Histoire de l’orgue 7 : les écoles nationales de l’âge d’or

Dans le précédent épisode nous avons vu l’évolution du répertoire de l’école d’orgue française jusqu’au XVIIIème siècle. Mais il faut savoir que la facture d’orgue est très régionalisée à cette époque et subit les influences techniques et musicales locales. La normalisation encyclopédique, avec cette mise en commun des savoirs, ne commencera qu’au XVIIIème siècle pour s’étendre principalement au XIXème, dans une mondialisation de l’instrument et de sa pratique.

Le répertoire et la facture d’orgue, c’est un peu comme l’œuf et la poule.  La musique créée découle des capacités techniques et des compositions des instruments. Mais pareillement, l’évolution musicale nécessite un renouvellement technique de ces derniers et une mise au goût du jour de leurs sonorités ou possibilités ; exigeant du facteur d’orgue qu’il trouve les solutions nécessaires.

Aussi à cette époque, différentes écoles européennes sont distinguables en terme de facture. On retrouve par exemple l’école germanique, avec peu de jeux de anches et des grands plein-jeux brillants ainsi qu’une pédale indépendante. L’école hollandaise qui multiplie les divisions et s’attache aux jeux de cornets. L’école française possède différents jeux d’anches chaleureux et typés (comme le cromorne) dans des configurations déjà normalisées par la volonté encyclopédique, les italiens décomposent leur plénum en ripieno dans des instruments à la façade plate au rythme triangulaire et ajoutent de nombreux accessoires (clochettes, rossignols…), les espagnols placent leurs jeux d’anches en chamade, c’est à dire à l’horizontale,  dans des buffets se faisant souvent face et décomposent les jeux en basses et dessus.

La musique d’orgue anglaise sera influencée par le fait qu’à partir du XVIème siècle, les orgues sont retirés de toutes les églises durant la réforme et la période du Commonwealth; avant d’être réintégrés au XVIIIème. On retrouve des pièces de type « Voluntary » ou « Trumpet tune ».  Elles utilisent les jeux de trompette en solo avec un accompagnement main gauche et se présentent sous une forme libre généralement brillante et typée comme une marche ou fanfare.

Et pour faire la transition avec l’Allemagne, quoi de mieux qu’une transcription d’Haendel, le plus anglais des allemands, et de son Entrée de la Reine de Sabbat. Vidéo montrant que l’orgue de l’époque pouvait parfaitement accompagner quelques solistes sans avoir à se payer tout un orchestre baroque. Rôle très prisé en société.

L’Allemagne possède l’immense privilège d’avoir JS.Bach dans la longue liste de ses compositeurs de l’époque. Très influencé par Buxtehude (400 km à pied pour aller l’écouter, mais on en reparlera dans une série spéciale si j’ai le temps), il portera la musique contrapuntique à un degré de perfection qui restera inégalé. Une œuvre immense, à tel point que pour beaucoup, orgue est synonyme de Bach et vice-versa.

Mais avant, pourtant,  il y avait eu Pachelbel, par exemple, avec cette magnifique Chaconne.

:

Ce style repris sur des danses d’origines sud américaine[1] avec thème de basse et reprises a trouvé son apogée dans la Passacaille en Ut mineur du grand Jean-Sébastien. Un chef-d’œuvre sur 15 degrés…

Je pourrais passer des heures à lister des œuvres de ce compositeur mais il est temps de regarder du côté de l’Italie. La transition par Vivaldi est toute trouvée : les influences, voire reprises, étant manifestes.

En Italie l’orgue sera directement intégré à l’art vocal et aux concerts (jusqu’à sa décadence dans l’opéra). On peut le retrouver par exemple, brillant, dans ce beau concerto pour orgue et violon RV 541 en ré mineur :

Ou, beaucoup plus effacé, accompagnant de la douceur de ses bourdons[2] le magnifique, extraordinaire, génial, Stabat Mater de Pergolèse, organiste à la chapelle royale de Naples.

L’accompagnement se fait par un orgue-coffre qu’on distingue sur la gauche.

Finissons notre tour d’horizon du XVIIIème siècle par le plus célèbre des compositeurs, Mozart, qui nous a laissé une œuvre pour orgue sous forme de concertos ou de fantaisies. Voici la KV608 en Fa sur un des orgues les plus célèbres du monde.

