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Au XIXè siècle la Syrie comme toutes les régions de l’empire ottoman souffre de maux multiples et qui vont en s’aggravant.
Ce qu’aux siècles passés l’Empire a apporté de moderne et rationnel dans l’administration de l’état au plan fiscal et judiciaire comme au plan du développement des échanges, n’est plus qu’un lointain souvenir. Ne contrôlant plus ses propres forces militaires, embourbé dans ses obligations et ses conflits internes au plus haut niveau, la Sublime Porte « délègue » dans une dispersion qui va jusqu’à la dissolution. Mais si la force centrale s’efface pour ne se manifester qu’en cas d’absolue nécessité ( face aux incursions/invasions ) elle est souvent contrainte de s’incliner ou de composer avec des potentats locaux qui ne sont eux mêmes que chefs de bandes qui ont réussi. L’espace impérial avec ses hiérarchies et ses divisions administratives est devenu une tapisserie mitée par une myriade de sultanats et chefferies locales parasitant au sens propre l’aliment fiscal commun à tous les pouvoirs.
Ces pouvoirs locaux toujours transgresseurs , toujours avides d’augmenter leur ponction propre aux dépens d’Istanbul ne remplissent guère la vieille fonction traditionnelle de toute féodalité : la protection des populations. En s’affaiblissant le pouvoir central est le premier à ne plus remplir cette fonction auprès de toute sa population . Le commerce, l’agriculture, l’artisanat des villes et leurs besoins collectifs de sécurité ne sont plus assurés. Dans l’immensité ottomane , il n’y a plus d’espaces ou de moments où un brigand ambitieux ne trouve à exercer sa calamiteuse industrie . Bien sûr, les solidarités collectives font obstacle mais elles sont entravées par un système qui les craint plus que tout.
En effet une révolte heureuse contre un chefaillon/racaille local abusif n’a aucune raison de s’en tenir là . Le risque est qu’emportée par son succès l’humeur rétive d’un petit peuple vainqueur pourrait en venir à choisir de ne pas transférer à l’échelon supérieur de la pyramide des parasites : la soumission et les taxes qu’elle vient de refuser à son tyran local abattu. La contamination en boule de neige ou, comme nous sommes en Orient, la tâche d’huile
De bas en haut de la pyramide des loups l’accord se fera vite pour châtier les moutons rétifs. Un mauvais exemple local a si vite fait de contaminer l’ensemble. Tout trouble social étant considéré comme une plaie pour les castes dirigeantes elles se hâtent de cautériser .
D’autre part l’effort de certains « brigands/entrepreneurs » pour gagner une place plus ou moins avantageuse dans la hiérarchie des profiteurs ne se fait pas sans aggraver la situation des couches inférieures. Pour qu’un nouveau statut quo s’établisse, pour que tout en haut on n’ait pas trop l’impression d’en pâtir et que le nouveau promu se satisfasse de la part du gâteau qu’on lui abandonne de gré ou de force….Bin …. pour aboutir à ce nouvel équilibre entre les exigences des loups et ce que peuvent subir les masses soumises, le chemin passe toujours en Orient comme ailleurs par une aggravation de la situation matérielle des plus pauvres.
En le disant autrement le mouvement de l’histoire a tous les aspects d’un paradoxe difficilement acceptable par les bien pensants à la mode . Les voies et les moyens pour pour renverser et supplanter un pouvoir central sont toujours synonymes de régression matérielle pour les plus humbles qui, en plus, ne comprennent jamais où on veut les conduire.
Une constante veut qu’au milieu de toutes ces aggravations il soit des groupes sociaux qui subissent plus que d’autres la chute du pouvoir central. Les anciens statut quo d’équilibre entre pouvoir central et populations tombent en désuétude avec la puissance centrale pour être bafoués et balayés par les nouveaux maîtres. Les changements planétaires du XIXè siècle s’appliquent aussi en Syrie. Les minorités Juives et chrétiennes en seront les premières victimes.
La première moitié du XIXè siècle aggrave le déclin d’Istambul . La Grèce perdue , elle perd aussi la compensation promise au Pacha d’Egypte : la Syrie. ( Voir carte) Comme la livraison tarde un peu Le Pacha Mehemet Ali se sert lui même et pousse un peu beaucoup son avantage en Asie Mineure.
Halte là , pas si vite, il y a du monde sur les gradins . Des appétits tiennent à faire valoir leur prééminence : Les Russes débarquent et occupent les deux rives du Bosphore . D’autre part comme c’est la France qui organise, encourage et équipe les armées du Pacha Méhemet Ali, l’Angleterre ne peut tolérer un tel succès en un tel théâtre. Son activité diplomatique réussit à renouer la vieille alliance générale anti française et au plan militaire elle dirige une flotte vers les côtes du Liban….
