Euthanasier.

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En voilà un beau de débat de société, probablement insoluble. De loin en loin ce serpent de mer se réinvite ou est réinvité à la table des réflexions sociétales . Mardi le Sénat a rejeté le projet de loi suivant l’avis du premier ministre.

Je n’ai pas d’avis tranché. Comme dans le cas de la peine de mort où le risque d’exécuter un innocent est insoutenable, les risques de dérives sont grands. On ne pourrait pas un peu aider l’aïeule à partir? D’une part car l’on a plus envie de subir et de gérer sa fin de vie, et d’autre part parce que l’on hériterait  un peu plus rapidement ? Cela semble délirant de penser à ça, et pourtant à y réfléchir…

Je vais vous raconter une histoire.

Il y quatre ans par une simple phrase j’ai contribué à faire mourir plus rapidement une gamine de dix ans. Elle était atteinte de mucovisidose et il n’y avait plus d’espoir pour elle. Elle souffrait le martyr mais les médecins ne pouvaient lui administrer de la morphine sans la tuer. Ils en avaient donc fait part à ses parents les laissant prendre, eux seuls, la décision. Décision que la mère (le père avait renoncé et fui) ne parvenait pas à prendre, subissant les cris de douleurs de sa fille et sa demande de l’aider. Sa mère était une personne avec laquelle je m’étais fâché quelques années auparavant et bien que voisins nous ne nous parlions plus. Néanmoins la croisant dans la rue je suis allé vers elle et nous avons parlé de sa fille, et là, je lui ai dit que la seule chose qu’elle pouvait encore faire pour sa fille était d’enlever la douleur bien que cela la tuerait. Elle l’a fait le jour même. A ce moment je me suis dit deux choses, la première que j’avais forcé une décision et que directement j’étais coupable, et la seconde que dans peu de temps j’aurai une visite de la mère venant me demander des comptes. Elle est bien venue, mais pour me dire que de tous ceux qui avaient compati avec elle, aucun n’avait osé lui dire de le faire, et qu’elle m’en remerciait. Il n’empêche, je pense quasiment tous les jours à cette gamine et me demande, si oui ou non j’ai bien fait.

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Castor
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Castor
26 janvier 2011 8 h 30 min

débat éminemment personnel, unique.
Cet acte est pour moi comme un pardon, c’est un cadeau que l’on se doit d’offrir à celui qui souffre tant que plus rien ne l’apaise.
Ce cadeau est si précieux que nous nous devons de ne l’offrir qu’avec la plus grande réserve.
Bref, le cadre doit exister car il est évident que les dérives sont infinies.
Juste une remarque, j’ai été choqué par la photo qui, je crois, est en désaccord complet avec ton histoire.
Celle-ci ne méritait pas, je crois, une telle brutalité.

yohan
yohan
26 janvier 2011 12 h 59 min
Reply to  Castor

Ben finalement, Ranta a peut-être bien fait car ça donne à réfléchir dans les deux sens. Quand une personne est condamnée et qu’elle souffre trop, elle souffre pour rien, à quoi bon prolonger une vie qui n’en est plus une. Je pense que j’aurai fait pareil. Mais attention en effet, on ne peut délivrer la mort au motif que le maintien en vie coûte à la sécu ou que les héritiers s’impatientent, même pour de bonnes raisons.
A mon sens, pour décider d’abréger une vie, il faut bien des conditions, dont l’accord réitéré de la personne en question en premier chef :
– Que la personne ait demandé à ce qu’on en finisse, plusieurs fois devant ses proches mais pas seulement,
– Qu’il n’y ait véritablement plus aucun espoir d’un maintien en vie décent, et que l’on soit de toute façon condamné à brève échéance,
– Que la souffrance psychique et physique soit insupportable pour la personne
– Que la famille et les proches soient d’accord pour demander aux médecins une assistance à le faire
– Que les médécins ensemble aient conclu à une mort inéluctable, ou imminente

Beaucoup donc pour considérer que cela puisse s’accorder à titre exceptionnel, afin d’éviter que cela ne se fasse par la bande. Pour avoir travaillé en milieu hospitalier, je sais que les médécins prennent sur eux parfois pour précipiter les choses….

