Hier je vous proposais l’article foudroyant et sans concession de Léon Trotsky sur l’Allemagne, les succès du nazisme et ses liens organiques avec la petite bourgeoisie.
De Pinkipo en 1933 il nous invite encore à nous poser la question .
Comment ceux qui, aujourd’hui,voient ou prétendent voir le nazisme partout, refusent-ils de se la poser :
Quelle est la couche sociale et sa représentation politique, quelle est l’idéologie de pureté fantasmée qui aujourd’hui alimentent le nazisme ?
Qui sont ces gens qui se distinguent en s’acharnant contre le prolétariat français et ses conquêtes sociales, voire en le taxant de réactionnaire antiprogressiste ?
Mais restons penchés sur l’Allemagne qui, en 1933, nous réservait de bien tristes lendemains.
Un homme issu d’un tout autre horizon social et politique avait su ,14 ans plus tôt , dresser un constat terrifiant et lancer un appel qui , hélas , ne sera pas entendu.
On ne pouvait lui contester ses compétences. Les preuves qu’il en avait donné avaient été nombreuses et on n’en avait guère tenu compte.
Il s’agit du Général Dupont , chef des services secrets français durant la Grande Guerre.
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Je vous invite à lire ce texte et à ne pas manquer de le mettre en relation avec celui du « Prophète désarmé » . Un regard et un raisonnement logique et sans concession aboutissent non pas aux mêmes conclusions mais à des identités que nous dirons remarquables quelques soient leurs lieux d’origine
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Texte du 15 avril 1921
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Demain ?
Et maintenant que nous réserve l’avenir ?
Je me contenterai de reprendre, sans rien y changer, un rapport que j’envoyai le 15 avril 1921 au maréchal Foch.
(Rajouté au stylo : « Ce rapport reprenait presque intégralement celui que je lui envoyais en décembre 1919 »).
« De la tempête sort une Allemagne plus unifiée que jamais. Les nations, comme les humains, s’enfantent dans le sang et dans la douleur. Pour l’Allemagne, les événements de 1870 à 1871 n’avaient été qu’un prélude. Il n’était pas possible que quelques jours pussent faire disparaître la trace de divisions millénaires. L’unité germanique n’était que dégrossie. Le particularisme, représenté surtout par les dynasties particulières et leur clientèle, avait laissé de fortes failles dans la plaque métallique, œuvre de Bismarck. Le puissant forgeron n’avait pu produire qu’une ébauche. Il fallait la tremper.
Le bloc germanique, né de la révolution du 9 novembre 1918. aujourd’hui encore en travail de refroidissement, va se présenter très vite comme une œuvre achevée et homogène. Les nationalités hostiles et irréductibles malgré les paroles de Bismarck, s’attachant à ses flancs comme des corps étrangers, étaient pour l’Allemagne des éléments de faiblesse.
Libérée, l’Allemagne représentera, au centre de l’Europe, une masse compacte redoutable. L’Autriche ne manquera pas de se souder à elle dans un délai plus ou moins long. Nous l’avons, en effet, laissée beaucoup trop faible pour qu’elle puisse vivre isolée au milieu des nations nouvelles, ne pouvant oublier ce qu’elles en auront souffert.
S’il est vrai qu’aucune disposition écrite n’aurait pu empêcher à perpétuité une Allemagne disloquée de se reconstituer, les traités de 1919 ne font rien pour assurer à cette échéance un délai qui aurait au moins donné un peu de répit.***
***C’est là l’avis de Foch, Weygand et Mangin entre autres à la même époque
Quelque paradoxale qu’au lendemain de sa défaite cette conclusion paraisse, l’Allemagne va sortir de la fournaise avec des éléments de puissance supérieurs à tous ceux qu’elle a jamais possédés. Disposant de tous ses moyens de production intacts, d’une population énergique, travailleuse, disciplinée, prolifique, elle se relèvera facilement et se débarrassera rapidement des charges que les traités lui imposent.
Si nous sommes optimistes, nous pouvons penser que dans 30 ans, 50 ans peut-être, c’est-à-dire un moment dans la vie des nations, ayant repris le travail d’expansion économique prodigieux qu’elle avait accompli avant la guerre de 1914, elle dominera l’Europe pacifiquement et ne manquera pas de lui dicter ses lois. C’est la solution qui pourrait arriver si l’Allemagne des rêveurs, socialistes ou poètes ayant su apprendre et oublier, pouvaient acquérir la patience (rayé au stylo : « Il en sera peut-être un jour ainsi pour le bien de ce grand peuple et du monde »).
Je n’opte pas, quant à moi, pour cette solution optimiste. J’ai la conviction que l’Allemagne, qui va renaître de ce cataclysme, sera une Prusse agrandie et monstrueuse. Les divisions inévitables des Alliés, le caractère essentiellement temporaire de leur contrôle, permettront le développement du travail de prussification.
La vieille Prusse rageuse, assoiffée de vengeance, arrivera facilement à convaincre le peuple allemand tout entier que l’Allemagne n’a pas voulu la guerre, quelle n’a jamais été battue et que ses soldats invincibles ont déposé volontairement leurs armes par grandeur d’âme quand fut réalisé leur idéal symbolisé par les conditions de paix du président Wilson.