Remarquez les dernières notes qui annoncent les symphonies futures.

Mais déjà la fin du siècle approchait et de nombreux événements politiques allaient redistribuer les cartes de l’orgue sur le continent.

A suivre.

————-pour aller plus loin:

Ligne temporelle des compositeurs pour orgue.


carte de l’Europe au début du XVIIème siècle.

Si des vidéos musicales vous plaisent, vous pouvez convertir la musique des vidéos en mp3 directement et facilement avec ce site là.


—————-Notes:

[1] Passacaille par exemple provient de passar et calle, soit danser et rue.

[2] Tuyaux bouchés émettant un son particulièrement doux.

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Léon
Léon
24 octobre 2011 8 h 52 min

On ne s’en lasse pas, Lapa.
Une petite précision sur las « passacailles » : du point de vue de la forme musicale, une passacaille se traduit par une ligne de basse répétée strictement à l’identique tout au long du morceau. Par exemple dans la passacaille de Bach, elle est annoncée toute seule au début, au pédalier, et ensuite il est facile de la retrouver tout du long.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
24 octobre 2011 9 h 41 min

Ahh h quel plaisir!
N’y avait-il pas l’histoire d’une reprise amusante associée à cette visite à Buxtehude?

@Léon
Une basse répétée n’est-ce pas ça une basse continue?

Léon
Léon
24 octobre 2011 9 h 52 min

Oui, c’est la même chose.Mais c’est plutôt « basse obstinée », ici. Le terme de « basse continue » correspond à un principe de morceau un peu différent, basé sur de l’improvisation à partir d’une basse écrite et d’un chiffrage des harmonies. Je parle sous le contrôle des spécialistes du baroque dont je ne suis pas.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
24 octobre 2011 10 h 18 min

Ahhh c’était bien ça

Buxtehude qui a épousé la fille de son prédécesseur se voit affublé d’un grand nombre de filles. Pas un fils pour lui succéder.Beaucoup dont Bach et ses 400 km à pieds , firent le voyage de Lübeck, Mattheson et Haendel le firent ensemble en 1703.Une histoire, une légende sans doute inventée par Haendel qui ne refusait pas de boire quelques coups , raconte qu’une clause matrimoniale était liée à l’obtention du poste de Kapel Meister.
Il fallait épouser la fille du maitre.
Albert Shweizer cette pipelette prétend « Mademoiselle Buxtehude n’avait ni les agréments de la jeunesse ni ceux de la beauté ».Pour ce qu’il s’y connaissait ! Pfffff….
C’est peut-être pourquoi ni Mattheson ni Haendel ne voulurent du poste.
.
C’est un certain Johann Christian Schieferdecker qui l’obtient en 1707 et qui, « curieusement » épousa une des filles de Buxtehude, Margreta, pourtant de 4 ans plus vieille que lui

Causette
Causette
24 octobre 2011 13 h 55 min

wouah! comment je me régale à lire les articles orgues, avé la musique magnifique.

Pechelbel, aussi, se marie avec la fille du maire (Erfurt), Barbara Gabler… Mais la peste emporta sa femme comme son seul fils en octobre 1683. La première composition que Pachelbel publia, cette même année, fut probablement influencée par cet évènement ; il s’agit des Musicalische Sterbens-Gedancken (« Réflexions musicales sur la mort »), ensemble de variations de choral.

Léon
Léon
25 octobre 2011 8 h 10 min

Lapa, qu’un article soit peu commenté ne veut pas dire qu’il n’intéresse pas. De tels articles honorent Disons.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
25 octobre 2011 9 h 13 min

Je me suis mis ce matin la superbe Chaconne de Pachelbel
Pour ce qui est du succès des articles , il y a longtemps que je ne cherche plus à comprendre.
Regarde les résultats de celui qui est juste en dessous de toi sur la Une 😕

AGNNP
AGNNP
25 octobre 2011 9 h 45 min

Mais, ces articles ont du succès

Perso, quand j’écoute, je la ferme.

Alors le silence cache ( j’espère) le  » succès ».

Causette
Causette
25 octobre 2011 18 h 13 min

moi ce matin c’était Entrée de la Reine de Sabbat… au réveil ça l’fait! 😆

Là j’écoute le beau concerto pour orgue et violon RV 541 en ré mineur de Vivaldi.