Jean Le Roux corsaire du Roi

Jean le Roux de la Tremblade

Pêcheur ou transporteur du milieu du XVIè au début du XIXè siècle, le marin se trouva fort dépourvu quand la guerre fut venue. La guerre?  Des guerres de religions aux guerres napoléoniennes c’est une année sur 2 ,  sous Louis XIV 2 sur 3 . Que faire du bateau ? Que faire de cette machine coûteuse quand elle navigue, coûteuse quand elle reste au port? La Marine c’est un investissement en bois, en forêts, en forge, en travail hautement qualifié, en fournitures et gréements. C’est un capital pour le navire, pour la cargaison, mais aussi pour les salaires de l’équipage.

Ce capital doit accomplir sa rotation .

Que faire de ces marins que la marine royale ne peut tous enrôler et solder et encore moins embarquer sur ses navires par manque de place ?

Comment se passer de l’activité vitale de la pêche côtière ou hauturiè, soumise à la course des puissances ennemies qui viennent longer les côtes et pénétrer jusque dans les estuaires ?

Comment se passer du cabotage côtier dans un monde où les routes manquent ou sont tellement incommodes ?

Comment se passer du nécessaire commerce côtier ou lointain du vin sortant de la rivière de Bordeaux, du sel sortant de la mer intérieure charentaise, des toiles sortant de la Loire ?

Les poumons des estuaires doivent pouvoir continuer à respirer. Au XVIIIè siècle la traite doit absolument accomplir son tour triangulaire. En guerre ou en paix les bateaux doivent sortir. La guerre n’est rien qu’un risque supplémentaire auquel il faut s’adapter. Il faut se préparer à combattre. La course est une forme de guerre adaptée qui garantit qu’une part du butin ira au roi et que les combattants recevront la protection offerte à tous les gens de guerre. On ne trucide pas tout ce qui navigue.

Tout d’abord,  il importe d’établir la distinction catégorique entre Corsaires et Pirates. Quand certains des gens de mer tentent d’être flou sur le distinguo, ils courent le risque de finir au bout d’une corde. Il a fallu toute la sollicitude attentive de Richelieu pour faire comprendre aux Rochelais de toutes les conditions, de l’armateur cossu au plus petit revendeur de butin, que le temps de la Course au nom de la vraie foi était révolu. La population réduite au 1/5è après le siège de 1628 fut bien forcée d’apprendre. C’est dans la cité mais aussi dans toute la région environnante, des Sables d’Olonne à embouchure de la Seudre qu’une tradition de marins polyvalents va être conservée jusqu’au début du XIXè siècle.

Alors ?

Plus de pirates donc plus de butin ?

Il n’était pas question que cette manne échappe à celui qui historiquement était le chef des accapareurs. Vous avez entendu = le Trésor Royal.

Comme la marine royale, malgré les efforts de Richelieu , interrompus puis repris par Colbert, en était toujours à l’ éternelle poursuite entre ses moyens et ses objectifs, on trouva bon d’associer les investisseurs locaux. Ces derniers ne plaçant que leur argent,  poursuivirent ce qu’ils étaient accoutumés de faire quand depuis des siècles ils investissaient dans la pêche. Comme ils investissaient dans la pêche, ils le firent dans la course suivant les mêmes procédures de partage des bénéfices. Sauf qu’ à l’arrivée des prises et du partage du butin, cette fois-là le Roi, par son amirauté, passait en premier. C’est bien dans la marine que nous voyons apparaître cette association entre l’investissement privé et la sollicitude intéressée de l’État

LES REGLES STRICTES DE LA COURSE

Les Corsaires étaient soumis à un ensemble de règles découlant de l’ordonnance royale sur la marine, de 1681. Ils devaient obtenir une autorisation royale à chaque voyage confirmée par l’Amirauté,verser une caution de 15.000 livres tournois garante par un négociant reconnu.

Ils demandaient

  • soit une commission en guerre
  • soit une commission en guerre et marchandises

Ce document existait pratiquement à l’identique en Angleterre

Lorsqu’ils avaient demandé une commission en guerre, les armateurs engageaient un équipage double des équipages normaux, afin de servir l’artillerie, de monter à l’abordage si nécessaire et de contrôler les navires capturés jusqu’à leur retour dans un port français. Les prises faisaient l’objet d’une déclaration à l’Amirauté et d’un contrôle rigoureux pour s’assurer que le navire était bien ennemi et pouvait être vendu, ainsi que son chargement, au profit de l’Amirauté, de l’armateur du navire corsaire, de son capitaine et de l’équipage.