Bien mieux, ils accuseront tous les peuples de l’Entente d’avoir trahi leur confiance. L’application du traité est déjà de plus en plus ralentie. Les ministres font ouvertement campagne contre lui au cours de leurs tournées dans tout l’Empire. Dans l’armée de 100 000 hommes prévus par le traité, « chaque homme, a dit le général Seeckt, doit être capable d’être chef ». C’est une armée de cadres, fortement dotée en matériel grâce aux réserves consenties et à celles dissimulées, qui constituera l’armature sans cesse perfectionnée d’une armée que l’esprit militaire allemand pourra, en quelque jours, faire innombrable.
Et puis, l’Allemagne prussienne va vite se chercher un maître. La constitution le lui permet sans qu’elle ait à se payer le luxe d’une révolution.
L’élection au suffrage universel du président du Reich lui en donne l’occasion. Ce ne sera peut-être pas la prochaine élection, c’est encore trop tôt, mais sans doute la suivante. Si ce n’est pas un Hohenzollern que choisit cette Allemagne, ce sera un rapace du même genre. Et, sous la conduite de ce nouveau seigneur de la guerre, avec l’instrument qu’a préparé Noske, alors lui-même rejeté par ceux dont il ne fut que le paravent
méprisé, l’Allemagne prussienne reprendra sa mission de conquêtes. Malheur à ceux de ses voisins qui n’auront pas suivi ses transformations, qui, lassés par les efforts gigantesques de ces dernières années, épuisés par leurs pertes et leurs souffrances, absorbés par des luttes politiques, économiques intestines, n’auront pas conservé leur puissance militaire et le faible gage donné par le traité !
L’Allemagne prussienne commencera-t-elle par la Pologne ou par la Tchécoslovaquie, dans ces pays où de nombreux éléments, restés au-delà des frontières, auront su entretenir le désordre et préparer l’ intervention ?
Ayant, par l’annexion fatale de l’Autriche, retrouvé une frontière commune avec l’Italie, l’attrait magique de ce pays, les engagera-t-ils à renouveler leurs entreprises séculaires dans la Vallée du Pô sans avoir attendu d’avoir d’abord satisfait leur rancune plus directe ? Est-ce le Rhin qui les verra de nouveau s’épancher au-delà de ses bords occidentaux ? C’est le secret du destin.
Cela dépend des résistances possibles de l’adversaire à choisir. »
Cinq ans après avoir écrit ces rapports, je ne vois rien à en retrancher ni à ajouter. Puissions-nous, et nos enfants après nous, puissent-ils aussi avoir l’énergie et la volonté d’arrêter à temps cette (rayé au stylo : « vaste et ») nouvelle invasion !
20 Juillet 1926
Général Dupont
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Ne pas hésiter à revenir sur l’article d’hier
Léon Trotsky – Qu’est-ce que le national socialisme ? 1933
N’hésitez pas à consulter le livre surprenant de Olivier Lahaie
Charles Dupont -Mémoires du chef des services secrets de la Grande Guerre
Lectures :7916
La publication de cet article vient télescoper un évènement « quasi mondain » : l’attribution du prix Nobel de littérature à un baladin oublié de nos jours.
Il n’est pas question de dévaluer plus qu’un autre Bob Dylan mais de porter un regard spécial sur le Nobel…….
Le Prix Nobel , nous le savons , pour l’avoir vu attribuer à bien des fantoches voire à des assassins en gros, n’est pas un prix de vertu…
Il ne protège pas ses récipiendaires de dérives morales et politiques.
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Sous cet article qui traite du nationalisme allemand et de ses conséquences pressenties….Il est bon de rappeler l’histoire du Manifeste des 93.
C’est un fait qui tombera dans l’oubli si on observe la déliquescence de l’enseignement de l’Histoire depuis 40 ans. Je n’ai pas de mots suffisants pour vanter l’excellence de mes maîtres qui n’ont pas oublié de m’en parler.
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Le 1er août 1914 (la guerre n’est pas encore déclarée par l’Angleterre), le Times (Londres) publie un appel d’hommes de science et de lettres anglais (dont les prix Nobel J. Thomson et W. Ramsay) dissuadant leur gouvernement de s’engager dans une guerre contre l’Allemagne aux côtés de la Russie : l’Allemagne a tant influencé la culture et la science européennes, que lui déclarer la guerre serait « un péché contre la civilisation » – il est à cet égard nécessaire de distinguer le militarisme prussien et la culture allemande. Ce profond respect de la culture allemande montre l’influence intellectuelle majeure de l’Allemagne en Europe tout au long du XIXe siècle.
Après la déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne (5 août), des universitaires allemands renoncent à leurs distinctions britanniques : Ernst Haeckel (qui introduisit Darwin en Allemagne) renvoie son diplôme honoris causa de Cambridge et sa médaille Darwin de la Royal Society.
Le 4 octobre 1914 paraît le fameux « Manifeste des 93 » allemand (An die Kulturwelt), avec le non moins fameux paragraphe « Sans notre militarisme, notre civilisation serait anéantie depuis longtemps […]. L’armée allemande et le peuple allemand ne font qu’un. » Comme un écho à l’appel du Times du 1er août.