On ne va pas lui refaire le coup d’Alger . Cette fois ci Londres est sur ses gardes.
C’est dans ce contexte que les événements de ce « Nartic » vont se dérouler
https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_de_Damas
Selon la loi islamique, les Chrétiens et les Juifs sont des dhimmis, classe de non-musulmans aux droits limités, mais autorisés à suivre leurs préceptes religieux. En contrepartie, ils doivent payer un impôt, le Djizîa, et accepter un statut juridique et social inférieur à celui des musulmans. Depuis 1832, Damas est sous la domination du vice-roi d’Égypte Méhémet Ali alors en rébellion contre son suzerain, le sultan ottoman. Méhémet Ali est soutenu par la France, traditionnellement protectrice des Chrétiens au Proche Orient. En contrepartie de ce soutien, il a consenti des droits supplémentaires aux Chrétiens entraînant une certaine rancœur de la part de la population musulmane. Par ailleurs, Juifs et Chrétiens sont en lutte pour la domination économique et cherchent de chaque côté l’appui de la majorité musulmane. Les autres puissances européennes s’opposent à Méhémet Ali et aident le sultan [d’Istambul] à reprendre la main au Proche Orient. Craignant une nouvelle vague de violence musulmane avec le retour prévisible de la domination ottomane à Damas, les chrétiens font venir des prêtres catholiques de l’ordre des capucins et des franciscains. Ce sont ces derniers qui auraient importé le mythe des sacrifices sanglants rituels imputés aux Juifs.
Au XIXè siècle les Juifs de Syrie, même les Juifs Européens arrivés au XVIè se distinguaient par le niveau de leur intégration, ils parlaient et écrivaient l’arabe et le Turc. Ils avaient adopté le mode de vie et les costumes locaux . Le talent commercial et financier de ce groupe enrichissait l’empire. On ne signalait pas de conflits entre les communautés pour raisons religieuses.
Le coup allait venir d’ailleurs !
C’est en 1840 qu’éclata l’affaire dite des Juifs de Damas
Le 5 février 1840, le Père Thomas de Camangiano originaire de Sardaigne, supérieur du couvent des Capucins de Damas disparaît ainsi que son domestique.
Chrétiens , ils sont en vertu des accords (capitulations) conclus dès le XVIè siècle avec le pouvoir ottoman, sous juridiction française. Mais, très curieusement, au lieu d’instruire lui même l’affaire, le consul de France à Damas, le comte de Ratti-Menton, trouve plus judicieux et politique d’en confier l’instruction à son ami, le gouverneur égyptien de la ville, Chérif Pacha.
De ce fait, la procédure ne sera pas française mais turque.
Nous sommes fin février, la rumeur publique dans le quartier chrétien voisin accuse les Juifs d’avoir assassiné les deux disparus. Le crime aurait eu un mobile rituel : recueillir le sang des victimes pour pétrir la pâte du pain azyme .
Cette scandaleuse accusation de crime rituel éclaire d’un jour tout à fait particulier l’affaire. Elle n’est pas du tout d’origine orientale où les musulmans ont depuis longtemps réglé leur coexistence avec les autres communautés des gens du Livre.
Les sultans ottomans avaient à plusieurs reprises réaffirmé dans leurs firmans leur attachement à la liberté des cultes. Conscient de la gravité de l’affaire Chérif Pacha prend les mesures adaptées , il consulte son devin personnel. Ce dernier, sentant le vent, conclut qu’il faut bien rechercher les coupables parmi les Juifs!
Alors le consul de France, bien que dessaisi à sa demande , mène lui-même en parallèle son enquête à l’intérieur du quartier juif. Il fait arrêter un pauvre barbier juif et le livre à Chérif Pacha . Pour commencer on lui inflige 200 coups de fouet sur la plante des pieds pour le faire avouer . Comme il nie toujours : on lui serre la tête avec un tourniquet. Sous la douleur atroce il avoue tout ce que ses tortionnaires lui dictent et il désigne sept notables juifs comme coupables :
- le rabbin Michaan Yehouda ,
- Moïse Aboulafia
- David Harari et ses frères Isaac et Aaron,
- Joseph Harari ( leur oncle),
- et enfin Joseph Liniado.
Le domestique de David Harari, arrêté et torturé, confirme les dires du barbier. Il désigne lui aussi son maître comme ayant commis le crime . Les 7 accusés/ désignés , arrêtés, sont aussitôt soumis à la torture au domicile de Chérif Pacha. Tous nient .
Aussi pour le Consul de France, un peu dépité, tous ces orientaux font preuve de mollesse! Pas de doute ils sont corrompus par l’argent des Juifs….. Il tient à en avoir le cœur net. Il ne se cache pas de suspecter ces gens là d’avoir acheté leurs tortionnaires. Il demande à assister à « l’interrogatoire » et que les tortures soient appliquées en « sa » présence .
