Traces de farine

globule.
C’était pareil à chaque fois, enfin,… comme à l’autre fois. Ils étaient là et il ne les avait pas entendus venir. Alignés au pied du lit, en éventail de la porte de la chambre contigüe à la grande glace de l’armoire. Comme Globule s’était réveillé instantanément, il ne pouvait pas savoir si c’était à cause d’eux.
Il se réveillait toujours ainsi.
En un instant, du profond de sa fièvre à la plus éveillée des consciences. Il ne s’en étonnait pas, sa chute dans le sommeil prenait toujours l’exact chemin inverse. En un instant il passait de l’un à l’autre.
Que faisaient-ils là, couverts de sueur avec leurs bérets à la main et leurs chapeaux de paille ?
Enfin, mais oui…c’est bien sûr!
J’ai encore saigné du nez et, comme l’autre fois, je me retrouve dans le lit des parents, et, comme à toutes les fois, le village le sait et ils sont là, presque tous, avec leur regard différent….
Ils se retiennent et ça se voit. Quand je tombe d’un arbre ou de l’échelle ils m’engueulent, et…mais pas  là !…
Ils ne m’aiment pas, ne peuvent pas me voir, je le sais. Ils n’aiment pas mes parents non plus ; tout petit je le sais. Nous ne sommes pas paysans, pas vignerons et nous n’en recevons que du mépris. Dans le village je cours torse nu l’été et les vieilles tancent ma mère : « tu va lui brûler les poumons » ! Ma langue bien pendue et le métier d’artisan de mon père – nous ne sommes pas comme eux. Quelle prétention ! Quelle faute!
Alors que font-ils là sinon se réjouir, déguisés dans une compassion qui leur va mal comme des habits empruntés ? Leur silence inhabituel scandé par des hochements de tête, des mines, des poses, des dos voûtés comme à la messe. C’est la bavarde qui leur sauve la mise. Je ne me rappelle plus ce qu’elle disait mais…
Avoir le sentiment à moins de quatre ans que sa propre mère cause tout le temps, pour causer, qu’elle ne dit rien, sauf parler toujours sans jamais s’arrêter…
Avoir le sentiment que ce saignement de nez se répète, venu de si loin, jusque dans les racines cachées de la mémoire effacée du tout petit Globule comme dit Papa. Avoir la conviction d’une sourde rancœur de la part de sa propre mère, drôle de bagage pour une vie en partance… Un enfant trop maigre, tellement maigre que l’ado puis l’adulte garderait plus tard ce grignotage compulsif pour lui plaire enfin. Cet enfant toujours malade aux fièvres foudroyantes qui le faisaient délirer tout haut, même éveillé parfois. Cet enfant-nourrisson dont le médecin avait eu la riche idée de réconforter les parents en leur disant :
« Vous êtes jeune, vous en aurez d’autres ».
Bien sûr, dès qu’il avait su parler, il avait su l’entendre.
Dans les champs, à table, en famille, seul sur son vélo, au moindre choc ou simplement par temps chaud en dormant la nuit, il saignait du nez. Il saignait sans s’arrêter. Et chacun y allait de sa recette et de son truc :
la clef dans le dos,
le linge humide sur le front,
couché sur le dos,
un bras en l’air.
Mon père, sans conviction, bondissait jusqu’à son atelier et ramenait ce qu’il avait de plus froid et métallique, on me sortait du lit, me portait dans l’escalier de bois pour me coucher sur le carrelage de la cuisine.
Quand je gargouillais, le sang inondant ma gorge, mon père se décidait à employer les grands moyens. Je saignais depuis plus d’une heure.
On aurait pu lui dire : « mais enfin pourquoi attendre autant ? »
Il n’osait pas, sachant que cette ultime défense, si elle échouait, me laisserait complètement démuni. Alors, il retardait tant qu’il pouvait, pour garder l’espoir. L’idée de me perdre les a habités si longtemps.
Papa parlait bien peu de sa jeunesse. Il aurait voulu être marin, partir à l’étranger, au Canada, en Allemagne. Reine l’avait cloué au sol par un mariage balayant ses velléités. Il prétendait avoir fait de la boxe. De cette époque il avait ramené l’usage de l’hémostatique. J’ai dû garder de cette époque les narines dilatées à force de cotons imbibés que l’on m’y enfonçait. Le sang coulant toujours, il refluait dans ma gorge et je toussais en faisant de grosses bulles. Plein de dévouement et d’invention, une seule solution : au lieu de seulement tremper le coton dans l’hémostatique mon père cassait une autre ampoule et me la faisait boire.
J’aimais bien ce moment-là car il s’occupait de moi.
C’était bon l’hémostatique
Comme ma tête bourdonnait, je n’entendais plus Reine. Je savais que c’était le seul moyen. Le saignement se prolongeant, épuisé, je m’endormais peu à peu… Le sang continuant à sourdre de mes narines. Et là, je les quittais, les laissant à leur angoisse. Mon père retournait à son établi et elle…
Reine avait toujours un truc ou un machin à faire chez les voisins .Elle causait si bien qu’elle les ramenait avec elle comme à un office dont elle jouait les grands prêtres. Elle s’y gonflait d’importance et conjurait pour un temps son dépit de n’avoir donné naissance qu’à ce « moitié crevé ».