COLRE
COLRE
27 janvier 2011 9 h 45 min
Reply to  ranta

Bonsoir Ranta,
Belle histoire qui fait réfléchir à la culpabilité…

Elle me rappelle l’un des premiers livres de Simone de Beauvoir que j’avais lu jeune, à une époque où l’on découvre et aime les grands pbs philosophiques.
C’est le Sang des autres.
J’y avais réalisé que, quoi qu’on fasse ou ne fasse pas, on est responsable de ses actes, et que les « non-actes » sont des actes au même titre que les « actes ».
Cette idée si paradoxale pour un jeune esprit ne m’a plus jamais abandonnée.

COLRE
COLRE
27 janvier 2011 9 h 54 min
Reply to  ranta

Je rajouterais un truc : c’est parce que ta phrase est celle qu’elle attendait qu’elle a tout de suite pris sa décision jusque là repoussée.
Il fallait un encouragement qui la libère, car elle savait bien, au fond d’elle même, qu’elle n’avait pas le choix, et qu’il lui fallait agir ainsi.
Ton conseil l’a juste libérée d’une effroyable culpabilité et de l’horreur d’un dilemme socialement impossible.

A mon avis, tu ne l’as ni « influencée » ni « manipulée ».
C’est elle qui a pris sa propre décision.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
26 janvier 2011 8 h 56 min

Ce texte m’a bouleversé par sa vérité et son refus des réponses toutes faites.
« Bin voilà la question qui dérange , je vous la pose quand même ,car on a beau détourner les yeux elle nous revient toujours en pleine face  »

Merci Ranta pour ce rappel à l’ordre.
L’illustration que tu as choisie , grinçante et provocatrice rappelle que la question du droit à une mort digne ne s’inscrit pas uniquement dans le champ de la compassion. Elle déborde aussi largement sur celui de l’imposture hideuse et ce dessin vaut un long développement .

Léon
Léon
26 janvier 2011 10 h 12 min

Pareil. J’ai été très touché par ce texte. C’est un sujet sur lequel je n’ai pas d’opinion toute faite. J’ai été confronté, comme d’autres, au problème avec un parent. Je ne sais pas si la solution choisie a été la bonne, mais l’idée qu’atténuer les souffrances avec un produit qui finit par être létal me semble acceptable. Mais pas toujours applicable : de quelles souffrances parle-t-on et des souffrances de qui ? De la personne elle-même ou de ses proches ?

hks
hks
26 janvier 2011 11 h 54 min

J’ai été éveillé à la question par le procès intenté contre le Dr. Chaussoy et Marie Humbert
les 13 et 14 janvier 2004 ils sont mis en examen, le premier pour « empoisonnement avec préméditation » et la seconde pour « administration de substances toxiques ». (Un non-lieu a été délivré en février 2006 sur cette affaire)

Je suis plutôt partisan d’une loi( de LA loi attendue )
cf le combat de jean luc Romero pour la légalisation de l’euthanasie (Association pour le droit de mourir dans la dignité)
Le texte fondateur(19 novembre 1979) de l AMD précise :L’euthanasie, soigneusement codifiée et exercée avec précaution, est un autre droit qui reste à conquérir.
http://www.admd.net/les-objectifs/le-texte-fondateur.html
……………………………………………………..

Ne pas oublier qu’il y a déjà des lois ,la principale est la loi Leonetti avril 2005. »Le médecin, en effet, n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort du patient. Mais, dans le but de soulager la souffrance, et même si cela doit avoir pour effet secondaire d’abréger la vie, la loi Leonetti l’autorise à administrer des antalgiques à haute dose ou, dans certaines situations exceptionnelles, à pratiquer la sédation, qui provoque la perte de conscience. Le but recherché est le soulagement de la douleur du patient. » http://bien.vieillir.perso.neuf.fr/mourir-vivant_deux.htm
…………………………………………………….


Sur le fond du débat actuel( ou de la revendication )
http://www.admdblog.fr/
« Puisque la loi du 22 avril 2005 dite loi Leonetti permet déjà de hâter la mort, il faut légiférer pour que le patient et lui seul prenne la décision – et non son médecin ou ses proches – et pour que la mort arrive dès que l’acte médical est exécuté alors qu’il n’intervient aujourd’hui – dans le cas d’une sédation terminale – qu’aux termes de plusieurs jours de souffrance abominables et inutiles, voire plusieurs semaines ».

« Le 25 janvier prochain votre Assemblée débattra des propositions de loi issues des trois composantes politiques principales de notre pays (PC-PS-UMP). Ces trois propositions et c’est un fait politique majeur aujourd’hui, vont dans le même sens : légaliser l’aide active à mourir pour celles et ceux en fin de vie qui ont, au préalable et en conscience, exprimé et réitéré leur volonté en ce sens. »

snoopy86
Membre
snoopy86
26 janvier 2011 13 h 58 min

Insoluble et toujours épouvantable dilemme …

La décision aux proches ? on imagine immédiatement toutes les dérives possibles

Au malade ? A sa demande libre et éclairée ? Est-on libre et éclairé en ce genre de circonstances ?