Non mais !
Joseph Harari, un vieillard de quatre-vingts ans, meurt sous les coups. C’est l’occasion de faire de nouvelles arrestations. Deux rabbins, Jacob Antebi et Azaria Halfon, sont arrêtés et soumis à la torture car, étant rabbins, il va de soi qu’ ils ne peuvent rien ignorer d’un crime rituel. Rien n’y fait , ces obstinés persistent à nier.
Seul Moïse Aboulafia accepte de tout reconnaître, d’abjurer sa religion et de se convertir à l’islam pour échapper à de nouveaux tourments. Des perquisitions répétées dans les demeures des accusés ne donnent aucun résultat. Alors …..
Alors on torture à nouveau le barbier qui révèle que le moine a été découpé et jeté dans l’égout.
Le consul Ratti-Menton se transporte en personne sur les lieux désignés et trouve des ossements qu’il déclare aussitôt être ceux du moine disparu ……… Des médecins, appelés en consultation, déclarent qu’il leur est impossible d’affirmer que ces ossements soient humains et, ajoutant à leur malveillance, se déclarent incapables de dire si ces ossements sont ceux des personnes désignées. Malgré cela, le Chérif , conforté d’une part par son mage et par le représentant le plus éminent de la pensée occidentale en la personne du consul de France, déclare que les ossements trouvés sont bien ceux du Père Thomas, assassiné par les Juifs.
Malgré les risques de nouvelles tortures le pauvre Joseph Liniado, interrogé, rappelle que le jour de la disparition du Père Thomas, il était dans sa demeure, ayant perdu sa fille. II avait reçu l’après-midi, à l’heure du prétendu assassinat, la visite de condoléances de trois amis chrétiens de province, de passage dans la ville. Il demande de les faire citer comme témoins.
Quelle impudence ! En réponse, Chérif Pacha le fait à nouveau fouetter et le soumet à de nouvelles tortures. De telles arguties le méritaient bien, convenons-en . Il ne pourrait pas dire qu’il ne l’avait pas cherché. Dix jours plus tard, il meurt des suites de ses blessures.
Considérant que l’affaire du Père Thomas est suffisamment instruite, le juge procède alors à l’enquête concernant la disparition du serviteur du prêtre. Il ordonne de torturer à nouveau le domestique de David Harari. Terrorisé, le domestique désigne de nouveaux coupables : quatre membres de la famille Farhi, dont le président de la communauté, Isaac Picciotto, Jacob Aboulafia et les deux frères Nathan et Aaron Levi-Stambouli. Bien que protégé autrichien, Isaac Picciotto est mis au secret et interrogé dans les locaux mêmes du consulat de France.
Complètement exalté par la mission dont il se sent investi , c’est de la part du consul un simple écart que sa conception « éclairée » du monde autorise. Au plan international c’est une erreur fatale pour Ratti-Menton .
Le consul d’Autriche, M. Merlatto, arguant de droits identiques à ceux du Consul de France refuse d’abandonner son protégé. Il s’oppose, conformément à la loi, à ce qu’il soit remis à la « justice » de Chérif Pacha et demande à étudier lui même le dossier afin qu’on ne s’en remette plus au dire de Rati Menton. Ses conclusions sont __ c’est curieux___diamétralement opposées à celles du consul de France. Il alerte aussitôt ses supérieurs qui adressent alors un rapport détaillé à Vienne. James de Rothschild, consul d’Autriche à Paris, prend connaissance de ce rapport dont il s’est procuré une copie. Scandalisé, il alerte les membres de sa famille. L’affaire éclate au grand jour. En France, Adolphe Crémieux, décide de faire publier à Paris le rapport du consul autrichien Merlatto.
Ce dernier emploie les mots de
Il se heurte au refus des organes de presse qui ne veulent pas se désolidariser du représentant français à Damas. De son côté, Ratti-Menton adresse à Thiers, au Quai d’Orsay, un compte-rendu justifiant la procédure suivie, niant toute violence physique et affirmant que les Juifs de Damas sont bien coupables. Sommé par Crémieux de publier ce compte-rendu, Thiers refuse « dans l’intérêt de la France ». La polémique s’étend; les passions se déchaînent. On en veut à la France ! Aux arguments de bon sens avancés par Crémieux, La Gazette de France répond avec une cruelle franchise qui n’est pas sans rappeler l’argument d’opportunité rendu célèbre par un de nos anciens amis :
« Si on veut que les Juifs soient innocents de l’égorgement raffiné du Père Thomas, il faudrait alors accuser les musulmans et les chrétiens! C’est une triste alternative. »
Pour contourner le mur d’une opinion publique orchestrée, Crémieux se rend à Londres. Il réussit à gagner à sa cause Sir Moses Montefiore qui alerte à son tour l’opinion publique anglaise et coordonne les efforts pour donner à celle-ci une dimension internationale. L’idée d’une délégation européenne auprès du Vice-roi d’Egypte est lancée, voire , auprès du Sultan d’Istanbul . Adolphe Crémieux représentera les Juifs de France et Sir Moses Montefiore ceux de Grande-Bretagne. Mais alors que la reine Victoria en personne assure la délégation de son appui et de celui de Lord Palmerston, Crémieux n’obtient aucun appui du gouvernement français.