Le lit de mes parents, mes petits vêtements d’enfant, les bureaux d’école, le papier des cahiers, tout dans mon souvenir est maculé de rouge. Les « Oh ! Tu saignes encore… » Souvent accentués par des « Je t’avais dit de ne pas rester au soleil » exaspérés… Encore plus exaspérés quand ils étaient remplacés par les « Tu as encore saigné au lit ! »Il en naquit pourtant des instants de grâce
Il arrivait souvent,.. enfin, assez souvent, je ne le compris que bien plus tard, selon l’heure du déclenchement de la crise, que ma mère apparaisse à mon réveil les mains et le tablier portant des traces de farine. Longtemps je crus qu’une faute inconnue provoquait l’absence des traces de farine. La culpabilité m’emportait alors dans son abîme, au fond du lit au fond de la chambre, avec le sommeil comme seul refuge.
Mais quand la farine était là !
Le rituel magique se déroulait toujours pareil : on me couvrait chaudement, la brusquerie habituelle laissait la place aux enveloppements attentifs et doux. Et, magie, elle me prenait dans ses bras, me portait jusqu’au coin de la cheminée et là…
Et là ça commençait : la farine, le beurre, les œufs elle roulait. Elle roulait la pâte sans se presser, elle roulait lentement car elle connaissait mon plaisir assez bizarre d’enfant. Des dents cariées m’empêchaient de savourer la tarte cuite. Ce que j’aimais c’était dérober des lichettes de pâte fraîche. Partage des tâches avec mon petit frère : à lui la tarte, à moi la pâte.
Et ça durait, je ne m’en lassais pas. Elle roulait, le four de la cuisinière chauffait, la cheminée flambait, et le vent dehors…Et là elle se lançait : elle chantait. Pendant tout ce temps elle chantait. Qui n’a pas entendu chanter ma mère faisant des gâteaux ne sait pas ce qu’est la musique. Les roses blanches bien sûr, froufrou ♫ par son jupon la femme♪.
« Dis, c’est quoi un jupon ? » « ♫De l’homme trouble l’âme !!!???♫
Les Ave Maria, celui de Schubert et l’autre, de Gounod. Oh ! Gounod, dans cette sombre salle éclairée par l’unique ampoule et les reflets des flammes… Elle s’en allait ailleurs et m’emmenait dans ma fièvre, là bas, loin avec elle.Entré en maternelle, les fréquentes visites du médecin n’y pouvant rien, il fallut se résoudre à aller à la l’hôpital de Bordeaux. On m’y brula les varices du nez. Souvenir d’une grande douleur ravivé par l’expérience renouvelée dix ans plus tard.
Tous les enfants ont un refuge quand leurs parents excédés ont épuisé leur réserve de tendresse. Pourtant je n’ai pas le souvenir d’un seul câlin sur les genoux de Madie  ma grand-mère maternelle. Elle ne vivait pas très loin de chez nous, mais alors que mes cousines y passaient de longues et fréquentes périodes, mon frère et moi n’y allions pas ou juste de très courts passages pour la saluer…Son visage, âgé à mes yeux, n’avait pas cet air si bon des vieilles gens quand elles regardent un enfant. J’ai gardé le souvenir d’une grande froideur. Elle était, m’avait-on dit, employant des mots que je ne connaissais pas, veuve de mon grand père puis divorcée d’un autre vieil homme. Je n’en avais connu aucun. Elle aurait pu venir souvent nous voir ou même vivre dans notre grande maison comme les grands-mères de mes copains. Il n’en fut jamais question. Chez mes cousins, pourtant, je la voyais souvent. Elle semblait s’entendre mieux avec sa fille ainée, ma tante Annie.
Les petits enfants sont-ils tous aussi attentifs, comme ça, sans en avoir l’air ? Savaient-ils que j’écoutais ? Que j’entende toutes ces histoires leur était-il indifférent ?
J’appris des bribes de la vie d’un grand père revenu malade de la guerre.
« Quelle guerre maman ? »
— Tu m’énerves !
Cette guerre de katorz avait donc eu lieu, avant celle qui avait suivi et dont mes parents parlaient toujours à la maison. « Dis maman, mon autre grand père il l’a faite aussi la guerre de kratorz? » La baffe tombait et je saignais du nez…J’appris très vite à ne pas parler de l’autre grand mère en présence de la première et renonçai à questionner les dites grand-mères sur leur mari. Mes propres parents étaient comme « entrainés » à ne jamais parler de leurs papas. J’eus beaucoup de peine à en faire autant? On aurait dit qu’ils n’avaient jamais existé. Mon imagination débordante ne leur reprocha donc jamais rien. Ils ne peuplèrent même pas mon réservoir d’histoires inventées ; ils disparurent peu à peu sans que personne ne vienne graver leur souvenir dans ma mémoire. Ils étaient morts. Morts avant moi, morts deux fois, mort de pour en vrai et de pour même pas inventé  dans ma tête.Des années, des siècles,  plus tard, c’est à mon crépuscule que la lumière se fit. Elle me surprit.
Pas de trouvaille géniale, non, la simple juxtaposition des mots entendus ici, là  ou ailleurs, ceux des témoins encore vivants, les mots des étrangers, confrontés aux souvenirs d’un enfant à la sauce de sa vie d’adulte. Cette incroyable ratatouille de la mémoire, mélangeant les souvenirs des autres aux siens, chauffée au coin du feu toujours brûlant de la rancœur.
