Polémique autour de « Qui est Dieu ? » de Jean Soler

C’est un article paru sous la signature de Michel Onfray dans Le Point qui a donné envie de s’intéresser à Jean Soler et  à son dernier livre « Qui est Dieu ? »

La particularité de ce texte assez court  de Jean Soler (un peu plus de 100 pages) est de faire le résumé de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur sur les monothéismes. Le fait est suffisamment rare pour être noté : pour une fois c’est l’auteur lui-même qui réalise ce travail, ce qui est incontestablement une garantie de « conformité » par rapport à la source.

Alors, de quoi s’agit-il ?

Le compte-rendu de Michel Onfray est parfait, on vous y renvoie donc…
On le comprend, il s’agit d’un texte assez violent à l’égard des trois monothéismes, mais  la critique est centrée sur sa matrice, c’est-à-dire le judaïsme.  Alors, évidemment, du côté du rabbinat français, on a sorti l’artillerie lourde.  Et cette réponse du rabbin Yeshaya Dalsace, qui exerce son ministère dans le XXe arrondissement de Paris, circule sur les forums et sites juifs.
Elle est très intéressante à analyser et montre que s’il y a sans doute des erreurs et des propos excessifs chez Jean Soler, il n’a pas faux sur tout, loin de là.

Le rabbin évite soigneusement un certain nombre de points qui fâchent.

Suivant en cela les thèses de Finkelstein et Silberman dans « La bible dévoilée », Jean Soler explique que les juifs n’ont pas toujours été monothéistes et on commencé par être monolâtres, c’est à dire qu’ils se sont choisis Iahvé, un dieu parmi les autres, avec lequel ils auraient conclu une alliance.  Puis, sans nier l’existence d’autres dieux, ils ont adopté une «exclusivité» vis à vis de ce dieu «jaloux», avant de passer au monothéisme, c’est-à-dire l’affirmation, aux alentours du troisième siècle avant JC, qu’il n’existe qu’un seul dieu. Avec, au passage, une énorme ambiguïté qui ne sera vraiment levée qu’avec le christianisme et Paul de Tarse : à partir du moment où il n’y a plus qu’un seul Dieu, il ne peut plus être le dieu exclusif du peuple juif, mais devient celui de tous les humains. ( Voir à ce sujet les deux livres de Mordillat et Prieur)

Sauf qu’en passant de la monolâtrerie au monothéisme, le dieu en question, devenant «unique», est aussi devenu incontestablement mâle. On s’en doute, ceci n’a pas été sans effet sur la perception du rôle, de la place des femmes.

Certes, les sociétés humaines n’ont pas eu besoin du monothéisme pour faire aux femmes un statut d’inférieures, mais à la faveur de cette orientation, le judaïsme, comme l’islamisme l’ont théorisé et indéniablement structuré d’un point de vue théologique et social.

Le christianisme aussi; mais outre que le monothéisme chrétien n’est pas aussi absolu (dogme de la Trinité, notamment, mais aussi la cohorte des saints et des saintes offerts à la vénération des fidèles) on notera  une tentative de donner une place importante à une figure féminine à travers celle de la Vierge Marie là où, au contraire, le judaïsme éliminera le personnage d’Ashéra,  la compagne de Iahvé et dont on ne trouve plus de trace au-delà du Ve siècle av JC.

Quant à imaginer qu’un quelconque principe féminin puisse être associé à Allah, cela  relève du blasphème…

Jean Soler explique à quel point cela était différent dans l’antiquité gréco-romaine, qui comportait  prêtresses et déesses en nombre, de la plus voluptueuse (Aphrodite), à la plus guerrière ( Athéna). Toutefois, l’auteur fait l’impasse sur le statut réel des femmes dans ces sociétés, qui ne semble pas à ce point supérieur à ce qu’il était chez les monothéistes. En tous les cas, ceci mérite d’être vérifié.

Jean Soler montre également que le monothéisme, surtout si l’on observe les civilisations qui ne le pratiquaient pas, structure la pensée de manière binaire (le vrai, le faux absolu), et pousse par nature aux intolérances et aux fanatismes.
Il a peut-être raison, mais on est bien obligé, comme pour la phallocratie, d’admettre que les humains n’ont eu nul besoin du monothéisme pour s’entre-tuer; aussi sur ce point sa démonstration est-elle assez facilement critiquée par le rabbin, surtout lorsque Jean Soler va jusqu’à établir un parallèle pour le moins osé entre le nazisme et le judaïsme (notamment sur tout ce qui touche à la « pureté de la race », faisant du nazisme et du judaïsme juste deux « concurrents »). Mais il fait un parallèle équivalent avec le messianisme communiste, le rôle du « peuple élu » étant ici tenu par le prolétariat et celui du paradis par la société communisme. (Parallèle qui, sans entrer dans les détails, semble tout aussi tiré par les cheveux…)