Soucieux de donner à l’Europe une image moderne et avancée de son régime le Vice-roi d’Egypte Mohamed Ali ordonne la cessation de toute torture et met les points sur les « i » à son représentant à Damas Chérif Pacha
Comme une avalanche, les résultats ne se font guère attendre. Moïse Aboulafia rétracte énergiquement ses aveux, déclarant qu’ils lui ont été arrachés sous la torture. Le barbier Suleiman, principal témoin à charge, se rétracte également. Crémieux et Montefiore obtiennent du vice-roi d’Égypte une mise en liberté des victimes et non la grâce qu’il voulait leur octroyer, mais quatre hommes sont déjà morts sous la torture. Ainsi se termine la douloureuse affaire des Juifs de Damas.
Chérif Pacha est rappelé au Caire, Ratti-Menton est nommé loin de l’Orient . Nul désaveu officiel ne viendra ternir la carrière de ce brillant diplomate , au contraire il fut nommé à Canton, Calcutta, Lima , La Havane etc…jusqu’à sa retraite en 1862 .
A Paris, Thiers et le gouvernement refusèrent que la vérité fût rétablie. Ils ne voulurent pas se dédire et encore moins dévoiler le triste rôle joué par les représentants locaux du Quai d’Orsay. ___ et le leur__
Crémieux et Montefiore, reçus en triomphe dans toute l’Europe à leur retour d’Égypte, furent ignorés à Paris. L’hostilité entretenue par la presse de droite était telle que Crémieux renonça à faire publier le rapport sur sa mission et les résultats heureux obtenus. Au Quai d’Orsay, une « solidarité » mal comprise joua contre les Juifs de Damas : le dossier fut retiré des archives du ministère et classé.
Il ne pouvait plus être consulté ni communiqué à quiconque. Sous le titre général de « Dossier du Père Thomas », ce dossier est divisé en trois parties :
- Dossier de l’affaire du Père Thomas assassiné par les Israélites indigènes.
- Affaire du Père Thomas assassiné par les Israélites indigènes.
- Dossier Ratti-Menton.
Il est resté ainsi au secret pendant près de cent cinquante ans. Une loi sera votée autorisant enfin les chercheurs à prendre connaissance du dossier des Juifs de Damas qui n’assassinèrent ni le Père Thomas ni son domestique! En 1939, les Juifs étaient plus de cinquante mille au total, ils côtoyaient des Palestiniens musulmans, des Kurdes ou tout simplement des Syriens Mais viendra le temps du Mandat français allié d’Hitler et pire encore le passage officiel après la guerre de minorité juive à « élément de la 5è colonne sioniste ».
Harcèlement, brimades, persécutions et assassinats accompagneront l’interdiction de quitter le pays
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En quasi simultané l’affaire de Rhodes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Accusation_de_crime_rituel_contre_les_Juifs_de_Rhodes
Lectures :7729
Je ne connaissais pas cette histoire.
Moi non plus et pourtant j’ai eu de nombreux profs qui m’ont enseigné les origines de l’affaire Dreyfus….et les racines françaises de l’antisémitisme européens….
…
Ceux qui liront attentivement cet article remarqueront sans doute la grande différence de ton entre le Wikipédia officiel très modéré pondéré et la réalité de l’histoire que je prétends avoir mieux relaté
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler l’antisémitisme virulent de Henry Ford
et à l’occasion le livre de Philippe ROTH ( auteur de La Tache) « Complot contre l’Amérique » qui dans une uchronie suppose un régime nazi aux USA
Je n’ai pas grand chose à rajouter (pour le moment)
aussi
je remercie Furtif pour nous rappeler l’Histoire.
yep ma fille aînée et mon garçon aîné ont fait Histoire du DEUG a l’agrégation » ratée de peu » chaque fois qu’ils s »empeignent je leur dis que je connais un vrai historien ‘ un gus qui vérifie, compare , met en forme
et rend compréhensible , même pour toi ? dit ma chipie , c’est dire les mérites de ce bon Furtif …