La rancœur, ce legs de la bavarde.
Elle m’habita longtemps, malgré moi dans les premiers temps, puis vinrent la complaisance et ses délices. Les échéances se jouant un peu de moi, un sentiment d’urgence m’envahit peu à peu. Par accès incontrôlés je retournais m’y abreuver d’ivresses amères. Se raconter les choses, savoir, comprendre.
Le petit Globule n’avait pas eu à vieillir pour sentir qu’il n’était pas seul. Depuis tout petit il se sentait inscrit dans une liste que ces interrogations peuplaient de noms et d’évènements jusqu’aux profondeurs des souvenirs des voix éteintes. Très vite il sut qu’il avait eu deux grands-pères. Et dans ce monde sans télé, sans radio, ce monde disparu où on parlait aux enfants, ces grands pères morts n’étaient pas invités à table, interdits de récits. De la chaleur de leurs genoux, du piquant de leur barbe je ne sus jamais rien, mais impuissant je voyais s’évanouir le sable de leur souvenir, sans la digue d’un « je me rappelle mon père disait » ou un « mon père lui… ». Ces mots là on ne me les transmit pas.  De ces quelques briques j’aurais fait des murs. Mais rien venant d’eux  ne me fut légué, pas un mot, pas un rire. Ils étaient muets, les grands-pères . Ils avaient traversés les horreurs géantes et on n’avait même pas conservé l’écho de leur ombre.
Tous les enfants en avaient, les miens étaient absents même en paroles. Les bribes échappées à cette censure non dite disparaissaient dans les sables mouvants du quotidien. Elles auraient dû disparaître… Elles le seraient si mon obstination têtue et le manque de vigilance de ceux qui les avaient connus n’avaient permis la constitution ardente des archives interdites.Le grand père maternel, avait laissé sa femme Madie veuve mais pas inconsolée et sa fille Reine (la future bavarde) porteuse d’un souvenir filial fervent, malvenu dans le nouveau foyer de sa mère remariée très vite. Reine obstinée reporta ce flot d’amour contrarié  sur le fils du seul copain de son défunt père. Mort lui aussi. Elle réussit à s’en faire épouser.
Un mariage au lendemain de cette guerre là, la grande bouffée d’espérance de la libération. Il n’y avait que des projets vainqueurs ; quel autre moyen d’oublier ses terreurs. Des terreurs il y en avait foule. Des bien visqueuses et collantes qui vous empêchent de dormir. Une d’entre elles, était cette fichue guerre de – elle ne portait pas encore de nom – qu’elle avait traversé sans en être frappée. Privée d’amour elle s’en sentait des réserves immenses. Pourtant, comme ces monstres dont on effraie les enfants pour leur éviter des accidents (la vieille du puits où il ne faut pas se pencher ou le ramponneau du grenier dans lequel il ne faut pas aller mêler son corps fragile aux outils coupants, aux fourches et aux échelles) la bête l’attendait.
Reine était issu de sa propre lignée des Atrides.
Lubie d’enfant, ou adresse de leur propre mère Madie, la décision de ne pas boire de vin fut prise dès leur tout jeune âge. Reine et Annie ne buvaient pas de vin. Au sortir de la guerre de quatorze, dans un monde où quarante ans plus tard les cantines scolaires pratiquaient encore le vin rouge comme un fondement laïc et républicain, l’affaire était énorme. Les étonnements outrés des proches ne manquèrent pas. Une telle singularité était reçue comme une insulte. Pour Madie, dont le papa « n’avait jamais eu soif » comme il aimait à le répéter, cette manière de conjuration de la malédiction était une aubaine, une chance à saisir qu’elle refusa de laisser passer. Des souvenirs de son père roulant dans la vinasse elle n’en manquait pas. La mémoire collective du village s’attachait à les entretenir depuis si longtemps.
Dans ce pays , de mères en filles, génération après génération, le destin intraitable veillait à  transmettre dans les familles la tapisserie de la malédiction alcoolique. Que ses filles, à elle, rompent et déchirent la trame, elle y trouvait une sourde satisfaction, une raison secrète d’espérer.
Il n’empêche, dans cette région de monoculture viticole. Il y eut scandale. Les filles de Madie ne buvaient jamais de vin. Trente ans plus tôt on leur aurait jeté des pierres. La vie est une maladie mortelle, tout est dans les étapes.
Une enfance souffreteuse, des maladies habituelles dans ce moyen âge des années vingt où la grippe espagnole en faucha tant. Il était hors de la compréhension de faire une distinction  entre le mal normal, le bobo habituel des enfants et l’héréditaire particulier.
Distinction difficile car le pernicieux mélange des genres est dans tous les foyers. La misère et l’alcoolisme se partagent depuis tant de temps les trophées de la faucheuse :
à qui revient cette fièvre qui dure,
à qui cette toux, cette déformation de la hanche ?

