Destin et effet papillon.

Il s’était mis à pleuvoir en fin de nuit; des trombes d’eau d’un des ces orages d’été, survenant sans prévenir, qui allaient laisser la place à un épais brouillard. Je ne pouvais plus prendre ma moto, pas aujourd’hui, pas en costard/cravatte , ni l’étroite route « touristique » faite de petits virage serrés qui pourtant m’aurait fait gagner du temps. Je devais donc me rabattre sur le truc à quatre roues, la nationale et son cortège de véhicules dont la principale particularité semble de vous faire sentir à quel point le temps perdu ne se rattrape jamais.

C’est qu’aujourd’hui est un jour important. J’ai décroché de haute lutte un entretien d’embauche dans une société plutôt importante en vue d’un poste sur lequel je lorgne depuis longtemps. Je suis encore dans les temps pour effectuer la cinquantaine de kilomètres qui me sépare de mon Graal mais le brouillard qui s’installe va me ralentir. Un de ces épais brouillard dans lequel s’enfoncer à la vertigineuse vitesse de quarante km/h s’apparente à sauter dans le vide sans parachute, et c’est là que mon destin va basculer.

Alors que j’ai presque franchi la quinzaine de kilomètres qui me sépare de la nationale, au détour d’un virage, le faible et pâle halo de feux de détresse peinant à percer le brouillard m’incite, malgré moi, à stopper et me renseigner. La créature fantomatique émergeant de la brume et qui m’interpelle de sa plus belle voix – cette voix dont seules les femmes ont l’usage exclusif et qui en devers vous ne vous permet pas de vous défiler – ne me laisse aucun doute sur le fait que jamais je n’aurais dû m’arrêter, en m’expliquant qu’elle croit bien avoir une roue crevée. Merde et remerde, j’avais besoin de ça ! J’ai beau passer en revue à la vitesse de la lumière tous les prétextes foireux me permettant de la planter là je m’entends lui dire « bon, je vais vous aider »

« Vous aider. » Purement et simplement une figure de style, de rhétorique, lorsqu’une femme sollicite vos compétences techniques en mécanique ou en bricolage. Au mieux elle se contente d’attendre, au pire elle s’impatiente que votre supposée supériorité de mâle soit en berne aujourd’hui. C’est donc en réprimant un soupir que je vais prendre connaissance des dégâts et mon premier soin est de piétiner allègrement dans une des flaques de boue sur le bas côté de la route : autant pour mes pompes Italiennes soigneusement cirées et le bas de mon costard. Ma seconde intervention se résume à glisser sur l’herbe humide du fossé et c’est au tour de mes genoux , de mes coudes et avant-bras de rajouter au désastre. Après avoir bataillé une trentaine de minutes dans la boue avec cette fichue roue je sors vainqueur, mécaniquement parlant, mais vaincu à plate couture quant à mon apparence et ma présentation physique.

Voilà, la messe est dite. Le retard que j’ai pris et mon pitoyable état ne me laissent d’autre possibilité que de renter chez moi. Adieu veau, vache, cochon, couvée, comment expliquer au DRH avec lequel j’ai rendez-vous ce qui vient de m’arriver ? Lorsque les trains sont partis, même en retard, si on n’est pas monté dedans… On ne maîtrise pas son destin, inutile de tempêter contre ce qui vous échappe. Finalement les deux plus importants moments dans la vie d’un Homme sont sa naissance et sa mort, entre les deux ce n’est qu’un roman fait de joies et de peines dans lequel il écrit bien peu de chapitres en totalités.

Pour la première fois depuis de notre rencontre je m’intéresse à cette brave dame pour découvrir une femme d’une quarantaine d’année, en tailleur strict, légèrement maquillée, qui dégage une impression de sérénité qui me fait instantanément perdre toute velléité de rancune à son encontre.

« Je vous remercie sincèrement de votre aide, ça me ferait plaisir de vous offrir un café au village voisin, si bien sûr vous en avez le temps » Pourquoi pas ? Après tout, maintenant, plus rien ne m’empêche de faire tous les bistrots sur la route du retour si le coeur m’en dit, et j’en profiterai pour téléphoner à l’entreprise pour m’excuser et tenter de lui faire comprendre ma situation.

Une fois attablés et la commande passée, elle me regarda avec un léger sourire en me disant : « j’espère que je ne vous ai pas mis trop en retard et que cela ne vous vaudra pas d’ennuis ». Pendant quelques longues secondes je la dévisageai, soupesant le pour et le contre de lui raconter comment une journée qui s’annonçait radieuse finissait aussi vite qu’elle avait commencée en une énorme déception de n’avoir pu défendre ma candidature et ma quasi-certitude à obtenir ce poste tant convoité. Puis, je me décidai à lui expliquer. Après m’avoir longuement questionné sur ma motivation sur ce poste sans même que je perçoive pourquoi elle s’y intéressait tant et pourquoi je me laissais aller à lui servir les arguments que je réservais à mon entretien elle me dit : « Je suis sincèrement désolée, puissiez-vous ne pas trop m’en tenir rigueur. Mais, dites-moi, si je peux me permettre, où aviez-vous rendez-vous ? ».

Le destin, le hasard, que sais-je, venait de se réinviter. Il s’avéra qu’elle occupait un poste de direction dans cette entreprise et qu’elle s’assurait fort d’intercéder en ma faveur. Oubliés les chaussures et le costumes boueux, oublié le retard ! Habité, envahi d’une nouvelle énergie,encore plus farouche que celle que j’avais perdue quelques minutes auparavant, c’est avec la foi qui renverse des montagnes que je me présentai, en sa compagnie, au bureau du personnel. On me pria de patienter quelques temps dans le couloir en compagnie d’autres candidats et je la vis disparaître dans l’un des bureaux attenant à celui du DRH, un de ceux occupés par les employés du bureau du personnel. Puis l’on me fit entrer : quelle ne fût pas ma surprise, mon effarement, de voir trôner dans le fauteuil du DRH « ma  belle » secourue plus d’une heure auparavant.