La commission en guerre et marchandises

Elle avait pour but d’assurer, autant que possible, le maintien des échanges avec les colonies. Les navires partaient avec un chargement et l’espoir d’arriver sans encombre à destination. Ils emmenaient un équipage un peu plus nombreux que la normale, dans la limite de l’espace disponible, afin de se défendre ou même d’attaquer les navires ennemis qu’ils jugeaient à leur mesure.

Règles administratives au retour de la course

Le capitaine corsaire déposait à l’Amirauté son rapport de mer dont l’examen par les officiers d’administration déclenchait une procédure de plusieurs jours. Personne n’avait le droit de descendre à terre avant que les officiers d’administration n’aient dressé le procès verbal d’inspection du navire, vérifié que les scellés apposés par l’écrivain de bord sur les coffres, malles et armoires de la prise soient intacts. Ensuite ils apposaient leur sceau sur les écoutilles pour éviter que des parties du butin de prise ne soient débarquées à la nuit tombée. Enfin, ils interrogeaient les prisonniers et les menaient vers les prisons de la ville. Alors seulement, l’équipage pouvait quitter le navire et attendait le verdict du Tribunal des Prises, nécessaire avant la vente aux enchères du butin de prise.

Un petit rappel, les gens de Vichy arguèrent de l’absence de ce type de documents ( non délivré par les autorités de Freetown) pour accuser De Neumann et le condamner pour Piraterie !

Les Corsaires. Un calendrier fixé par les guerres

  • Les premiers corsaires sont apparus à l’occasion de la guerre de la ligne d’Augsbourg où les adversaires de la France furent l’Angleterre, la Hollande et l’Autriche(1692-1697), puis au cours des

Ils auront à jouer leur rôle dans les conflits suivants:

  • La guerre de succession d’Espagne(1702-1713)
  • La guerre de succession d’Autriche (1744-1748)
  • La guerre de 7 ans (1756-1763)
  • La guerre d’Amérique (1778-1783)
  • La guerre de la Révolution et de l’Empire (1793/1802 -1803/1815)

A partir de la guerre de 7 ans l’Angleterre fut l’adversaire unique.

Qui sont ces gens là ? Les archives nous en ont conservé l’histoire.

JEAN LE ROUX  , un corsaire comme les autres

La Seudre, à son embouchure, est riche en villages foyers de gens de mer, morutiers et Corsaires de La Rochelle. Fils de La Tremblade,  Jean Le Roux , s’invite dans les archives en juillet 1693. On ne sait rien de son âge. Il est suffisamment reconnu et respecté pour que l’armateur rochelais  Grignon  lui confie le commandement d’une petite « frégate » de moins de 100 tonneaux ( de 15 à 17 mètres) l’Avanturière. Jean Le Roux est intéressé lui aussi dans l’armement pour une part ouvrant au partage du butin, tout comme chaque membre de l’équipage, suivant ainsi les usages du partage du gain des pêches. Un navire de pêche ou de course est une véritable société par actions. Armé en course et marchandise, on embarque 4 canons et 4 pierriers et 50 hommes d’équipage. Ils viennent, comme leur capitaine, de la Seudre, les autres de la Rochelle mais il faut compléter avec des gens de Saint Malo, la Mecque des corsaires : sans doute un équipage de prise dont le navire d’origine a connu quelques déboires. Il restera de la place pour des gens venus de la Méditerranée, de l’étranger (*?*) ou de l’intérieur des terres du Poitou. Au total l’ensemble est assez hétérogène et peu apprécié par les gens de ce monde-là à l’époque. On préfère nettement des équipages soudés par des liens de famille ou de voisinage.

Il faut s’arrêter pour considérer une pratique courante dans la marine de course : l’entassement, 50 hommes sur un quinzaine de mètres.

On ignore tout sur le passé de Jean Le Roux sauf quelques bribes qui nous serons rapportées par son second Thomas Bruneau.

Ce Jean Le Roux aurait passé 14 ans chez les colons anglais de la Nelle York . Captif ou volontaire? On ne sait.  C’est pourtant de lui que nous apprenons que son départ avait tous les caractères d’une évasion, pour laquelle il reçut l’appui des indiens et au bout de laquelle, 700 km plus loin, il atteignit Québec. Là, il aurait embarqué sur un vaisseau de guerre ( vaisseau du Roy) en laissant derrière lui femme et fille à New York.

