Histoire de l’orgue 13 : le XIXème siècle (4 et fin)

Indéniablement, Cavaillé-Coll aura marqué le XIXème siècle et la facture d’orgue en générale. Mais il ne fut pas le seul. De nombreuses inventions et technologies furent appliquées à la conception et la construction des instruments par d’autres organiers. Nous en détaillerons quelques-unes.


Ça ne manque pas d’air!

Le levier Barker ouvrait la voie à une nouvelle source de possibilités qu’offrait la maîtrise d’un système pneumatique.  L’orgue possède, de base, deux systèmes mécaniques en parallèle: le tirage des soupapes des notes et celui des jeux sélectionnés. Ce dernier et le plus lourd car il faut faire coulisser le registre, ce qui impose une mécanique faite de bras, de leviers et d’équerres. Celle-ci sera d’autant plus complexe que le nombre de jeux sera élevé et les sommiers correspondants éloignés de la console.


Fonctionnement de la mécanique des notes et des jeux

Il y a donc eu rapidement des tentatives pour rendre ce système plus flexible. Notamment en utilisant la transmission pneumatique. Les pommeaux de registres à la console ne commandant plus un déplacement mécanique d’un grand nombre de pièces, mais simplement l’accès à de l’air sous pression dans un tube qu’on peut aisément apporter où la nécessité se faisait sentir.  Ce système tubulaire offrait également la possibilité d’avoir une double registration, ce qui était un très grand confort pour l’organiste. Ainsi, il était commode de préparer une registration « mise en mémoire », de jouer avec une autre et d’appeler celle mémorisée au moment voulu, en commandant un simple levier.

Mais le tirage des notes faisait également partie des recherches d’amélioration. On cherchait notamment toujours à adoucir et égaliser le toucher des claviers et à répondre à des contraintes situationnelles de positionnement de la console et du buffet empêchant toute transmission mécanique. En 1845, Prosper-Antoine Moitessier, un facteur Montpelliérain (décidemment), inventait le système tubulaire. Dès lors différents systèmes furent utilisés. On peut voir le système de Sander, qui associait sur un sommier classique le tirage des soupapes par des soufflets commandés par des tubes.

Sanders Anneessens

Une maison belge, Anneesens brevètera un autre procédé où les layes sont séparées et contiennent de tous petits soufflets portant la soupape permettant à l’air comprimé de se rendre ou non aux tuyaux.
Ces systèmes tubulaires ne permettaient pas néanmoins d’éloigner de plus de 20 mètres la console. De plus, si le toucher était égal en tout point, l’attaque des notes était relativement molle, mêmes avec des systèmes à dépression, plus performants.


Fonctionnement simplifié d’un système pneumatique

La Fée électricité

En 1868 le belge Zénobe Gramme construisait la première dynamo. A partir de 1880, les applications de cette nouvelle énergie balbutiante se généralisèrent. Bien entendu, la facture d’orgue  ne fut pas en reste. En 1883 Schmoele et Mols mirent au point un système utilisant des électroaimants pour actionner les soufflets commandant les soupapes. Le brevet fut acheté par Joseph Merklin, facteur d’orgue d’origine allemande qui avait repris les ateliers Ducroquet (souvenez-vous de l’Epsiode de l’orgue de Saint Eustache) en 1855, qui l’utilisa dans ses constructions. En 1867 le grand orgue Merklin prévu pour St Epvre de Nancy obtient la médaille d’or de l’exposition universelle.  Auparavant,  Albert Peschard et Charles Barker, avait essayé également diverses mises au point et c’est le facteur anglais Hope Jones,  qui travailla le plus sur cette technique déposant de nombreux brevets et inventant toutes le possibilités qui allaient donner naissance à l’orgue de cinéma (on y reviendra).

