Au lavoir …

J’ai fait l’acquisition d’un nouveau lave-linge, mon ancienne machine m’ayant lâchement abandonnée après plusieurs années d’utilisation.
Je me suis rendue fébrilement chez Tardy, là où il faut prospecter quand on est dans le coup.
Les bêtes sont toutes alignées dans le rayon à perte de vue, blanches, où parfois déguisées en panda, où autre peluche. Amusant. Comme je ne suis pas passionnée par la mécanique et encore moins par la technologie moderne, j’ai demandé à un vendeur de m’éclairer. J’ai pris un air important pour deux raisons : le gars mesurait 2 têtes de plus que moi, ce qui provoquait sur mon cou un douloureux torticolis alors que ma  parole tentait d’atteindre son oreille, et je voulais surtout avoir l’air de savoir qui je suis et ce que je veux dans la vie. En réalité, il y avait longtemps que je ne m’étais penchée sur les performances d’une bonne machine à laver, accessoire indispensable à la ménagère de plus de 50 ans que je suis (hélas). Du coup, on pouvait me fourguer n’importe quoi. Et je ne voulais pas d’un engin qui fait de la musique en même temps qu’il lave, sèche, défroisse, repasse, parfume … Je suis repartie assurée d’une livraison à domicile d’un lave linge efficace et simple à manipuler.

Le nouveau mastodonte installé à la place de l’ancien, pas fière mais quand même, j’attaque ma première lessive. J’avais bien sûr lu la notice en large et en travers, certaine de tout savoir mais consciente de n’avoir pas  absorbé tout le texte, ni franchement lisible, ni attractif. Comme je sais laver ….

La machine tourne, remplie de mes atours. Je surveille le décompte des minutes sur un écran vert, attraction qui n’existait pas sur mon ancien engin. Je me dis « super, je peux aller faire mes courses avant la fin du programme, il reste du temps, comme c’est pratique ! ». Et voilà que j’entends la musique du final, car l’instrument sonne l’hallali quand le linge est propre. Ça m’étonne, il y a 2 minutes, l’écran affichait encore une demi-heure. Ma vue baisse. Je vais changer de lunettes. Je découvre mon linge en bon état et tout propre (ouf). Je décide donc de récidiver en toute confiance avec une autre charge. Mais là, surprise. De nouveau, le temps affiché est bizarre et le linge sorti du tambour dégouline. L’essorage n’a pas fonctionné ! Je peste. Je décroche mon téléphone car le service après-vente DOIT s’occuper des machines défectueuses. Je l’ai PAYÉE tout de même ! On me répond qu’avant le passage du technicien, on m’appellera pour un complément d’information.

À l’heure prévue, Tardy me téléphone. Je décrète tout de go que la machine est en panne. Le type me demande si elle fonctionne un minimum, je suis obligée de dire oui. Et j’enchaîne, agacée, que l’affichage du minutage est farfelu. Le gars me rétorque poliment et fermement que ce sont des décomptes « virtuels », l’électronique calcule un temps en fonction du poids du linge, du degré de saleté, etc , mais pendant le déroulement des opérations, si ça se passe mieux que prévu, on gagne du temps…

Je comprends donc que cette machine réfléchit pendant le boulot et se réjouit quand le lavage est particulièrement et rapidement réussi ! BON.  Je n’ai rien compris, mais je suis bluffée. J’enchaîne sur la mésaventure de l’essorage. « Madame, votre linge était-il roulé en boule quand vous l’avez trouvé dans le tambour ? Si oui, cela veut dire que la machine refuse d’essorer une pièce mal installée qui risquerait d’endommager le tambour». J’en conclus que la bête est maligne. « Il faudra donc ruser », dis-je au technicien. « Oui, mais méfiez-vous, elle est intelligente ». La conversation s’est poursuivie sur un éclat de rire et avec des conseils avisés.

Lors de la lessive suivante, alors que je jetais un œil rêveur à l’écran de la machine, j’y aperçus une jeune femme qui se rendait à la rivière en poussant une brouette remplie de linge.  Une fillette suivait à petit pas, accrochée aux montants de la charrette. A la campagne, chez ma grand’mère, maman va au lavoir. Par beau temps, il faut qu’elle achemine le linge à bon port, qu’elle s’agenouille sur un terrain glissant , qu’elle savonne, qu’elle batte, qu’elle rince dans le courant, qu’elle essore à la force des bras. Cela me fascinait quand j’étais enfant. Mon goût de l’eau vient de là. Un demi-siècle plus tard, je suis aux prises avec une machine électronique. Pendant que mes souvenirs s’évanouissent à regrets, je compare les situations …

Merci Jean-Marc de m’avoir appris les astuces de lavage. Mais surtout merci maman de m’avoir transmis le savoir des lavandières. Je peux désormais dompter le Mustang des années 2010, et ne m’en priverai pas. Mais je n’oublierai pas ma rivière.