En un temps où les gens ne bougeaient guère, les rares qui bougeaient bougeaient beaucoup.

Aux attentes de son armateur et à celles du Roy ( la lettre de course) Jean ajoutait les siennes .

L’Avanturière quitte La Rochelle le 21 juillet 1693 et, suivant le rapport, après un passage aux Açores pour faire de l’eau (?) [ Nous savons en vérité que, placées sur la route de retour des galions espagnols, les parages de ces îles étaient le territoire de chasse des corsaires] Dix jours plus tard Jean Le Roux  part pour les eaux du grand banc de Terre Neuve ( zone officiellement fixée à l’avance dans sa Lettre).

Tout va bien, il capture un petit navire anglais chargé de sucre, de peaux et d’huile de baleine. Ce dernier, nanti d’un équipage de capture ( pris sur les 50) est illico renvoyé à La Rochelle. On le perd de vue très vite dans le mauvais temps. L’Avanturière relâche à Placentia au sud de Terre Neuve car c’est un centre de tous les trafics et de toutes les informations. Y libère-t-elle ses prisonniers ? C’est fort possible car ce supplément de bouches à nourrir entamerait d’autant les réserves toujours chichement comptées. La cueillette des informations fut sans doute bonne car une barque anglaise chargée de morues est capturée, si bien qu’on retourne à Placentia pour la vendre. Cette fois, il faut y faire relâche car le temps a viré à la tempête.

Le 3 octobre cap sur NewYork, attaque d’une barque, on cueille au passage un passager suffisamment important pour que Jean Le Roux envisage d’en faire une monnaie d’échange dans les tractations éventuelles.

La question de la récupération de sa femme.

Sa femme aurait donc été laissée derrière lui comme une véritable otage? Mais alors… ?  Jean se serait donc évadé !

Le 17 octobre Jean embarque sur la chaloupe avec le pilote, un anglais, et 5 hommes. Cet Anglais aurait résidé en France depuis longtemps ce serait lui l’étranger inscrit sur le rôle au départ. Aurait-il été lui aussi un ancien otage d’un échange envisagé et avorté? Il y a bel et bien une similarité entre sa condition d’anglais résidant à La Rochelle et celle de Jean pendant 14 ans à la Nelle York.

Jean envoie le pilote et l’Anglais à terre pour avoir des nouvelles de sa femme.

Bernique , ils ne la trouvent pas mais tombent sur sa fille qui les convainc de faire venir son père à terre. Jean s’empresse mais découvre que sa ? prétendue ? fille l’a attiré dans un piège. Lui et son pilote sont capturés malgré les tentatives de l’équipage pour échanger les prisonniers. L’affaire vire au vinaigre quand les godons tentent de prendre l’Avanturière par traîtrise. S’ils ne se sont pas suffisamment approchés pour aborder le navire, ils étaient assez près pour qu’un violent échange de mousqueterie contraigne le Français à reprendre le large, laissant derrière lui capitaine et pilote, et le fameux Anglais résident en France ainsi que la prétendue fille . Quant à la femme ?

Quelques observations peuvent être faites à cette étape du récit.

On notera que Jean le Roux conserve une vision assez floue des limites précises fixées à son activité de corsaire. Le Passage aux Açores a-t-il été provoqué par le fameux Nanticyclone ? On n’en sait rien. On peut en revanche avancer que Roux dans sa navigation dans les eaux de Terre Neuve, chasse gardée des anglais en temps de guerre, n’a pas dû arborer trop souvent son pavillon français, ce qui expliquerait la facilité de ses prises, et la totale impunité de ses différents atterrages de Terre Neuve à New York. Il y a là, pourtant, une règle qui fait frontière en piraterie et course.

On peut aussi s’arrêter à l’examen d’un cliché bien français = la traîtrise du britannique .

Pour avoir une idée de la violence de la confrontation on doit rappeler ici que l’usage réglementé veut qu’un bateau corsaire embarque au moins un mousquet par homme d’équipage, un sabre , une hache. Il faut que le français ait été surpris pour ne pas donner du canon, il fallait que les mousquets, de part et d’autre, fussent chargés .

Adieu Jean Le Roux : en ce jour d’octobre 1693 tu disparais de l’Histoire toi qui y étais entré 3 mois plus tôt.