Hebergeur d'image © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski (Degas)

Pour l’instant, on n’arrive pas encore à ouvrir directement les soupapes avec un électroaimant: trop compliqué, cela nécessite des courants trop importants qu’on ne peut fournir et augmente les risques d’étincelles. Alors on passe par un soufflet pneumatique intermédiaire, l’électricité permettant une liaison aisée avec la console. Ainsi de nombreux orgues seront revus suivant ce principe, avec une console « indépendante » du buffet, reliée uniquement par un toron de câbles électriques. Cela permettait, par exemple, de commander depuis la même console l’orgue situé à la tribune et celui situé dans le chœur[3].

Uniformisation et normalisation

Le mouvement qui s’est emparé de l’orgue au XIXème siècle est inscrit dans celui des sciences et techniques dans tout l’Occident et ne connaît pas de frontière. Les écoles nationales et typologies régionales propres au XVIIIème siècle tendent à s’estomper pour laisser place à une sensibilité romantique et symphonique commune.  De même, il a un besoin de normaliser la facture et notamment l’interface entre l’artiste et l’instrument.
Ainsi le congrès de Malines en 1863[1] fixe les règles pour le dimensionnement et la forme des claviers et pédalier, avec l’abandon du pédalier « à la française » pour aller vers un pédalier dit « à l’allemande », permettant de jouer avec les talons et les pointes du pied.
Ainsi Cavaillé-Coll et son œuvre inspireront la plupart des maisons concurrentes, étrangères ou non  qui reprendront ses orientations et effectueront de grandes recherches d’innovation dans le domaine de l’orgue et sa musique.

La fin de l’épopée Cavaillé-Coll

En 1878, Aristide Cavaillé Coll présente pour l’exposition Universelle un orgue monumental au Palais du Trocadéro et sur lequel se font entendre à partir du 25 Juillet les meilleurs organistes (Guillmant, Saint-Saens, Widor, Franck…) par une série de 14 concerts.
Le succès du patron est international. Il projette même de réaliser son chef d’œuvre pour la plus grande église de la chrétienté: St Pierre de Rome. Un bâtiment immense à sonoriser, un défi architectural et musical. Toutes les études furent réalisées (le projet a été édité sous forme d‘un livre de 54 pages), les solutions trouvées, une maquette fut même construite au dixième. Las, l’instrument, poussé par Liszt ou Lemmens ne sera jamais réalisé, sans doute par refus du Chapitre plus que par celui du pape[2].
Aristide prend sa retraite: en 1898, Charles Mutin, le contremaître, rachète la manufacture. Le 14 Octobre 1899, il meurt à Paris. Le journal l’Illustration fait l’éloge du disparu. Devant la famille et les ouvriers rassemblés au cimetière Montparnasse, Mutin rend hommage au défunt:
Le Patron …ce nom, en désignant M. Cavaillé-Coll, n’avait rien de l’appellation familière que des employés donnent au chef d’une maison ; il voulait dire quelque chose de plus, de plus affectueux aussi. Cavaillé-Coll fut le chef et le protecteur de la facture d’orgues tout entière ; lui seul, et pas d’autres, éleva son métier à la hauteur d’une science et d’un Art, et grâce à son génie l’Orgue est devenu l’instrument merveilleux que nous possédons aujourd’hui.
Et maintenant, Maître, dormez doucement de votre dernier sommeil, votre nom et votre souvenir pieusement conservés… Les Oeuvres qui chantent pour vous suffisent à votre entrée dans l’immortalité

Tombe d’A.Cavaillé-Coll 18ème division, 1ère section, 1ère ligne Nord n°27

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[1] Un extrait ici: sur googleBook

[2] Je n’ai malheureusement pas de sources à ce sujet, si des lecteurs en ont je suis preneur!

[3] Un exemple d’orgue Merklin utilisant l’électricité avec une vue 3D. Vous pouvez voir en premier le buffet du positif expressif devant, à gauche la console qui est perpendiculaire au bord de la tribune et séparée des deux grands buffets à gauche et à droite qui sont collés contre les murs pour ne pas masquer les vitraux et la rosace. Ce type de disposition est rendue possible grâce à ce type de traction. De plus la console permettait de jouer sur l’orgue de choeur situé dans l’abside au nord, à 60 mètres de là. La liaison électrique d’origine a été coupée par sécurité au milieu du XXème siècle.


