Jeudi dernier, je suis allé à la projection du film d’une de mes anciennes stagiaires devenue monteuse de cinéma et réalisatrice, en avant-première du Festival du film Méditerranéen qui se tient tous les ans à Montpellier. Pour comprendre l’intensité de l’expérience que j’ai vécue, sachez que, la veille, j’avais été voir Gravity.
Le film, dont voici une bande annonce, est un documentaire consacré à un personnage absolument extraordinaire du nom de Guy Brunet, lequel s’est inventé une vie de réalisateur de cinéma.
Mais d’abord, un mot rapide du documentaire lui-même : il est remarquable à tous points de vue, et notamment sur deux aspects, d’abord l’adéquation quasi-parfaite entre le sujet traité et la forme et, ensuite, la qualité du portrait lui-même. Ce n’est pas le premier film réalisé sur cet invraisemblable créateur, mais selon Guy Brunet lui-même, c’est le premier dans lequel il se reconnaisse vraiment. Enfin, j’ai pu constater que Renée Garaud, ( la coréalisatrice, avec Lilian Bathelot), avait été attentive à l’environnement sonore de son film et j’ai la vanité de croire que j’y suis pour quelque chose…
Alors, Guy Brunet…
C’est l’histoire d’un enfant de milieu modeste né en 1945 dans l’Aveyron, qui, tout petit déjà, fasciné par le cinéma, veut devenir réalisateur. Dès l’âge de douze ans, il écrit des scénarios de film. Ou plutôt, et c’est là que l’on voit déjà apparaître la singularité du personnage, il réécrit des films existants. Il change l’histoire, les décors, la distribution (par exemple, Gary Cooper ne lui plaît pas dans « Le train sifflera trois fois », il le remplace dans son script par John Wayne). Il accumule ainsi des dizaines, puis des centaines de scripts. Il invente aussi des histoires qui ne sont pas des remake à sa sauce et fantasme toujours une distribution aussi prestigieuse qu’improbable.
Le point de départ de son histoire ressemble un peu à celle de Cinema Paradiso en ce que son père était projectionniste dans son village, ce qui lui permettait de recevoir les catalogues des films dans lesquels le petit Guy découpait les personnages dont il avait besoin pour illustrer ses scripts où il apparaissait à la fois comme producteur, réalisateur, dialoguiste, décorateur etc. Ensuite, au dos des affiches qu’il récupérait après les projections, il peignait celle qu’il imaginait pour sa version à lui du film…
Comme on peut s’en douter, sa lubie était peu appréciée de son environnement familial et rien n’a été fait pour l’encourager dans une voie jugée sans issue. Mais sa passion ne l’a jamais quitté, au contraire. Après une installation avec sa famille à Cahors, il revient en 1973 dans la région de sa naissance, près de Decazeville et après avoir exercé toutes sortes de métiers ouvriers, il se consacre depuis 1987 à sa passion.
Là où l’histoire devient réellement surprenante, c’est qu’il va fabriquer les acteurs dont il a besoin. Pour être précis, il va fabriquer des portraits en pied, dans du carton qu’il va peindre, de tous les acteurs français et hollywoodiens de l’époque. Les visages s’efforcent de ressembler aux modèles et beaucoup sont reconnaissables. Une particularité : ils mesurent tous 1,38 m, hommes et femmes, pareil. Pourquoi pas grandeur nature ? Guy Brunet répond que pour une caméra tenue à l’épaule, à hauteur d’homme, cette taille permet de les prendre avec un certain angle de plongée de manière que l’on voie bien tous les visages. Pourquoi 1,38m et pas 1,40m ou 1,30 m, en revanche, mystère… Avec le temps, ce sont des centaines de silhouettes qui sont ainsi stockées dans sa maison, par groupes, dans des pièces différentes : l’une pour les acteurs, l’autre pour les actrices. Les voir ainsi alignées crée un choc émotionnel assez fort, un peu le même que pour ces centaines de soldats en terre de Qin Shi Huang en Chine.
Il a son scénario, son script, ses « acteurs », ses dialogues écrits, il lui reste à peindre ses décors. A la gouache de préférence, dit-il : « la peinture à l’huile brille trop » et donne des reflets parasites.
Arrive le moment où il investit dans un camescope. Là, il est fin prêt et « tourne des films » pour de vrai.
Enfin, « pour de vrai »… Des films pour le moins surprenants dans la forme, tout de même : ce sont des objets visuels étranges dont les acteurs sont des silhouettes de carton immobiles, des décors de papier peint et quelques objets à l’échelle ( Le pont de la rivière Kwai sous forme de maquette, par exemple), sur lesquels, scène par scène il fait des mouvements de caméra et dit les dialogues lui-même en changeant de voix pour chaque personnage.
Dans son village, il est évidemment considéré comme un fada. Un fada inoffensif, toutefois : les gens le voient tous les matins sur le pas de sa porte, devant sa façade décorée toute dédiée au cinéma, en train de peindre un décor, une affiche ou un personnage, mais peu lui adressent la parole. Le regard change, malgré tout, car son œuvre commence à intéresser les amateurs de ce que l’on appelle « L’art brut », (« arts modestes » ou « art naïf »). Avec toutefois une curiosité : ce ne sont pas ses films qui ont retenu l’attention des musées, mais ce qu’il a peint et construit pour les réaliser : ses affiches, ses silhouettes en carton, ses décors… Pourtant, pour lui, ils n’ont strictement aucune valeur. Seuls ses « films » comptent…
Un ami me faisait remarquer cette sorte de galipette du destin : c’est peut-être le film réalisé sur lui qui va assurer sa notoriété, plus que ceux qu’il aura réalisé lui-même…
Oui, voir ça en sortant quasiment de Gravity, je vous assure, c’est comme qui dirait un vrai choc de cultures……
Bon vent à ce film qui a toutes les chances de remporter de multiples récompenses et distinctions.
Lectures :7816
Une précision : « Paravision » serait la contraction de « paradis » et « vision ».
j’ai bien envie d’aller voir gravity 3D. ça vaut le coût?
je suis allé voir 9 mois ferme. Pas mal, assez sympa même. Bien que finalement Kiberlain vole largement la vedette à un Dupontel un peu limité et brouillon qui peine à se renouveler dans son jeu.
Ah, oui, Gravity en 3D c’est superbe, même si le scénario est une peu convenu. Et, franchement, je continue de me demander comment ils ont réussi à tourner ça.
La caisse à fourbi de la mémoire de Léon contient des trucs vraiment curieux, voire des trésors.
C’est magique quand il nous laisse nous pencher pour voir un peu.
Dans ma caisse à moi , y a Léon. 😀