Ses gamines ont le dégout du vin mais elles ne sont pas sorties d’affaires pour autant. Ignorante des lois de l’hérédité, la paysannerie est au fait de ses malédictions. Madie garde la rancœur des années 18 -19- 20 où, au bal, les cavaliers ne manquaient pas, mais les fiancés eux… Une si belle fille ! Elle avait eu bien du mal… Sa famille portait la tache de l’homme qui « n’avait jamais eu soif ». Annie et Reine surent très tôt ce qui les menaçait.

La naissance de Globule plongea Reine dans les tourments. Son premier geste d’accouchée, affolée de terreur, « je lui ai compté les doigts des pieds et des mains ». Rassurée un trop court instant , elle se résigna à voir l’avorton. Très vite elle sut interpréter la rudesse du docteur lui disant qu’elle en aurait d’autres. Elle n’osait pas sortir sur la place avec cette moitié d’enfant dans le landau prêté par une voisine depuis longtemps. Ce bébé si petit dans ce si grand landau. Il n’y avait aucun doute, c’est bien elle qui avait transmis la bête à ce corps si maigre et cette tête si grosse. Ce corps dont on pesait ce qu’on lui donnait et ce qu’il restituait, sans perte. Elle en fut tellement tourmentée, d’autant que son lait fut, à son tour, accusé d’être mortel… De cet enfant elle ne recevait que cette gêne physique de ses mamelles lourdes du lait désormais déclaré comme empoisonneur.