Une vidéo intéressante concernant les orgues de St Epvre

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Rappel : l’ensemble des articles de Lapa sur l’histoire de l’orgue est accessible à partir de cette page.

César.

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17 Commentaires
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Buster
Membre
Buster
19 avril 2012 14 h 19 min

Bravo Lapa !

Fabuleux travail.
Félicitations pour la somme de références, d’explications historiques et techniques, de liens divers sur cet instrument.
J’attendais le dernier article pour imprimer la totalité et l’offrir en un seul jet à mon père, 89 ans, ancien organiste et amoureux éternel de la musique de Bach.
Il sera prodigieusement intéressé.
Il n’a pas d’accès à internet, mais je me débrouillerai pour lui montrer sur mon portable les vidéos et les liens qui accompagnent tes articles.

Léon
Léon
19 avril 2012 15 h 38 min
Reply to  Lapa

Bonne idée !
On peut mettre des vidéos sur un e-book ?

Buster
Membre
Buster
19 avril 2012 17 h 10 min
Reply to  Lapa

C’est le (4 et fin) qui m’a trompé. 😀
Pour le XX° voici le site de l’orgue de ma ville, et ici aussi, orgue Beckerath de construction posthume, que tu connais peut-être..

C’est déjà imprimé et il aura de quoi lire en attendant la suite.
Je pense que c’est le XIX° qui l’intéressera le plus, avec Cavaillé-Coll.
Je te donnerai le feed-back.

Les chiffres de lectures sur les premiers articles sont vraiment impressionnants, 2 sont à plus de 1500 ! ❗

Léon
Léon
19 avril 2012 14 h 31 min

Et à ce que je vois en brouillons, ce n’est pas fini !
Question : je trouve que les animations des mécaniques sont trop grandes et un peu floues à cause de ça. Seriez-vous d’accord pour que je les réduise un peu ?

Léon
Léon
19 avril 2012 15 h 11 min

Oui, c’est mieux comme ça.

C’est d’une incroyable complexité, qui doit évidemment interroger l’ingénieur. La difficulté là, c’est qu’il faut faire circuler un gaz, alors que dans le piano, toutes les liaisons se font par des solides. Et pourtant, même là, j’ai le souvenir que chaque fois qu’un ingénieur mettait son nez dans l’atelier, à l’époque où je travaillais dans le piano, et qu’il observait le fonctionnement d’une mécanique de piano à queue, il trouvait ça « inutilement compliqué ». Quand on avait le temps on lui expliquait et on le mettait au défi de simplifier. On attend toujours… 😆 😆

Roche
Roche
19 avril 2012 19 h 26 min

passionnant!quelle superbe série.
un grand merci, j’ai hâte de lire le chapitre sur l’orgue néo classique…

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
19 avril 2012 21 h 13 min

Euhhhh 😳 les deux premières video sont muettes . 😥
C’est voulu?

ranta
ranta
19 avril 2012 21 h 37 min

Salut Lapa.

J’ai jamais commenté sur ces articles car ce que je connaissais de l’orgue tenait très largement dans un dé à coudre. je dois dire aussi que je ne m’étais jamais intéressé à l’instrument, en partie parce qu’ainsi la dit Léon, pour moi ce n’était qu’une bouillie sonore.

J’en connais un tout petit plus aujourd’hui mais c’est si technique que je suis très loin du compte. Ce que j’ai envie de dire c’est que compte tenu de la complexité à la fois de l’instrument et de son histoire le travail que tu as réalisé dans la vulgarisation est remarquable. Je te tire mon chapeau.

asinus
Membre
asinus
20 avril 2012 6 h 28 min

yep , Lapa mon oreille n’accroche pas et je n’y connais  » connaissais  » rien , mais je sais reconnaitre du « bel ouvrage » je traine mes guetres sur nombre de fora divers ton boulot a peu d’égal .
Asinus .ne varietur