De l’incertitude 2.0

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Copie d’un article trouvé par Léon

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De l’incertitude 2.0

23 octobre 2014lannoy29

Préambule

Ce billet est incertain. Produit d’un trouble. Autant que d’une sensation étrange qui semble s’affirmer au fil du temps et des hésitations.
Ces mots sont aussi le reflet d’une profonde inquiétude. Sans certitude ni postulat de départ. A l’arrivée un billet bien incertain qui pourrait en rendre plus d’un chagrin.

Une image pour commencer. Elle sera certainement plus parlante que toute démonstration.

Le TO8, totem d’un temps révolu? Pas au rectorat visiblement.

Ce cliché date de mardi dernier (21 octobre 2014). Oui, photographie de cette année. Elle rassemble le trouble qui agite ma modeste personne. Autant qu’elle est la synthèse de ce que certains de mes amis ont écrit récemment. Notamment François ou Bruno.
Ce cliché illustre à merveille :

l’illusion technologique
l’inertie de notre système éducatif

l’échec d’un évangélisme digital

Et pose cruellement la question du conservatisme.

Examinons chacun de ces points.

L’illusion technologique

Pas plus tard qu’hier, lors de la visite du Learning Center La halle aux sucres (à Dunkerque) j’entendais à plusieurs reprises  « le numérique est un acteur majeur… ». Je suis resté courtois. Point de parole coupée ni de prise de judo oratoire. Je n’étais qu’un bien modeste hôte.
Mais voilà bien une vision tout à fait indigeste témoignant de cette fascination pour la technologie que je ne peux plus supporter. A tel point que toute injonction pour une école numérique en vient à me donner de l’urticaire.

Cette fascination pour la technologie, et notamment les outils numériques, tétanise. Elle focalise la pensée sur l’extrémité et non pas sur le point d’origine, celui qui manie l’outil. Elle polarise les énergies vidant le moteur de tout son fuel. Elle sacrifie celui qui agit au profit de l’outil que l’on vénère.

Sacralisation de l’appareil aux dépends de la conscience. Voilà un bien triste retournement : les next big things sont attendues comme des messis, la messe étant dite visiblement pour l’apprenant ou l’enseignant. Quand la religion de l’outil multiplie les totems, la chair n’est plus très chère : on en vendrait son âme pour le dernier iPhone.

Serait-ce les propos d’un apostat du digital?
Je garde encore un souvenir amer d’une dispute numérique passée IRL il y a maintenant quatre ans déjà. Je voyais le sens de l’un de mes billets – traitant de l’impact de l’iPad (la première version) sur ma manière de travailler – aller dans une direction contraire à celle envisagée. Dans ce billet, il n’était nullement question de révolution. Mais c’est bien ce mot qui lui fut accolé. Ma colère me valut alors une certaine forme de distance avec certains de mes contacts sur Twitter. Ce n’était qu’un mot, oui. Mais tellement connoté que j’eu alors bien du mal à le reprendre à mon compte, mais dans son acceptation étymologique, c’est à dire un retour à une position initiale.
Je persiste et signe à ce sujet : les outils numériques sont, à mon humble avis, une opportunité pour revitaliser des pratiques pédagogiques anciennes, mais ô combien pertinentes, comme la déambulation ou les approches de Freinet.

Illusion donc. Illusion de croire que l’objet puisse être performatif par lui-même. « Distribuons des TBI et des tablettes, et vous verrez, plus rien ne sera comme avant! » Mais c’est justement l’inverse qui se produit!

L’inertie de notre système éducatif

Notre institution fonctionne par plan. C’est dans ses gènes. Son ADN contient cette logique massive de la distribution de matériel, tombé du ciel, qui s’impose du jour au lendemain dans les salles de classe. Logique aux antipodes de celle de projet. Cette volonté commune qui tient de la roadmap : on a un alpha, un omega et des étapes à franchir. En somme, le plan est à la réflexion ce que Lara Fabian est à la chanson. On crie fort pour s’imposer. Sans nuances et sans considérations pour l’assistance.

Les racines de ce fonctionnement sont anciennes. Et je n’ai pas la prétention d’en faire un historique et une analyse critique. Mais quelques mots néanmoins. Dans sa mécanique, l’Education Nationale est organisée pour un flux top / down. Et en dépit des discours et autres prises de position pour promouvoir des actions locales, rien ne prédispose notre institution à accepter les reflux de la base vers le sommet. En somme, aucun cercle vertueux ne peut se mettre en place. En matière géométrique, le triangle est la norme. Le cercle est juste bon pour les groupuscules snifant de l’horizontalité ou du collaboratif (drogues pourtant reconnues d’utilité publique).

Ainsi, aucune force n’est plus vive que celle de la gravité. A l’inertie supposée du Mammouth, songeons davantage à sa gravité. Plaquant au sol ; attirant en son sein tout astre se voulant autonome (pour le carboniser ensuite lors de la traversée atmosphérique)… C’est bien sous le poids de milliers d’appareils distribués que l’anaérobie s’installe. Et ce ne sont pas les péroraisons qui feront décoller les usages ni se multiplier les anges de la pédagogie.