Au médecin ? Une loterie comme l’avortement où la grande majorité des obstétriciens refuse de pratiquer l’avortement non-thérapeutique …

Magnifiquement résumé par Ranta ….

Deux fois en 12 ans j’ai été témoin de l’agonie de mes proches qui au terme de vies magnifiquement remplies déclaraient souhaiter que cela se termine au plus vite. 4 ans pour l’un , un an pour l’autre…

Il n’y a que les cul-bénis de tous poils qui trouvent la réponse dans leur béquille …

mmarvinbear
mmarvinbear
26 janvier 2011 14 h 08 min

Elle était perdue de toute façon ? Alors le choix d’abréger ses souffrances était le meilleur.

C’est faire preuve d’une cruauté sans nom que de laisser quelqu’un souffrir à un point pareil au nom de la défense de la vie.

En revanche, je ne pense pas que l’argument « économique » soit pertinent. Le seul but d’une loi sur l’euthanasie est de permettre à une personne condamnée d’en finir avec dignité et sans souffrances inutiles. Pas de limiter les dépenses.

D’ailleurs, je ferai remarquer que ceux qui invoquent ce point sont le plus souvent proches des partis qui sont pour le démantèlement de la Sécurité Sociale, dans l’idéologie ou dans les faits.

maxim
maxim
26 janvier 2011 14 h 26 min

beau témoignage de Ranta !

je pense que chaque individu à le choix de son libre arbitre,et devrait par une nouvelle forme juridique pourvoir remplir un document respectant sa décision le moment venu où atteint d’un mal incurable il décide de partir dans la dignité !

alors c’est aux politiques de tout bord d’avoir enfin ce courage de se pencher vite fait sur ce cas malheureusement trop longtemps fréquent et vécu par un grand nombre de nous,l’agonie d’un proche et son désir d’en finir tellement il souffre ! et cette peur de l’entourage de tenter quelque chose au risque de se retrouver devant une cour d’assises!

on est en 2011,finies les bondieuseries et les dogmes,la souffrance n’est pas une épreuve forcée décidée par une loi divine, la souffrance c’est le martyr avant tout d’un être qui veut enfin partir en paix !

Buster
Membre
Buster
26 janvier 2011 15 h 08 min

Pas plus d’avis tout fait.

Et ne pas avoir d’avis définitif sur ce sujet trahi bien la diversité des questions et la singularité de chaque situation.
J’avais pris la carte de L’ADMD, pendant un temps. Et puis ce « combat » (?) est tellement difficile à trancher entre morale, philosophie, circonstances, que j’ai simplement averti ma famille que, pour ce qui me concerne, je souhaiterais pouvoir avoir ce choix, et pouvoir recevoir de l’aide en ce sens si d’aventure…
Quant à décider pour d’autres, ce ne pourrait être que des cas de conscience uniques, donc non profitables ou non extensibles à 1 seul autre cas.

hks
hks
26 janvier 2011 16 h 35 min

à Ranta

structures de prises en charge de la fin de vie pour ceux qui en ont les moyens et euthanasie pour les autres.
C’est que je ne le vois pas du tout comme ça .Et j’ espère bien que personne ne le voit ainsi .
Je n’envisage que les cas où il y a demande expresse et consciente du malade .( j’ exclus les demandes de proches ou du corps médical ).

SANDRO
SANDRO
26 janvier 2011 19 h 58 min

Beaux mots, vraie question.
J’ai vu les deux: le soulagement et la tenue d’une promesse faite par la fille (médecin) à son père de ne pas le laisser à l’Hopital et de « s’occupper de lui », le moment venu, en cas de malheur. Le moment est venu, elle a tenu promesse,20 ans plus tard. Elle à la fois tenu sa main et poussé la seringue. Mais étre médecin, ca donne accès aux produits, ca aide.

J’ai vu aussi le glauque, en Belgique, comme une incération sans a^me qui vive.
J’sais pas, pas, comme disait l’autre

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
26 janvier 2011 20 h 51 min

Un conseil d’usage
Avant d’utiliser la fenêtre brouillon , réactualiser la page…

hks
hks
26 janvier 2011 21 h 23 min

à Ranta

Je ne connais pas les mobiles intimes de François Fillon , j’ ose espérer qu’ils relèvent de l’éthique et non de l’ électoralisme .
Sur cette base vous pensez que c’est rassurant .Il est toujours rassurant de voir un politique fonder sa décision sur l’éthique à tout le moins sur une éthique qui ne soit pas celle de l’utilitarisme .

