir de honte, de permettre aux soldats de conserver l’estime d’eux-mêmes face au combat sanglant et aux victimes civiles, d’afficher une mission, valorisée : le service, le sacrifice, l’honneur, la patrie, les femmes et les enfants…
Mais, en réalité, face à des ennemis déterminés, kamikazes, terroristes ou combattants fondus dans la population, la guerre républicaine, morale, respectueuse des droits de la personne, est injouable (= ingagnable).
C’est effrayant. J’avais écouté des témoignages de victimes d’attentats et certains parlaient de cette absence de sons. Voici un texte qui bouleverse, salut Asinus. Et merci à Snoopy pour les précisions.
Bonjour
En septembre 2004, un certain Semith Vaner écrivait dans Libération:
Le terrorisme « islamique » n’existe pas.
– plus loin:
La peur et la haine de l’islam occupent de plus en plus l’espace en Europe et singulièrement en France. Il faudrait s’interroger sur les motifs qui sous-tendent ces ressentiments, souvent fruit de méconnaissance ou d’ignorance. En attendant que les responsables européens et français se chargent, dans une certaine urgence, de l’éducation en matière de la religion, singulièrement de l’islam, il s’agit avant tout d’abandonner une fois pour toutes la vision culturaliste selon laquelle l’islam serait intrinsèquement incompatible avec les droits de l’homme et de la femme, la démocratie, la sécularisation, etc., qu’il serait naturellement porté à la violence ; et comprendre et interpréter le monde musulman et les problèmes qui se posent pour lui, dans leur diversité, dans leur complexité. Les sociétés musulmanes sont soumises dans leur grande majorité à la domination des intérêts occidentaux, et leurs régimes autoritaires bornés continuent à les maintenir dans une situation subalterne. Il faut cesser de parler d’« islamo-terrorisme », de « terrorisme islamique ».
Semih Vaner, était directeur de recherches au Ceri et professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris.
– C’est le genre de propagande qui confortent nos athées quantiques!
Merci Asinus pour ce témoignage !
Tu es là pour y penser et à l’occasion pour en parler de belle façon.
Malgré nos efforts il nous est difficile d’imaginer comment on vit après, avec ces souvenirs.
Salut Asinus ..
et merci pour la mémoire de ces petits gars, héros oubliés, exerçant un métier difficile et souvent incompris.
j’ai connu quelques rescapés et témoins de cet innommable attentat.
quand je pense que chez nous,des gens applaudissaient à ce massacre!
on les connait,girouettes et vils tourneurs de veste , sinistres pantins ridicules même aux yeux des pires fanatiques qu’ils sont sensés supporter !
Excellente idée que d’avoir donné une nouvelle vie à ce texte.
Il est des lectures qui rendent humble, celle-ci est de ce nombre !