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Monique Peyron
Monique Peyron
11 janvier 2011 8 h 51 min

Bonjour à tous, merci à l’auteur.

Dans mon village d’origine (haut-var) tous les lavoirs et les fontaines étaient alimentés par une source située à une dizaine de kilomètres. La maison familiale était devant le vieux lavoir. Avec ma grand-mère, nous faisions la « bugade » dans la cheminée dudit lavoir. Le linge blanc recouvert d’eau et de cendre (pas de mulot) était ensuite rincé à l’eau vive et étendu sur l’herbe en plein soleil. Le blanc grisâtre, on ne connaissait pas. Puis l’eau est devenue plus rare et plus chère. Plus de lavoir ni de fontaine en activité… J’ai dû vendre la maison cause partage et je n’ai plus que mes souvenirs 🙁

mmarvinbear
mmarvinbear
11 janvier 2011 13 h 30 min
Reply to  Monique Peyron

D’un coté on peut avoir la nostalgie du lavoir et de la vie sociale qui allait avec ( avec en prime les commérages, les ragots et les médisances ).

De l’autre, je ne crois pas que ne plus avoir à passer trois ou quatre heures a genoux par un temps froid et humide, à s’esquinter les rotules pendant trente ou quarante ans soit une telle perte pour l’ humanité.

mmarvinbear
mmarvinbear
11 janvier 2011 13 h 32 min
Reply to  mmarvinbear

En ce qui concerne les machine à laver modernes, il y a deux points à ne pas négliger :

– plus c’est sophistiqué, plus c’est susceptible de tomber en panne.
– jamais de cuve de lavage en plastique !

Monique Peyron
Monique Peyron
11 janvier 2011 9 h 04 min

comment image

Voilà la vue du lavoir et un morceau de l’avant de la maison

Léon
Léon
11 janvier 2011 9 h 08 min

Bienvenue à cette nouvelle rédactrice. Une sympathique tranche de vie .

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
11 janvier 2011 9 h 38 min

Bonjour bienvenue au nouvel auteur qui n’a rien fait de mal pour mériter l’orthographe infâme de la réforme Toubon.
Il y a des parfums d’enfance dans ce texte donc, des chants.
 » Et tape et tape , et tape sur ton battoir »

Il en est de plus malicieux « ah marquise si mon visage…. »

Lorenzo
Lorenzo
11 janvier 2011 10 h 13 min

Bonjour Marquise,

voici pour vous une chanson fort bien illustrée 😉

maxim
maxim
11 janvier 2011 10 h 13 min

c’est toute mon enfance à la campagne…

jour de lessive,on retirait les fringues qu’on avait sur soi,pour enfin enfiler le propre un peu rêche,mais d’abord c’était la sacro-sainte lessive des draps,dans la grande lessiveuse champignon,avec la mère qui surveillait de près le déroulement des opérations avec une baguette qui lui servait à bien touiller le linge ….
et puis comme nous n’avions pas de rivière ,(que la Seine qui passait à 1 km de chez nous),le rinçage se faisait dans le grand baquet qui servait accessoirement de baignoire par beau temps,et l’essorage où il fallait tordre le linge et enfin l’étaler sur l’herbe dans le champ derrière la maison .

chez nous,le confort moderne,l’eau courante,tout à l’égout ….n’est arrivé qu’au début des années 60 ,nous n’avions auparavant qu’une pompe reliée au puits !

et enfin cette machine une Laden ( pas Ben) costaude comme le gros frigo ( Satam) que nous avions acquis également,alors qu’avant,tout était à la cave dans des pots de grès,et enfin,une vraie salle de bains et les chiottes à la maison,plus la cabane au fond du jardin ,pleine de mouches en été,et où on se les gelait en hiver !

Ph. Renève
Ph. Renève
11 janvier 2011 10 h 36 min

Le souvenir charmant qui rend le présent futile: voilà une bien bonne façon de vivre en sage.

Grand merci à Marquise de nous faire aussi bien partager cette rencontre.

Lorenzo
Lorenzo
11 janvier 2011 10 h 40 min

un livre sur le sujet.