Cahin-caha Globule survécut mais il avait ravagé la vie d’une femme, sa mère. Celle-ci, comme toutes les accouchées, se retourna vers la sienne oubliant qu’elle n’en avait reçu que de maigres réconforts. Pour Madie cet élan fut un sinistre rappel, mais aussi une satisfaction amère et compulsive. Une sorte de c’est bien normal à ton tour que tu sois malheureuse comme je l’ai été, d’angoisses, de renoncements et de déceptions.

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Souvenir d’un temps où Léon me fit violence. L’exercice fut effectivement violent

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Fantomette
Membre
Fantomette
8 janvier 2016 16 h 43 min

Les larmes aux yeux, tout simplement.

Leon
Administrateur
Leon
8 janvier 2016 17 h 42 min

Je ne commente pas, évidemment, ma soi-disant « violence ». Juste pour dire que le résultat est magnifique, et ce n’est pas son seul texte de cette veine.

ranta
ranta
9 janvier 2016 14 h 09 min

J’ai lu, lu, lu et relu, et pas qu’ici, là-bas, où il était en premier, aussi.

Je viens dire que j’ai rien dire, sinon dire à Furtif « j’ai lu ». C’est juste magnifique.

snoopy86
Membre
snoopy86
10 janvier 2016 10 h 00 min

J’ai lu, et, le souffle encore coupé, j’ai fait lire à la snoopette qui a conclu que les bouzins respiratoires étaient bigrement efficaces pour oxygéner le cerveau …

Chapeau Fufu !

Leon
Administrateur
Leon
10 janvier 2016 11 h 29 min

C’était bien avant ses bouzins respiratoires , Snoopy !

snoopy86
Membre
snoopy86
10 janvier 2016 13 h 21 min
Reply to  Leon

Alors maintenant, Maupassant et Zola vont devenir des auteurs de seconde zone 😆

Dora
Membre
Dora
10 janvier 2016 16 h 16 min

A peine installées avec leur jeune époux, elles furent nombreuses les Annie et Reine à dire « il n’y aura pas de vin chez nous ». Etait-ce la piquette ingurgitée par les pères qui leur donnait la main leste pour les gifles ou les coups de fourchette sur les doigts des enfants lors du dîner?

A l’époque de l’affaire Jules Durand, les armateurs et commerciaux installaient des buvettes sur les quais où s’affairaient les débardeurs. Ils récupéraient une partie de la solde des manoeuvriers en leur vendant du mauvais vin. Décharger les céréales ou le charbon dans la chaleur et la poussière, cela donne soif. Tant pis pour la marmaille affamée ou la femme qu’ils cognaient joyeusement à leur retour dans les cours insalubres des immeubles vétustes et sans confort.
Aujourd’hui, quand un enfant rentre au collège, c’est exactement comme si on mettait un verre de whisky à la disposition des demi-pensionnaires sur la banque du self-service, le cannabis ayant pris la suite du verre d’eau teinté avec le vin rouge, mais cette-fois caché dans la pochette ventrale du revendeur. Les jeunes pochtrons du chichon ont la même attitude qu’un enfant saoûlé au whisky.

Une bretonne m’avait donné cette explication : l’eau étant parfois imbuvable ou impropre à la consommation, on donnait autrefois du cidre aux enfants.

Dora
Membre
Dora
10 janvier 2016 18 h 46 min
Reply to  D. Furtif

Un ancien journaliste de la Presse Normande, Philippe Huet, retrace l’histoire de Jules Durand et, plus largement, celle des charbonniers dans son livre  » Les Quais de la colère ».

Dora
Membre
Dora
12 janvier 2016 13 h 34 min
Reply to  D. Furtif

Je viens de revoir le film « Howard Zinn, une nouvelle histoire de l’Amérique ». Des Jules Durand, il y en a beaucoup qui ont connu la pendaison ou la manipulation du patronat pour les éliminer. La police etatsunienne n’hésitait pas à tirer sur la foule lors des manifestations, provoquant une centaine de morts chez les ouvriers entre la fin du XIXème et la fin de la première guerre mondiale. On leur doit le 1er mai, et la journée de 8 heures, ce que ne rappellent jamais les syndicats français.
Le film est en vente sur le site des Mutins de Pangée, le montant des ventes de cette 1ère partie servira à terminer la seconde.
J’ignore s’il existe l’équivalent sur le mouvement ouvrier français avec autant de documents d’archive.