Pourtant le rabbin s’emmêle incontestablement les pieds lorsqu’il s’agit de répondre à Jean Soler qui accuse le dieu juif d’être identitaire, national, voire xénophobe, avec pour preuve l’introduction de lois qui visent à préserver les juifs du mélange avec les autres. C’est le cas avec l’interdiction des conversions dans le judaïsme primitif (encore en vigueur chez les ultra-religieux) et les autres lois qui séparent les juifs des goyim, notamment à table et au lit.. (On ne relèvera même pas, évidemment, ce qui se passe en Islamisme qui n’est à 80 % que du judaïsme simplifié).

Le rabbin, bien entendu, insinue que tout cela n’est, comme d’habitude, que de l’antisémitisme. Il nie donc farouchement la dimension non universelle du judaïsme, mais se garde bien d’aborder ce qui le démontre, à savoir les règles identitaires comme la circoncision et la cascherout, qualifiant cette dernière de «discipline intérieure».
Qu’un hindou s’impose comme interdit alimentaire d’être strictement végétarien, est cohérent avec sa religion et la croyance en réincarnations successives. Qu’un bouddhiste le soit par engagement non-violent et refus d’ôter une vie est logique également ; mais j’avoue être curieux d’entendre l’explication qui tendrait à démontrer en quoi la consommation de mouton serait théologiquement plus acceptable que celle du porc.

Il s’emmêle également les pieds en prétendant que Soler confine le judaïsme à une monolâtrerie, alors que celui-ci montre bien son passage au monothéisme et surtout en explique le comment et le pourquoi. Il fait apparaître aussi la contradiction logique et théologique devant laquelle ce monothéisme place les juifs ce qui, visiblement, agace…

Bref, un livre très intéressant à lire et qui donne envie évidemment de ne pas se contenter de ce qui n’est qu’un résumé d’un très gros travail historique, linguistique et philosophique de toute une vie. Pour ne citer que ceux qui semblent les plus importants ( Source Wikipedia):

La trilogie « Aux origines du Dieu unique »:

  • L’Invention du monothéisme, en 2002. Ce livre propose une explication tout à fait nouvelle, d’ordre historique et anthropologique, sans a priori religieux, des origines et des raisons d’être de la croyance en un Dieu unique. L’anthropologue Edgar Morin a salué « un livre important et salubre, éclairant et nécessaire. » Pour l’écrivain Claude Simon, c’est « un véritable monument, non d’érudition mais de culture, dans son sens le plus élevé. Un livre puissant. »
  • La Loi de Moïse, en 2003. A l’encontre de l’idée reçue qui voudrait que la Bible soit au fondement d’une morale universelle, Jean Soler démontre que les lois attribuées à Moïse, à commencer par les Dix Commandements, ne s’adressent qu’aux Juifs et visent à assurer la cohésion de leur peuple.
  • Vie et mort dans la Bible, en 2004. Ce troisième volume met en évidence l’usage symbolique de la nourriture dans l’alimentation, les jeûnes et les sacrifices des Hébreux.

En janvier 2009 paraît La Violence monothéiste.

Soit dit en passant,  je suis à peu près certain que le rabbin Yeshaya Dalsace, n’a pas  lu les livres en question. Je le soupçponne même de ne pas avoir pris connaissance  de  cette synthèse qu’est « Qui est Dieu » et de s’être contenté de l’article d’Onfray.  Tout se passe comme si faute de pouvoir vraiment attaquer Jean Soler, on prenait pour cible Michel Onfray et son athéisme bien connu. L’insinuation selon laquelle, lorsque ce dernier dénonçait le goût de Freud pour l’argent, il le ferait par antisémitisme, est tout simplement répugnante.

Quels que soient les défauts qui pourraient être reprochés à ce livre il constitue un pas salutaire vers l’affranchissement de ces servitudes plus ou moins volontaires que sont les religions, particulièrement les religions monothéistes. Rabbins, Imams, curés, mêmes combats, mêmes aliénations, mêmes tentatives de contrôle des populations
-oOo-
Dernière minute ( mercredi 27 juin) : on me signale cette effarante tribune de la LICRA, consacrée au même sujet. Onfray fait un compte-rendu du livre de Soler, qu’à titre personnel, pour avoir lu le livre,  je considère comme parfaitement conforme et honnête, mais c’est à Onfray qu’on s’attaque, et que certains croient devoir défendre ! Incroyable…
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Léon
Léon
4 juillet 2012 12 h 56 min

Les réactions continuent de m’étonner, en ce qu’elles sont dirigées contre Onfray et non contre Soler.