L’échec de l’évangélisme digital

Les différents plans informatiques depuis 30 ans n’auront pas consacré la fin d’un système éducatif élitiste reposant sur un substrat profondément normalisateur. Bien au contraire. Sous des apparences de modernité (un mot valise qui sert surtout à cacher les cadavres), ces plans n’auront fait que cristalliser. Du plan à l’Evangile, le glissement est rapide, surtout dans un contexte cultuel techno-centré où les prêtres sont d’abord les profs de techno (pourquoi diable laisser ces humanistes archaïques s’emparer de pareil sujet?).

L’évangélisation digitale menée par notre institution n’aura réussi qu’en un seul domaine : renforcer la parole des réfractaires qui sont brillants pour jeter le bébé avec l’eau du bain. Autrement dit, en dénonçant le numérique, la pédagogie est mise au pilori (ah cette fameuse expression pedagogo). L’aveuglement institutionnel est terre nourricière pour les néos.

L’Etat fait un bien mauvais pèlerin. Les routes du monde numérique peuvent être pavées des meilleures intentions (combler le fameux retard français…). Mais ce n’est pas la route qui compte : regardons les chemins de traverse et les sentiers. Sortons du fossé ceux qui se sont sentis incompris, incompétents ou inaudibles!

Enseignants innovants et CDR

J’ai toujours refusé de me voir comme innovant. Mes articles et autres tweets en témoignent. Comme j’ai toujours refusé de me rendre au forum des enseignants innovants. Outre le fait que je ne voulais pas être perçu comme un VRP (ce danger me guettant suffisamment avec mes certifications Apple), rien ne semblait justifier que je puisse me revendiquer comme innovant. Qu’aurais-je donc apporté à la pédagogie? Qu’aurais-je créé qui n’existait pas auparavant? RIEN. Je me suis toujours appuyé sur des travaux antérieurs. Sur des épaules de géants.

Loin de moi l’idée de nier la grande intelligence de mes collègues qualifiés d’innovants. Je confesse même adorer certains d’entre eux. Je pense notamment à François Jourde. Mais ces brillants enseignants créent un véritable champ de distorsion de la réalité.

Depuis trois ans, j’ai eu la chance de rencontrer de nombreuses équipes enseignantes. Certaines que j’ai pu suivre d’ailleurs sur plusieurs années. Ces échanges m’ont conforté sur une chose : le numérique n’est que vernis. Le digital s’impose le plus souvent sur une surface rarement compatible. Comme si l’on s’évertuait à construire des tours sur des sols marécageux. Là où on impose du numérique, c’est de la pédagogie qu’il faut prodiguer.

Conserver / progresser

Argument en apparence imparable : le numérique est un progrès. Ces outils vont faire progresser vos élèves. Vous allez gagner un temps précieux en classe. blablabla…
Cet argument du progrès est plutôt un bel exemple de conservatisme : on le ressort du formol régulièrement. Autant pour justifier la colonisation d’un continent que pour creuser en plein Alaska pour trouver du pétrole.

Or, le numérique ne peut être un progrès que si l’on s’entend sur ce qui doit être conservé (et pourquoi) et sur ce qui doit être revu. Car si les MOOC sont un progrès par exemple, c’est d’abord le progrès du magistral. Car si les tablettes sont un progrès, c’est d’abord le progrès économique des sociétés qui les ont créées.

Conclusion

Evitons donc deux pièges. Celui du fraîchement digital-converti qui évangélise en excluant et dénonçant toute pensée contradictoire (aussitôt taxée d’hérésie). Et celui du révisionniste qui réécrit l’histoire en rejetant les échecs de l’école sur le numérique (procédé commode qui évite de se poser les bonnes questions).
Le numérique n’est qu’un ensemble d’outils. Sans doute au potentiel gigantesque. Mais rien de plus néanmoins que des outils. Plus que jamais, la pédagogie doit redevenir la priorité. Les arts de la transmission, du dialogue et de la construction intellectuelle sont peut être magnifiés par le numérique. Mais encore faut-il qu’ils soient vivants pour l’être. Et pour cela,  il ne faut cesser d’encourager les enseignants à d’abord épouser leur rôle : celui d’accompagnateur et de conseiller afin d’aider l’élève à grandir. L’intendance numérique suivra.

PS : Que ce billet soit aussi une ode à Anne Andrist. Merci pour sa relecture et ses conseils toujours judicieux.

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3 Commentaires
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Léon
Léon
27 octobre 2014 12 h 01 min

Quand je pense que l’EN n’a même pas été foutue de régler le problème de l’usage des calculatrices…

Lapa
Administrateur
Lapa
27 octobre 2014 13 h 43 min

il semblerait que tous ces plans numériques en masse soient une espèce d’incantation pour conjurer la technophobie de l’EN. leur utilité réelle est en soit sans importance puisque l’essentiel c’est de communiquer qu’on fait quelque chose de non catalogué comme ringard.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
27 octobre 2014 18 h 59 min

Je me rappelle avoir suivi des stages de diapositives sonorisées puis plus tard des stages de caméscope….Les deux bien sûr devant définitivement régler le problème de l’échec scolaire, celui de l’absentéisme , celui du racket , et du redoublement….
On nous refit exactement la même propagande pour les ordinateurs…
La seule réelle avancée fut l’outil indispensable pour un prof qui ne pouvait plus écrire à la main…( arthrose )
Ce qui me permit de refaire tous mes cours 10 ans avant la retraite à une heure où tous mes collègues sortaient leurs vieilles préparations.