C’est ainsi que le second, Thomas Bruneau, accède au commandement. On prend le chemin du retour, on fait deux nouvelles captures, mais le mauvais temps s’en mêle et c’est la panique. Pour alléger le navire on jette les canons et la chaloupe. La voile de misaine est éventrée, les cordages rompus. Les réserves viennent à manquer, sur le navire délabré la tension monte. Le capitaine est battu par ses hommes. Ces Mutins ? Fallait-il qu’ils soient assurés de leur impunité pour rentrer à La Rochelle. Ils auraient pu peut-être en ajouter beaucoup au rapport  de l’Avanturière conservé dans les archives du port.

Ces archives furent un jour consultées par celui qui fut  mon prof il y a 40 ans. Elle furent  étudiées de longues heures et présentées dans un livre cette  année que  j’eus  le bonheur d’acheter au Leclerc du coin.

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10 Commentaires
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Xavier
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Xavier
22 octobre 2012 11 h 32 min

Bonjour Furtif,

Les corsaires ! Malheureusement, les gens en ont une vision romantique, pourtant que de souffrances et de misères pour les équipages.
J’ai relevé ta phrase :  » Que faire de ces marins que la marine royale ne peut tous enrôler et solder…  »

Dans mon coin, en Basse-Bretagne, la Royale envoyait ses troupes pour rafler les marins « civils », pêche ou commerce, et les enrôler de force sur les vaisseaux du roi pour de longues années, laissant les familles sans ressources.

Lorsqu’ils étaient rendus à la vie civile, bien peu d’entre eux pouvaient reprendre leurs activités maritimes normales, estropiés de partout qu’ils étaient bien souvent. C’est qu’on ne monte pas à l’abordage d’un navire de guerre comme on pilote un drône et les combats en ligne, quelle boucherie !

On doit à Colbert d’avoir « humanisé » quelque peu ces pratiques en créant ce qui allait devenir « l’Inscription Maritime » qui durera jusqu’en 1967, et l’ENIM, Etablissement National des Invalides de la Marine.

La vocation de l’ENIM, à l’origine, était de verser une petite pension aux marins blessés et devenus invalides au service du roi. Il deviendra le régime d’assurance sociale des marins professionnels, sécu et retraite, il existe toujours bien qu’il y ait de moins en moins de cotisants. A ce titre, il me semble qu’il s’agit du premier régime social à voir le jour en France.

D’autres épisodes à suivre ?

ranta
ranta
22 octobre 2012 12 h 26 min

« ’une petite « frégate » de moins de 100 tonneaux ( de 15 à 17 mètres)

Juste comme ça pour dire, y’en a qui vont lire et qui vont même pas réfléchir à cette précision. Faut dire que pour certains rechercher ce que vaut un tonneau et en déduire la longueur d’un navire ça n’a pas été une partie de plaisir 😉

je vois que Xavier est venu commenter. Et où qu’il était pendant qu’on cherchait, hein ❓ 👿

Xavier
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Xavier
22 octobre 2012 13 h 05 min
Reply to  ranta

Salut Ranta,

Et qu’est-ce que tu cherchais ?

ranta
ranta
22 octobre 2012 13 h 22 min
Reply to  Xavier

Ben on cherchait. Au départ c’est Furtif qui cherchait. Comme j’habite en Bretagne il en a faussement déduit que je ne pouvais être qu’un expert sur tout ce qui va sur l’eau( et dessous aussi sans doute).

Bah, donc il m’a demandé ce que représentait les tonneaux et à quelle longueur de navire ils correspondait. J’en avais aucune idée mais j’ai essayé de l’aider…. Et, et bin c’est pas simple dutou du tou hein ! J’ai fini par un faux raisonnement trouver un bon résultat. Heureusement que Furtif a poussé plus loin.

PS : je lui avais dit contacte Xavier. Il m’a dit, oh tu sais lui va savoir où il est; au pôle Nord, au pôle Sud va savoir.

Xavier
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Xavier
22 octobre 2012 14 h 04 min
Reply to  ranta

Ah, d’accord ! C’est sûr que c’est pas simple ce truc mais même quand tu maîtrises avec les normes d’aujourd’hui c’est pas facile de l’expliquer et avec les unités biscornues de l’époque je te dis pas.

ranta
ranta
22 octobre 2012 14 h 25 min
Reply to  Xavier

Ouais, c’est pas clair du tout.

J’en profite pour faire de la pub sur le lien que Furtif a fourni, ça vaut vraiment le coup.