Toche
Toche
11 janvier 2011 11 h 06 min

« La marquise va au lavoir » pourrait faire un beau titre de chanson, entre « lavandières du Portugal », et « tout va très bien … ». C’est Toubon, je ne vois pas Furtif l’allusion à l’orthographe car en principe Marquise indique vu son âge qu’elle pratique l’ancienne langue française, pas le kikadikoi.
Disons le bien.
Toche

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
12 janvier 2011 0 h 28 min
Reply to  Toche

Amusant Marquise vous n’usez point du kikadikoi
Le lundi je fais de l’anglais grâce à une association qui s’appelle Kidikoua ou kidikwa
Par ailleurs une légende tenace vous donne toujours et à jamais 26 ans

asinus
Membre
asinus
11 janvier 2011 11 h 16 min

yep !

yohan
yohan
11 janvier 2011 15 h 07 min

Ne nous plaignons pas. Globalement, ces petites machines font un boulot d’enfer pour pas cher, ramené au coût moyen à la lessiveuse, maintenant qu’elles ne consomment que très peu d’eau. Perso, j’achète du Bosch jugé plus costaud) et je n’écoute pas ces messieurs de Darty qui cherchent à te vendre le produit où ils margent le plus

Causette
Causette
11 janvier 2011 15 h 19 min

Bonjour Marquise, bonjour à tous. Merci à Lorenzo pour son courrier.

Chez Tardy ou son cousin je viens d’acheter un frigo, service impeccable, sont venus l’installer et sont repartis avec l’ancien. Je leur avais acheter une machine à laver il y a 3 ans, sans truc compliqué, le modèle classique, elle lave et essore, pas d’écran ni musique. C’est une marque dont le nom grec signifie « le meilleur » 😀

Un lavoir. Je me souviens de celui qui était à côté de la maison de mon arrière-grand-mère et ma grand-mère voisines d’un celèbre peintre. Voici une petite vidéo de leur hameau.

🙁

(hélas il a quelques problèmes pas loin de là. Un bouquin de Jean-François Viel à lire)

Mais revenons à nos lavoirs, en France il y en a de très beaux 😆

Lorenzo
Lorenzo
11 janvier 2011 22 h 52 min
Reply to  Causette

Bonsoir Causette,

remercions Furtif qui s’est chargé de faire le facteur 😉 avez vous trouvé le James Ross ❓

Causette
Causette
11 janvier 2011 23 h 22 min
Reply to  Lorenzo

Bonsoir Lorenzo, je dois revoir bientôt mon petit libraire, pour lui commander. je n’aime pas trop aller dans les supermarchés du disque et du livre, où il est sûrement dans les rayons, je préfère patienter un peu et avoir le bonheur d’avoir un quartier vivant plein de petits commerces en tous genres. Qui va piana va sano 😉 J’ai trouvé récemment l’édition poche 1988 Un linceul n’a pas de poches de Horace McCoy. Livre écrit en 1945/46, Dolan, journaliste, se bat contre l’ordre établi, mensonge/vérité, lâcheté, hypocrisie… noir très noir.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
12 janvier 2011 0 h 22 min
Reply to  Causette

De rien Causette

Lorenzo
Lorenzo
12 janvier 2011 0 h 53 min
Reply to  Causette

Causette,
ah ! vous avez de la chance d’avoir un libraire complice de vos goûts, qui vous propose des bouquins d’occase, j’avais ça aussi á Paris.
Je prends bonne note de ce Horace McCoy que je ne connais que de nom 😳 si c’est noir de chez noir je suis preneur 😉
Bien évidement vous n’aurez pas oublié de remercier Furtif de sa gentillesse … 😆 😆

Causette
Causette
12 janvier 2011 15 h 49 min
Reply to  Lorenzo
Lorenzo
Lorenzo
12 janvier 2011 18 h 40 min
Reply to  Causette

ouf ! 😆 😆 😆

COLRE
COLRE
11 janvier 2011 21 h 16 min

Bonjour Marquise,

Qui n’a jamais été dominé par un engin sournois vous jette la première pierre…

Vous avez quand même eu de la chance de tomber sur un interlocuteur (un vrai, un bipède), et de surcroît plein d’humour, une conjonction encore plus prodigieuse que la rencontre avec des machines intelligentes…

(ps : ce que les hommes « regrettent », ce ne sont pas les travaux de force qui cassent les reins mais le lien social et l’appauvrissement des savoir-faire…)