Cette fois ci, ce fût avec un énorme sourire qu’elle m’invita à m’asseoir et avant que je n’ai pu prononcer le moindre mot elle m’expliqua que, certes, j’avais bien entendu été convoqué en vertu de mon CV et de ma lettre de motivation, mais qu’elle ne pouvait rester insensible à l’altruisme dont j’avais fait preuve au risque de perdre la possibilité de décrocher cet emploi et que du reste mon entretien d’embauche avait été fait, à mon insu, autour du café que nous avions partagés.

En rentrant je repensais à cet orage, à ce brouillard qui m’avaient forcé à changer d’itinéraire. J’ y ai souvent repensé. Ces caprices du destin ou ce battement d’aile d’un papillon quelque part à des milliers de kilomètres. Depuis, chaque fois que je vois un papillon je passe de longue seconde à le contempler et malheur à ceux dont la passion est de les épingler, ils sont ma bête à bon Dieu à moi.

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Léon
Léon
4 mai 2011 11 h 25 min

Cette histoire dont Ranta m’a juré l’authenticité est vraiment extraordinaire. Elle est d’autant plus étonnante qu’en stricte logique de DRH, elle aurait dû rejeter la candidature de quelqu’un qui fait passer autre chose avant son travail et son souci de servir sa future entreprise !
Pff elle a dû être subjugée par le sex-appeal de Ranta… 😆

Lapa
Administrateur
Lapa
4 mai 2011 11 h 36 min
Reply to  Léon

effectivement je ne vois que cette explication!

yohan
yohan
4 mai 2011 13 h 17 min

Très fort Ranta. Manquait plus qu’elle ne devienne ton épouse et là, les conspis se seraient lâchés sur Maboulvox 😀 😀

yohan
yohan
4 mai 2011 14 h 38 min

Plus sérieusement, et contrairement aux idées reçues, les recruteurs sont par nature aussi divers dans leurs pratiques de recrutement que dans la vie. Les compétences certes, mais pour départager, certains le font à l’instinct et utilisent la période d’essai qui n’est pas faite pour les chiens. Ranta ayant déjà gagné au grattage, il n’avait plus qu’à finir le travail au tirage 😕
J’ai moi-même recruté un gars pour un poste de psychologue du travail parce qu’il jouait au foot (comme moi), alors que ses concurrents mettaient en avant leurs goûts pour les expos, le théâtre, les voyages… Il s’est avéré que c’était un excellent choix. Depuis, je me suis sérieusement planté en me fondant sur des critères bien moins subjectifs recommandés par les manuels du parfait chef d’entreprise. Ce qui me fait dire que recruter, c’est une affaire de feeling

yohan
yohan
4 mai 2011 14 h 40 min

…et de destin

maxim
maxim
4 mai 2011 19 h 45 min

quel heureux dénouement pour une roue crevée…. voici mon histoire que je garantis sur l’honneur absolument authentique …nous sommes en 1967 j’avais 25 ans et toutes mes dents ! je travaillais à l’époque pour une entreprise de bâtiment où j’avais un poste de chef de chantier ….le Vendredi soir il y avait un rendez vous de tous les responsable de chantiers au siège social pour faire le point ! et c’est au moment ou tout le monde partait et reprenait sa voiture qu’un charmante personne du personnel administratif s’aperçut qu’une roue de sa bagnole était à plat ! et comme j’étais un garçon galant et serviable de réputation,elle me demanda de bien l’aider,ce que je fis volontiers d’autant plus qu’elle n’était pas vilaine du tout ! la roue remplacée,elle me remercia vivement et me; dit qu’elle était pressée,mais qu’elle me revaudrait ce service …. c’est le Lundi suivant qu’elle m’invita à dîner chez elle sans chichis et à la bonne franquette ! je vivais à l’époque avec une amie et nous avions pris un appart à deux,acheté des meubles,enfin,prêts à unir nos destins dans quelques temps … ce fameux soir où j’ai été invité,je n’ai donc pas prévenu ma compagne,et j’ai donc suivi chez elle celle que j’avais dépanné auparavant ! nous avons acheté en route chez un traiteur de quoi casser la croûte et boire un bon coup …. le dîner s’est très bien passé,même très très bien vu que je me suis réveillé sans rien, couché avec ma voisine dans le même appareil le lendemain matin ! j’ai inventé un truc bidon à ma régulière pour justifier mon absence et mon silence ( le portable n’existait pas à l’époque !) et là,je me retrouvais pour le coup avec deux nanas,parce que celle d’un soir voulait que ça continue entre nous,et que la nouveauté aidant, j’étais plutôt partant ! je vous laisse imaginer la suite quand ma régulière jalouse de nature a pigé le topo ,elle est venue me faire des scènes à mon boulot,j’ai été obliger de la virer pour avoir la paix …adieu l’appart et les meubles et la vie douillette,je m’étais installé chez la nouvelle qui voulait m’avoir pour elle toute seule ! il a fallu que je rachète des fringues et des sous vêtements vu que l’autre panthère avait tout foutu à la poubelle de rage !…. je ne raconte pas la suite,si ce n’est… Lire la suite »

Léon
Léon
4 mai 2011 20 h 01 min

Bref une sorte de banal adultère… Je préfère largement l’histoire de Ranta. Quoi qu’il nous a pas dit s’ils avaient fait crac-crac finalement… 🙄