Buster
Membre
Buster
4 juillet 2012 13 h 18 min

Jean Soler montre également que le monothéisme, surtout si l’on observe les civilisations qui ne le pratiquaient pas, structure la pensée de manière binaire (le vrai, le faux absolu), et pousse par nature aux intolérances et aux fanatismes.

Je serais assez d’accord avec ce point de vue, à une réserve près :
Ne prête-t-on pas trop finalement aux religions et pas assez à la connerie individuelle (et collective).
Plus ça va plus je pense que l’explication de beaucoup d’obscurantismes et d’intransigeances est qu’ils sont aggravés facteur 10 par la simple connerie humaine, transcendant largement en puissance toutes les croyances d’où qu’elles viennent.

ranta
ranta
4 juillet 2012 14 h 19 min
Reply to  Buster

C’est ce besoin d’irrationnel chez l’être humain qui ne peut être endigué. Et cet irrationnel nécessite d’être structuré, le coup de génie de « nos » religions monothéistes c’est d’avoir introduit cette notion de jugement dernier. Pas suffisant de refuser sa propre mort, celle de ses proches, de développer un système culturel pour faire passer la pilule, il fallait en sus s’assurer de la docilité du fidèle. La question c’est de savoir jusqu’à quel point dans la hiérarchie « on » croit à tout ce fatras.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
4 juillet 2012 13 h 33 min

Vraiment pas de bol avec ce bouquin.
Le fond du fond du Poitou n’a été approvisionné que très tard .
Je viens juste de le recevoir .
.
Il n’y a pas que du faux dans ce que dit Buster.En gros il a raison.
Quelle que soit la structure religieuse elle est un outil ( qui sait le premier outil???) d’aide et de justification de l’oppression
J’aimerais bien que des prétendus athées aient un conduite un peu plus cohérente et ne se satisfassent pas seulement de postures caressant leur égo m’as-tu vu.

Léon
Léon
4 juillet 2012 14 h 30 min

D’accord aussi. Les religions comme certaines doctrines, structurent la pensée et l’action. Structurent aussi la connerie, indéniablement. Mais, en même temps elles lui donnent une virulence, une cohérence et une solidité exceptionnelles. Mais ça joue aussi dans un autre sens, celui de structurer la morale. Le gros problème avec les religions c’est d’arriver à dissocier les deux… je dirais donc que c’est plutôt la connerie qui est aggravée dans un facteur 10 par les religions.

Léon
Léon
5 juillet 2012 9 h 04 min

A signaler que la polémique continue et Onfray vient de répondre ( 5 juillet) magistralement à ces « philosophes » qui se couchent devant les textes soi-disant sacrés. On vous invite à lire sa lumineuse réponse : http://www.liberation.fr/culture/2012/07/03/sale-temps-pour-la-pensee-debout_830892

Buster
Membre
Buster
5 juillet 2012 9 h 40 min
Reply to  Léon

Polémique.

On imagine des jalousies, des chapelles, des haines recuites…
On agite les grelots en les étouffant à demi de la main : Antisémitisme – Islamophobie ( et Christianophobie, mais celui-là sonne moins fort. Juste là pour faire semblant )
On ne débat pas on attaque, à 4, ou plus, en dessous de la ceinture.
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Ou alors :
On défend. Pas pour lui, pas pour ce qu’il dit.
Pour se faire mousser, pour s’immiscer de force parmi ceux qui auraient une voix qui porte, pour l’espoir d’être invité sur un plateau.
Pour pousser des idées qu’il ne pousse pas, l’agréger à son corps défendant aux combats qui ne sont ni ceux de Soler ni ceux d’Onfray.
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On a bien noyé le poisson.

Nogat
Nogat
5 juillet 2012 10 h 03 min

Histoire et religion ne font pas bon ménage : L’histoire tente de dire les faits, fait appel à la raison, tandis que la religion fait appel à l’émotion et dit les mythes. J’aurais cru que la philosophie était plus du côté de l’histoire plus que de la religion, mais depuis que certains Nouveaux Philosophes (Lévy, Glucksmann) ont affirmé leur intérêt pour la religion, d’autres se sont engouffrés dans cette brèche. Avec le succès du New Age, l’émotion est reine dans notre société, on se méfie de l’esprit critique. Le délit de blasphème est en train de ressurgir ! Sus à Malraux et aux prédictions qui se réalisent (le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas) ! Voltaire, au secours !
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Nous rétablissons votre lien car vous ne connaissiez pas nos règles
http://evident.tambao.fr/index.php/