En l’occurrence si le législateur ne peut statuer sur un droit à donner la mort c’ est que la législation est inféodée à une loi morale et de fait au sixième commandement du décalogue (tu ne tueras pas ).
Ainsi selon l’article 222-1 du code pénal, le meurtre est « le fait de donner volontairement la mort à autrui ». Le meurtre est punie de la réclusion criminelle.

On comprend la forte réticence de l’autorité politique à contredire
1) la morale
2) le droit

Les interdits sont très puissants et même pour des esprits agnostiques .
En France les opposants ( par conviction religieuse ) à une loi sont très actifs .
Au niveau européen, la Cour Européenne des Droits de l’Homme est très réticente à l’égard de l’euthanasie.

Les partisans d’ une loi sur l ‘euthanasie peuvent- ils espérer avoir gain de cause ?
En cas de changement de majorité politique … peut- être !
Peut- être sur une loi très très encadrée , mais ils ne demandent pas autre chose non plus .

Asinus
Membre
Asinus
26 janvier 2011 22 h 57 min

cette question insoluble cette question si évidente
mais si répugnante à l’ame /l’esprit
n’est elle pas finallement ?
la facture à payer pour nous peuples riches et nantis qui voulons prolonger au plus loin notre passage,
c’est la note pour laisser nos docteurs jouer à Dieu/ nature .

Sommeil sur la terre. Sommeil sous la terre.
Sur la terre, sous la terre, des corps étendus.
Néant partout. Désert du néant.
Des hommes arrivent. D’autres s’en vont.

O Kayyam

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
26 janvier 2011 23 h 10 min

Je reviens pour te dire à quel point tu as su trouver les mots pour m’inviter à ne pas faire le malin. Ne pas jouer au plus fort avec cette question , la seule question de puis près de 20 ans.

voxagora
voxagora
27 janvier 2011 12 h 01 min

Mon commentaire du 26 était un cri du corps concernant le devenir de ma propre personne,
tout autre que des considérations ambigües sur la vie et la mort des autres,
je suis déçue qu’il ait été supprimé.

COLRE
COLRE
27 janvier 2011 12 h 24 min
Reply to  voxagora

Bonjour voxagora, 🙂
De quelle réaction parlez-vous ?

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
27 janvier 2011 12 h 30 min
Reply to  voxagora

Voxagora , il y a très certainement eu une fausse manœuvre…Votre commentaire s’il a été supprimé ne l’a pas été volontairement

voxagora
voxagora
27 janvier 2011 12 h 02 min

Oh là là : un cri du COEUR ..

Fantomette
Membre
Fantomette
28 janvier 2011 22 h 12 min

Intimidant comme article à commenter…
Intimidant car je crois qu’on doit se garder des certitudes et des affirmations.
Intimidant car on touche à la mort, cette ultime frontière, et qu’en certaines circonstances on pense avoir le droit de décider avant elle.
Tous les médecins ont un jour reçu la demande d’un patient : « quand le moment sera venu, Doc, vous m’aiderez,n’est-ce pas? ». Et ils ont répondu comm eils ont pu. On répond comme on peut, avec ses convictions, son histoire personnelle, son éthique, la pression des proches, le moment, la peur de prendre la mauvaise décision. Parce que même quand la mort est « une délivrance », même quand la vie qui reste n’est plus que souffrances, il n’en reste pas moins qu’on donne la mort alors qu’on a choisi de se battre pour la vie.
De nos jours on a les moyens d’alléger la souffrance physique totalement ou presque, au prix de la sédation, de la somnolence voire du coma. Jusqu’où pousser le curseur?
Parce qu’il y aura celui qui était sûr et certain et qui se rétracte une fois que la souffrance a disparu; il y a celui qui ne voulait pas en entendre parler mais qui la réclame maintenant, avant d’aller trop loin dans la déchéance du corps ou de l’esprit; il y a celle qui tient pour ceux qu’elle aime mais qui hurle dès qu’on la touche; il y a ceux qui veulent juste ne plus souffrir et ceux qui veulent en finir pour de bon; il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas; il y a des humains, juste des humains.
Beau sujet : l’article est sobre, et les commentaires tip top.